De nouvelles données montrent que le recrutement ne suffit pas à pourvoir les postes vacants et les absences prolongées, ce qui pourrait menacer la création de places.

Près de 1600 éducatrices étaient en arrêt de travail de longue durée, au 31 mars 2022. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers
Le gouvernement du Québec est confronté au triple défi de recruter des milliers d’éducatrices de garderies tout en freinant les départs et les arrêts de travail de celles en poste. Des données inédites, obtenues par Radio-Canada, montrent l’ampleur de la tâche.
Pour créer des places en garderie pour les parents qui n’en ont pas, de nouveaux locaux ne suffisent pas, il faut y mettre des éducatrices. Or, 2956 d’entre elles ont quitté le réseau en 2021-2022.
Grâce à une source, nous avons mis la main sur des données du Portrait annuel de la main-d’œuvre réalisé, l’an dernier, par le ministère de la Famille. C’est la première fois que des informations aussi détaillées sont collectées.
Ces données, qui ne précisent pas les raisons de ces départs, ont été recueillies auprès des centres de la petite enfance (CPE), des garderies subventionnées (GS) et des garderies non subventionnées (GNS).
Vague de départs
Les CPE, GS et GNS emploient 33 296 éducatrices (équivalent temps plein). Ce sont donc près de 10 % des éducatrices qui ont quitté leur emploi en 12 mois.
Sur le terrain, durant la pandémie, les gestionnaires de garderies constataient déjà une vague de démissions. Et, en 2021, un sondage du mouvement Valorisons ma profession révélait que près de la moitié des éducatrices songeaient à changer de métier.
« Ces femmes-là sont à bout de souffle et donc, dans beaucoup de cas, malheureusement, elles regardent la voie de sortie plutôt que la porte d’entrée. »— Une citation de Lucie Longchamps, vice-présidente de la FSSS-CSN, qui représente 13 000 travailleuses de services de garde au Québec
Postes vacants et arrêts de travail
Même si le ministère a pourvu 7040 postes durant l’année 2021-2022, il restait encore 3159 postes vacants d’éducatrices dans la province, au 31 mars 2022.
Et pour ne rien arranger, 1596 éducatrices étaient en absence de longue durée au même moment. Ce manque d’effectif a des conséquences concrètes sur les directions et sur les familles.

Le remplacement des éducatrices absentes par des agences privées coûte cher aux garderies. Photo: Getty Images/Fatcamera
Bris de services et déficits
Selon des rapports financiers, 263 CPE ont été en bris de service au moins une journée, en 2021-2022, par manque d’éducatrice. Certaines installations l’ont été plus d’une fois, pour un total de 404 jours où des parents ont dû garder leurs enfants à la maison.
La pénurie de main-d’œuvre oblige les garderies à recruter du personnel d’agences de remplacement, ce qui plombe leur budget. Selon nos informations, près de la moitié des corporations qui gèrent les CPE ont affiché un déficit en 2021-2022, soit 418 sur 900 rapports financiers annuels analysés.
La qualité des services est aussi un enjeu lié à la pénurie de travailleuses adéquatement formées.
Difficile d’avoir assez d’éducatrices qualifiées
Sur les quelque 3000 éducatrices qui ont quitté le réseau durant l’année, 1225 étaient des éducatrices qualifiées. C’est une difficulté supplémentaire en raison des ratios à respecter.
Normalement, deux éducatrices sur trois doivent être qualifiées dans une installation. Mais avec la pandémie, le ministère a baissé le ratio à une sur trois. Depuis le 1er mars 2023, il est passé à une sur deux et il reviendra à deux sur trois le 1er mars 2024.
Sur les 7040 postes pourvus durant l’année, 2990 l’ont été avec des éducatrices qualifiées et 4050 par des non qualifiées.
Par ailleurs, 71 % des services de garde évalués par le ministère entre avril 2019 et novembre 2022 atteignent le seuil de qualité jugé suffisant (89 % des CPE, 64 % des garderies privées subventionnées et 53 % des non subventionnées), avec des différences marquées selon les régions.
La ministre de la famille, Suzanne Roy, sera questionnée par des parlementaires, mardi, au sujet des crédits de son ministère. Photo : La Presse Canadienne/Jacques Boissinot
Grande opération de recrutement et de valorisation
Le ministre de la Famille et le ministre de l’Emploi ont annoncé l’an dernier une offensive afin de recruter 18 000 nouvelles éducatrices et éducateurs, en plus d’en qualifier 7000 autres déjà en poste dans le réseau actuel d’ici 2026.
Pour y arriver, plusieurs incitatifs financiers ont été mis en place. Le personnel éducateur qualifié bénéficie d’une augmentation salariale de 18 % après un an au dernier échelon. Pour le personnel éducateur non qualifié, il s’agit d’une hausse de 10 %.
Ces ententes prévoient également une prime d’encouragement à la qualification de 450 $ et un montant forfaitaire correspondant à 2 % pour chaque heure rémunérée au cours des 12 mois précédant la date de délivrance du diplôme.
Des éducatrices retraitées sont aussi encouragées à faire un retour au travail en échange d’une prime salariale de 6,6 %.
Le défi du recrutement et de la rétention des éducatrices n’est pas unique au Québec. L’an dernier, des garderies de l’Ontario déploraient une vague de démissions.
Avec Radio-Canada

par Thomas Gerbet