Des femmes autochtones ont été stérilisées sans leur consentement et parfois sans en avoir été informées par la suite non plus. Certaines ont même été convaincues de se faire avorter «parce que de toute manière, on va leur enlever leur bébé à la naissance et on a profité de l’intervention pour les stériliser», raconte la professeure Suzy Basile de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
© Archives La Voix de l’Est Des femmes autochtones ont été stérilisées sans leur consentement dans des hôpitaux du Canada.
Des cas comme ça, il y en a eu au Canada et même au cours des dix dernières années, dit-elle.
Suzy Basile et son équipe veulent aller au fond des choses et donner enfin une voix à ces femmes pour que la violence obstétrique, sur trame de fond raciste, n’arrive plus dans les milieux hospitaliers du pays.
Titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones, cette chercheuse originaire de La Tuque, ainsi que la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador et de nombreux partenaires veulent savoir quand ces pratiques ont débuté et où elles ont été pratiquées. Le comité régional, qui réunit toutes ces instances, lance d’ailleurs un appel aux femmes des Premières Nations et Inuit du Québec. Il veut entendre leurs témoignages.
«C’est quand même bien documenté dans l’ensemble du pays. Il y a eu des cas prouvés et documentés dans l’ensemble des territoires et des provinces au Canada», dit-elle. Ce qui n’est pas encore clair, toutefois, c’est ce qui s’est passé au Québec.
Une table nationale créée au niveau canadien en 2018 sur ce sujet par la sénatrice Yvonne Boyer, qui est elle-même métisse, rassemble les représentants des gouvernements provinciaux du Canada, «sauf le Québec qui refuse d’y participer», souligne Mme Basile.
L’argument officiel, c’est que la santé ne relève que de la juridiction provinciale. Or, «c’est complètement faux dans le cas des Premières Nations où c’est une juridiction partagée avec le gouvernement fédéral», souligne la chercheuse.
«Il faut documenter ça pour le Québec. On sait qu’il y a des cas», affirme-t-elle.
© Courtoisie Suzy Basile, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones à l’UQAT.
«Personnellement, j’ai eu des témoignages dans ma vie. Des femmes m’ont dit avoir été ligaturées, par exemple, sans leur consentement», dit-elle. D’autres témoignages du même genre sont parvenus aux oreilles de ses collègues.
Et ça ne date pas du temps de Mathusalem. C’est arrivé aussi «dans les dix dernières années», précise-t-elle.
Suzy Basile rappelle que la Colombie-Britannique et l’Alberta avaient des lois d’eugénisme (abrogées depuis) qui leur donnaient le droit de procéder à des stérilisations de personnes. «Le Québec semble avoir été épargné» par ce genre de loi «peut-être parce que la religion catholique était mieux positionnée pour ne pas laisser l’eugénisme s’imprégner au Québec. Et la religion catholique voulait que les femmes fassent des bébés», rappelle-t-elle.
Au milieu des années 1950, environ, les actes de violence obstétrique ont touché les femmes autochtones dans les hôpitaux psychiatriques de l’Ouest canadien, mais aussi dans les hôpitaux généraux. Dans la tête de ceux qui ont posé ces gestes, «les femmes autochtones sont irresponsables et coûtent cher à l’État. C’est une des manières de les contrôler», résume la professeure Basile.
«Les violences sexuelles sont un sujet sensible et tabou», rappelle-t-elle. C’est sans doute pourquoi ce n’est qu’en 2018 que deux recours collectifs au Canada ont été lancés. «Nous sommes dans une ère de dénonciations», dit-elle, «et de prise de conscience parce qu’on se rend compte que plusieurs de ces femmes ne savaient pas, qu’elles avaient été stérilisées. C’est après une période de temps où elles n’ont pas eu d’autres enfants qu’en se faisant examiner, elles se font dire qu’elles ont été ligaturées depuis tant d’années. Une ligature, ça se fait vite», fait-elle valoir.
La professeure Basile explique que la maternité est très importante dans la culture des Premières Nations. «Il y a une valorisation culturelle rattachée au fait d’avoir des enfants pour transmettre la culture et la langue», dit-elle. La maternité «est très valorisée et augmente la confiance en soi», ajoute-t-elle.
Lorsque le décès très médiatisé de Joyce Echaquan est survenu, «c’est venu nous confirmer ce qu’on anticipait un peu, c’est-à-dire qu’il y a peut-être des problèmes dans le système de la santé. Ça a donné du souffle à notre démarche», indique la professeure Basile. Cette dernière était codirectrice du secteur de la recherche pour la Commission Viens «et j’en ai entendu de toutes les sortes», dit-elle.
«On a dénombré une vingtaine de témoignages qui parlent du même hôpital» où Mme Echaquan est décédée, souligne-t-elle. «Ce n’est pas la première fois que Joliette faisait l’objet de dénonciations et de plaintes.»
«Assommée» par ce qui est arrivé à cette mère de famille de Manawan, la chercheuse indique que «les travaux que je mène tentent de mieux comprendre ces phénomènes-là.»
Avec Brigitte Trahan – Le Nouvelliste