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RDC : macabres confessions au procès Chebeya

octobre 14, 2021
Floribert Chebeya et Fidèle Bazane ont été assassinés dans la soirée du 1er juin 2010 © JUNIOR D. KANNAH/AFP

Pour la première fois depuis la reprise du procès des assassins présumés de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, Jacques Mugabo, l’un des membres du commando, a avoué avoir joué un rôle dans leur meurtre. Il a livré le détail de cette sinistre soirée du 1er juin 2010.

Le troisième jour d’audience aura été celui des aveux pour Jacques Mugabo. L’ancien policier, membre du redouté bataillon Simba, comparaît depuis le 22 septembre devant la haute cour militaire siégeant à la prison de Ndolo. Il est jugé aux côtés du major Christian Ngoy Kenga Kenga pour son rôle dans l’assassinat de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana.

Ces derniers mois, de nombreux éléments ont permis de reconstituer le fil de la soirée du 1er juin 2010, au cours de laquelle un commando de sept personnes a tué les deux défenseurs des droits humains dans les locaux de la police congolaise. Mais c’était la première fois, ce mercredi 13 octobre, que l’un d’entre eux livrait un récit aussi détaillé devant une cour de justice et reconnaissait sa participation directe au crime.

« Il ne pouvait pas se défendre »

Venu à la barre dans l’uniforme bleu marine des officiers de la police congolaise, Mugabo raconte que lorsque que Floribert Chebeya s’est présenté au siège de l’Inspection générale de la police (IGP), il a d’abord été reçu au bureau du protocole par le major Paul Mwilambwe. « La personne qui avait appelé Chebeya, c’est le colonel Daniel Mukalayi [principal condamné du procès en première instance]. Ils se connaissaient, poursuit-il. Lorsque nous sommes arrivés à l’IGP un peu plus tard, nous avons trouvé dans le bureau à l’étage Daniel Mukalayi, Paul Mwilambwe et Christian Ngoy Kenga Kenga. Ils nous ont remis Chebeya. »

« Nous, on ne connaissait pas Chebeya, on nous a demandé de l’arrêter, reprend l’ancien policier. Lui s’interrogeait, mais personne n’arrivait à lui dire le moindre mot. » L’emblématique président de l’ONG La Voix des sans voix et son chauffeur, qui attendait dans le véhicule, sont alors sauvagement assassinés. « Il nous a été d’abord demandé de tuer Bazana, précise à la barre Mugabo. Il a été étouffé dans un sachet en plastique. On l’a cagoulé avec et on l’a scotché. Nous étions nombreux et Bazana était seul, il ne pouvait pas se défendre. » Pour Floribert Chebeya, « on a fait le même exercice, vers 23 heures ».

PRÉSERVATIFS, MÈCHES DE CHEVEUX, FAUX ONGLES… LA SCÈNE DE CRIME EST GROSSIÈREMENT MAQUILLÉE

Un meurtre à 50 dollars

À partir de là, les membres du commando se séparent. « Daniel Mukalay est rentré chez lui, affirme l’ancien policier. Mwilambwe, lui, résidait avec Christian Ngoy Kenga Kenga. » Les six hommes et leur chef quittent les locaux de l’IGP à bord de trois véhicules, deux Defenders et un Land Cruiser. « Les corps étaient chacun dans un Defender, précise-t-il. On a emprunté la route de Bandal, puis celle de Ma Campagne pour atteindre Mitendi. »

Le corps de Chebeya est abandonné dans le véhicule avec lequel il était arrivé à l’IGP, une Mazda grise. Les premiers policiers chargés de l’affaire y découvriront une scène de crime grossièrement maquillée. Des préservatifs, des mèches de cheveux et des faux ongles sont retrouvés à côté du corps de Chebeya, dont le pantalon est descendu au niveau des genoux. « Tous les objets que nous avons utilisés pour les tuer avaient été achetés par Daniel Mukalay », assure Jacques Mugabo.

Le corps de Bazana, qui n’a jamais été retrouvé, est déplacé un peu plus loin. « Nous l’avons enterré dans la ferme privée du général Djadjidja”, explique le prévenu, confirmant les propos tenus ces derniers mois par d’autres membres du commando aujourd’hui en exil. La soirée meurtrière s’achève à la résidence du colonel Mukalay, où les complices se retrouvent après leur passage à Mitendi. « Nous sommes allés chez lui pour fêter cela et chacun a été récompensé de 50 dollars américains », conclut le policier.

LES AVEUX DE JACQUES MUGABO POUSSERONT-ILS LE MAJOR KENGA KENGA À LIVRER SA VERSION DU MEURTRE ?

Djadjidja appelé à comparaître

Le détail de ce récit a surpris les parties civiles. Il tranche avec le silence du major Kenga Kenga, l’autre accusé de ce procès en appel, qui n’est même pas sorti de sa cellule pour cette troisième audience. Depuis le premier jour, ce très proche collaborateur de John Numbi, commandant du bataillon Simba, qui faisait office de police privée de ce dernier, refuse de s’exprimer. Les aveux de Jacques Mugabo le pousseront-ils à livrer sa version du meurtre de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana? « Tout se faisait sur ordre de Christian Ngoy Kenga Kenga, de qui je répondais au sein du bataillon Simba, sous l’autorité de John Numbi et Daniel Mukalay », a martelé celui-ci lors de l’audience.

Et qu’adviendra-t-il des deux autres protagonistes cités dans la longue confession de Mugabo, le général Zelwa Katanga, dit Djadjidja, et John Numbi ? Le premier, dont la parcelle de Mitendi abriterait le corps de Fidèle Bazana, a été placé en résidence surveillée au mois de février. Il est cité à comparaître lors de la prochaine audience, prévue le 20 octobre.

Le second, dont l’ombre plane sur l’affaire depuis le premier jour, est toujours en cavale. Recherché depuis le 14 avril par la justice militaire congolaise, John Numbi reste pour le moment introuvable. Plusieurs sources sécuritaires l’ont un temps situé au Zimbabwe, mais sa localisation exacte demeure incertaine. Lors du premier procès, en 2011, ce puissant général, très proche des Kabila, était intervenu comme simple témoin.

Avec Jeune Afrique par Romain Gras

RDC : l’affaire Chebeya-Bazana de retour devant la justice

septembre 22, 2021
Floribert Chebeya

Le procès en appel de deux membres du commando qui a tué le défenseur des droits de l’homme et son chauffeur s’est ouvert ce mercredi 22 septembre. 

Pendant six ans, les parties civiles ont attendu que le dossier rebondisse. Ce mercredi 22 septembre, un nouveau procès en appel s’est ouvert à Kinshasa dans l’affaire de l’assassinat du célèbre défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son collègue Fidèle Bazana, le 1er juin 2010. L’audience publique, qui s’est déroulée à la prison militaire de Ndolo, avait été convoquée par la Haute cour militaire la veille, en réponse à l’appel interjeté par deux protagonistes de l’affaire : le major Christian Ngoy Kenga Kenga et le sous-commissaire adjoint Jacques Mugabo.

Lors du procès en premier instance, en juin 2011, ces deux policiers avaient été condamnés à mort par contumace, tout comme le major Paul Mwilambwe, toujours en fuite, et le colonel Daniel Mukalay, principal haut gradé alors présent sur le banc des accusés. À l’issue de la procédure en appel, en 2015, ce dernier a vu sa sentence commuée en une peine de quinze ans de prison.

Très critiquées, notamment par les familles des deux victimes, ces deux procédures s’étaient déroulées en l’absence de nombreux suspects, pour la plupart en cavale à cette époque. John Numbi, le patron de la police congolaise, avec lequel Chebeya avait rendez-vous le soir du meurtre, n’avait comparu qu’en première instance et sous le statut de simple témoin. Depuis plus de dix ans, il est considéré par les parties civiles comme le principal commanditaire de l’assassinat.

Renvoyé au 6 octobre

Le procès qui s’est ouvert ce mercredi est donc la poursuite, pour Christian Ngoy Kenga Kenga et Jacques Mugabo, de la procédure entamée en 2011. Selon l’un des avocats des parties civiles, maître Richard Bondo, présent à l’audience, Christian Ngoy Kenga Kenga a refusé de venir à la barre et de faire des déclarations devant la cour, car il n’était pas assisté d’un avocat. « Il a aussi demandé que son rôle au service de l’État depuis qu’il a rejoint l’armée soit reconnu », poursuit l’avocat des familles Chebeya et Bazana. Jacques Mugabo attend lui aussi d’avoir un avocat. L’affaire a donc été renvoyée au 6 octobre.

Paul Mwilambwe, l’autre condamné à mort par contumace dans le procès en première instance, vit pour toujours en exil. Premier à avoir brisé le silence autour de cette affaire, en 2012, il réside actuellement en Belgique, après être passé par le Sénégal. « Nous allons faire une requête à la cour pour demander son extradition », assure à Jeune Afrique maître Richard Bondo. Contacté par le magazine, Mwilambwe dit n’attendre « que son acquittement ». Et d’expliquer : « J’ai été sollicité, par le biais de la Monusco au début de l’année pour rentrer au pays et témoigner, mais je considère que ma sécurité sur place n’est pas garantie. »

Onze ans après le meurtre de l’emblématique patron de l’ONG la Voix des sans voix et de son collègue et chauffeur, cette nouvelle procédure judiciaire va-t-elle permettre d’en savoir plus sur le déroulement de cette macabre soirée du 1er juin 2010 ?

Nouveaux témoins

Si l’affaire rebondit à nouveau six ans après, c’est avant tout grâce aux nombreuses avancées survenues au cours de ces derniers mois. En juillet 2020, le général quatre étoiles John Numbi – inspecteur général des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) visé depuis 2016 par des sanctions internationales – est écarté de son poste et laissé sans nouvelle affectation.

Rentré dans sa ferme de Lubumbashi, il assiste quelques semaines plus tard à l’arrestation du major Christian Ngoy Kenga Kenga, interpellé dans la capitale du Haut-Katanga sur la base d’un mandat de la justice militaire. Proche collaborateur de Numbi depuis plusieurs années, il est soupçonné d’être le chef du commando qui a tué Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.

En février dernier, c’est un autre membre présumé de ce commando, le policier Jacques Mugabo, qui a été arrêté, tout comme le brigadier-chef Doudou Ilunga, interpellé le 24 août. Les trois hommes ont en commun d’avoir été interpellés à Lubumbashi, où plusieurs membres du commando auraient été exfiltrés après le meurtre. Ils appartiennent  surtout au redoutable bataillon Simba, sorte de police dans la police aux ordres de Numbi, dont Christian Ngoy Kenga Kenga était le commandant.

Outre ces arrestations, l’attention autour de ce dossier a surtout été relancée par les témoignages de trois policiers en exil, Hergil Ilunga, Alain Kayeye Longwa d’abord, puis Erick Kibumbe Banza, dit Saddam. Ils ont, pour la première fois, reconnu leur participation au double assassinat.

L’ombre de John Numbi

Reste qu’en dépit des avancées, des nouveaux témoignages et de cette nouvelle procédure, il est difficile pour les parties civiles de ne pas penser au principal absent de cette audience, celui qu’elles considèrent comme le commanditaire majeur du crime : le général John Numbi. Proche de Kabila, qu’il connaît depuis son passage dans l’AFDL, le puissant général est présenté depuis le début de l’affaire comme le cerveau de l’opération. Il a été directement mis en cause par les policiers qui ont témoigné en exil, mais il n’avait jusque-là pas été directement poursuivi dans ce dossier.

Retranché pendant des mois dans sa ferme de la périphérie lushoise, où il fait depuis plusieurs années des affaires dans différents domaines, John Numbi a finalement quitté la RDC fin mars. Des sources sécuritaires congolaises assurent qu’il est passé par le Zimbabwe mais il demeure introuvable, alors qu’il est officiellement poursuivi par la justice militaire pour « association de malfaiteurs » et « assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana » depuis le 14 avril 2021. Les enquêtes le concernant ont été bouclées par l’auditorat militaire et l’affaire renvoyée au niveau de la Haute cour militaire.

« Nous attendons désormais d’être notifiés mais encore faudrait-il que des démarches soient entreprises pour savoir où il se trouve », s’inquiète maître Bondo. « La réouverture du procès nous redonne un peu d’espoir mais nous attendons surtout que tous les membres du commando comparaissent enfin. Nous avons déjà connu beaucoup de déceptions dans cette affaire. Cette fois nous voulons voir Numbi et les autres à la barre », a commenté Annie Chebeya, la veuve de Floribert Chebeya, depuis le Canada, où elle réside.

Avec Jeune Afrique par Romain Gras