Les puissants gourous d’Inde attirent des millions de disciples dévoués mais plusieurs d’entre eux dégagent un sulfureux parfum de scandale dans un trouble mélange de spiritualité, d’argent et de pouvoir.
Dernier exemple en date: Gurmeet Ram Rahim Singh, surnommé le « gourou tape-à-l’œil » pour sa garde-robe ostentatrice et clinquante, a été condamné lundi à dix ans de prison pour le viol de deux de ses disciples femmes.
Les gourous, souvent des ascètes hindous, font depuis des siècles partie de la vie quotidienne des Indiens, qui estiment que leurs enseignements ouvrent la voie à l’éveil spirituel.
Pour leurs détracteurs, certains de ces « hommes-dieux » modernes ne sont rien d’autre que des charlatans qui se servent de la religion comme moyen d’accéder au pouvoir, à la célébrité et à la richesse.
Ces gourous trouvent souvent un créneau auprès des masses en palliant aux carences de l’Etat indien via des repas gratuits ou des services médicaux.
Mais les experts estiment que ces chefs spirituels, qui comptent aussi des fidèles parmi la classe moyenne citadine, permettent de donner un sentiment d’appartenance à une communauté et un sens à la vie dans une société en rapide mutation.
Voici quelques-uns des plus célèbres « hommes-dieux » controversés:
Rampal Maharaj
En 2014, Rampal Maharaj s’est barricadé dans son ashram gardé par des fidèles bardés de pierres, cocktails Molotov et armes pour échapper à un mandat d’arrêt.
Il a fallu plusieurs jours de siège à la police pour investir le complexe géant du gourou, qui se proclame la réincarnation d’un poète mystique indien du XVe siècle. Six personnes ont péri dans l’assaut.
Selon ses disciples, le gourou se baignait régulièrement dans du lait qui servait ensuite à faire du kheer, un riz au lait consommé comme dessert et dont certains croient qu’il peut guérir des maladies.
Ashutosh Maharaj
Ashutosh Maharaj est mort en 2014 mais ses fidèles assurent qu’il est seulement plongé dans une profonde méditation. Ils conservent donc son corps dans un congélateur dans un complexe du Pendjab (nord de l’Inde) sous haute garde.
Fondateur de la secte Divya Jyoti Jagriti Sansthan (Mission de l’éveil à la lumière divine), le leader spirituel était à la tête d’un empire commercial de plusieurs millions de dollars.
Un homme se présentant comme l’ancien chauffeur du gourou affirme que ses partisans refusent de restituer son corps car ils veulent toucher une part de sa fortune.
Asaram Bapu
Asaram Bapu, un gourou à la barbe blanche, a un jour condamné la Saint-Valentin comme incitant les jeunes à se livrer à des « comportements dégoûtants ». Il est inculpé de viols, trafic, et agressions sexuelles sur mineurs.
À la suite de son arrestation par la police en 2013, des centaines de ses partisans se sont attaqués aux équipes de télévisions et à la police.
Au moins trois témoins-clés contre le gourou ont été abattus.
Swami Nithyananda
Plusieurs accusations d’attouchements et agressions sexuelles pèsent sur Swami Nithyananda, qui n’a pas été condamné à ce jour.
Cinq femmes accusent le gourou de 40 ans d’avoir abusé d’elles dans son ashram du Karnataka, dans le sud de l’Inde. Il a effectué 53 jours en prison en 2010 après la divulgation d’une vidéo explicite, qui le montrerait en train de caresser deux femmes.
Lorsqu’une chaîne de télévision locale diffusa ces images, des villageois en colère ont attaqué son quartier-général.
Nithyananda, qui détient aussi un grand centre de méditation à Los Angeles, affirme posséder des pouvoirs paranormaux comme la lévitation.
Sathya Sai Baba
Sathya Sai Baba était l’un des gourous les plus célèbres et suivis d’Inde, connu pour son vaste empire d’œuvres de bienfaisance.
À sa mort en 2011, il a reçu des funérailles d’État, auxquelles ont assisté notamment le Premier ministre d’alors Manmohan Singh et l’icône du cricket indien Sachin Tendulkar.
Son fonds était souvent critiqué pour son opacité financière. Après son décès, 98 kilos d’or, 307 kilos d’argent et 115 millions de roupies (1,5 million d’euros) en billets ont été retrouvés dans ses appartements privés.
Au moins 22 personnes ont été tuées vendredi lors de violents heurts dans le nord de l’Inde après que la condamnation pour viol d’un gourou controversé eut déclenché la fureur de plus de 100.000 de ses soutiens rassemblés pour le verdict.
Selon le commissaire-adjoint de police Isham Singh, 22 personnes sont mortes et une centaine ont été blessées à Panchkula, une ville de plus d’un demi-million d’habitants dans l’Etat de Haryana. Un précédent bilan de l’hôpital local faisait état de 14 morts.
Les autorités ont déployé des centaines de soldats alors que plus de 100.000 personnes, selon les estimations, s’étaient réunies à Panchkula après qu’un tribunal spécial eut reconnu coupable le chef spirituel Gurmeet Ram Rahim Singh du viol de deux de ses adeptes.
La nouvelle a déclenché une flambée de violence dans la ville, où un couvre-feu a été imposé et où les connexions internet avaient été suspendues la veille par mesure de sécurité.
Selon un journaliste de l’AFP sur place, les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes et utilisé des canons à eau face à une foule de manifestants lançant des pierres et qui s’en était prise notamment à deux camions de télévision, renversant l’un d’entre eux.
– ‘Gourou tape-à-l’oeil –
« La situation est tendue mais sous contrôle », a déclaré à l’AFP par téléphone Isham Singh après ces affrontements. « Les rassemblement ont été dispersés dans la plupart des endroits. Il avait été demandé à la foule devant le tribunal de quitter les lieux, mais elle est devenue violente, contraignant la police à intervenir ».
Les tensions se sont propagées dans le pays. « Deux gares ont été brûlées dans le Pendjab (Etat voisin du nord-ouest) et deux wagons ont été incendiées à la station Anand Vihar, à New Delhi », a détaillé Neeraj Sharma, un porte-parole pour la compagnie ferroviaire Indian Railways. Des centaines de trains qui circulaient entre l’Haryana et le Pendjab ont été annulés.
Connu sous le surnom de « Gourou tape-à-l’oeil », en raison de son penchant pour les vêtements criards et les bijoux, il a été placé en détention sous escorte policière. Sa peine sera connue le 28 août, d’après les médias locaux.
Ce chef spirituel de 50 ans, à la tête de la secte Dera Sacha Sauda, est suivi par de nombreux fidèles dans l’Etat de Haryana (nord) et il affirme avoir des millions d’adeptes de par le monde.
La veille du verdict, les autorités indiennes avaient renforcé la sécurité dans la région, déployant 15.000 hommes, en raison de l’afflux de milliers d’adeptes. Trois stades avaient également été mis à disposition pour détenir d’éventuels fauteurs de troubles.
– 400 disciples castrés –
En 2002, un courrier anonyme avait été envoyé à l’ancien Premier ministre indien Atal Bihari Vajpayee, dans lequel une femme accusait le gourou de viols.
Il a fallu des années au Bureau central d’enquête (CBI Central Bureau of Investigations) pour retrouver les victimes présumées. Ce n’est qu’en 2007 que deux femmes ont finalement déposé plainte.
Ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve au cœur d’une polémique. En 2015, il avait été accusé d’avoir encouragé 400 de ses disciples à se faire castrer pour se rapprocher de dieu. Il a par ailleurs été poursuivi dans le cadre du meurtre d’un journaliste en 2002.
S’exprimant avant le verdict, les fidèles rassemblés à Panchkula lui ont manifesté leur soutien, certains estimant que sa secte les avaient aidés à sortir de leur dépendance à l’alcool.
Gurmeet Ram Rahim Singh s’est rendu de sa ville d’origine jusqu’au tribunal dans un important convoi de plus de 100 véhicules. Des images de télévision montraient des fidèles rassemblés le long des rues, la plupart d’entre eux sanglotant sans pouvoir se contrôler.
Le pasteur Ntumi, lors d’une visite à Goma-Tsé-Tsé, durant la guerre. Crédits : AFP
Le 4 × 4 parti deux heures plus tôt de Brazzaville quitte l’asphalte, s’engage sur un chemin de terre et s’enfonce dans la vallée. A bord, la rumba locale a cédé le pas aux mélopées d’Yves Duteil. Calés sur les banquettes, les anciens guérilleros du Pool apprécient. On devine, derrière les collines boisées de ce département du sud du Congo, la ville de Mayama. Puis, passé le pont brinquebalant qui enjambe la rivière Loukouangou, une étrange propriété devant laquelle flotte un drapeau violet. Ici commence le royaume sur terre du pasteur Ntumi (« l’envoyé »), leader messianique de la région.
Une dizaine d’hommes en armes vêtus de treillis dépareillés et d’une écharpe violette montent la garde. Le maître des lieux entre dans le cadre comme une apparition. Démarche assurée, torse bombé et regard implacable, le pasteur Ntumi porte beau avec son costume croisé, violet lui aussi, et ses souliers à bout fleuri. « C’est la couleur sacrée de Saint-Michel et du pasteur Ntumi », dit-il de sa voix grave. Une grappe de disciples suit le « prophète ». Certains sont des malades mentaux que le pasteur prétend soigner grâce à ses pouvoirs. Dans la cour ombragée par cinq manguiers, de jeunes rastas aux regards vides scient du bois, en silence, comme s’ils tentaient, par ces gestes répétitifs, d’effacer les souvenirs des exactions vues ou commises durant la guerre qui a ravagé le pays entre 1993 et 2002. Un échantillon d’une génération de jeunes sacrifiés.
Ancien chef « Ninja » et « messie »
Les hommes sont d’anciens « Ninja », du nom de ces miliciens originaires des quartiers sud de Brazzaville et du Pool qui ont combattu les « Cobras » de l’actuel président Denis Sassou-Nguesso. Le pasteur Ntumi fut leur chef. La voix de Dieu, assure-t-il, l’avait chargé de «libérer » le Pool et de conquérir Brazzaville. Ses hommes ont racketté et semé la terreur avec des armes récupérées pendant les assauts ou acquises grâce à la rente du trafic de drogue.
«Nous avons vécu des moments très durs durant la guerre, mais aussi des miracles car lorsqu’ils nous tiraient dessus, vidaient leurs chargeurs parfois à bout portant, ça ne nous faisait rien, se souvient le pasteur. Dieu m’a parlé et nous a rendus pour certains invincibles. » Ses disciples acquiescent à l’unisson. Toutefois, les civils ont payé le prix fort de la guerre et des délires mystiques de Ntumi. Et le Pool, région pauvre et délaissée par le pouvoir central, reste traumatisé par les violences et privé d’une redistribution même infime des revenus pétroliers accaparés par le clan Sassou-Nguesso.
Des anciens « Ninja », restés fidèles au pasteur Ntumi, à Kinkala, dans le Pool, le 25 avril 2005. Crédits : REUTERS
Personnage aussi craint qu’imprévisible, le controversé pasteur Ntumi, 51 ans, Frédéric Bintsamou de son vrai nom, hante toujours le paysage politique congolais. Sa mystique millénariste emprunte aux mouvements évangélistes et puise dans les rites traditionnels de l’ancien royaume Kongo qui s’étendait sur quatre Etats du XIVe au XIXe siècle. Elle a surtout accouché d’un mouvement : le Mbunda ni A bundu dia Kongo (« Regroupement des religions du Kongo »), qui mêle la vénération des saints et prophètes et la contestation politique.
Pour tenter de dompter ce religieux qui monnaie son pouvoir de nuisance, Denis Sassou-Nguesso l’a nommé en 2007 délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre. Un titre ronflant qui lui confère un rang de ministre délégué. Une façon pour le chef d’Etat de contrôler l’illuminé.
Tantôt opposant, parfois centriste, souvent « partenaire », comme il se définit, du président, sa mission de « délégué à la paix » est un échec patent. Faute de budget, aucun projet n’a vu le jour, admet-il, ni dans le Pool, ni ailleurs. Sur les cendres de sa milice rebelle, le Conseil national de résistance, vivote son microparti politique, le Conseil national républicain (CNR). Et l’ancien chef de guerre a troqué sa tunique violette pour des costumes de même couleur agrémentés de boutons dorés. Mais il n’est pas parvenu à se faireélire lors des élections législatives de 2007 et 2009 dans le Pool où il vit reclus, entouré de ses fidèles, de ses « Ninja » et de ses femmes, faisant des va-et-vient sous haute protection entre Mayama et son autre base établie dans le village de Soumouna, à 50 kilomètres au sud de la capitale.
Ces dernières semaines, il s’est pourtant discrètement rendu à Brazzaville pour s’enquérir de la situation de l’ex-ministre devenu une figure de l’opposition, Guy Brice Parfait Kolélas, assigné à résidence et encerclé par des militaires. Selon plusieurs sources, le pasteur Ntumi aurait envisagé l’usage de la force pour faire « libérer » le fils de l’éphémère ancien premier ministre et père de la milice « Ninja », Bernard Kolélas. « La meilleure défense peut être l’attaque, même si on n’est plus au temps de la guerre et qu’il faut éviter le recours à la violence… J’ai ce droit, quand la paix est menacée, de m’interposer », confie le pasteur Ntumi d’une voix ferme.
L’ancien chef de guerre est récemment sorti du silence pour vitupérer contre le changement de Constitution approuvée officiellement par référendum le 25 octobre à hauteur de 92,96 % des voix. Un scrutin controversé et critiqué par la communauté internationale. Mais le chef d’Etat, Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis plus de trente ans, n’en a cure et a promulgué vendredi 6 novembre la nouvelle Constitution, qui lui permet de briguer un troisième mandat et maintenir sa mainmise politique et économique sur le Congo.
Pour notre pasteur mystique, c’en est trop. « Denis Sassou-Nguesso devrait écouter le peuple plutôt que de s’obstiner à s’accrocher au pouvoir », lâche-t-il. Je suis dans l’opposition à ma manière depuis plus d’une décennie et je suis prêt à jouer un rôle. Si les Congolais me comprennent, alors je leur donnerai la ligne à suivre. » Mais il est contredit par le secrétaire général de son parti, Chris Antoine Walembaud, qui a appelé à soutenir le changement de Constitution et semble courtiser le pouvoir.
« Cheval de Troie » de Denis Sassou-Nguesso ?
Cette division au sein du CNR n’est qu’une des fragilités d’une opposition hétéroclite dépourvue de stratégie, de véritables moyens, et qui peine à faire émerger un leader. Au sein des plates-formes de l’opposition (l’Initiative pour la démocratie au Congo (IDC) et le Front républicain pour le respect constitutionnel et l’alternance démocratique (Frocad)) qui réclament l’annulation du référendum et ont appelé à la « désobéissance civile » avant de se rétracter, le pasteur Ntumi est perçu comme un « cheval de Troie » de Denis Sassou-Nguesso.
«Comment ce simple pasteur a-t-il pu obtenir des armes durant la guerre ? Comment une rébellion peut-elle durer des années sans être inquiétée ? Et comment un chef de guerre peut-il se retrouver au gouvernement ? », s’interroge un ancien ministre. Avant de conclure : « Tout laisse à penser qu’il est une marionnette du pouvoir. » D’autres voient en lui le seul homme capable d’inquiéter le chef d’Etat, par ses prétendus pouvoirs mystiques et sa supposée capacité militaire. Ce qui fait sourire l’intéressé, qui aime à intriguer. Le « messie du Pool » répond en citant la Bible, déborde d’allégories et de phrases inachevées.
Dans le milieu sécuritaire de Brazzaville, d’aucuns le soupçonnent de pouvoir réunir d’un simple coup de téléphone quelques centaines de combattants et d’avoir conservé un petit stock d’armes. Officiellement, tous ses hommes ont rendu leurs fusils. « J’ai la capacité de mobiliser, ça, c’est clair, et si on est vraiment contraint à prendre les armes, on les prendra. Mais je ferai tout pour éviter un tel scénario, car, si moi je peux éviter les balles et ne pas manger pendant des semaines, j’ai peur pour les Congolais qui ont déjà trop souffert », confie-t-il, assis dans une salle de prière sombre de sa propriété de Mayama. C’est là, dans le Pool qu’il a partiellement tenu sous sa coupe durant les dernières années du conflit, que le pasteur devenu chef de guerre avant de muer en apprenti politique, mène ses quelques actions de bienfaisance : il a créé plusieurs écoles, construit des dispensaires et entretient une dizaine d’églises.
En attendant son heure, forcément divine, et la fin d’une ère, le leader millénariste végétalien cultive son aura et gère ses affaires, dans le gardiennage, le ciment, l’agriculture, la pisciculture ou l’élevage. Et il contribue à la déforestation de la seconde plus grande forêt tropicale au monde, après l’Amazonie, en coupant illégalement les arbres de la forêt de Bangou, plus à l’ouest. « Je vends du bois que je coupe dans la forêt durant la saison sèche, c’est vrai, et j’ai modernisé une agriculture en achetant des tracteurs et autres machines qui profitent à ce peuple opprimé et délaissé du Pool », se défend-il. Là encore, les taiseux disciples qui constituent sa cour approuvent d’un hochement de tête.
Pion du pouvoir ou électron libre ? Le prophète autoproclamé semble jouer une partition s’accordant parfaitement avec celle du clan Sassou, qui n’a de cesse d’agiter le spectre de la guerre pour justifier son maintien au pouvoir. Car au Congo, évoquer le pasteur Ntumi convoque souvent les souvenirs douloureux de la guerre. Lui veut croire qu’il lui reste la politique comme champ de bataille.
Lemonde.fr par Joan Tilouine à Brazzaville, envoyé spécial