Il était une fois, un Ermite sortait de sa grotte avec sa calotte rose d’initié pour aller étudier et réciter ses textes sacrés au sommet de la montagne Pelée. A mi-chemin, il rencontra un Termite, doré et resplendissant, qui s’était fait arracher une patte dans un accident de circulation, au carrefour d’une pente glissante et qu’il transportait péniblement entre les pinces de ses mandibules.
Soucieux de lui porter secours, l’Ermite renonça à son obligation quotidienne et pour éviter de le laisser marcher à sa suite, il le souleva dans ses bras et le conduisit jusque dans sa grotte pour le soigner. Il l’installa dans son lit de pénitence, lui servit une bonne tasse de tisane de citronnelle avec des grains d’acajou pour le réchauffer et l’interna pendant de longs jours. Il plongea sa patte dans une solution parfumée à l’eau de rose de sa dernière préparation pour la désinfecter. Il l’entretient quelques instants pour lui parler de sa vie recluse, loin des bruits mondains et de sa préférence dans cette cavité solitaire. Il parla, à son tour, de sa vie communautaire dans la termitière qui se passe, en parfaite harmonie, dans une ambiance de fraternité, entre le roi et la reine mais aussi entre les soldats et les ouvriers.
Quand ils finirent de s’échanger les aspects de la connaissance civile, l’Ermite se dirigea vers la source d’eau sacrée de sa grotte que gardaient jalousement des Chauves-souris, aux petites oreilles noires et aux yeux scintillants de cristaux précieux, dans un concert de cris stridents. Il fit trois fortes invocations avant de prendre le liquide limpide qui coulait sur le dos des roches brunes, selon le rituel. Il écarta de ses mains les pierres assemblées et prit de l’argile compacte. Puis, il revint vers son malade.
Le Termite regarda l’ermite dans les yeux et vit une forte lumière qui éclairait son visage dans l’espoir que celui-ci pouvait satisfaire à ses attentes. Le solitaire lui promit de le soigner avec les éléments naturels de la création originale. Il rentra dans sa chambre à coucher, sortit avec un chiffon de ses vieilles transpirations qui conservaient encore la puissance de son odeur corporelle, de fervent méditant. Il le déchira en lambeaux et les ajusta sous forme de bandeau. Il prit l’argile additionné à l’eau et l’étala le long du vieux tissu puis l’appliqua à la patte à l’endroit d’où elle était arrachée. Pour l’immobiliser, il l’attacha autour de son ventre et entre les cuisses des autres pattes.
Pendant son séjour d’ermitage, il lui combla d’une grande hospitalité au point où il ne manquait d’aucune ration alimentaire. Même quand il partait à la montagne pour l’approfondissement de ses textes sacrés, il le laissait dans sa grotte avec certains ouvrages élémentaires afin de lui susciter le goût de la découverte et de l’apprentissage. Il ne voulait pas l’enfermer dans un ennui d’absence. Il le rendait toujours heureux en sa compagnie, lui raconta des histoires pour l’égayer.
Le Termite lui posa la question:
– Cher Ermite, ne puis-je pas consulter les ouvrages de la bibliothèque ?
– Ils ne sont pas de ton âge car il faut d’abord une certaine initiation ensuite une admission dans le cercle des auditeurs libres et enfin une confirmation dans le monde des érudits. Il est trop dangereux de précipiter la connaissance rapide et universelle des textes sacrés, à un jeune esprit comme toi, sans avoir atteint la maturité requise de différents cours.
En restant, à la maison, compulsant les pages des ouvrages mis à sa disposition, insatisfait de la substance du contenu trop élémentaire, il poussa sa curiosité au-delà de l’interdit. Il traina sa patte, clopin-clopant avec ses béquilles pour se rapprocher de la bibliothèque sacrée.
Là-bas, les ouvrages scintillaient d’une excessive beauté avec une reliure dorée et d’une extrême propreté. Le Termite commença à lire mais ne comprenait rien du tout. Friand de papier, il trouva plaisir de manger les textes sacrés de l’Ermite, dans la plus grande discrétion, dissimulant les déchets entre les pages et le fond des cartons mais aussi entre les étagères et les tiroirs.
De retour de la montagne de l’illumination, l’Ermite ne soupçonna rien de grave dans sa bibliothèque car sa confiance était entière. Il lui fit part de son pèlerinage où des oiseaux du ciel étaient venus lui chanter des mélodies d’une symphonie merveilleuse. Il reçut, en pleine nuit, un rêve de guérison du Termite qui marchait sans ses béquilles.
Le lendemain matin, après ses méditations précédant les premiers rayons du soleil, il constata effectivement qu’il était guéri et lui proposa, après le petit déjeuner de l’accompagner dans la termitière. Il lui donna un petit livre de prière en souvenir de son séjour et de beaux habits pour son retour. Ils marchèrent dans la joie de leur amitié.
A sa vue, les autres membres de la société qui le croyaient mort, n’osèrent pas l’approcher et le regardèrent avec une curiosité craintive de grande méfiance. Ils le considéraient pour un revenant. D’aucuns murmuraient des paroles anodines se transmettant d’une oreille à une autre.
Mais le roi qui avait les pouvoirs magiques de pénétrer le corps et sonder l’âme, ne vit aucun signe de mort sur son front, soit une croix, soit des palmes d’abri traditionnel.
La reine et le roi se concertèrent en assemblée avec les soldats et les ouvriers. Ils remercièrent l’Ermite de sa remarquable bonté. Ils organisèrent une fête du Termite qui était revenu parmi eux dans la société avec sa mésaventure qui ne trouva le sauvetage bienfaisant grâce aux bons soins de son nouvel ami de compagnie.
La fête fut célébrée de façon spectaculaire sous forme de carnaval, haut en couleurs, aux sons de tambours et trompettes assourdissants, dans l’enceinte de la termitière, passant d’une galerie dans une autre pour éviter de causer un trouble d’ordre public. Tous les habitants de la forteresse avaient mis leur jolie parure vestimentaire, le corps traversé par des teintures vert, jaune, rouge, bleu et noir. C’était la joie des retrouvailles d’un membre égaré de la société.
A la fin de la cérémonie, après le retour de l’Ermite, le Termite raconta ses heureux moments vécus dans la grotte. Il montra tous ses cadeaux reçus. Il expliqua le remède traditionnel qu’il utilisa pour réparer sa patte arrachée. Cette médecine fut accueillie favorablement par la reine. Elle décida d’inviter, à nouveau, l’Ermite, et signa avec lui un contrat de réparation des pattes endolories de ses nombreux soldats et ouvriers.
Ainsi chaque fois qu’un Termite était accidenté, il était conduit dans l’hospice de la grotte pour recevoir des soins conclus conformément à la convention médicale, il en sortait toujours bien soulagé. L’ermite était couvert d’éloges innombrables. Il percevait un bon salaire grâce à sa compétence et à sa bonne prestation. La reine lui demanda soit de lui livrer son secret, soit de lui vendre la recette. Il refusa de céder à un quelconque compromis. Elle rendit compte du refus d’obtempérer à sa cour. Les ouvriers et les soldats se réunirent, en plusieurs colonies, et, creusèrent un tunnel qui alla sortir dans la grotte sous la bibliothèque sacrée de l’Ermite. Elle ordonna à ses ouvriers d’aller voler les livres sacrés mais ne purent les transporter car ceux-ci étaient trop lourds. Ne pouvant déchirer les pages qui contenaient les secrets et les formules magiques de la guérison, ils les dévorèrent avec leurs mandibules.
Un soir, après le souper, l’Ermite se rendit dans sa bibliothèque, il entendit de petits bruits entre les livres. Il croyait qu’ils provenaient des Chauves-souris. Agacé de la répétition de ce bruissement régulier, il voulut en découdre, en pleine nuit, mais emporté par la fatigue de la journée, il alla se coucher et remit à demain la vérification donnant la priorité au repos corporel.
Le lendemain, il vérifia finalement ses livres dans sa bibliothèque. Stupéfait et scandalisé, certains de ses textes furent littéralement endommagés. Il suivit le filon des déchets avec sa lampe-tempête. Il découvrit un tunnel semé de menu papier déchiqueté tout au long. Ne pouvant poursuivre l’investigation seul, il appela les Chauves-souris de l’accompagner. Ils longèrent le tunnel et alla sortir au grand salon de la termitière. Stoppés par les soldats de la reine, dès leur entrée, quand celle-ci sortit pour s’entretenir avec l’Ermite, des soldats qui étaient autour commençaient à le piquer; le ton monta entre les deux protagonistes et il refusa de poursuivre la discussion au point où la guerre éclata. Dans cette furie, il ordonna aux chauves-souris de les manger tous comme bon régal d’appétit savoureux et délicieux.
Dès que le combat fut terminé, ils rentrèrent chez-eux par le tunnel initial jusque dans la grotte, chantant victoire contre le royaume des termites.
L’Ermite fut escorté et transporté sur les ailes des chauves-souris dans la joie communément partagée entre vengeance de réparation des biens saccagés et satisfaction des mets succulents, chantant: »nous avons gagné, oh la, oh la, nous avons gagné, oh la, oh la ».
Depuis lors, ils ne laissent plus passer la présence des termites. Ils terminent toujours dans la bonne dégustation de leur fine bouche, en leur qualité d’insectivores.
Mais quand on a aussi les livres dans sa bibliothèque, il faut en prendre soin régulièrement car une fois tombés sous les mandibules avides des Termites, ils seront endommagés sans pitié dans le plus grand regret.
La bonté est souvent victime d’une ingratitude prononcée et démesurée.
© Bernard NKOUNKOU