Posts Tagged ‘Jazra’

Syrie/Rouge à lèvres, danse et mixité: premier mariage à Raqa post-EI

octobre 28, 2017

Ahmad (C-D) et son épouse Heba (C-G) durant leur mariage à Raqa, le 27 octobre 2017 / © AFP / Delil souleiman

Dans la cour d’une maison à Raqa, hommes et femmes maquillées dansent en se trémoussant sur une musique folklorique pour célébrer le mariage d’Ahmad et de Heba: une scène inimaginable dans la ville syrienne sous l’emprise jihadiste il y a encore quelques mois.

D’après les habitants de Jazra, quartier périphérique de l’ouest de Raqa, il s’agit du premier mariage célébré dans la ville ravagée depuis l’éviction du groupe ultraradical Etat islamique (EI) le 17 octobre après trois ans de contrôle.

Un meneur entraîne avec lui hommes et femmes se tenant par la main dans une dabké, une danse folklorique levantine généralement pratiquée dans les mariages et les fêtes, alors que l’EI avait interdit mixité et toute forme de danse, de musique et de chant.

Les airs de musique se mêlent au vacarme des générateurs du quartier, dont les murs ravagés et les maisons abandonnées portent encore les séquelles de plus de quatre mois de combats et de bombardements.

– ‘Le retour de la joie’ –

Jazra a été parmi les premiers quartiers libérés par une alliance arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis. La famille du marié a eu la chance de pouvoir revenir il y a un mois dans la ville, encore désertée par la majeure partie de sa population.

« Nous sommes très heureux. C’est le premier mariage après le départ des jihadistes », se félicite Othmane Ibrahim, le père d’Ahmad, en recevant les invités dans le hall.

« Avant l’EI, il y avait des dabkés, des chansons folkloriques de la région dans nos mariages mais l’EI les avait tous interdits. Il n’y avait aucune célébration », affirme ce quinquagénaire à l’AFP.

« Aujourd’hui, c’est le retour de la joie », ajoute-t-il, le visage rayonnant.

Par moments, un septuagénaire entonne des mawals, ces poèmes chantés sans musique répandus dans le monde arabe, tandis que des femmes poussent des youyous.

Pour l’occasion, les invités se sont mis sur leur trente-et-un: les femmes, restées pendant trois ans cachées derrière leur niqab noir, portent des abayas fleuries et ont mis du rouge à lèvres.

Sur leurs chaises, les mariés apparaissent un rien nerveux, Ahmad, 18 ans, très bronzé et en jellabiya (robe masculine traditionnelle) marron, Heba portant une opulente robe de mariée blanche et un voile décoré de fleurs.

Sa main ornée de henné caresse nerveusement un bouquet de fleurs artificielles, tandis que des femmes photographient le couple avec leurs portables.

Tout près, des petites filles elles aussi maquillées à outrance, avec notamment du rouge à lèvres et des paupières noircies au khôl, se déhanchent au rythme de la musique. A leur poignet, des bracelets colorés en plastique.

D’autres enfants distribuent de l’eau ou ramènent des chaises aux nouveaux arrivants.

Les parfums se mélangent et partout le sourire se lit sur les visages.

« Cela fait longtemps qu’on n’a pas fait la fête », se réjouit une cousine, Oum Ahmad, 25 ans, les cheveux lâchés sur les épaules.

– ‘La fête comme on veut’ –

Khalaf al-Mohammad, autre cousin du marié, est également aux anges.

« Cela fait des années que nous n’avons pas dansé la dabké, je prends de nouveau goût à la vie », confie cet homme de 27 ans après avoir entraîné un groupe d’hommes et de femmes dans la danse, en faisant tournoyer un chapelet en l’air.

« Tout le monde attendait ce moment. Quel sens avait un mariage quand tout était noir? », s’écrie-t-il, en référence notamment au drapeau de l’EI et aux abayas sombres des femmes.

« Aujourd’hui tout est blanc », constate-t-il avec un sourire.

La ville est encore largement inhabitable, en raison notamment des mines laissées par l’EI et des maisons dévastées. Mais ce mariage est perçu, malgré l’absence des déplacés et la disparition de proches dans la bataille, comme un signe d’espoir.

« Raqa redeviendra heureuse », lance Khaldiya, tante du marié, en jouant de la derbaké, un instrument à percussion oriental.

« Personne ne nous interdira de chanter et de danser », assure cette femme de 30 ans. « On fera la fête comme on veut. »

Romandie.com avec(©AFP / 28 octobre 2017 19h34)                

Syrie: Rosaire et perroquets à la main, une chrétienne fuit Raqa avec ses proches

août 9, 2017

Une famille chrétienne arménienne qui a fui Raqa à Jazra, en Syrie, le 8 août 2017 / © AFP / Delil souleiman

Un rosaire dans une main et une cage avec deux perroquets dans l’autre, Sawsan Karapetyan et sa famille ont fui Raqa, aidés par des combattants chrétiens engagés dans la bataille pour chasser les jihadistes de leur grand fief en Syrie.

Après avoir vécu pendant des années dans la peur, cette Arménienne de 45 ans, son mari et cinq de leurs proches, qui font partie des rares chrétiens restés dans Raqa (nord), l’ont finalement quittée mardi à pied sous le couvert de la nuit.

Ils ont emprunté une route ouverte et sécurisée par des combattants syriens chrétiens du Conseil militaire syriaque (CMS), qui les ont ensuite transportés dans l’arrière d’un camion jusqu’à la banlieue de Jazra, à l’ouest de Raqa.

« Je ne voulais pas partir, mais les bombardements étaient si forts que nous avons fui », dit cette femme toujours couverte du manteau noir imposé par les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) qui s’étaient emparés de Raqa en 2014.

Comme les milliers d’autres qui ont échappé à l’EI, ils sont partis en n’emmenant pratiquement rien.

Mais Mme Karapetyan ne pouvait se séparer de son rosaire et de ses perroquets, appelés « les inséparables ».

« J’ai tout laissé sauf eux », dit-elle, en sirotant du thé offert par les membres du CMS, une unité chrétienne engagée au côté de l’alliance arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui ont pu déloger l’EI de la moitié de Raqa.

– ‘Célébrer dans le secret’ –

Soutenue par la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, l’offensive antijihadiste des FDS a ravagé Raqa, où les civils sont pris sous le feu: tirs d’obus, franc-tireurs ou raids aériens de la coalition.

« Quand Raqa était bombardée, nous nous rassemblions pour prier Dieu que cela s’arrête », dit Mme Karapetyan, en égrainant son chapelet gris-vert. « Nous avons vécu les plus durs moments ces derniers jours en raison des bombardements intensifs. J’avais peur pour mon mari et ma famille ».

Des milliers d’Arméniens et de chrétiens syriaques vivaient à Raqa, où ils constituaient environ 1% de la population en majorité arabe sunnite.

Les Arméniens présents en Syrie sont les descendants de ceux qui ont fui les massacres en Anatolie durant la Première guerre mondiale. Ces massacres sont dénoncés comme un génocide par les Arméniens, un terme rejeté par la Turquie.

Quand l’EI s’est emparé de Raqa, la plupart des chrétiens et des kurdes ont fui la ville. Sous le joug des jihadistes, les chrétiens devaient soit se convertir à l’islam, soit payer « une taxe » pour rester chrétiens. Ou alors ils fuyaient sous les menaces de mort.

« Lorsque l’EI est entré, ses combattants ont brûlé les églises, les livres de prière, les anges, la statue de la Vierge Marie et de Jésus », se rappelle Alexey, 50 ans, une des proches qui a fui avec Mme Karapetyan.

L’église arménienne catholique des Martyrs et celle grecque catholique de Notre Dame de l’Annonciation ont été détruites par l’EI.

« Nous célébrions nos fêtes en secret à la maison », ajoute Alexey, habillée elle aussi du foulard et de la robe imposés par l’EI. « Nous faisions brûler juste un peu d’encens pour sentir que c’était une fête religieuse ».

– ‘Prier de nouveau à Raqa’ –

« Nous avons tout laissé à Raqa. C’est pénible. Nous avons essayé de rester mais nous ne pouvions plus supporter la situation », dit-elle en couvrant son visage de ses mains, l’air épuisée.

De Jazra, les sept proches entendent se rendre à Alep, plus à l’ouest, afin d’être réunis avec des membres de leurs familles avec lesquels ils ont perdu le contact depuis un mois. Une grande communauté arménienne réside à Alep.

En raison des combats acharnés, des dizaines de milliers de personnes ont fui Raqa.

Matay, un combattant chrétien de 22 ans, a affirmé à l’AFP que le CMS avait sécurisé une route pour aider les civils dans leur fuite.

Kardij Kirdian, 50 ans, a fui mardi par cette route, au lendemain de la sortie de son frère.

« Je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti quand nous avons vu les combattants chrétiens », dit M. Kirdian, habillé d’un long vêtement ample gris.

Il a finalement décidé de partir après avoir initialement choisi de rester dans sa ville natale et de payer aux jihadistes des dizaines de milliers de livres syriennes en « taxes », ou « jizia ».

L’EI « a fait exploser les églises, je n’ai pas prié dans une église depuis 2013 », se lamente cet homme à la barbe poivre et sel et aux épais sourcils noirs.

Mais il garde l’espoir. « Si nous les reconstruisons, nous prierons de nouveau à Raqa ».

Romandie.com avec(©AFP / 09 août 2017 13h37)