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Algérie : nous sommes tous épris de « Liberté »

avril 7, 2022

La procédure de dépôt de bilan du quotidien a été lancée le 6 avril. Les intellectuels dénoncent la fin de l’un des derniers médias critiques du pouvoir.

Le quotidien a été créé en 1992 à Alger par trois journalistes. © YAD KRAMDI/AFP

Depuis plusieurs années, des mouvements populaires et citoyens tentent de faire bouger l’Algérie. Le départ du président Bouteflika n’y a rien fait, pas plus, bien sûr, que les premières années mortifères du règne d’Abdelmadjid Tebboune. L’Algérie ne va nulle part et, pour éviter que cela ne se voie trop, elle se mure dans le silence. Pourtant, on l’observe, et on ne peut que désespérer de ce beau pays.

Pour étouffer les voix dissonantes, le pouvoir coupe les dernières sources d’information qui essayent d’offrir un son de cloche différent, de réveiller les consciences et de ressusciter un chouïa d’espoir dans le plus grand pays d’Afrique.

La disparition programmée du quotidien Liberté en est le nouvel exemple, peut-être le dernier. Le Hirak mort et enterré par la pandémie et la répression, ce média était l’un des derniers à témoigner d’un espoir de changement.

Contre l’intégrisme et la corruption

Voir un journal qui est une référence en matière de combat pour la liberté d’expression délibérément sabordé tant par l’actionnaire que par le pouvoir est inadmissible. Nous sommes tous épris de Liberté : dénonçons sa fermeture !

Quotidien créé en 1992 à Alger par trois journalistes, Liberté tire à près de 115 000 exemplaires chaque jour dans tout le pays. Journal généraliste de langue française, il est connu à l’international pour la publication des caricatures d’Ali Dilem.

APRÈS LA GUERRE CIVILE, LE JOURNAL SERA TOUJOURS UNE ÉPINE DANS LE PIED DU POUVOIR

Liberté se confond avec l’histoire de l’Algérie contemporaine : dans un contexte de libération de la parole et d’espoir démocratique face à la montée des islamistes en 1988, le titre apporte du sang neuf, une autre façon de lutter contre l’intégrisme.

Au point d’en payer le prix pendant la décennie noire avec l’assassinat de quatre employés, dont deux membres de la rédaction : Hamid Mahiout et Zineddine Aliou Salah. Après la guerre civile, le journal sera toujours une épine dans le pied du pouvoir car l’islamisme n’est pas le seul adversaire du quotidien, il y a aussi la corruption. En août 2003, il est suspendu avec cinq autres journaux.

Depuis, Liberté dénonce l’immutabilité des dirigeants algériens tout comme le mur dans lequel ils conduisent l’Algérie depuis trop d’années. Le 6 avril, la procédure de dépôt de bilan a débuté. Une pétition a été mise en ligne sur le site du journal.

« Nous, intellectuels, universitaires, chercheurs et artistes algériens, profondément attachés au pluralisme médiatique, ne pouvons rester insensibles au risque de la disparition d’un titre qui porte la voix plurielle de l’Algérie. C’est parce qu’un journal est un espace d’échange et de transmission des idées, des valeurs et d’expression citoyenne nécessaire à la vitalité démocratique d’un pays, qu’il faut le préserver, le défendre et le faire vivre. »

« Il faut se battre ! »

Des écrivains – parmi lesquels Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Kamel Daoud –, des sociologues, des acteurs, des comédiens comme Fellag, des universitaires, d’anciens ambassadeurs, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, des journalistes, des artistes, des économistes, des scientifiques : tout ce que le pays compte d’intellectuels dénonce ce scandale qui renforce un peu plus encore le repli de l’Algérie sur elle-même.

Plus de voix dissidentes, plus d’autre option politique, plus d’espoir démocratique pour 44 millions d’Algériens : pour que Liberté résiste, pour que Liberté demeure, il faut se battre ! On ne noircit pas un pays avec du pétrole, on le noircit avec de l’encre pour l’embellir et le faire vivre.

Avec Jeune Afrique par Sébastien Boussois

Victor Bissengue déplore l’absence « d’intellectuels » en Centrafrique

juillet 10, 2021

Deux ans après avoir publié avec Prosper Indo « La RCA à la croisée des chemins et l’héritage de Barthélémy Boganda », toujours chez L’Harmattan, l’écrivain-chercheur en Anthropologie, sciences de l’Education et de la Communication, Victor Bissengue, analyse pour le coup « Les maux de la République centrafricaine ». Somme d’analyses et d’échanges de ces vingt dernières années.

Couverture Les maux de la République centrafricaine de Victor Bissengue

Photo : Couverture Les maux de la République centrafricaine de Victor Bissengue

C’est un constat alarmant, voire un cri de désespoir, que fait Victor Bissengue. Dans son dernier livre, Les maux de la République centrafricaine, il insiste entre autres sur la démission de l’élite ou l’absence d’une élite « intellectualisée ». Non pas que les diplômés, en Centrafrique, n’existent pas ! Au contraire, ils sont légion! Mais le diplôme ne fait pas un intellectuel de celui qui se saisit d’une réalité et qui, par son intelligence, en explique les tenants et les aboutissants. Or, écrit Victor Bissengue, quand une société est dépourvue de femmes et d’hommes capables de se muer en phares, de décrypter le chaos, de démêler le vrai du faux et, surtout, de générer le lien social, on aboutit à ce que l’auteur appelle en sango le « kôbetîyângâ » – l’opposé de « l’exigence logique, la modestie d’opinion, l’esprit ferme, le refus de tous les fanatismes », etc.

Le concept de kôbetîyângâ « renvoie à l’instabilité de l’élite, instabilité due au manque de convictions et de projets de société clairs ». Présidents, Premiers ministres, députés, vont se succéder dans différentes institutions, mais rien n’y fera tant que l’on ne sera pas en mesure d’expliquer ce qui maintient la République centrafricaine dans les ténèbres.

Faute de lumières de l’élite, les maux qui minent le pays restent inexpliqués, les rendant normaux. La RCA, pense l’écrivain-chercheur, est à l’image de cet « enfant qui, empêché de grandir, pris en tenailles dans des contradictions, n’arrive pas à briser l’ancre qui le tient rivé ». Dans ces conditions, « la République centrafricaine occupe aujourd’hui l’avant-dernière place au classement mondial de l’indice de développement humain ».

Bien connu de la communauté universitaire africaine de France, en général, et d’Afrique centrale, en particulier, Victor Bissengue est l’auteur de plusieurs articles parus dans des revues scientifiques et des médias classiques. Longtemps, il s’est intéressé à la cause des pygmées Aka auxquels il a consacré deux livres, Le legs des Pygmées et Contribution à l’histoire ancienne des pygmées : l’exemple des Aka, tous parus aux éditions L’Harmattan.

Les maux de la République centrafricaine, L’Harmattan, Broché – format : 13,5 x 21,5 cm • 120 pages, 13,50 euros

Avec Adiac-Congo par Marie Alfred Ngoma

RDC: derrière les marches interdites, des intellectuels qui vivent cachés

janvier 20, 2018

Des catholiques tiennent des affiches contre le président Kabila, lors d’un rassemblement le 12 janvier 2018 à Kinshasa, en hommage aux victimes de la marche du 31 décembre 2017 en RDC / © AFP/Archives / JOHN WESSELS

Derrière l’appel à des « marches pacifiques » dimanche contre le maintien du président Joseph Kabila au pouvoir en République démocratique du Congo se trouve un collectif de huit intellectuels proches de l’Eglise catholique déterminés à « aller jusqu’au bout » et qui affirment vivre dans la clandestinité depuis fin décembre.

Ce « comité laïc de coordination » appelle de nouveau les Congolais à marcher après la messe « avec nos rameaux de paix, nos bibles, nos chapelets, nos crucifix, pour sauver le Congo », malgré l’interdiction décrétée par le vice-gouverneur de Kinshasa.

Les initiateurs de la contestation affirment avoir quitté leur domicile et se cacher dans la capitale depuis le 28 décembre, trois jours avant leur première marche.

La dispersion de cette manifestation du 31 décembre dernier, elle aussi interdite, a fait six morts à Kinshasa selon les Nations unies et la nonciature apostolique, aucun en lien avec les événements, d’après les autorités.

« Ils sont rentrés dans les églises, ils ont profané des églises, c’était inimaginable », s’indigne la porte-parole du groupe, Leonnie Kandolo, qui affirme qu’un corps parmi les six victimes n’a pas été rendu à la famille.

Cette femme élégante d’une cinquantaine d’années, qui se présente comme une chef d’entreprise diplômée en gestion de Bruxelles et engagée dans la lutte contre le sida, affirme être sous le coup d’un mandat d’arrêt avec ses camarades.

– ‘Braver la peur’ –

Des mandats d’amener ont été émis contre cinq membres du comité, a affirmé à l’AFP un magistrat du parquet après l’entretien avec la porte-parole et deux autres membres du groupe quelque part dans la capitale.

« On a peur. Je suis comme tout le monde, j’ai peur. Je suis terrorisée pour mes enfants, qui sont seuls depuis le 28 décembre », avoue Mme Kandolo, rencontrée par l’AFP quelque part à Kinshasa.

« Il faut braver la peur », ajoute la porte-parole qui se présente comme une « femme de caractère ».

Les membres du collectif s’organisent.

« Le premier noyau comprend huit personnes. Les autres, on ne les montre pas. Comme il y a des mandats d’arrêt contre nous, si nous on tombe, il faut que les autres puissent prendre le relais sans être arrêtés », dit-elle.

Le « comité laïc de coordination » a surgi dans la crise politique congolaise le 2 décembre pour relayer un appel de l’épiscopat du 23 juin 2017 intitulé « le pays va très mal, debout Congolais! ».

Leurs revendications: libération des prisonniers politiques, retour des opposants en exil et, surtout, inviter le président Kabila à déclarer qu’il ne briguera pas un troisième mandat conformément à la Constitution de 2006.

Bref, pour la plupart des mesures de « décrispation politique » prévues dans l’accord majorité-opposition de la Saint-Sylvestre 2016 parrainé par l’épiscopat, qui prévoyait des élections fin 2017.

La commission électorale a annoncé le 5 novembre 2017, qu’elle renvoyait les élections au 23 décembre 2018. Le deuxième et dernier mandat du président Kabila a pris fin le 20 décembre 2016 d’après l’actuelle Constitution.

– ‘Mobutu, Kabila, même chose’ –

« Certains de nous se sont mis en contact avec le cardinal (Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa, ndlr). On a obtenu une reconnaissance par un acte canonique », poursuit la porte-parole du collectif.

Discret avant la marche du 31 décembre, le cardinal Monsengwo, proche du pape François, a dénoncé par la suite la « barbarie » de la répression et souhaité que « les médiocres dégagent », s’attirant ouvertement les foudres des pro-Kabila.

Les revendications sociales aussi affleurent dans le discours des protestataires.

« Les gens vivent dans des conditions inhumaines, inacceptable », dit la porte-parole qui dénonce le manque d’eau, d’électricité, les enfants privés d’école, les Congolais qui « mangent une fois par jour ou une fois tous les deux jours ».

D’après leur CV, les huit sont principalement professeurs d’université, tous militants chevronnés, pour certains des anciens de la lutte contre la dictature du maréchal Mobutu Sese Seko (1965-1997).

C’est le cas du dramaturge et professeur de littérature anglo-américaine Thierry Nlandu, déjà en activité à l’époque de la marche catholique de février 1992 dont la répression avait fait plusieurs dizaines de morts.

« Affronter la dictature de Mobutu comme affronter la dictature de Kabila, c’est pratiquement la même chose. Ce sont deux régimes qui se manifestent par des violences atroces envers la population et qui ont appauvri le pays. La seule différence avec le régime Kabila, c’est qu’on a réussi à créer une illusion de démocratie », estime-t-il.

Romandie.com avec(©AFP / 20 janvier 2018 12h35)                

Pour la liberté de pensée au Burundi

avril 14, 2016

Policiers lourdement armés patrouillant dans les rues de 
Bujumbura le 12 avril 2016.

Policiers lourdement armés patrouillant dans les rues de Bujumbura le 12 avril 2016. Crédits : STRINGER / AFP
Un pays où les radios indépendantes ont été détruites, où des dizaines de journalistes ont été contraints à l’exil, où des centaines de citoyens de tous les horizons ont été arrêtés, ont été tués ou se cachent. Un pays où les gens se taisent de peur de devenir la cible de violences à cause de ce qu’ils sont ou de ce qu’ils pensent. Voilà ce qu’est devenu, en l’espace de quelques mois, le Burundi, ce petit pays d’Afrique centrale pourtant présenté depuis plus de dix ans comme un modèle de consolidation de la paix et de la liberté d’opinion et d’expression.

La peur a réduit à néant l’espace de débat et d’analyse

Nous, chercheurs et enseignants engagés au Burundi depuis plusieurs années, voulons marquer notre solidarité avec nos collègues burundais. Depuis le début de la crise, l’université burundaise, qui pourrait être un rempart face à la résurgence de la violence et des manipulations idéologiques, se tait. Les enseignements se tiennent toujours, mais la peur a réduit à néant l’espace de débat et d’analyse. Ceux qui marquent ouvertement leur désaccord, tant avec le système qu’avec l’opposition, et leurs méthodes, sont intimidés et parfois disparaissent. Certains collègues qui ont fui le pays craignent que la moindre déclaration critique ne mette en danger leurs proches restés au Burundi. Une chape de plomb s’est abattue sur le pays. Nous condamnons une pensée unique qui s’installe, refusant le débat et la contradiction, et qui manifeste ce refus avec la plus grande violence. Le Burundi a plus que jamais besoin de citoyens critiques et de décideurs capables de s’appuyer sur une analyse nuancée de la situation.

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Depuis avril 2015, le Burundi est secoué par une crise politique qui a débuté lorsque le président Pierre Nkurunziza, élu en 2005 et 2010, a décidé de se présenter pour un troisième mandat dont la légalité est contestée par l’opposition politique et la société civile. Le mouvement de contestation, pacifique d’abord, a été violemment réprimé et une opposition armée s’est constituée, perpétuant à son tour des agressions envers les forces de l’ordre. Un coup d’Etat manqué a permis au pouvoir en place de justifier la destruction du premier vecteur d’information, les radios indépendantes, de bloquer le fonctionnement des principales organisations de la société civile, de traquer les opposants politiques, et d’émettre des mandats d’arrêt contre les personnalités politiques, journalistes, et militants des droits de l’homme critiquant le pouvoir en place et qui ont trouvé refuge à l’extérieur du pays.

Plus de 400 personnes tuées depuis un an

C’est dans ce contexte que le pouvoir en place a organisé des élections qui ont confirmé, en juillet 2015, le troisième mandat du président Nkurunziza. Les élections n’ont pas calmé le jeu. Loin de là. Plus de 400 personnes ont été tuées depuis un an, des milliers sont emprisonnées dans des conditions dramatiques, et près de 250 000 ont trouvé refuge dans les pays voisins. Le 11 décembre 2015, suite à l’attaque par des groupes armés de trois camps militaires, une répression féroce s’est abattue sur les quartiers de Bujumbura considérés comme les foyers de la contestation. Au moins 87 personnes y ont laissé la vie, selon le bilan officiel. En janvier, Amnesty International attestait de l’existence de fosses communes dans le pays.

Lire aussi : Au Burundi, le gouvernement voit désormais les manifestants comme « des ennemis du pays »

Dans ce contexte, comment l’université pourrait-elle encore assurer sa triple mission d’enseignement, de recherche et de service à la communauté ? Cette jeunesse que l’on abat, nous l’avons côtoyée dans les divers projets dans lesquels nous sommes impliqués, sur les bancs des universités ou en dehors ; des projets aujourd’hui suspendus, entravés ou menacés. C’est elle qui portait l’espoir de l’émergence d’un Burundi pacifié et démocratique, ayant apaisé les vieux démons de l’ethnicité et des divisions du passé.

En dépit de prises de position explicites des partenaires internationaux, de l’Union africaine et des Nations unies, et malgré de multiples tentatives de médiation, la situation s’est enlisée. Personne n’en bénéficie. De nombreuses recherches ont pourtant souligné les conséquences dramatiques, à court, moyen, et long termes d’une résurgence de la violence au Burundi. Elles ont souligné que l’impact d’une crise continue à affecter le développement et le bien-être de générations entières, bien après un hypothétique silence des armes.

Lire aussi : Une centaine de morts au Burundi dans des affrontements

Nous dénonçons l’usage de la violence. Nous sommes choqués par l’impunité dans laquelle se déroulent des violations flagrantes des droits de l’homme, incluant des exécutions sommaires, arrestations arbitraires, enrôlements forcés, incarcérations et tortures, visant parfois nos étudiants. Nous sommes particulièrement sensibles aux manipulations qui entravent la liberté d’expression, paralysent la liberté de pensée et réduisent nos collègues burundais à l’autocensure. La propagande et la rhétorique belliqueuse entretenues par certaines des parties ne peuvent occuper tout l’espace discursif. Les mots sont nos principaux outils de travail, ils peuvent sembler dérisoires dans un contexte où les armes dominent, mais ce sont des mots et non des armes que viendront des solutions.

Nous souhaitons manifester à nos collègues burundais notre soutien et leur faire part de nos interrogations profondes : nos partenariats peuvent-ils (doivent-ils) reprendre dans un tel contexte ? Quelle forme leur donner ? Comment pouvons-nous relayer une parole à la fois libre et nuancée qui est plus que jamais nécessaire au retour de la paix, de la sécurité et de la confiance ? Nous savons combien la voix des universitaires burundais est précieuse pour éclairer le contexte actuel et faire entendre une pensée critique et constructive, qui puisse non pas détruire, mais éclairer au bénéfice de tous et identifier des pistes de solution. Nous exhortons le gouvernement burundais à garantir, sur le territoire national, un espace de débat et de réflexion. Nous rappelons à la communauté est-africaine, à l’Union africaine et aux Nations unies que la liberté de pensée et d’expression constitue une valeur fondamentale inscrite dans leurs documents constitutifs. Il est temps de se mobiliser pour la défendre.

Signataires : Daniel de Beer, université Saint-Louis-Bruxelles ; Marie-Soleil Frère, FNRS / ULB ; Tomas Van Acker, CRG, université de Gand ; Philip Verwimp, ULB ; Jean-Benoît Falisse, université d’Oxford / université d’Edinburgh ; Astrid Jamar, université d’Edinburgh ; Gérard Birantamije, université du Lac Tanganyika ; Justine Hirschy, université de Lausanne ; Marta Mosca, université de Turin ; Nina Wilén, FNRS/ULB ; Filip Reyntjens, université d’Anvers ; Rene Lemarchand, université de Floride ; Aloys Batungwanayo, Hope Africa University ; Sidney Leclercq, ULB / UCL.

Lemonde.fr/afrique

CONGO BRAZZAVILLE : L’ẺNIGME DU MAL.

février 27, 2016

sassouToujours en silence, les citoyens qui baissent les yeux, les visages crispés, par commodité peut-être ?

Sassou N’Guesso, radieux, se représente et sera indubitablement l’homme de l’année 2016.

Au PCT, on a lavé le linge sale en famille et rebelotte, les jeux sont faits. Le silence de François Hollande peut porter à confusion. Est-ce un encouragement, celui d’appuyer la candidature de l’ogre du Congo ?

Le monstre congolais, dans sa longue pratique de crimes de masse, de camps d’anéantissement, n’a jamais exclu aucune hypothèse, fût-elle la plus sombre. La crise systémique de l’Etat providence, les mœurs, l’immoralité, les isolés qui piaffent et qui pleurent, voilà un pays éclaté, impur, traumatisé, plein de silence et de confusion.

Le mystère a commencé avec la manière choisie par Sassou pour se révéler aux autres : sa violence, les fureurs qui l’habitent, les faux procès qu’il porte et surtout la peur qu’il suscite.

Qui souhaite investir dans un système proche de la banqueroute ?

La mainmise des ultras, les serviteurs dévots, les amies du trottoir, l’écumante racaille, se préparent à diriger de nouveau le pays.

Même les intellectuels prémonitoires ont congédié l’histoire et peinent à soutenir la crapule. Les entreprises d’Etat sont vulnérables. Le temps, la durée, l’adhésion au profit de l’idole : Sassou est une idole comme Barrabas ou Berlusconi, on ne part pas de l’idée, on part du réel. Le déraisonnable est devenu raison.

Le bonheur est une question d’imagination. Les regrets, les remords, les maladies, la décadence, les disparitions, tout ça c’est du passé. L’obscurité révèle un autre monde. L’extravagant Sassou survivra à tout. Rien ne l’arrêtera. Tout le rejet massif de l’Union Européenne, des démocrates de tout bord, du Front National aux écologistes français qui condamnent ses hérésies, les cris d’orfraie pousseront-ils le locataire de l’Elysée à prendre ses distances avec le bougre de Brazzaville ?

La tribu des dominos, les Bolloré, les Bouygues, les Pigasse, Total et les coquins se remplissent, se gavent, se goinfrent. C’est une rhétorique qui désoriente les âmes sensibles et les humanistes.

Les Congolais ne sont pas des jouets faits de papier mâché et de silicone, ce sont des êtres humains de chair et de sang qui espèrent la justice et l’égalité dans leur pays.

En course pour la présidentielle, les nouveaux candidats prêtent à tous les fantasmes. Et d’où sortent-ils ? De quelle région sont-ils ? Peuvent-ils nous assurer notre pain quotidien, nous garantir la vie sauve ? Nous ne voulons plus crever dans la rue comme de chiens.

La crapule comme toujours ressort une arme émoussée, le pétrole qui lui appartient garantira la paix, il a aussi ses colonnes infernales. Les banquiers au profit des trusts lui fileront de la monnaie, fut-elle mauvaise.

Le salopard a créé un élan, un fond commun. Juré, promis, croix de bois, croix de fer, il nous fera revivre l’enfer s’il n’est pas réélu. Il le répète suffisamment : gare au méchant loup !

Dans cet Etat schizophrène, tous les citoyens paient le « Pitso », l’impôt mafieux, le bakchich coule à flot dans les cercles du pouvoir. Les industriels gangsters mi escrocs-mi affabulateurs, font de l’évasion fiscale leur sport favori. La chute du prix du pétrole, la hausse des taux d’emprunt par l’Etat compliquent encore la situation. La compétitivité-coût plonge.

Sur fond de corruption, tous les barons bouffent. La voix du peuple peine à se faire entendre. Mais qui saura contourner tous ces obstacles ? On imagine mal un nouveau venu, un enfant du bon Dieu prendre de la légitimité afin de gérer consciencieusement le Congo. Sassou et sa folie ont franchi le mur du son. Il a bousillé un pays prospère.

Quarante ans de tâtonnement, à ce stade on ne peut parler ni d’erreur, ni de défoulement passager. Cet hurluberlu est un cancre. Pour corriger toutes les frustrations des citoyens, il faut l’évincer mais comment ?

Dans ce parfum d’apocalypse, le peuple paiera encore le prix fort et subira une nouvelle guerre civile. Les outsiders de dernière minute s’agglutinent autour de Papa bonheur, l’intrépide guignol néfaste, pour s’assurer sa protection : le besoin d’idole.

Il n’y a aucun indicateur positif susceptible de nous présenter « l’homme nouveau », les dés sont pipés, tout est joué d’avance. Trop de haine, tous ces intolérants vont pratiquer les mêmes rites monotones et barbares, la même politique totalitaire.

Nous avons besoin de la jeunesse, ce que les Italiens nomment « la Stamina », la sève, le feu qui peuvent créer le petit bonheur ordinaire. Sassou retient captifs ses sujets dans cet espace étouffant mais jusqu’à quand ? C’est un Congo qui avance à cloche pied vers l’ampleur de l’ignominie. Dans la rue, les différents citoyens observés portent leur misère comme un vêtement rapiécé. Le système est vicié dès le départ, c’est une politique d’abysse en état permanent d’ébullition avec des renégats dans toute l’imposture de leurs mensonges et des tensions constantes.

Toute cette vision solaire du mal, dans ce pays qui vit en toute barbarie légale depuis trop longtemps.

La puissance hallucinatoire du quotidien est incarnée dans l’abjection. Les fossoyeurs sont partout, ils sèment les sortilèges des vents mauvais. La pauvreté ne cesse d’augmenter, la récession est annoncée.

Les intellectuels sont des marionnettes du carnaval de rue avec tous les accessoires. Des personnages de mardi gras au large chapeau de paille, avec une queue de renard roux autour de la taille et des grelots attachés à leurs pieds.

Dans les yeux des intellectuels, la gêne, l’inconfort se lisent. Parfois, ils disent oui ! Parfois ils disent non !

Ils sont obéissants, ces adulateurs, par conformisme, au-delà de leur être, c’est une attitude d’esprit.

L’absence de choix, au nom du pouvoir de l’individu, dualité absolue, mènera ce peuple à son triste destin.

Par Dina Mahoungou

Ecrivain et journaliste médias

Dernier roman paru : « Ô pays, couleur de cendre » aux éditions Edilivre.

 

Diffusé le 27 février 2016, par www.congo-liberty.com