Posts Tagged ‘François-Philippe Champagne’

Canada: François-Philippe Champagne remplacera Justin Trudeau aux funérailles de Shinzo Abe

septembre 25, 2022

Justin Trudeau a choisi de rester au pays pour superviser la réponse d’Ottawa aux ravages causés par l’ouragan Fiona.

Justin Trudeau signe un livre devant le portrait de Shinzo Abe.

Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, fait une pause alors qu’il signe un livre de condoléances pour l’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe à l’ambassade du Japon, le 12 juillet, à Ottawa. Photo : La Presse Canadienne/Adrian Wyld

Si la nature ne s’était pas déchaînée dans l’est du Canada, Justin Trudeau aurait été le seul leader du G7 à assister aux funérailles nationales de l’ancien premier ministre japonais. Ce sera finalement son ministre François-Philippe Champagne qui fera le trajet de 10 000 kilomètres pour rendre hommage à un « ami » du Canada assassiné en juillet. Pourquoi le Canada veut-il absolument être représenté à Tokyo? Il faut considérer des objectifs stratégiques plus larges en Asie-Pacifique.

En octobre 2015, le premier ministre japonais a été le premier leader étranger à appeler Justin Trudeau pour le féliciter de sa victoire électorale. Dans les années qui ont suivi, les deux hommes se sont rencontrés ou ont discuté au téléphone une vingtaine de fois. Au fil du temps, ils ont entretenu une grande amitié, souligne l’ambassadeur du Japon au Canada, Kanji Yamanouchi.

Le Canada décrit Shinzo Abe comme un fidèle ami et allié de notre pays.

Comment expliquer une telle proximité entre deux leaders si différents du point de vue idéologique, entre Justin Trudeau le progressiste et Shinzo Abe le conservateur nationaliste? Les approches de leurs gouvernements sur l’immigration, par exemple, étaient très différentes.

Entre Justin Trudeau et Shinzo Abe, des priorités communes, commerciales et géopolitiques, l’ont emporté sur leurs différences.

Le premier ministre japonais Shinzo Abe et le premier ministre canadien Justin Trudeau participent à une réunion bilatérale sur la colline du Parlement à Ottawa le dimanche 28 avril 2019.

Shinzo Abe et Justin Trudeau lors d’une réunion bilatérale sur la colline du Parlement à Ottawa, en avril 2019. Photo : La Presse Canadienne/Patrick Doyle

Des alliés commerciaux

Les intérêts commerciaux expliquent en partie la relation stable et positive entre le Canada et le Japon autant sous Stephen Harper que sous Justin Trudeau. Le Japon est le quatrième partenaire du Canada au chapitre du commerce bilatéral de marchandises.

Voici deux pays, entourés de géants, qui dépendent beaucoup du commerce extérieur, du libre-échange et d’un ordre international fondé sur des règles.

Justin Trudeau et Shinzo Abe se serrent la main devant des drapeaux du Canada et du Japon.

Justin Trudeau et Shinzo Abe lors d’une conférence de presse conjointe au Kantei à Tokyo, en mai 2016. Photo : La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Dans une Asie de plus en plus dominée par une Chine quand même très puissante qui voulait instaurer ses propres règles, le Japon se faisait un défenseur de ces règles universelles pour faire contrepoids, explique Éric Boulanger, chargé de cours au Département de science politique de l’UQAM.

Justin Trudeau, lui, bousculé sur le front commercial par l’administration Trump lors de la renégociation de l’ALENA, avait tout intérêt à se rapprocher de Shinzo Abe, un leader aux objectifs semblables, c’est-à-dire rester concurrentiel et compétitif dans un système où les règles sont bien connues, justes et équitables, explique Éric Boulanger.

La conclusion de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste a constitué un moment important dans la relation entre Trudeau et Abe.

Quand le président Trump a retiré les États-Unis de l’entente, le Japon a pris la relève et a trouvé avec le Canada un allié très fort pour relancer les négociations avec les autres pays membres et reformuler le nouvel accord qui est en vigueur aujourd’hui, explique le professeur Boulanger.

Les ministres se serrent la main en ligne continue.

Les ministres du Commerce de l’Australie, de Brunei, du Canada, du Chili, du Japon, de la Malaisie, du Mexique, de la Nouvelle-Zélande, du Pérou, de Singapour et du Vietnam à la signature du traité à Santiago, le 8 mars dernier. Photo: AP/Esteban Felix

Aujourd’hui, Tokyo demeure très intéressé par les ressources alimentaires et naturelles du Canada, comme le blé, le porc ou les minéraux critiques, et par ses nouvelles technologies.

La relation Canada-Japon est sur le point d’entrer dans un nouveau chapitre. Le gouvernement du Canada espère dévoiler d’ici Noël sa nouvelle stratégie indo-pacifique visant à resserrer ses liens avec les pays de la région.

Selon nos informations, le Japon occupera une place importante dans cette feuille de route en matière d’économie, d’environnement et de sécurité. On doit s’assumer comme pays de la région Pacifique, indique une source gouvernementale.

Le Canada cherche à varier ses partenaires économiques en Asie-Pacifique dans le contexte de tensions grandissantes entre Pékin et Ottawa. En mai, le gouvernement canadien a banni le géant chinois des télécommunications Huawei de son réseau 5G en raison de craintes quant à la sécurité nationale. 

Vendredi, en compagnie du président de la Corée du Sud Yoon Suk-yeol, à Ottawa, Justin Trudeau a abordé la nouvelle stratégie indo-pacifique du Canada. Il a souligné que de plus en plus, les pays totalitaires ne sont pas des fournisseurs de services qui satisfont les attentes de nos citoyens sur le plan de la protection de l’environnement, des normes du travail et du respect des droits de la personne

« Nous pouvons être des partenaires économiques extraordinaires sans être dépendants des autocraties ou d’États totalitaires comme la Chine ou d’autres. »— Une citation de  Justin Trudeau, premier ministre du Canada.

Jeudi dernier, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a d’ailleurs annoncé que le Canada allait se joindre au groupe Partenaires du Pacifique bleu, créé par les Américains, dans le but de renforcer les liens économiques avec les îles du Pacifique. C’est une autre incarnation de la rivalité entre les États-Unis et la Chine pour l’influence dans la région.

Géopolitique et sécurité

Si Shinzo Abe avait soigneusement entretenu ses liens avec les leaders américains et canadiens, c’était aussi pour se prémunir contre l’expansionnisme chinois.

Abe essayait d’avoir des alliés où il pouvait en trouver. Les États-Unis, évidemment, étaient les plus importants pour lui, mais le Canada aussi. On est les voisins des États-Unis. On est alliés des États-Unis. On est quand même un pays ami avec le Japon depuis longtemps, souligne Bernard Bernier, professeur au Département d’anthropologie et au Centre d’études asiatiques de l’Université de Montréal.

Xi Jinping fait un salut de la main droite.

Xi Jinping est souvent qualifié de plus puissant dirigeant chinois depuis le fondateur du régime, Mao Zedong. Photo : Getty Images/Noel Celis/Pool

Le désir du gouvernement canadien d’être vu et entendu dans la région n’est pas anodin à ce moment-ci, selon le professeur. C’est vraiment pour contrer les velléités de la Chine, pas seulement face à Taiwan, mais aussi par rapport au Japon. La Chine est quand même assez agressive face au Japon, explique Bernard Bernier.

Ottawa ne peut pas ignorer les tensions qui existent dans la région. Le Canada dépend beaucoup, par exemple, des biens qui circulent dans le détroit de Taïwan et doit rester vigilant.

Mentionnons que le gouvernement Trudeau a bonifié sa présence militaire en Indo-Pacifique dans le cadre de l’opération NEON, pour faire respecter les sanctions des Nations unies envers la Corée du Nord.

Avec les montagnes de l'État de Washington en toile de fond, un hélicoptère Sea King survole le navire HMCS Vancouver à Esquimalt, en Colombie-Britannique.

Avec les montagnes de l’État de Washington en toile de fond, un hélicoptère Sea King survole le navire HMCS Vancouver à Esquimalt, en Colombie-Britannique. Photo: La Presse Canadienne/Chad Hipolito

Depuis 2018, le Canada déploie périodiquement des navires et des aéronefs pour prévenir des manœuvres de contournement des sanctions visant la Corée du Nord, comme le transfert de carburant ou d’autres marchandises entre navires.

Les Forces armées canadiennes ont déployé le NCSM Vancouver dans le cadre de cette opération. Cet automne, un aéronef de patrouille maritime sera déployé à partir de la base aérienne Kaneda, au Japon.

En Asie-Pacifique, où s’affrontent les grandes forces géopolitiques du monde, le Canada veut être présent à la table. Ottawa choisit de miser sur la mémoire et la continuité.

Radio-Canada avec Louis Blouin avec la collaboration de Marie Chabot-Johnson.

5G : Ottawa ferme définitivement la porte à Huawei

mai 19, 2022

La décision, selon Pékin, « viole les principes de l’économie de marché et les règles du libre-échange ».

Une femme marche devant un écran blanc sur lequel est projeté le logo de la compagnie Huawei.

Le Canada emboîte le pas aux États-Unis, qui ont déjà exclu Huawei de ses réseaux 5G. Photo : Getty Images/Kevin Frayer

Le développement du réseau 5G au Canada se fera sans le géant chinois Huawei. Le gouvernement Trudeau, qui marchait sur des œufs depuis des mois et des mois à ce sujet, a finalement décidé de dire non à l’entreprise, quitte à susciter la grogne de Pékin.

La décision a été confirmée en point de presse jeudi après-midi par les ministres François-Philippe Champagne (Innovation, Sciences et Industrie) et Marco Mendicino (Sécurité publique). Elle touche également ZTE, une autre société chinoise en partie détenue par l’État.

Cela fait suite à un examen approfondi mené par nos agences de sécurité indépendantes et en consultation avec nos plus proches alliés, a indiqué le ministre Champagne.

Celui-ci a notamment invoqué des enjeux de sécurité nationale, soulignant qu’il importait d’assurer l’intégrité [des] systèmes de télécommunications du Canada.Les ministres Champagne et Mendicino en point de presse.

Le ministre Mendicino a également affirmé que le gouvernement libéral déposerait un projet de loi pour renforcer davantage le système de télécommunications du Canada et créer un cadre pour protéger la sécurité nationale. Photo : La Presse Canadienne/David Kawai

Par ailleurs, les entreprises canadiennes qui utilisent déjà des composants de Huawei et de ZTE dans leurs réseaux actuels devront cesser leur utilisation et les retirer. Celles-ci ne seront pas indemnisées, a déclaré le ministre Champagne – pas plus que Huawei et ZTE, a précisé son cabinet par la suite.

Cela dit, la grande majorité des entreprises de télécommunications canadiennes avaient déjà pris la décision de ne plus faire affaire avec ces deux sociétés chinoises, a souligné M. Champagne, jeudi.

La Chine profondément mécontente

La réplique de Pékin ne s’est pas fait attendre. Dans une déclaration en mandarin publiée jeudi soir sur son site web, l’ambassade chinoise à Ottawa affirme que la Chine est préoccupée et profondément mécontente de la tournure des événements.

La décision annoncée par les ministres Champagne et Mendicino, prise au motif de la soi-disant sécurité nationale, sans aucune preuve concluante, […] viole les principes de l’économie de marché et les règles du libre-échange et nuira certainement à l’image internationale du Canada, déplore-t-elle.

Aussi, la Chine procédera à une évaluation complète et sérieuse de cet incident et prendra toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises, peut-on lire dans la déclaration.

Une question délicate

Le gouvernement canadien avait annoncé en septembre 2018 qu’il allait étudier les possibles menaces pour la sécurité nationale représentées par l’utilisation d’équipements Huawei. Le gouvernement Trudeau aura donc fait durer le suspense pendant plus de trois ans.

L’épineux dossier s’articule autour des allégations selon lesquelles Huawei serait assujettie aux demandes du gouvernement chinois, notamment en matière de collecte de renseignements.

Car le développement des réseaux de 5G permettra aux utilisateurs d’avoir recours à des connexions plus rapides et à de vastes capacités pour les données, afin de répondre à la forte demande étant donné le nombre croissant d’appareils – des casques de réalité virtuelle aux véhicules automobiles – reliés à Internet.

Or, plusieurs experts ont souligné dans les dernières années que la participation de Huawei au déploiement de la norme 5G pourrait lui donner accès à toute une série d’informations numériques reposant sur la manière dont les clients canadiens utilisent des appareils connectés au web, ainsi que sur le moment et l’endroit où ils le font.

Selon cette théorie, les agences de sécurité chinoises pourraient alors obliger l’entreprise à leur transmettre ces données personnelles.

Huawei, pour sa part, a toujours argué qu’elle était une entreprise farouchement indépendante qui ne s’adonne pas à des activités d’espionnage. Ce plaidoyer a notamment été repris par l’ambassadeur de Chine au Canada, qui a exhorté Ottawa à ignorer les avertissements inventés par Washington à propos de Huawei.

Les États-Unis ont déjà banni Huawei de ses réseaux 5G, tout comme le Royaume-Uni et l’Australie. Ces trois pays, avec le Canada et la Nouvelle-Zélande, forment le Groupe des cinq (Five Eyes, en anglais), un ensemble de pays qui mettent en commun certaines ressources en matière de renseignement.

D’autres pays comme le Japon et la Suède ont également pris la décision d’exclure Huawei de leurs systèmes de télécommunications dans les dernières années.

C’est une décision qui est en ligne avec celle de nos alliés, a d’ailleurs souligné le ministre Champagne, jeudi.

Dans ce cas, pourquoi la décision du Canada intervient-elle si tard? Ça n’a jamais été une course, a répété le ministre à tous les journalistes qui lui ont posé la question, jeudi. Ce qui compte pour les gens qui nous regardent aujourd’hui, c’est de prendre la bonne décision.Meng Wanzhou marchant à l'extérieur.

Le dossier Huawei s’est largement complexifié avec l’affaire Meng Wanzhou. Photo: La Presse Canadienne/Jonathan Hayward

Attendue depuis longtemps, la décision annoncée par le gouvernement Trudeau jeudi avait été repoussée en raison des tensions diplomatiques entre Ottawa et Pékin ces dernières années.

Le dossier Huawei s’était notamment complexifié avec l’arrestation, à Vancouver, de la directrice financière de Huawei et fille du fondateur du mastodonte chinois, Meng Wanzhou.

Cette affaire avait marqué le début d’une crise diplomatique majeure entre les deux pays, avec la détention en parallèle en Chine de Michael Spavor, un spécialiste de la Corée du Nord, et de Michael Kovrig, un ancien diplomate basé à Pékin, ce qui avait été largement perçu comme une riposte du gouvernement chinois.M. Kovrig discute avec M. Trudeau, et M. Spavor reçoit une accolade de Dominic Barton.

Les deux Michael sont rentrés au Canada sur le même avion. Sur la photo, on voit M. Kovrig en discussion avec le premier ministre Justin Trudeau, tandis que M. Spavor, en complet gris pâle, reçoit une accolade de l’ambassadeur canadien en Chine, Dominic Barton. Photo: Reuters/Ministère de la Défense Nationale du Canada

Après environ trois ans de procédure, Meng Wanzhou avait finalement retrouvé la liberté fin septembre 2021 et regagné la Chine. Les deux Canadiens avaient également été libérés dans la foulée.

Jean-François Lépine, ex-diplomate et spécialiste de la Chine et de l’Asie, estime que le gouvernement Trudeau a bien choisi son moment pour bannir Huawei du Canada.

Car la Chine actuellement est débordée de problèmes, a-t-il souligné en entrevue, jeudi : la COVID, une crise majeure dans tout le pays; la guerre en Ukraine, dans laquelle la Chine s’est positionnée et qui lui a beaucoup nui à travers le monde; et l’économie chinoise qui, en conséquence de ces deux phénomènes là, est en recul.

De plus, les risques de représailles contre le Canada sont relativement faibles, estime M. Lépine, qui a notamment occupé pendant plusieurs années la fonction de représentant du Québec en Chine.

En appuyant l’invasion russe de l’Ukraine, Pékin a perdu beaucoup la confiance de l’Europe, des États-Unis, donc de ses deux principaux partenaires économiques. En outre, la Chine ne peut pas beaucoup […] se payer le luxe de se mettre à dos un autre pays en adoptant des mesures qui seraient extraordinaires, estime-t-il.

Radio-Canada par Jérôme Labbé avec les informations de Louis Blouin, Laurence Martin, La Presse canadienne et l’Agence France-Presse