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Canada: Des collèges privés non subventionnés du Québec vivent « leur dernier souffle »

juin 8, 2022

Des établissements dénoncent vivement la décision de Québec et d’Ottawa de couper l’accès à l’immigration aux étudiants étrangers provenant de leur collège.

Enseigne du Collège Canada.

Le Collège Canada est l’un des plus importants établissements privés non subventionnés du Québec. Aux yeux de son fondateur, la décision de Québec et d’Ottawa aura d’importantes conséquences pour l’avenir des collèges privés. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Dans une déclaration envoyée à Radio-Canada, le directeur et fondateur du Collège Canada, Cyrus Shani, ne cache pas son désespoir après l’annonce commune des gouvernements Legault et Trudeau.

Dès le 1er septembre 2023, les étudiants étrangers qui obtiendront un diplôme d’un collège privé non subventionné n’auront plus accès au permis de travail post-diplôme. Ce dernier permet de vivre et de travailler au Canada durant plusieurs années et est une porte d’accès à l’immigration permanente.

Cette mesure a été prise pour protéger l’intégrité des systèmes scolaire et d’immigration, a expliqué le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet. Différents reportages avaient révélé des problématiques liées à la qualité de l’enseignement et dans le recrutement de milliers d’étudiants, principalement d’Inde.

À la suite d’une enquête gouvernementale, Québec, qui avait une dizaine d’établissements dans son viseur, avait lancé un plan d’action au printemps 2021 afin de faire le ménage dans ce réseau.Danielle McCann et Jean Boulet en conférence de presse.

Avant que le ministre Jean Boulet (à droite) ne prenne la décision de restreindre l’accès à l’immigration à certains étudiants étrangers, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, avait lancé l’an passé un plan d’action visant à combler des « lacunes » dans le réseau des collèges privés non subventionnés. Photo : La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Des milliers d’étudiants indiens recrutés

Désormais, les étudiants internationaux ne sont plus intéressés à venir au Québec, affirme Cyrus Shani, le patron de Collège Canada.

« La nouvelle loi réduira à zéro le nombre d’étudiants internationaux. Les collèges privés [vivent] leur dernier souffle. »— Une citation de  Cyrus Shani, directeur de Collège Canada

Ce dernier est l’un des plus importants établissements privés non subventionnés du Québec. Des milliers d’étudiants indiens ont fréquenté les rangs de Collège Canada et de plusieurs autres collèges au cours des dernières années.

Leur nombre a d’ailleurs explosé au Québec en peu de temps. Pour l’année 2020-2021, la grande majorité des étudiants étrangers, dans le réseau collégial, provenait de l’Inde. Plus de 12 000 Indiens étaient inscrits dans un établissement québécois, contre environ 3000 Français et 700 Chinois, selon des données du ministère de l’Enseignement supérieur.

Comme le montrait un reportage d’Enquête(Nouvelle fenêtre), de nombreux établissements et firmes de recrutement ont utilisé l’argument de l’immigration et de ce permis de travail post-diplôme pour attirer des élèves. Québec était jusqu’à maintenant la seule province qui permettait l’accès à ce document au terme d’une formation professionnelle courte, qui coûtait près de 25 000 $.

Une quarantaine de collèges touchés

Le nombre de collèges privés non subventionnés a quasi doublé au Québec en seulement quelques années. Il y en avait 28 en 2015, puis 49 en 2020.

Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, le resserrement des règles d’immigration annoncé par Québec et Ottawa va toucher spécifiquement 38 établissements qui accueillent, actuellement, des étudiants étrangers.Affiche du Collège Matrix à Montréal.

Le Collège Matrix, membre du groupe Hermès, a accueilli ses premiers élèves à l’automne 2017. Il fait partie de ces nouveaux établissements qui ont récemment vu le jour dans la région de Montréal. Photo : Radio-Canada/Dave St-Amant

Une catastrophe et un manque de transparence

À long terme, souligne Ginette Gervais, présidente du réseau des collèges Hermès, c’est une catastrophe.

Présidente également de l’Association des collèges privés non subventionnés (ACPNS), elle déplore, par voie de communiqué, l’absence de consultation et de préavis.

« Cette mesure est un pas en arrière dans ce qui devrait être un effort partagé pour former et retenir la main-d’œuvre hautement qualifiée dont le Québec et le Canada ont désespérément besoin. »— Une citation de  Ginette Gervais, présidente de l’ACPNS

Les enquêtes menées par le ministère auraient dû permettre d’identifier précisément ces collèges et leur adresser directement les problèmes […]. Au lieu de cela, le gouvernement a mis en place une politique unilatérale basée sur les conclusions d’un rapport que personne n’a eu l’occasion de lire, indique Ginette Gervais.

Ce manque de transparence ainsi que les incohérences entre les gouvernements provincial et fédéral autour des détails de la nouvelle politique ont laissé des milliers d’étudiants internationaux au Québec perplexes et sans réponse quant à leur avenir dans la province, estime-t-elle.

Nous n’avons rien fait de mal et nous sommes pénalisés, regrette quant à lui Michael McAllister, le directeur du Collège Herzing, un établissement fondé en 1968.

Depuis le début de cette controverse, il jure avoir déjà changé d’approche, pour se concentrer sur le marché francophone.

On a vraiment changé de stratégie pour attirer des étudiants francophones, soutient-il, en critiquant lui aussi le manque de dialogue du gouvernement du Québec. Personne n’a essayé de nous parler pour trouver une solution.Un homme assis derrière son bureau

Michael McAllister est le directeur du collège Herzing. Photo : Radio-Canada/Dave St-Amant

Une décision arbitraire

Aux yeux de l’avocat en immigration Ho Sung Kim, Québec et Ottawa auraient pu faire preuve de nuance. Je comprends l’objectif, mais c’est mal fait. On ne peut pénaliser ceux qui ont suivi les règles. Il va y avoir des dommages collatéraux. Il faut plutôt réglementer le domaine de l’éducation, croit-il.

« Est-ce qu’on est en train de dire que tous les collèges du Québec sont de mauvaise qualité? C’est ce qu’on est en train de faire. Il faudrait plutôt renforcer les règles d’émission des permis à ces écoles. »— Une citation de  Ho Sung Kim, avocat en immigration

Impliqué dans un processus judiciaire avec Rising Phoenix International, une firme de recrutement dont les dirigeants font l’objet d’accusations criminelles, l’Institut supérieur d’informatique (ISI) dénonce de son côté une décision arbitraire et injustifiée.

« Un collège privé non subventionné ne coûte pas un sou au gouvernement ou aux contribuables, contrairement aux institutions publiques, qui reçoivent des subventions pour l’infrastructure en plus de facturer les étudiants. »— Une citation de  Benoit Larose, vice-président d’ISI

Si le gouvernement québécois veut corriger la proportion d’étudiants internationaux francophones accueillis par le Québec, il se trompe de cible, reprend-il.

Les collèges privés non subventionnés ne demandent pas mieux que d’accueillir plus de francophones. Au lieu de nous aider à atteindre cet objectif, le ministre Boulet a décidé de retirer un avantage que le Québec avait obtenu afin d’attirer les étudiants internationaux.

Radio-Canada par Romain Schué avec la collaboration de Benjamin Shingler

Canada/Pénurie de main-d’œuvre : le gouvernement du Québec cible des étudiants étrangers

mai 27, 2022
Une pancarte de l'université.

Des étudiants de l’Université du Québec à Trois-Rivières pensent que la mesure d’exemption des droits de scolarités en faveur des étudiants étrangers devaient s’appliquer à tous les programmes d’étude (archives). Photo : Gracieuseté: UQTR

Des étudiants internationaux à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) voient en la mesure d’exemption du gouvernement du Québec une occasion manquée d’économiser sur leurs droits de scolarité. Une mesure tardive selon eux, mais qui constitue un plus pour les futurs étudiants internationaux.

Les étudiants internationaux ciblés dans le programme d’exemption des droits de scolarité doivent s’intéresser aux domaines où le manque de main-d’œuvre est le plus criant. Ils n’auront plus à payer 24 000 $ pour une année d’études à l’université, mais 3000 $, comme c’est le cas pour les étudiants québécois. De plus, ils doivent s’inscrire à temps plein dans une université francophone et être prêts à s’installer en région.

Masseni Doumbia vient de boucler sa maîtrise en gestion de projet à l’UQTR. Les deux années d’études lui ont coûté plus de 30 000 $. La nouvelle mesure annoncée par Québec arrive un peu tard dans son parcours académique. Elle y voit tout de même l’occasion d’embrasser de nouvelles opportunités.

« C’est sûr que j’aurais préféré en bénéficier, mais bon je peux toujours m’inscrire dans une autre matière et apprendre plus. Cela me donne l’opportunité d’avoir plus de diplômes. »— Une citation de  Masseni Doumbia, étudiante internationale finissante à la maîtrise à l’UQTRUne étudiante internationale à l'UQTR assise près de la cafétéria.

Même si elle vient de terminer sa maîtrise en gestion de projet à l’UQTR, Masséni Doumbia affirme qu’elle profitera de la nouvelle mesure d’exemption du gouvernement pour obtenir plus de diplôme Photo : Radio-Canada/Josée Ducharme

C’est une bonne idée au départ, estime Masséni Dumbia. Mais elle croit que la meilleure formule c’est d’élargir le cadre du programme pour permettre à plus d’étudiants d’en bénéficier.

Élisabeth Gomis, une autre étudiante internationale, abonde dans le même sens. Elle trouve dommage que la mesure ne s’applique pas à l’ensemble des professions.

C’est aussi le point de vue du recteur de l’UQTR. Ç’aurait été bienvenu que ce soit l’ensemble des programmes qui soit visé, dit Christian Blanchette, mais on voit que le gouvernement a une stratégie très orientée vers certaines des professions qui sont en manque. C’est bienvenu dans ces professions-là.

« On apprécierait un programme qui nous permet d’attirer des étudiants dans toutes les disciplines parce que la pénurie de main-d’œuvre s’observe dans toutes les disciplines. »— Une citation de  Christian Blanchette, recteur de l’UQTR

Par ailleurs, M. Blanchette pense que la mesure d’exemption du gouvernement est une solution à moyen terme qui peut contribuer à atténuer le problème, et qu’il ne s’agit pas de la seule solution à mettre en place. Il admet toutefois qu’il s’agit d’une mesure attractive qui permettra de recruter plus d’étudiants.

Les étudiants francophones traités en parents pauvres

Christian Blanchette déplore le temps pris par Ottawa pour livrer les permis aux étudiants étrangers. Il appelle à une hausse du taux d’acceptation des étudiants internationaux francophones.

Les dossiers des étudiants francophones qui ont choisi des universités québécoises doivent être traités de manières diligentes et qu’on ait des taux d’acceptation plus élevée qu’un étudiant sur 10 affirme t-il.

Le président de l’Association générale des étudiants de l’UQTR accueille positivement la nouvelle mesure d’exemption, cependant il aurait préféré que le gouvernement règle le problème à la source en adoptant une résolution face à la déréglementation des droits de scolarité des étudiants internationaux. Philippe Dorion invite le gouvernement à revoir son plan pour cette catégorie d’étudiants.

« L’ Association Générale des étudiants de l’UQTR est contre la déréglementation, et nous demandons au gouvernement de faire une étude d’impact sur les droits de scolarité des étudiants internationaux et sur le financement des universités au Québec. »— Une citation de  Philippe Dorion, président de l’Association générale des étudiants de l’UQTR

Il faut que la solution dure dans le temps et ne s’applique pas à une période spécifique ou à un groupe d’étudiants, soutient M. Dorion.

Cette mesure non rétroactive entrera en vigueur à partir de l’automne 2023. Une enveloppe de 80 millions $ sera disponible sur quatre ans dans le cadre de ce programme.

Avec Radio-Canada par

Anne Merline Eugène

Anne Merline Eugène

Canada: Des accusations de « fraudes » au cœur du recrutement massif d’étudiants étrangers

avril 11, 2022

« Faux reçus », « détournement de fonds », « abus de pouvoir » : des acteurs liés au recrutement d’étudiants indiens au Québec font désormais l’objet d’accusations criminelles. Un procès aura lieu l’an prochain.

Ancienne directrice du département international de la Commission scolaire Lester B. Pearson, Caroline Mastantuono fait l’objet de plusieurs accusations criminelles. Photo: Facebook/Rising Phoenix International

« Pandore ». C’est le nom de code donné par l’Unité permanente anticorruption (UPAC), qui a enquêté depuis 2016 sur des allégations de « fraudes », mais aussi de « fabrication et d’usage de documents falsifiés » au sein de la Commission scolaire Lester B. Pearson.

Jusqu’à ce jour, aucun détail n’avait filtré et une ordonnance de non-publication, aujourd’hui levée, avait été émise. Seuls des « infractions criminelles » et des « actes illégaux » avaient été brièvement mentionnés par le procureur, au cours d’une première audience.

CBC/Radio-Canada a obtenu un résumé déposé en cour par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), faisant état d’allégations de fraude, de fabrication et utilisation de faux documents et d’abus de pouvoir, qui seront présentées dans quelques mois à un juge, plus de six ans après l’évocation par le gouvernement du Québec(Nouvelle fenêtre) de pratiques irrégulières dans ce domaine.

Ces éléments n’ont pas encore été prouvés devant les tribunaux. Un procès de trois semaines est prévu dès janvier 2023 à cet effet et plus d’une cinquantaine de témoins devraient être appelés à la barre.

Les personnes visées par ces accusations(Nouvelle fenêtre)? Une femme d’affaires montréalaise, sa fille et un chef d’entreprise, qui se sont spécialisés durant une dizaine d’années dans le recrutement d’étudiants internationaux, d’abord dans le domaine de l’enseignement public, avant de lancer leurs propres collèges privés.

Ces personnes, par respect pour la Cour et le processus judiciaire, n’ont voulu émettre aucun commentaire. Elles ont cependant enregistré un plaidoyer de non-culpabilité, ont indiqué leurs avocats à Radio-Canada, tout en précisant que [leurs] clients n’ont pas eu l’occasion encore de répondre dans la procédure judiciaire.

Caroline Mastantuono et Naveen Kolan ont travaillé ensemble pour la Commission scolaire Lester B. Pearson. On les voit ensemble, en 2013, dans un événement. Photo : Facebook/Edu Edge

Accusations de fabrication de faux documents

Tout aurait commencé en 2012. Caroline Mastantuono dirigeait le département international de Lester B. Pearson, un établissement scolaire anglophone de Montréal. Un partenariat est signé avec la firme de recrutement Edu Edge, dirigée par l’homme d’affaires Naveen Kolan.

L’objectif? Augmenter le nombre d’étudiants internationaux, particulièrement indiens, dans l’établissement.

Deux stratagèmes destinés à commettre des fraudes sont alors mis en place, argue le Directeur des poursuites criminelles et pénalesDPCP dans un résumé des faits déposé en cour en février. Celui-ci se penche sur des actions qui auraient été commises entre 2014 et 2016.

D’après ce document, Caroline Mastantuono et Naveen Kolan auraient demandé à des membres de la Commission scolaire de créer de faux reçus de paiement des frais de scolarité pour des étudiants indiens, même si ces derniers n’avaient pas versé entièrement ces sommes ou n’étaient pas en mesure de prouver leur capacité financière. Ces reçus auraient ensuite permis à ces étudiants, recrutés par Edu Edge, d’obtenir leur permis d’études.

La fille de Caroline Mastantuono, Christina, aurait entre autres été responsable de produire ces faux reçus qui ont trompé le ministère de l’Immigration. À l’instar de sa mère et Naveen Kolan, elle fait l’objet de plusieurs accusations criminelles.

Cette façon de faire, écrit le Directeur des poursuites criminelles et pénalesDPCP, aurait permis à Edu Edge de facturer à la Commission scolaire des frais de commissions liées au recrutement.

Le risque global de préjudice financier, pour Lester B. Pearson, est estimé à près 1,5 million de dollars.

Caroline Mastantuono et sa fille Christina ont été employées par la Commission scolaire Lester B. Pearson, avant de faire l’objet d’accusations criminelles. Photo: Facebook/Rising Phoenix International

Détournement de fonds, selon le DPCP

Un détournement de fonds est également évoqué. Selon le Directeur des poursuites criminelles et pénalesDPCP, une entreprise liée à la femme de Naveen Kolan a reçu plusieurs chèques de la Commission scolaire pour des frais de recrutement de 25 étudiants.

Problème, ces étudiants se seraient inscrits directement auprès de la Commission scolaire et ne seraient passés par aucun intermédiaire. Près de 77 000 $ auraient malgré tout été versés à cette entreprise enregistrée en Colombie-Britannique.

Par ailleurs, selon le Directeur des poursuites criminelles et pénalesDPCP, aucun accord de recrutement n’existe entre cette firme et la Commission scolaire, qui n’a pas voulu émettre de commentaires en raison de la procédure en cours.

L’UPAC a entamé son enquête à la Commission scolaire Lester B. Pearson en 2016. Photo : Radio-Canada/ Charles Contant

Une procédure au civil

L’UPAC n’est pas la seule entité à avoir mené une enquête. Dès 2016, la Commission scolaire Lester B. Pearson a fait appel à Langlois, un cabinet d’avocats, pour vérifier les activités du département international de l’établissement public.

Ce rapport, que nous avons pu consulter, parle notamment d’un manque de transparence de la part de Caroline Mastantuono. Des employés sous sa supervision auraient également travaillé au profit des entreprises de Naveen Kolan, qui détenait, dans le même temps, un collège privé à Montréal.

Lester B. Pearson a décidé, en septembre 2016, de licencier Caroline Mastantuono, employée par la Commission scolaire depuis 1990.

À l’époque(Nouvelle fenêtre), la directrice du département international se disait victime d’une vengeance de l’ancienne présidente de l’établissement, Suanne Stein Day, qui aurait, selon elle, enfreint des règles éthiques.

Les éléments reprochés à Caroline Mastantuono sont pourtant bien différents, selon une lettre, signifiée par huissier, qui lui a été envoyée en juillet 2016 par le directeur général de la Commission scolaire, Michael Chechile. Celle-ci est intitulée Recommandation pour votre licenciement.

Nous avons obtenu ce document de trois pages, dévoilé récemment par CBC(Nouvelle fenêtre), ainsi que le compte rendu d’une rencontre, quelques semaines plus tard.

Naveen Kolan, à droite, avait signé une entente avec les représentants de Lester B. Pearson en 2012. Photo : Facebook/Edu Edge

Aux yeux de Michael Chechile, Caroline Mastantuono aurait fait preuve d’insubordination et aurait participé à plusieurs irrégularités dans le département qu’elle dirigeait. Des employés sous sa supervision auraient reçu l’ordre de faire de fausses déclarations aux autorités gouvernementales au sujet des frais de scolarité, souligne-t-il. Des courriels et des données d’un disque dur appartenant à l’établissement auraient aussi été effacés, poursuit Michael Chechile.

Par la suite, selon la retranscription d’une rencontre entre des représentants de Lester B. Pearson et Caroline Mastantuono, cette dernière a nié ces accusations. Je n’ai jamais donné l’ordre à mes employés de mentir aux autorités gouvernementales, a-t-elle clamé, tout en assurant avoir effacé des éléments bancaires personnels de son ordinateur.

Fin 2016, la Commission scolaire a lancé une procédure au civil contre Edu Edge, en réclamant une reddition de compte à la suite des sommes importantes collectées appartenant, selon ses dires, à l’institution publique.

Cette procédure est toujours en cours et, désormais, Edu Edge demande 5,5 millions de dollars à Lester B. Pearson pour des frais que la firme estime lui être dus. L’avocat de la Commission scolaire n’a voulu émettre aucun commentaire et celui d’Edu Edge n’a pas répondu à nos questions.

Le Collège M, situé dans l’arrondissement de LaSalle, à Montréal, a ouvert ses portes en janvier 2020. Photo: Radio-Canada/ Ivanoh Demers

Différents collèges privés lancés

Caroline et Christina Mastantuono ont été arrêtées par l’UPAC en novembre 2020. Naveen Kolan, à l’étranger à cette période, a quant à lui été arrêté en janvier 2021. Ils sont accusés de fraudes, d’abus de confiance, d’usage et de production de faux documents.

Entre 2016 et ces accusations, en 2020, les Mastantuono et Kolan ont fait partie des personnages centraux dans l’augmentation, massive, de collèges privés non subventionnés au Québec. En peu de temps, le nombre d’étudiants indiens inscrits dans ces établissements a explosé.

À la fin de l’année 2020, le gouvernement Legault a déclenché une enquête, à la suite de doutes concernant la qualité de l’enseignement et un éventuel détournement du processus d’immigration.

Le gouvernement de François Legault a lancé des enquêtes à la fin de l’année 2020. Selon la ministre Danielle McCann, des collèges ont exploité des « failles » des lois actuelles. Photo: La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Caroline Mastantuono a fondé, avec ses deux enfants, la firme de recrutement Rising Phoenix International. Elle a également créé le Collège M du Canada, à Montréal, qui a ouvert ses portes début 2020.

Dans le même temps, elle a fait l’acquisition du Collège de l’Estrie, à Sherbrooke, et du Collège de comptabilité et de secrétariat du Québec (CCSQ), à Longueuil. Impliquée dans plusieurs transactions immobilières, la famille Mastantuono a aussi tenté d’agrandir son empire à Gatineau, mais Québec a rejeté leur demande de permis.

Avec Rising Phoenix International, elle a également eu des ententes afin de recruter des étudiants indiens pour d’autres collèges privés, mais aussi des cégeps.

Naveen Kolan, quant à lui, était à la tête du Collège Matrix, à Montréal, et du groupe Hermès, qui réunit plusieurs établissements. Des partenariats avec des cégeps ont également été signés. Il a par ailleurs participé à la création du campus montréalais du Cégep de la Gaspésie et des Îles, qui compte dans ses rangs des centaines d’étudiants indiens.

Sans citer spécifiquement ces différents établissements, le gouvernement Legault a admis des « lacunes » dans ce réseau, après une enquête qui visait, notamment, les collèges dirigés par Caroline Mastantuono et Naveen Kolan ou en lien avec eux.

Les vérifications faites ont permis de constater des pratiques questionnables sur le plan du recrutement, des pratiques commerciales, de la gouvernance, des conditions d’enseignement, a détaillé un plan d’action dévoilé au printemps dernier, qui parle, d’une manière générale, de stratagèmes douteux et de pratiques commerciales douteuses.

Aucune accusation du Directeur des poursuites criminelles et pénalesDPCP ne vise cependant ces collèges privés non subventionnés.

Pour quelles raisons Québec a-t-il permis l’ouverture de ces établissements, malgré des rapports et des soupçons remontant à 2016?

À cette époque, nous a répondu un porte-parole, aucune accusation n’avait été déposée contre Caroline Mastantuono et Naveen Kolan. Rien ne les empêchait donc d’ouvrir et de diriger des établissements d’enseignement. La Loi sur l’enseignement privé sera cependant, à l’avenir, resserrée et revue, avait précisé le gouvernement.

Rising Phoenix International est la firme de recrutement qui a été fondée et dirigée par Caroline Mastantuono, avec ses enfants. Photo:  Facebook

Une vente en cours d’autorisation

En début d’année 2022, Rising Phoenix International et ses collèges privés ont décidé de se mettre à l’abri de leurs créanciers. Les cours ont alors été suspendus et des mises à pied ont été décrétées, principalement dans le corps enseignant.

Des centaines d’étudiants indiens, dont l’avenir semblait incertain, avaient réclamé des remboursements, et le montant s’élevait à près de 6,4 millions. Ils avaient payé jusqu’à 30 000 $ pour un programme éducatif de deux ans.

Dans cette procédure, Rising Phoenix International a notamment attribué ses problèmes financiers à la pandémie de COVID-19, à une expansion inopportune et à des problèmes liés au processus d’immigration pour les étudiants internationaux.

Le mois dernier, un repreneur – un homme d’affaires de Toronto qui dirige un collège en Ontario – a été désigné par le tribunal. Cette transaction, dont le montant n’a pas été communiqué, doit encore être approuvée par le gouvernement du Québec.

Aux yeux des avocats qui défendaient les étudiants indiens, cet accord est une bonne nouvelle. L’acquéreur est soucieux de l’avenir des étudiants, explique Alain Tardif, de la firme McCarthy Tétrault.

« Ces étudiants sont des victimes. Ils ont été pris dans une situation qu’ils n’ont pas vue venir et pour laquelle ils n’ont pu se protéger. »— Une citation de  Alain Tardif, avocat de McCarthy Tétrault

Ces derniers seront soit entièrement indemnisés ou pourront terminer leur formation, détaille-t-il, tout en évoquant l’extrême détresse de ces jeunes qui avaient réuni un montant phénoménal pour venir au Québec.

Radio-Canada par Romain Schué avec la collaboration de Daniel Boily, Leah Hendry et Benjamin Shingler

Canada/Étudiants étrangers : aucune demande officielle pour interdire leur arrivée en Ontario

mai 9, 2021
Une main agite un petit drapeau du Canada alors qu'un homme portant un masque marche dans l'aéroport.

Les étudiants étrangers représentent une part importante des financements des universités canadiennes. (Archives)

PHOTO : REUTERS / CARLOS OSORIO

Pour le moment, le gouvernement ontarien n’a formulé « aucune demande officielle pour interdire les étudiants internationaux » à Ottawa.

Le bureau du premier ministre de Doug Ford a offert cette précision après l’annonce du premier ministre Justin Trudeau, vendredi. Lors de la rencontre entre les premiers ministres des provinces et territoires et le premier ministre du Canada, la question d’interdire l’arrivée de ces étudiants en Ontario en raison de la propagation des variants avait été soulevée par M. Ford.

Le premier ministre Ford a demandé à ce que nous suspendions l’arrivée des étudiants internationaux. Parce qu’à l’heure actuelle, l’Ontario est la seule province à en faire la demande, nous sommes heureux de travailler plus étroitement avec eux. Nous contacterons les fonctionnaires [vendredi] pour officialiser cette demande, avait dit Justin Trudeau en point de presse.

Plus tard, le bureau de M. Ford a toutefois précisé qu’aucune demande officielle n’avait été envoyée à Ottawa : Nous attendons avec impatience que le gouvernement fédéral fournisse des solutions pour réduire l’introduction des variants au Canada.

Il est ajouté dans la déclaration que les restrictions de voyages actuelles, notamment le système de quarantaine, ne fonctionnent pas.

Le cabinet du ministre des Affaires intergouvernementales du Canada, Dominic LeBlanc, répond lundi par courriel que les provinces ont le pouvoir de déterminer qui peut entrer sur leur territoire, comme nous l’avons vu au Canada atlantique. Nous avons des contrôles parmi les plus rigoureux au monde à notre frontière internationale. Notre gouvernement reste là pour aider de toutes les façons possibles et nous continuerons à travailler en collaboration avec les provinces et les territoires pour lutter contre la COVID-19.

À l’heure actuelle, les étudiants internationaux sont exemptés des règles de voyage du Canada relatives au COVID-19. Ils peuvent entrer au Canada s’ils ont un permis d’études valide ou une lettre d’introduction qui montre qu’ils ont été approuvés pour un permis d’études et qu’ils fréquentent un établissement d’enseignement désigné avec un plan de préparation à la COVID-19 approuvé par sa province ou son territoire.

C’est le ministère de l’Immigration qui accepte les candidatures des étudiants après leur admission à l’université. Lors du passage à la frontière, ce sont les agents frontaliers qui valident leur entrée sur le territoire canadien.

Les universités se disent préparées

Le système actuellement en place repose sur une collaboration entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces et territoires. C’est à ces derniers de fournir aux services frontaliers une liste d’institutions postsecondaires qui ont établi des mesures sanitaires adéquates.

Pour interdire l’arrivée de ces étudiants, il faudrait donc que certains établissements d’enseignement supérieur spécifient qu’ils n’acceptent plus de tels étudiants.

Le président et président-directeur général du Conseil des universités de l’Ontario, Steve Orsini, a fait savoir dans un communiqué que les universités de la province ont mis en place des politiques et des procédures solides pour garantir que les étudiants de l’extérieur du Canada peuvent arriver en toute sécurité et répondent aux exigences fédérales d’auto-isolement.

Selon M. Orsini, les universités ont investi massivement dans la prévention et le contrôle des infections et des procédures permettent de soutenir les étudiants lors de leur arrivée au pays, y compris des procédures de surveillance.

Il est également demandé aux gouvernements fédéral et provincial de tenir compte des conséquences que cela aurait sur les étudiants et les universités, si une telle mesure était mise en place.

Un apport financier important

Environ 50 % des étudiants internationaux du pays viennent étudier en Ontario, selon les dernières données de Statistique Canada (2018).

Ces étudiants ont contribué de 22,3 milliards de dollars à l’économie canadienne en 2018, soit 19,7 milliards de dollars au PIB du pays. La plus importante contribution à ce PIB, soit 55,3 %, est venue de l’Ontario, suivie de la Colombie-Britannique (19,8 %) et du Québec (11,9 %).

Depuis 2010, le pourcentage d’étudiants étrangers dans les universités a presque doublé. Du côté des collèges, ce pourcentage a presque triplé. Les institutions comptent aussi de plus en plus sur les revenus tirés de leurs droits de scolarité.

Des inquiétudes parmi les étudiants

Sur Twitter, les messages d’inquiétude se sont multipliés depuis la prise de parole du premier ministre Trudeau.

Cher M. Trudeau, nous vous demandons d’autoriser l’entrée [des étudiants étrangers], car c’est un énorme investissement pour tout le monde. Il s’agit d’une demande de millions d’étudiants, car notre avenir dépend entièrement du gouvernement canadien. Veuillez ne pas nous interdire de voyager.

Nous ne somme autorisés [à voyager] qu’après avoir effectué un test PCR négatif dans les 72 heures précédant le départ, nous sommes testés à l’aéroport, restons trois nuits en hôtel de quarantaine, sommes à nous testés et passons une quarantaine. Comment pouvez-vous nous blâmer pour la propagation [du virus]?, questionne dans son message sur Twitter Mandeep Kaur.

Joint sur Twitter, l’étudiant vit à Punjab Mam, en Inde. Il est inscrit au Collège Canadore, à North Bay. Depuis janvier, il suit les cours en ligne, mais a obtenu son visa pour venir au pays à la fin du mois de février. Il devait arriver le 25 avril, mais en raison de l’interdiction des vols en provenance de l’Inde et du Pakistan, il a dû annuler son voyage.

Il s’inquiète que cette interdiction soit prolongée.

C’est vraiment difficile à cause du décalage horaire de rester éveillés pour travailler la nuit. On a aussi des problèmes de réseau Internet. Malgré tout, on poursuit [nos études], car c’est notre avenir qui est en jeu, dit-il.

M. Kaur raconte aussi que les étudiants comme lui s’inquiètent du message envoyé par les gouvernements lorsqu’ils considèrent interdire l’arrivée des étudiants internationaux. Pourquoi tout le monde nous blâme pour la COVID-19? Nous prenons toutes les précautions nécessaires pour assurer la sécurité, conclut-il.

Avec Radio-Canada par Camille Feireisen