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Les peuples autochtones ont subi un « génocide » dans les pensionnats, dit le pape

juillet 30, 2022
Plan rapproché sur le pape qui se recueille devant le tombeau de saint François de Laval.

Le pape lors de sa visite à la basilique Notre-Dame de Québec. Photo : Radio-Canada

« J’ai présenté mes excuses, demandé pardon pour ce processus qui est un génocide », a déclaré vendredi le pape François aux médias, évoquant les abus subis par les peuples autochtones alors qu’ils étaient forcés de fréquenter les pensionnats.

Le souverain pontife a fait cette déclaration à bord de l’avion qui le ramenait à Rome au terme d’une tournée de six jours au Canada.

Le pape s’est excusé à plusieurs reprises au cours de la semaine pour le rôle de l’Église catholique romaine dans les institutions. Il a demandé pardon pour les abus commis par certains membres de l’Église ainsi que pour la destruction culturelle et l’assimilation forcée.

Cela n’est pas assez aux yeux de certains Autochtones qui se sont dits déçus que le pape n’ait pas nommé les crimes et les abus que les pensionnaires et les survivants ont subis. Ils lui ont également reproché de ne pas avoir utilisé le terme « génocide ».

Cependant, lorsqu’on lui a demandé s’il l’utiliserait désormais , François a répondu que oui.

« Enlever des enfants, changer leur culture, leur état d’esprit, leurs traditions – changer une race, une culture entière, oui, j’utilise le mot  »génocide ». »— Une citation de  Le pape François

Dans son rapport rendu public en 2015, la Commission de vérité et réconciliation avait qualifié les pensionnats pour Autochtones de forme de génocide culturel. Depuis, des groupes autochtones estiment qu’il s’agit bel et bien d’un génocide.

La députée néo-démocrate du Manitoba Leah Gazan a déposé une motion à la Chambre des communes l’année dernière demandant au gouvernement fédéral de reconnaître ce qui s’est passé dans les pensionnats comme un génocide, mais elle n’a pas obtenu le consentement unanime.

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a également conclu que la violence contre les femmes et les filles était une forme de génocide.

La négligence et les abus physiques et sexuels étaient endémiques dans les écoles, alors que l’Église catholique dirigeait 60 % des établissements.

À une question sur la doctrine de la découverte ou les déclarations officielles pour justifier la colonisation des Amériques, le pape a répondu : La colonisation, c’est mal. C’est injuste.

Soyons conscients que la colonisation n’est pas terminée. La même colonisation est là aussi aujourd’hui, a ajouté le souverain pontife.

Ralentir le rythme ou se retirer

Le pape François.

Le pape François lors d’une conférence de presse à bord de l’avion le ramenant à Rome après sa tournée au Canada. Photo : Getty Images/Guglielmo Mangiapane

À 85 ans, diminué par des douleurs au genou le contraignant à se déplacer en fauteuil roulant, le pape a confié aux journalistes qu’il devrait réduire le rythme de ses déplacements.

Pour soulager sa gonalgie, le pape reçoit régulièrement des infiltrations et suit des séances de kinésithérapie, selon le Vatican. Il a toutefois écarté la possibilité d’une intervention chirurgicale, car il garde des séquelles de l’anesthésie subie en juillet 2021 lors de son opération au colon.

Le souverain pontife a déjà subi l’ablation d’une partie d’un poumon dans sa jeunesse et il souffre d’une sciatique chronique.

Le pape a aussi évoqué la possibilité de se mettre de côté.

« Je dois me ménager pour pouvoir servir l’Église, ou au contraire penser à la possibilité de me mettre de côté.  »— Une citation de  Le pape François

En toute honnêteté, ce n’est pas une catastrophe. On peut changer de pape. Ce n’est pas un problème. Je crois que je dois me limiter un peu, avec ces efforts, a ajouté le souverain pontife.

Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas poussé cette porte. Comme on dit, je ne l’ai pas senti, mais cela ne veut pas dire qu’après-demain je ne vais pas commencer à y penser, a-t-il confié.

En 2013, le pape Benoît XVI a quitté ses fonctions, expliquant que ses forces et son âge avancé n’étaient plus compatibles avec l’exercice de son rôle.

C’était le troisième pape à démissionner dans l’histoire de l’Église catholique. Avant lui, Grégoire XII avait abdiqué en juillet 1415, et Célestin V, en décembre 1294.

Radio-Canada avec les informations de La Presse canadienne et Agence France-Presse

Ukraine: Évoquant un possible génocide, l’UE discute de nouvelles sanctions contre Moscou

avril 4, 2022

Volodymyr Zelensky a visité Boutcha, où les services d’urgence continuait de rassembler les cadavres de civils tués pendant l’occupation russe, le 4 avril 2022. Photo: AFP via Getty Images/Ronaldo Schemidt

Les Européens, révoltés par les images de cadavres de civils retrouvés dans les environs de Kiev, discutent lundi d’un alourdissement des sanctions contre Moscou, accusé de « génocide » en Ukraine, mais qui nie en bloc et dénonce une provocation.

Lundi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est rendu à Boutcha, en banlieue nord-ouest de Kiev, où les services d’urgence ukrainiens continuaient d’arpenter les rues et les domiciles pour rassembler les corps de civils tués pendant l’occupation russe.

« Ce sont des crimes de guerre et ce sera reconnu par le monde comme un génocide. »— Une citation de  Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

Selon M. Zelensky, il est devenu plus difficile pour l’Ukraine de négocier avec la Russie à mesure qu’elle prend connaissance des atrocités commises par son armée, au fur et à mesure qu’elle se retire de la région de Kiev. Plus la Fédération de Russie fait traîner en longueur le processus de rencontres, pire ce sera pour eux, pour cette situation et pour cette guerre.

Occupée dès le 27 février par l’armée russe, Boutcha a été inaccessible pendant plus d’un mois. Les bombardements y ont cessé jeudi et les forces ukrainiennes n’ont pu complètement y pénétrer qu’il y a quelques jours. Samedi, les funestes découvertes ont commencé à faire surface.

Des cadavres dans une rue.

Le corps de civils jonchent une rue de Boutcha, en banlieue de Kiev, le 2 avril 2022, après le retrait des forces russes. Photo : Reuters/Zohra Bensemra

Le nombre total de morts reste encore incertain. Selon la procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova, les corps sans vie de 410 civils ont été retrouvés dans les territoires de la région de Kiev récemment repris aux troupes russes, qui s’en sont retirées pour se redéployer vers l’est et le sud.

L’AFP a vu samedi les cadavres d’au moins 22 personnes portant des vêtements civils dans des rues à Boutcha, tuées d’une balle dans la nuque, aux dires du maire, Anatoli Fedorouk, à l’Agence France-PresseAFP.

M. Fedorouk avait par ailleurs affirmé samedi que 280 personnes avaient quant à elle dû être enterrées dans des fosses communes, car elles ne pouvaient être inhumées dans les cimetières communaux, tous à portée des tirs russes pendant les combats.

Anatoli Fedorouk, maire de Boutcha, explique que des civils ont aussi dû être enterrés en masse dans des fosses en raison des tirs russes près des cimetières. Photo : AFP via Getty Images/Sergei Supinsky

Exclure la Russie du Conseil des droits de l’homme

Se disant horrifiée, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déclaré lundi que la découverte de cadavres de civils à Boutcha, en Ukraine, faisait naître des soupçons de crimes de guerre.

Toutes les mesures doivent être prises pour préserver les preuves, a-t-elle ajouté. Il est essentiel que tous les efforts soient entrepris pour garantir des enquêtes indépendantes et efficaces sur ce qui s’est passé à Boutcha afin de garantir la vérité, la justice et la responsabilité, ainsi que des réparations et des recours pour les victimes et leurs familles.

Les États-Unis ont annoncé lundi qu’ils allaient tenter d’obtenir la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations uniesONU. Nous ne pouvons pas laisser un État membre qui est en train de saper tous les principes qui nous tiennent à coeur participer au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, a tweeté l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield.

On ne peut pas laisser la Russie utiliser son siège au Conseil comme outil de propagande lui permettant de suggérer qu’elle a une préoccupation légitime au sujet des droits de la personne, a-t-elle ajouté.

De son côté, la Russie nie les accusations de l’Ukraine et de ses alliés et affirme que les multiples photographies et vidéos de Boutcha ne sont qu’une provocation et une mise en scène ukrainienne, orchestrée par les États-Unis.

Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a pour sa part appelé lundi à créer une commission d’enquête internationale sur le génocide commis selon lui par l’armée russe à Boutcha. Ces massacres sanglants commis par des Russes, des soldats russes, méritent d’être appelés par leur nom. C’est un génocide, et il doit être jugé, a déclaré à la presse Mateusz Morawiecki. C’est pourquoi nous proposons de mettre en place une commission internationale pour enquêter sur ce crime de génocide.

Le pétrole russe divise l’Europe

La Commission européenne prépare un nouvel ensemble de sanctions contre la Russie en raison de son offensive militaire en Ukraine et n’exclut pas de proposer aux pays membres de l’Union européenneUE un embargo sur le pétrole russe, a déclaré lundi Valdis Dombrovskis, vice-président de l’exécutif européen.

Très clairement, en tant qu’Union européenne, nous devons en faire davantage pour mettre fin à cette guerre et à ces atrocités, a dit Valdis Dombrovskis à son arrivée à une réunion des ministres des Finances de l’Union européenneUE à Luxembourg.

La Commission prépare déjà le prochain paquet de sanctions et j’espère que les États membres seront en mesure de prendre des décisions sur de prochaines mesures ambitieuses en ce qui concerne les sanctions. Nous devons accentuer la pression sur la Russie et nous devons accentuer notre soutien à l’Ukraine, a-t-il ajouté.

À la question de savoir si un embargo sur le pétrole russe pourrait figurer dans ce nouveau train de sanctions, Valdis Dombrovskis a répondu : En ce qui concerne la Commission, rien n’est exclu.

L’Union européenneUE importe environ 40 % de son pétrole et de son gaz de Russie. Elle prévoit déjà réduire du deux tiers sa dépendance à l’énergie russe d’ici la fin de l’année, et s’en défaire complètement d’ici 2030.

L’Allemagne, l’un des pays d’Europe les plus dépendants de l’énergie russe, continue toutefois d’exclure de frapper le secteur gazier russe.

Nous devons envisager de dures sanctions, mais à court terme, les livraisons de gaz russe ne sont pas substituables et les interrompre nous nuirait plus qu’à la Russie, a déclaré le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, avant la réunion avec ses homologues lundi.

Le président français Emmanuel Macron a quant à lui évoqué lundi des sanctions individuelles et des mesures sur le charbon et le pétrole, mais il n’a pas mentionné les achats de gaz.

Par Radio-Canada avec les informations de Agence France-Presse et Reuters

Franco-rwandais accusé de complicité de génocide: « je suis un simple chauffeur »

novembre 23, 2021
Franco-rwandais accuse de complicite de genocide: "je suis un simple chauffeur"
Franco-rwandais accusé de complicité de génocide: « je suis un simple chauffeur »© AFP/Thomas COEX

« Un simple chauffeur » sans relief et sans histoires, mais au parcours semé de zones d’ombres et de mensonges. La cour d’assises de Paris s’est penchée mardi sur la personnalité du Franco-rwandais Claude Muhayimana, poursuivi pour complicité dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.

Pendant un interrogatoire de plusieurs heures, parfois décousu, le président de la Cour Jean-Marc Lavergne a tenté de cerner qui était cet homme de 60 ans calme, poli, souriant à l’occasion. Et toujours discret, même lorsqu’il fond en larmes, à plusieurs reprises, notamment à l’évocation de son père décédé.

Vêtu d’un sweat shirt et d’un jean, M. Muhayimana, homme petit et costaud, s’exprime dans un français correct, même si certaines des questions du président lui sont traduites en kinyarwanda.

Poursuivi pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité lors de l’extermination des Tutsi du Rwanda en 1994, il colle sans difficulté à l’image de « Monsieur tout le monde », de « citoyen ordinaire qui s’est retrouvé dans le chaos » défendue depuis le début par ses avocats.

« Je n’aime pas les zizanies dans ma vie », résume cet homme, qui comparaît libre. Il est accusé d’avoir transporté les tueurs hutu sur des lieux de massacres de Tutsi à Kibuye (ouest) lors des mois sanglants d’avril à juillet 1994, au cours desquels plus de 800.000 personnes, issues essentiellement de la minorité tutsi, ont été massacrées au Rwanda.

Zones d’ombre

Pourtant, le parcours de ce « simple chauffeur » tel qu’il se décrit à plusieurs reprises, comporte de nombreuses zones d’ombre, qu’il n’éclaircit pas vraiment.

Questionné sur les mensonges apparus lors de sa demande d’asile en France – dans laquelle il affirmait notamment que plusieurs membres de sa famille ont été tués -, il répond: « je ne me souviens pas », ou « ça a été mal interprété ».

Interrogé sur ses rapports avec son ex-épouse, dont le témoignage pourrait s’avérer crucial, il dit: « les affaires des hommes et des femmes, c’est intime… parfois on avait des difficultés, parfois on était d’accord ».

Questionné sur ses biens et sa richesse, il élude: « je me débrouille ».

Dès l’ouverture de l’audience, le président a tenté de comprendre quelle connaissance Claude Muhayimana avait du génocide et de sa planification.

« Ce que je sais aujourd’hui, c’est qu’il y a eu un génocide mais je ne sais pas si il a été planifié », a répondu l’accusé.

« Une vie calme »

Claude Muhayimana est né en janvier 1961 à Kibuye, d’un couple mixte, une mère tutsi et un père hutu, ce qui fait de lui un Hutu. Elevé dans une famille d’agriculteurs « très croyante », très proche de sa mère, il est le second d’une fratrie de quatre, dont certains vivent toujours au Rwanda.

Il a quitté le foyer à l’adolescence pour aller vivre dans une congrégation religieuse auprès d’une missionnaire belge avant de devenir chauffeur en 1986. Il épouse en 1990 Médiatrice Musengeyezu, une Tutsi, avec qui il aura deux filles.

Mais après le divorce initié par sa femme au début des années 2000, les liens sont coupés avec ses enfants, ce qui est source « de grande souffrance », selon l’enquêtrice de personnalité qui l’a interrogé en prison lors de sa détention provisoire en 2014.

Après le génocide, M. Muhayimana, se disant menacé par les nouvelles autorités rwandaises, a fui au Zaïre en 1995, vécu en exil en Kenya, avant d’arriver en France en 2001, dont il obtiendra la nationalité en 2010.

Depuis 2007, il est employé à la mairie de Rouen. Décrit par des témoins comme « droit, sincère, investi et croyant », « c’est un homme sociable, qui mène une vie calme avec peu de loisirs », et un employé « ponctuel et sérieux », relève l’enquêtrice de personnalité.

Intégré en France, il n’a pour autant pas coupé les liens avec le Rwanda et la diaspora, et est proche d’un parti d’opposition, le Rwandan national Congress (RNC).

L’accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Par Jeune Afrique AFP

Génocide des Tutsi: ouverture à Paris du procès d’un ex-chauffeur franco-rwandais jugé pour « complicité »

novembre 22, 2021
Genocide des Tutsi: ouverture a Paris du proces d'un ex-chauffeur franco-rwandais juge pour "complicite"
Génocide des Tutsi: ouverture à Paris du procès d’un ex-chauffeur franco-rwandais jugé pour « complicité »© AFP/Archives/Marion Ruszniewski

Le procès pour « complicité » d’un ex-chauffeur franco-rwandais, citoyen « ordinaire » accusé d’avoir sciemment aidé des tueurs lors du génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda, s’est ouvert lundi à Paris, troisième procès en France pour des crimes liés à l’une des pires tragédies du XXe siècle.

Claude Muhayimana, 60 ans, vêtu d’un jean et d’une veste de cuir, un sac à dos sur l’épaule, est resté bras croisés sur une chaise durant la majorité de l’audience. Il a répondu avec une voix assurée aux questions du président lui demandant de décliner son identité.

M. Muhayimana était en 1994 employé d’un établissement de tourisme public rwandais gérant l’hôtel Guest House à Kibuye, sur les rives de l’immense lac Kivu.

Il est accusé de « complicité » de génocide et de crimes contre l’humanité pour avoir « aidé et assisté sciemment » des militaires et des miliciens en assurant à plusieurs reprises leur transport sur les lieux de massacres dans la préfecture de Kibuye, les collines de Karongi, Gitwa et Bisesero (ouest), où des dizaines de milliers de personnes ont été exterminées dans des conditions effroyables.

Les miliciens, armés de machettes, gourdins, houes et appelés « Interahamwe » (« ceux qui travaillent ensemble » en kinyarwanda) ont été les principaux bras armés du génocide contre la minorité tutsie, orchestré par le régime extrémiste hutu et qui a fait plus de 800.000 morts d’avril à juillet 1994.

M. Muhayimana, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité, est réfugié en France, dont il a obtenu la nationalité en 2010. Cantonnier à la mairie, il vit à Rouen (nord-ouest). Il y avait été arrêté en 2014, un an après l’ouverture d’une enquête initiée par une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui lutte contre l’impunité et la présence en France de présumés génocidaires rwandais.

Le procès qui s’est ouvert devant la cour d’assises de Paris, après dix ans de procédure et deux reports à cause de la crise sanitaire, est prévu pour durer jusqu’au 17 décembre, avec l’audition d’une cinquantaine de témoins, dont une quinzaine viendront du Rwanda.

L’audience de lundi a notamment été consacrée à plusieurs heures de débat sur la recevabilité de nouvelles parties civiles et de nouveaux témoins, auxquels s’oppose la défense.

Le président de la cour a ensuite débuté la lecture de son rapport sur les faits reprochés à l’accusé et le contexte historique du génocide des Tutsi.

La singularité de ce procès est qu’il juge un citoyen ordinaire. Les deux précédents procès ont, eux, vu la condamnation à perpétuité de deux anciens bourgmestres et à 25 ans de prison d’un ex-capitaine de l’armée.

« On a affaire à un homme ordinaire, un Monsieur tout le monde, qui n’avait aucune autorité civile, militaire ou religieuse et qui a été placé dans le chaos que l’on connaît », a déclaré à la presse l’un des avocats de l’accusé, Philippe Meilhac, avant l’ouverture du procès.

« Nous comptons bien le faire acquitter complètement, il est innocent de ce qu’on lui reproche », a martelé Me Meilhac.

« Maillons du mécanisme »

Pour sa part, Alain Gauthier, cofondateur du CPCR, se « refuse » à « parler de gros ou de petit poisson ». « On est dans le cas d’un génocide, on ne parle pas de petit poisson ».

« Tous les maillons du mécanisme de la chaîne qui ont conduit au génocide sont importants; il n’y avait plus d’échelons » dans ce contexte, a lancé de son côté avant l’audience Richard Gisagara, avocat de l’une des parties civiles aux côtés du CPCR.

Les prises de parole de l’accusé, resté très discret, sont très attendues. L’enquête a évoqué une personnalité ambigüe, des témoins attestant qu’il a sauvé des Tutsi en les cachant chez lui ou en les aidant à fuir.

Les débats se concentreront sur le fait que l’accusé nie avoir été présent sur les lieux de massacres et sur les contradictions entre ses déclarations et celles de témoins, notamment son ex-épouse. Il a aussi menti et tenté de faire pression sur des témoins, selon l’accusation.

« Il y a des dizaines de témoignages concordants sur son transport sur les lieux de massacres », note Alexandre Kiabski, avocat du CPCR.

La défense, elle, pointe les contradictions et les lacunes des témoignages, et soulèvera également l’argument de la contrainte.

« Ce n’est pas impossible qu’il ait été forcé (à transporter les miliciens, NDLR); mais même si c’est vrai, il avait le choix de prendre la fuite », estime M. Gauthier. « On ne va pas sur les lieux d’un crime gratuitement ».

Mardi, l’audience doit être consacrée à l’interrogatoire de personnalité de l’accusé.

Par Le Point avec AFP

Namibie : la réparation du génocide, dernier combat de Vekuii Rukoro

juin 27, 2021
L’avocat Kenneth McCallion (à gauche) et le chef Herero Vekuii Rukoro (à droite), le 16 mars 2017, à New York.

Obtenir réparation pour le génocide commis par l’Allemagne en Namibie était le combat d’une vie pour Vekuii Rukoro. Il n’en verra cependant pas l’issue : le « chef suprême » herero est décédé le 18 juin dernier.

580 millions de dollars par an, pendant 40 ans. C’est le montant des réparations que réclamait à Berlin le leader charismatique de la communauté herero, Vekuii Rukoro, pour le génocide commis en Namibie par l’Empire Allemand entre 1904 et 1908. Longtemps qualifié de « génocide oublié », le génocide des Herero et des Nama est considéré comme le premier du XXe siècle. Il a fait 70 000 victimes, dont 60 000 Herero et 10 000 Nama, selon les historiens. En 1985, le rapport Whitaker présenté devant les Nations unies, a établi qu’entre 1904 et 1908, 80 % des Herero et 50 % des Nama ont été exterminés par les Allemands.

Élu chef suprême des Ova Herero en 2014, l’activiste décédé des suites du Covid-19 le 18 juin dernier à l’âge de 66 ans, avait porté son combat jusque dans les Cours de justice internationales. Son activisme lui avait même valu d’être exclu des discussions entamées entre les gouvernements namibien et allemand qui avaient débouché sur la reconnaissance par l’Allemagne, dès 2015, du génocide perpétré à l’époque, et, plus récemment, sur la demande de « pardon » adressée à la Namibie par le ministre allemand des Affaires étrangères, le 28 mai dernier.

« Insulte phénoménale »

Des crânes de Hereros et Namas victimes de l’oppression du colonisateur allemand, exposé à Berlin le 29 septembre 2011.

« Nous qualifions officiellement ces événements pour ce qu’ils sont du point de vue d’aujourd’hui : un génocide, avait alors déclaré Heiko Maas. À la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous allons demander pardon à la Namibie et aux descendants des victimes. » Outre ces excuses symboliques, l’Allemagne s’est également engagée à verser 1 milliard d’euros d’aides – sur une période de 30 ans… – , somme qui ne correspond en aucun cas à des « réparations », s’est cependant empressé de préciser le ministre allemand.

Au Werderscher Markt, siège du ministère allemand des Affaires étrangères, on argue que le montant des 800 millions d’euros d’aide au développement versés à la Namibie depuis son indépendance acquise en 1990 – plus important que celui alloué aux autres pays de la région – est le témoignage d’une « attention particulière » envers Windhoek. Additionnés au 1,1 milliard d’euros de soutien aux infrastructures du pays, c’est, selon Berlin, amplement suffisant.

Vekuii Rukoro n’avait pas caché sa colère, au lendemain de cette déclaration des autorités allemandes. Pour le leader herero, si l’Allemagne reconnaissait vraiment avoir commis un génocide, « cela devrait mener au paiement de véritables réparations ». En 2016, déjà, l’activiste avait dénoncé dans ces négociations un simple « show », et dénoncé les sommes évoquées comme une « insulte phénoménale », comparée aux « 75 milliards d’euros de pensions et de prestations sociales payées aux Juifs ».

Visite du président allemand

Hereros ayant fui les troupes allemandes dans le désert d’Omaheke (1907).

Un an plus tard, il avait joint sa signature à un recours collectif contre l’Allemagne pour obtenir réparation du génocide déposé devant la justice américaine, qui autorise à engager des poursuites à l’encontre d’auteurs présumés de génocide hors des frontières des États-Unis. Mais, après deux ans de procédure, le juge new-yorkais avait finalement rejeté la demande formulée par les associations Herero et Nama. Vekuii Rukoro avait également engagé des procédures devant les Nations unies, en s’appuyant sur la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007.

Jusqu’au bout, Vekuii Rukoro se sera battu pour obtenir une réelle réparation pour l’extermination méthodique d’hommes, de femmes et d’enfants, par le général allemand Lothar Von Trotha dans ce qui était alors l’Allemagne de l’Afrique du Sud-Ouest. Le mot d’ordre de l’époque ? « Tout Herero avec ou sans arme, avec ou sans bétail, doit être abattu ». Consigne tristement appliquée à la lettre, avec son lot de tueries de masse, de camps de concentration. Des crânes humains avaient même été envoyées en Allemagne, pour des « études » destinées à alimenter les théories raciales, alors répandues en Europe. Ossements restitués en 2019, année qu’a choisie Michelle Müntefering, secrétaire d’État aux Affaires étrangères d’alors, pour demander « pardon du fond du cœur » au nom de l’Allemagne.

À Windhoek, l’accord trouvé avec l’Allemagne est un « premier pas dans la bonne direction », selon le président namibien, Hage Geingob. Mais la posture de Berlin dans ce dossier est cependant jugée « choquante » par Esther Utjiua Muinjangue, présidente de la fondation Ova Herero Genocide. Le pacte qui vient d’être conclu, et qui doit encore être être signé par les deux gouvernements et ratifié par les deux Parlements pour devenir effectif, donnera lieu à une visite officielle du président Frank-Walter Steinmeier en Namibie. Il devra y présenter solennellement ses excuses au nom du peuple allemand. Une allocution que Vekuii Rukoro avait prévu de boycotter.

Avec Jeune Afrique par Achraf Tijani

Génocide au Rwanda : Emmanuel Macron reconnaît « l’ampleur des responsabilités » françaises

mai 27, 2021
Emmanuel Macron, au Mémorial Gisozi de Kigali, le 27 mai 2021.

Arrivé à Kigali ce 27 mai, le président français Emmanuel Macron a indiqué que la France a le « devoir de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée » aux Rwandais.

Arrivé à Kigali ce 27 mai, le président français Emmanuel Macron a débuté sa visite officielle au mémorial du génocide de Gisozi, à Kigali, dont il a signé le livre d’or. Accompagné d’une délégation où figurent notamment la rescapée Annick Kayitesi-Jozan et l’écrivaine Scholastique Mukasonga, il a livré un discours dans lequel il a notamment reconnu les « responsabilités » de la France dans l’histoire qui a conduit au génocide, tout en appelant à nouer de nouvelles relations entre les deux pays.

Comme cela était prévisible, le président français a écarté le mot tabou de « complicité ». « Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n’avaient pas le visage de la France, a-t-il ainsi déclaré. Elle n’a pas été complice. Le sang qui a coulé n’a pas déshonoré ses armes ni les mains de ses soldats, qui ont eux aussi vu de leurs yeux l’innommable, pansé des blessures, et étouffé leurs larmes ».

Emmanuel Macron a toutefois reconnu « l’ampleur de nos responsabilités » entre 1990 et 1994, appelant « ceux qui ont traversé la nuit [à] nous faire le don de nous pardonner », afin de « bâti[r] ensemble de nouveaux lendemains ».

« Un rôle, une histoire et une responsabilité »

« La France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda, a ainsi déclaré le président français. Et elle a un devoir : celui de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de vérité. »

LA FRANCE N’A PAS COMPRIS QUE, EN VOULANT FAIRE OBSTACLE À UN CONFLIT RÉGIONAL OU UNE GUERRE CIVILE, ELLE RESTAIT DE FAIT AUX CÔTÉS D’UN RÉGIME GÉNOCIDAIRE

« En s’engageant dès 1990 dans un conflit dans lequel elle n’avait aucune antériorité, la France n’a pas su entendre la voix de ceux qui l’avaient mise en garde, ou bien a-t-elle surestimé sa force en pensant pouvoir arrêter le pire », a-t-il ajouté.

« La France n’a pas compris que, en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter. »

La visite d’Emmanuel Macron est la première d’un président français au Rwanda depuis celle qu’avait effectuée Nicolas Sarkozy en février 2010.

Avec Jeune Afrique par Medhi Ba

Génocide des Tutsi : un rapport rwandais met en cause François Mitterrand

avril 19, 2021
Le président du Rwanda Juvenal Habyarimana reçu au Palais de l’Elysée par le président Francois Mitterrand, le 17 juillet 1992 à Paris.

Le rapport rwandais sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi, en 1994, a été remis officiellement au gouvernement ce 19 avril. Réalisé par un cabinet d’avocats américain, il documente l’implication française tout en s’efforçant de ne pas jeter de l’huile sur le feu, dans un contexte d’apaisement entre les deux pays.

Ceux qui s’attendaient à un tir de mortier lourd en seront pour leurs frais. Rendu public ce lundi 19 avril, le rapport d’enquête sur le rôle de la France au « pays des mille collines » durant la période 1990-1994 – avant et pendant le génocide contre les Tutsi – s’abstient de toute conclusion tapageuse susceptible de raviver les plaies, anciennes, autour d’un contentieux tragique qui aura dissuadé tout rapprochement diplomatique durable entre Kigali et Paris durant un quart de siècle.

En guise de slogan, nulle phrase-choc mais ce constat laconique, digne de l’understatement dont les Rwandais sont coutumiers : « La France a rendu possible un génocide prévisible. » Un verdict cryptique où les mots-clés tant attendus – « responsabilités », « complicité » françaises… – sont délibérément absents. « Nous n’abordons pas la question de la complicité, que d’ailleurs nous ne comprenons pas vraiment. Nous nous sommes surtout focalisés sur les faits », résume un officiel rwandais, sans plus d’explication.

Offense diplomatique

L’eau de la Kagera a coulé sous les ponts depuis la publication, en août 2008, du rapport de la Commission Mucyo, dont l’intitulé, à lui seul, sonnait comme une offense diplomatique faite à la France : « Commission nationale indépendante chargée de rassembler les éléments de preuve montrant l’implication de l’État français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994 ».

Outre des conclusions au vitriol, associant directement les autorités françaises de l’époque à la préparation puis à la mise en œuvre du génocide, cette commission de sept membres, présidée par feu Jean de Dieu Mucyo, ancien procureur général et ancien ministre de la Justice, avait en outre dressé une liste de treize personnalités politiques et de vingt militaires français dont l’implication personnelle était soulignée, ouvrant la voie à de possibles poursuites judiciaires. En France, cette première tentative rwandaise d’écrire l’histoire d’une aventure néo-coloniale sujette à controverse depuis tant d’années avait provoqué un tollé parmi les principaux protagonistes impliqués dans le dossier.

« Ce nouveau rapport constitue un acte d’accusation historique mais pas judiciaire. Il ne dédouane personne mais ne reprend pas la logique accusatoire du rapport Mucyo », résume aujourd’hui une source à la présidence rwandaise, indiquant à mots couverts que Kigali a eu le souci, dans un contexte d’apaisement diplomatique qui fait suite à l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, de ne pas jeter inconsidérément de l’huile sur le feu. Un parti pris qui se reflète dans la neutralité du titre du rapport : « Un génocide prévisible. Le rôle de l’État français en lien avec le génocide contre les Tutsi au Rwanda ».

DEPUIS TROP LONGTEMPS, L’ÉTAT FRANÇAIS SE DÉTOURNE DE LA VÉRITÉ

Autre innovation, et non des moindres : confier cette longue investigation (qui a débuté au début de 2017) au cabinet d’avocats américain Levy, Firestone & Muse, basé à Washington, DC. Un choix qui peut sembler paradoxal dès lors qu’une mise en cause devant la justice des protagonistes français impliqués dans ce dossier n’était pas l’objectif recherché par le gouvernement rwandais.

À Kigali, on rappelle que ce cabinet a une longue expérience en matière d’enquêtes complexes impliquant des États. Bob Muse a notamment été chargé de l’enquête du Sénat américain sur les responsabilités relatives à la gestion de l’ouragan Katrina, en 2005. Parmi les diverses références alignées sur le site du cabinet, d’autres dossiers sensibles sont mentionnés, en particulier dans le cadre d’investigations conduites par le Congrès des États-Unis : le Watergate ; l’opération Fast & Furious (des exportations d’armes illégales vers le Mexique pour lutter contre les cartels de la drogue) ; l’affaire Iran-Contra ; le « Bloody Sunday », en Irlande du Nord…

Des millions de pages

« Cette enquête a sollicité des centaines de témoins et de dépositaires de documents sur trois continents, elle a donné lieu à des entretiens avec 250 témoins en anglais, en français et en kinyarwanda, à la collecte et à l’analyse de millions de pages de documents, transcriptions et articles de journaux de l’époque, principalement dans ces trois langues », écrivent les rapporteurs. Parmi les témoins entendus « off-the-record » figurent d’ailleurs une poignée de militaires français en désaccord avec la ligne officielle alors défendue par Paris. Et le président Paul Kagame a lui-même été interviewé par les enquêteurs du cabinet d’avocats américain.

En revanche, en dépit du réchauffement diplomatique intervenu depuis plus de trois ans, les enquêteurs ont trouvé porte close à Paris. « L’État français, bien qu’ayant connaissance de cette enquête, n’a pas coopéré. (…) L’État rwandais lui a transmis plusieurs demandes de documents établissant les faits. L’État français a accusé réception de ces demandes les 29 décembre 2019, 10 juillet 2020 et 27 janvier 2021 mais n’y a pas donné suite », peut-on lire dans le rapport.

Responsabilités politiques

À l’arrivée, ce pavé de 580 pages offre un complément utile à celui rendu public le 26 mars par la commission d’historiens présidée, en France, par Vincent Duclert (qui en totalisait près de 1 000). « Même s’il n’y a eu aucune coordination entre les deux commissions, le contenu de leurs rapports respectifs va globalement dans le même sens », résume une source à la présidence rwandaise.

Une appréciation qui est toutefois partiellement contredite dans la préface du rapport livré à Kigali : « La conclusion de la commission Duclert laisse entendre que l’État français était « aveugle » face au génocide à venir. Ce n’est pas le cas. (…] L’État français n’était ni aveugle ni inconscient au sujet de ce génocide prévisible. »

UNE OPÉRATION MILITAIRE SECRÈTE AVAIT ÉTÉ LOGÉE DANS L’OPÉRATION TURQUOISE

Revendiquant leur volonté de se focaliser sur les responsabilités politiques de Paris, avant comme après le génocide, les autorités rwandaises assument n’avoir pas cherché à documenter de manière pointilleuse certains épisodes, pourtant hautement sensibles, comme l’opération Turquoise (juin-août 1994), abusivement présentée comme humanitaire mais qui a servi par ricochet à différer la défaite du camp génocidaire tout en lui offrant un corridor sécurisé pour fuir impunément vers l’ex-Zaïre. Un choix qui sera certainement considéré comme discutable par les observateurs critiques du rôle de la France, d’autant que la même source précise aussitôt que « Turquoise n’était pas monolithique : une opération militaire secrète avait été logée dans cette opération présentée comme humanitaire ».

Des miliciens hutus et des militaires français de l’opération Turquoise à Gisenyi, au Rwanda, le 27 juin 1994.

En revanche, le rapport rwandais innove en repoussant la limite de son enquête bien au-delà de la fin du génocide, en juillet 1994. « Au cours des années qui ont suivi, de nombreuses actions ont été conduites par Paris pour tenter de saboter de manière occulte l’action du nouveau régime rwandais, résume notre source à la présidence. Ces tentatives de dissimulation ont notamment impliqué les présidents Jacques Chirac et François Hollande. »

L’engagement néocolonial de Mitterrand

Mais en toute logique, c’est leur prédécesseur, François Mitterrand, qui est désigné comme le principal inspirateur de la politique anachronique et mortifère conduite au Rwanda entre 1990 et 1994 : « L’arrogance de l’engagement néocolonial du président Mitterrand au Rwanda s’est exprimée dans le fait de promouvoir les intérêts géopolitiques de l’État français en se moquant des conséquences que cela pouvait avoir pour les Tutsi au Rwanda. »

« Pour la politique française au Rwanda, le nœud du problème n’était pas le génocide qui se profilait mais plutôt le fait d’empêcher le FPR [Front patriotique rwandais] d’établir ce que le président Mitterrand a appelé, en juin 1994, un « Tutsiland » », ajoutent les avocats américains.

Normalisation

Les 18 et 19 mai, Paul Kagame est attendu à Paris où il doit participer successivement au sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne et à une rencontre portant sur le Soudan. De son côté, Emmanuel Macron devrait effectuer en mai une visite officielle à Kigali dont les dates ne sont toujours pas arrêtées officiellement.

L’occasion, pour les deux hommes, de pousser un peu plus loin la normalisation engagée depuis 2017 ? D’ores et déjà, certains se mettent à espérer que le président français pourrait, à cette occasion, sortir du déni qui a cadenassé depuis près de 27 ans toute parole de repentance de la part des représentants de l’État français. « Nous n’exigeons pas d’excuses », indique une source officielle à Kigali – jusque-là, seuls la Belgique, les États-Unis, le Vatican et l’ONU en ont présenté.

Et la même source d’ajouter qu’« Emmanuel Macron souhaite faire à cette occasion un geste solennel ».

Avec Jeune Afrique par Mehdi Ba

Génocide des Tutsi : un prêtre franco-rwandais incarcéré en France

avril 17, 2021
Exposition au Mémorial du génocide de Kigali

Un prêtre rwandais, installé depuis plus de 20 ans en France et naturalisé, est incarcéré depuis mercredi, rattrapé par des accusations sur son rôle lors du massacres de Tutsi réfugiés dans son église en avril 1994, au début du génocide.

Marcel Hitayezu, né en 1956, a été mis en examen (inculpé) mercredi, accusé d’avoir « privé de vivres et d’eau des Tutsi s’étant réfugiés dans son église » et d’avoir « fourni des vivres aux miliciens ayant attaqué les Tutsi réfugiés » dans sa paroisse de Mubuga, dans le Sud du Rwanda, a-t-on appris vendredi auprès du Parquet national antiterroriste (Pnat), également chargé du suivi des dossiers de crimes contre l’humanité.

« Marcel H. a contesté ces faits lors de son interrogatoire devant le juge d’instruction », a précisé le Pnat dans un communiqué.

Selon une source proche de l’enquête, le prêtre a été interpellé mercredi par les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH), à son domicile d’un village du Sud-Ouest de la France, dont il était, selon le diocèse, vicaire de la paroisse.

Génocide et complicité de crimes contre l’humanité

Cette arrestation a été ordonnée par un magistrat du pôle « Crimes contre l’humanité » du tribunal de Paris, chargé depuis le 26 juillet 2019 d’une enquête visant le prêtre, ouverte trois ans après le refus définitif de la justice française, en octobre 2016, d’extrader Marcel Hitayezu vers le Rwanda.

À l’issue de son interrogatoire, le prêtre été mis en examen, notamment pour « génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité », puis placé en détention provisoire.

Selon le quotidien catholique français La Croix, le prêtre, après trois ans passés dans des camps de réfugiés dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), était « arrivé entre 1998 et 1999 » dans le diocèse de La Rochelle (Sud-Ouest), avant de se voir accorder le statut de réfugié en « janvier 2011 ».

« Cachée dans les cadavres »

Cette mise en examen « est une excellente nouvelle », a réagi Alain Gauthier, cofondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), partie civile dans le dossier. « L’Église doit s’interroger sur la façon de donner des responsabilités à des gens soupçonnés d’avoir participé au génocide », a-t-il estimé.

Un autre prêtre catholique réfugié en France, Wenceslas Munyeshyaka, lui aussi accusé d’avoir joué un rôle dans les massacres de 1994, a bénéficié d’un non-lieu en 2015.

En décembre, une journaliste de l’AFP, qui accompagnait Alain Gauthier dans ses enquêtes au Rwanda, a recueilli les témoignages de deux rescapées de Mubuga.

Ces deux femmes, qui ont souhaité gardé l’anonymat, ont affirmé que le prêtre avait l’habitude d’entonner devant les réfugiés terrorisés des « chants habituellement chantés pendant les veillées des morts », alors que rôdaient les « Interahamwe », milices extrémistes hutu et bras armés du génocide. « On était comme des morts-vivants », a lâché l’une d’elles.

L’une de ces rescapées, âgée de 10 ans en 1994, a raconté, secouée de pleurs, être restée dans l’église « deux semaines cachée dans les cadavres de sa famille » tant elle était effrayée après l’attaque des miliciens, jusqu’à ce qu’un bulldozer venu ramasser les corps la fasse émerger de cet abîme.

C’EST MARCEL QUI A LIVRÉ LES TUTSI QUI ÉTAIENT DANS L’ÉGLISE

Joint par téléphone vendredi au Rwanda, Bernard Kayumba, 52 ans, qui a passé trois jours dans l’église de Mubuga avant de pouvoir s’enfuir, a réagi avec émotion. « Vraiment ? », a-t-il lancé, ajoutant: « je suis très content, c’est une nouvelle très bien reçue ».

Bernard Kayumba était en 1994 étudiant au grand séminaire et connaissait l’abbé Hitayezu depuis sa paroisse natale. « J’ai été extrêmement déçu; il a montré le comportement d’un criminel », a estimé Bernard Kayumba.

« Il faisait des réunions avec les autorités génocidaires locales, avec le bourgmestre, avec les gendarmes, sous nos yeux; c’est Marcel qui a livré les Tutsi qui étaient dans l’église », a-t-il assuré, « il faut que Marcel puisse répondre de ses actes ».

Entre avril et juillet 1994, le génocide contre les Tutsi a fait entre 800 000 (selon l’ONU) et 1 million de victimes (selon Kigali).

Le sort judiciaire des suspects réfugiés en France est un des points de tension entre Paris et Kigali, relation empoisonnée par la question du rôle des autorités françaises en 1994. Le ton est désormais à l’apaisement depuis le rapport de l’historien français Vincent Duclert, qui a conclu en mars à des « responsabilités lourdes et accablantes » de Paris lors des massacres.

Sept accusés ont été renvoyés aux assises en France pour des crimes liés à ce génocide, mais seuls trois ont été déjà jugés et condamnés. Une trentaine d’enquêtes se poursuivent.

Par Jeune Afrique avec AFP

[Tribune] Génocide au Rwanda : le rapport Duclert ne livre qu’une part de vérité

avril 2, 2021
François Mitterrand et Juvenal Habyarimana à Kigali, en décembre 1984

Si le rapport Duclert contribue à établir le rôle de la France dans le génocide des Tutsi, les chercheurs n’ont pas eu accès à toutes les archives et ont passé certains événements sous silence.

« Les enseignements de l’histoire ne doivent pas être combattus […], ils redonnent de l’honneur et de la dignité quand vient ce temps de la conscience, de la connaissance de toute la réalité du monde. »  Les mots choisis sont puissants. Pour la première fois, une parole publique et officielle assume, avec force, le rôle central joué par la France au Rwanda entre 1990 et 1994.

« Responsabilités lourdes et accablantes » ; « aveuglement continu des responsables politiques » ; participation des choix français « à la désintégration du champ politique rwandais »… Autant de formules assénées dans le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994), présidée par l’historien Vincent Duclert (CNRS-EHESS) . Présenté publiquement à Emmanuel Macron le 26 mars, ce texte marquerait, selon le président français, « une avancée considérable » dans la quête de vérité.

Pressions constantes

Les mots choisis sont d’autant plus forts qu’ils s’appuient sur un millier de pages de texte et sur le travail de quatorze historiens et juristes qui ont su naviguer au sein d’une masse d’archives considérable (près de 8 000 documents exploités), principalement issues des archives publiques de l’État français (exécutif, ministères, armée) et parfois inédites.  Des documents qui permettent à la commission à la fois d’apporter des informations nouvelles et de confirmer, de manière essentielle, des connaissances jusqu’ici établies sur des bases documentaires fragiles.

Les processus de décision des responsables politiques, des hauts fonctionnaires et des gradés de l’armée sont auscultés à travers les perceptions que ces acteurs avaient du terrain rwandais. Le rapport Duclert offre ainsi des éclairages décisifs sur le choix des autorités françaises de s’impliquer dans le conflit rwandais en octobre 1990, sur les pressions constantes de l’état-major particulier de François Mitterrand en faveur de l’engagement de la France auprès de Juvénal Habyarimana ou encore sur « l’intervention militaire indirecte, mais directive » des troupes françaises au Rwanda d’octobre 1990 à décembre 1993.

CES CHERCHEURS ONT TRAVAILLÉ DANS DES CONDITIONS DIFFICILES, ET TOUTES LES ARCHIVES NE LEUR ONT PAS ÉTÉ OUVERTES

Particulièrement bienvenu, le dernier chapitre – « Gouverner l’État dans la crise rwandaise » – propose une analyse clinique des dysfonctionnements institutionnels de la Ve République, la commission identifiant certaines « pratiques irrégulières d’administration », « des dérives institutionnelles couvertes par l’autorité politique », « de(s) chaînes parallèles d’administration et même de commandement ».

L’ensemble se démarque nettement des théories négationnistes ou complotistes. Les membres de la commission déconstruisent ainsi la thèse du double génocide et parviennent à décrire, avec une certaine justesse, les responsabilités respectives des acteurs rwandais. Le mérite de ces chercheurs est d’autant plus louable qu’ils ont travaillé dans des conditions difficiles, sur un champ traversé par un quart de siècle de débat public tendu.À LIRE [Analyse] Génocide au Rwanda : quand les militaires français brisent l’omerta

Ils ont su répondre à la commande politique en deux ans seulement, avec des archives qui ne leur ont pas toutes été ouvertes (celles de la Mission d’information parlementaire de 1998, conservées à l’Assemblée nationale, leur ont par exemple été refusées). Ils ont aussi été confrontés à une succession de polémiques liées à la mise à l’écart de certains historiens spécialistes lors de la nomination de la commission (Hélène Dumas et Stéphane Audoin-Rouzeau), à des démissions (Annette Wieviorka, Christian Vigouroux) ainsi qu’à des accusations de « parti pris » en faveur de l’armée française visant une des membres de la commission, Julie d’Andurain, qui a de ce fait quitté la commission en novembre dernier. 

Le résultat s’annonçait très problématique ; il ne l’est pas, et la matière proposée constituera à n’en pas douter une source utile aux recherches à venir.

Pas de témoignages

Pour autant, une lecture historienne scrupuleuse du rapport en révèle les limites. Surprenante est d’abord l’absence presque totale de références aux travaux scientifiques qui ont permis aux savoirs sur le génocide de progresser depuis 1994. Le contenu du rapport bénéficie de ces acquis scientifiques, de nombreux faits étant connus et de nombreuses pièces d’archives déjà exploitées. L’effacement de l’historiographie classique apparaît ainsi étrange : les chercheurs de la commission donnent le sentiment de révéler, page après page, une histoire encore ignorée, même lorsque celle-ci est établie et documentée.

Les rédacteurs ont aussi fait le choix de ne pas recourir explicitement aux témoignages des acteurs de l’époque. Le rapport livre en effet une histoire exclusivement écrite, à travers les yeux des décideurs français. Le recours aux nombreux témoignages collectés depuis 1994 aurait pourtant permis de raconter une histoire plus proche du vécu des acteurs et d’être, par exemple, beaucoup plus précis sur l’abandon des personnels de l’ambassade de France lors de son évacuation en avril 1994.

LA COMMISSION LAISSE SON LECTEUR AVEC SES DOUTES, SES INTERROGATIONS, SES INCOMPRÉHENSIONS

Une attention portée à la diversité de l’ensemble des sources disponibles aurait donné plus d’épaisseur au passé que l’on tente de faire resurgir ici. Le lecteur aurait ainsi pu comprendre que les choix français ont fait l’objet de vives polémiques au sein de l’espace public rwandais dès 1991, qu’ils ont été à maintes reprises dénoncés par des acteurs rwandais et étrangers comme des obstacles au processus de paix ou que le sommet de La Baule, en juin 1990, était loin de constituer un tournant majeur de la relation franco-rwandaise, comme l’affirme trop hâtivement le premier chapitre.

Silences incompréhensibles

Enfin, certaines absences sont difficilement compréhensibles et il faudra établir à l’avenir la liste des documents passés sous silence par la commission. À titre d’exemple, le compte rendu de la visite, en plein cœur du génocide, du lieutenant-colonel rwandais Ephrem Rwabalinda au général Huchon, cité par l’historienne Alison Des Forges, n’est pas mentionné. Les informations contenues dans ce rapport daté du 16 mai 1994 font état du désir du chef de la Mission militaire française de coopération de maintenir le soutien apporté à l’armée rwandaise ; elles auraient sans nul doute mérité d’être croisées avec les informations collectées par la commission.

D’autres sources, connues des historiens, documentent la nature des engagements des soldats français sur le front, la présence au Rwanda au moment du génocide du gendarme Paul Barril, ancien membre de la cellule antiterroriste de l’Élysée, ou encore la poursuite des livraisons d’armes pendant cette période. Or, de ces événements, il n’est que peu ou pas question dans le rapport. Ajoutons qu’entre profusion d’informations, euphémisation des faits et manque de discernement, certains événements sont racontés de manière extrêmement confuse.

La commission se contente trop souvent, comme sur le douloureux épisode des massacres de Bisesero, à la fin de juin 1994, dans l’Ouest du Rwanda, d’accumuler les données factuelles et semble, dans le même temps, s’interdire toute interprétation, laissant son lecteur avec ses doutes, ses interrogations, ses incompréhensions.

Plus une étape qu’un achèvement

Si, à bien des égards, ce rapport reste au milieu du gué, on comprend que des choix ont été opérés et que ce travail constitue plus une étape qu’un achèvement, comme le reconnaît d’ailleurs elle-même la commission, qui entend poser « des jalons pour des travaux futurs. ».  Cet objet n’est certes pas parfait. Il représente cependant une production importante qui répond à la commande du pouvoir politique français tout en ouvrant des perspectives essentielles en termes de reconnaissance politique, de justice et de perspectives de recherche.

Espérons tout d’abord que le président Emmanuel Macron aura le courage d’ouvrir plus largement les archives aux chercheurs français et étrangers, particulièrement aux historiens rwandais. Les membres de la commission ont eu pendant deux ans le privilège de bénéficier de dérogations personnelles aux délais de communicabilité et d’une habilitation individuelle d’accès aux archives classifiées.

EMMANUEL MACRON DISPOSE DE TOUS LES ÉLÉMENTS POUR RECONNAÎTRE LES FAUTES GRAVES DES DÉCIDEURS FRANÇAIS

Pour que leur travail puisse être discuté, consolidé, approfondi, il est désormais nécessaire que l’ensemble des chercheurs bénéficie de ces mêmes conditions d’accès aux archives. Pourtant, si l’on en croit le rapport, les chercheurs devraient uniquement avoir accès aux documents cités – et non pas consultés ou existants – ainsi qu’au fonds présidentiel François Mitterrand et au fonds du Premier ministre Edouard Balladur – pour lesquels une dérogation générale est envisagée pour le 7 avril prochain.

La décision rendue par le Conseil d’État le 12 juin 2020 laissait pourtant espérer une dérogation générale plus large, concernant également les fonds des ministères et du Service historique de la défense.

Sortir du déni officiel

Sur le plan politique, Emmanuel Macron a la chance unique de rompre avec plus de 25 ans de déni officiel. Il dispose désormais de tous les éléments pour reconnaître les fautes graves des décideurs français de l’époque et pour faire enfin éclater la bulle de désinformation qui a trop longtemps entouré le rôle de la France au Rwanda. Reste à savoir s’il saura faire preuve de courage politique ou s’il optera pour une voie moyenne en insistant tout autant sur les responsabilités de la France que sur l’idée de non-complicité.

Sur ce dernier point, essentiel, le rapport n’est pourtant pas formel. Il indique seulement que les archives consultées – encore une fois, il ne s’agit pas de l’ensemble des archives qui existent – ne permettent pas de conclure à une complicité de la France dans le génocide « si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire ». Il offre cependant de nombreux éléments à charge pour initier ou relancer l’instruction de certains dossiers, y compris en caractérisant des formes de complicité politique, morale ou pénale, au sens de l’article 121-7 du code pénal français.

C’est à condition d’être utilisé au service d’un combat décidé contre l’impunité que ce rapport rendra dignité et honneur à la France, tout en renforçant le souvenir de celles et ceux qui sont partis en 1994.

Par  François Robinet

Maître de conférence en histoire contemporaine à l’université Versailles-Saint-Quentin-En-Yvelines

Génocide au Rwanda : « Une responsabilité française politique, institutionnelle et morale »

mars 27, 2021
Le président du Rwanda Juvenal Habyarimana reçu au Palais de l’Elysée par le président Francois Mitterrand, le 17 juillet 1992 à Paris.

Les chercheurs de la Commission Duclert sur le rôle de la France au Rwanda viennent de présenter officiellement le fruit de leur travail au président Emmanuel Macron. Et pointent de nombreux « dysfonctionnements » institutionnels et moraux.

Au terme de deux années de recherches dans les archives françaises, les membres de la Commission Duclert ont rendu public ce vendredi leur volumineux rapport sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, peu après l’avoir remis officiellement au président Emmanuel Macron, qui les avait mandatés en avril 2019.

Les neuf membres – historiens pour la plupart, épaulés par sept chargés de mission – de cette « commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi », présidée par l’historien Vincent Duclert (CNRS-EHESS), avaient la tâche délicate de se pencher sur l’un des dossiers les plus sensibles de la politique étrangère de la France au cours du dernier demi-siècle : l’implication de Paris au Rwanda entre 1990 et 1994, et le rôle trouble de la République française dans le génocide des Tutsi, d’avril à juillet 1994.

Défaite impériale

« La faillite de la France au Rwanda […] peut s’apparenter à une dernière défaite impériale d’autant plus grave qu’elle n’est ni formulée ni regardée », résument les commissaires dans la conclusion de ce rapport de 1 200 pages, qui vient d’être mis en ligne dans la soirée.

Et de dresser l’inventaire des aveuglements et errements combinés qui conduisent Paris à se débattre, depuis 1994, face à une accusation vertigineuse de « complicité de génocide » : « La France conduit dès [octobre 1990] plusieurs politiques, qui se déploient parallèlement les unes aux autres et finissent par devenir contradictoires. L’impression est celle d’un enfermement des autorités françaises dans des logiques avec lesquelles la rupture s’avère difficile, même durant la crise génocidaire. »

Au cœur du dispositif français, l’ancien président socialiste François Mitterrand, dont l’engagement personnel sur ce dossier ne s’est jamais démenti : « Un élément surplombe cette politique, écrivent ainsi les rapporteurs : le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte, personnelle et directe avec le chef de l’État rwandais. Cette relation éclaire la grande implication de tous les services de l’Élysée. »

Et d’ajouter que « les demandes de protection et de défense du président rwandais sont toujours relayées, entendues et prioritaires ».

Réelle avancée

Après la première offensive du Front patriotique rwandais (FPR), en octobre 1990, « la menace ougando-tutsie » perçue à l’Élysée, qui « révèle une lecture ethniciste du Rwanda par les autorités françaises », finit par contaminer tous les rouages de l’État en charge du dossier.

« Sur le Rwanda pèserait la menace d’un monde anglo-saxon dont le FPR, l’Ouganda mais aussi leurs alliés internationaux seraient l’incarnation », expliquent en effet les rapporteurs.

À l’Élysée, on espère désormais « que ce rapport pourra mener à de nouveaux développements avec le Rwanda » – une visite officielle d’Emmanuel Macron au Rwanda est prévue au cours des prochaines semaines -, précisant que sa teneur a été communiquée au président Paul Kagame. De fait, à Kigali, l’entourage du chef de l’État laisse entendre, off-the-record, sa satisfaction devant ce texte. « Je crois qu’il a fait du bon travail », avance un conseiller, tandis qu’un autre collaborateur présidentiel évoque une « réelle avancée ».

Responsabilités accablantes

Si ses conclusions semblent marquer une évolution notable dans l’analyse par la France de son rôle controversé au Rwanda au début des années 1990, la mission Duclert décline en revanche l’accusation, de nature juridique, qui plane de longue date sur l’action passée de Paris au Pays des mille collines.

« La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer », estiment les auteurs. Mais ces derniers ne s’abstiennent pas pour autant d’exonérer la République française. Ils lui imputent en effet « des responsabilités accablantes ».

LE RAPPORT CONCLUT CLAIREMENT À UNE RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE QUE LA COMMISSION QUALIFIE DE « POLITIQUE, INSTITUTIONNELLE, INTELLECTUELLE, MORALE ET COGNITIVE »

La liste des manquements constatés est longue : « défaillance des pouvoirs de coordination et absence de contre-pouvoirs effectifs ; « responsabilités politiques [et] institutionnelles, tant civiles que militaires » ; « chaînes parallèles de communication, et même de commandement » ; « contournement des règles d’engagement et des procédures légales » ; « dérives institutionnelles couvertes par l’autorité politique ou dans une absence de contrôle politique », « lecture ethniciste » de la situation rwandaise, etc.

À l’arrivée, le rapport conclut clairement à une responsabilité de la France que la Commission qualifie de « politique, institutionnelle, intellectuelle, morale et cognitive ». Une responsabilité qui, selon une source élyséenne, « traduit une incapacité à penser le génocide qui se profilait ».

« Le rapport décrit de profonds dysfonctionnements, notamment dans le processus d’appréciation de la situation et dans celui de la décision, ajoute la même source. En revanche il écarte la notion de complicité de génocide puisqu’il souligne que nulle part ses auteurs n’ont trouvé d’éléments dénotant l’intention de contribuer ou de participer aux actions constituant ce génocide. »

Pas d’accusations contre Turquoise

Le rapport écarte également les accusations qui ont pu être formulées à l’encontre de l’opération Turquoise, déclenchée fin juin 1994. Même si les rapporteurs indiquent que cette opération a été tardive et qu’elle a pu connaître initialement certaines ambiguïtés dans les directives politiques reçues, ils soulignent que cette mission aura tout de même permis le sauvetage de plusieurs milliers de Tutsi.

« Turquoise », une opération militaire française au Rwanda mandatée par les Nations unies.

Toutefois, selon notre source, « le rapport fournit des analyses détaillées et inédites – car croisant de très nombreux documents – sur les principaux sujets qui ont cristallisé les interrogations au sujet de l’engagement de la France entre 1990 et 1994, qu’il s’agisse des livraisons d’armes au régime rwandais, de l’engagement opérationnel auprès des Forces armées rwandaises ou de différents épisodes comme le massacre de Bisesero en [juin] 1994 ou la non-arrestation du gouvernement intérimaire rwandais dans la Zone humanitaire Sud [alors contrôlée par l’armée française] ».

De son côté, l’association de rescapés Ibuka France a affirmé qu’elle « se réserve désormais la possibilité d’un examen critique approfondi de ce document et d’un droit de réponse au contenu dudit rapport » tout en saluant « le travail accumulé depuis vingt-sept ans par des chercheurs, journalistes et historiens qui a permis d’établir un savoir solide et circonstancié sur les différents aspects du dernier génocide du XXe siècle ».

Avec Jeune Afrique par Mehdi Ba