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Jean d’Ormesson : lettre ouverte au président de la République et aux «Attila» de l’éducation

mai 10, 2015
Jean d'Ormesson

Jean d’Ormesson

FIGAROVOX/EXTRAIT – Jean d’Ormesson écrit au président de la République au sujet de la réforme du collège. Il lui demande de ne pas laisser dépérir nos biens les plus précieux : notre langue, notre littérature, notre culture.

Monsieur le président de la République,

Plus d’une fois, vous avez souligné l’importance que vous attachiez aux problèmes de la jeunesse, de l’éducation et de la culture. Voilà que votre ministre de l’Éducation nationale se propose de faire adopter une réforme des programmes scolaires qui entraînerait, à plus ou moins brève échéance, un affaiblissement dramatique de l’enseignement du latin et du grec et, par-dessus le marché, de l’allemand.

Cette réforme, la ministre la défend avec sa grâce et son sourire habituels et avec une sûreté d’elle et une hauteur mutine dignes d’une meilleure cause. Peut-être vous souvenez-vous, Monsieur le président, de Jennifer Jones dans La Folle Ingénue? En hommage sans doute au cher et grand Lubitsch, Mme Najat Vallaud-Belkacem semble aspirer à jouer le rôle d’une Dédaigneuse Ingénue. C’est que son projet suscite déjà, et à droite et à gauche, une opposition farouche.

On peut comprendre cette levée de boucliers. Il y a encore quelques années, l’exception culturelle française était sur toutes les lèvres. Cette exception culturelle plongeait ses racines dans le latin et le grec. Non seulement notre littérature entière sort d’Homère et de Sophocle, de Virgile et d’Horace, mais la langue dont nous nous servons pour parler de la science, de la technique, de la médecine perdrait tout son sens et deviendrait opaque sans une référence constante aux racines grecques et latines. Le français occupe déjà aujourd’hui dans le monde une place plus restreinte qu’hier. Couper notre langue de ses racines grecques et latines serait la condamner de propos délibéré à une mort programmée.

Mettre en vigueur le projet de réforme de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ce serait menacer toute la partie peut-être la plus brillante de notre littérature. Montaigne et Rabelais deviendraient vite illisibles. Corneille, Racine, La Fontaine, Bossuet changeraient aussitôt de statut et seraient difficiles à comprendre. Ronsard, Du Bellay, Chateaubriand, Giroudoux ou Anouilh – sans même parler de James Joyce – tomberaient dans une trappe si nous n’apprenions plus dès l’enfance les aventures d’Ulysse aux mille ruses, si nous ignorions, par malheur, qu’Andromaque est la femme d’Hector, l’adversaire malheureux d’Achille dans la guerre de Troie, si nous nous écartions de cette Rome et de cette Grèce à qui, vous le savez bien, nous devons presque tout.

Les Anglais tiennent à Shakespeare, les Allemands tiennent à Goethe, es Espagnols à Cervantès, les Portugais à Camoens, les Italiens à Dante et les Russes à Tolstoï. Nous sommes les enfants d’Homère et de Virgile- et nous nous détournerions d’eux! Les angoisses de Cassandre ou d’Iphigénie, les malheurs de Priam, le rire en larmes d’Andromaque, les aventures de Thésée entre Phèdre et Ariane, la passion de Didon pour Énée font partie de notre héritage au même titre que le vase de Soissons, que la poule au pot d’Henri IV, que les discours de Robespierre ou de Danton, que Pasteur ou que Clemenceau.

Lefigaro.fr par Jean d’Ormesson

Alain Finkielkraut à l’Académie française

avril 11, 2014
Jean d'Ormesson a prévenu: "Si Finkielkraut n'est pas élu jeudi, je ne mettrai plus les pieds à l'Académie."

Jean d’Ormesson a prévenu: « Si Finkielkraut n’est pas élu jeudi, je ne mettrai plus les pieds à l’Académie. »

Un habit vert et un sabre pour Alain Finkielkraut. Le philosophe a été élu membre de l’Académie française ce jeudi au premier tour par 16 voix sur 28 (le collège comprend 38 membres). Huit bullelins portaient une croix, signe de désaveu. Sa candidat divisait les Immortels.

La candidature du philosophe de 64 ans, ardent polémiste, familier des plateaux de télévision, animateur de l’émission « Répliques » sur France Culture, n’a pas manqué d’agiter le petit monde feutré du Quai de Conti: personnalité « trop clivante », trop « polémique », estimaient les académiciens opposés à son élection. Certains allaient jusqu’à évoquer l’entrée à l’Académie du Front national.

« Intellectuel incontournable »

« Profil idéal », « intellectuel incontournable », rétorquent ses partisans, parmi lesquels Pierre Nora, Max Gallo ou Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’institution fondée en 1635 par Richelieu.

« Si Finkielkraut n’est pas élu jeudi, je ne mettrai plus les pieds à l’Académie », avait même prévenu Jean d’Ormesson cité par Le Figaro. Des prises de positions contraires aux statuts de la compagnie, avant une élection, mais pas inédites. Le même Jean d’Ormesson avait ainsi défendu avec ardeur la candidature de la première académicienne, Marguerite Yourcenar, en 1980.

Pourfendeur du politiquement correct

Face à l’auteur de La défaite de la pensée, Internet, l’inquiétante extase, La Querelle de l’école ou encore Et si l’amour durait, cinq autres candidats postulent au fauteuil de l’écrivain Félicien Marceau disparu en 2012: Gérard de Cortanze, Renaudot 2002 pour Assam, Alexis Antois, Yves-Denis Delaporte, Robert Spitzhacke et Athanase Vantchev de Thracy.

Critique de la modernité et pourfendeur du politiquement correct, Alain Finkielkraut a suscité de vives controverses fin 2013 avec son essai à succès sur l’identité nationale et l’immigration, L’identité malheureuse (Stock). L’un de ses contradicteurs avait été le Premier ministre Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur.

L’éloge de son prédécesseur

De tels remous n’ébranlent guère ce polémiste anticonformiste « mu par la volonté aristocratique de déplaire », selon Pascal Bruckner qui cosigna avec lui Le Nouveau Désordre amoureux, succès en 1977 de ces deux brillants philosophes de 28 ans s’attaquant au mythe de la révolution sexuelle.

« Mes buts ne sont pas politiques, dit Alain Finkielkraut. J’écris pour dévoiler ce qui m’apparaît comme une certaine vérité. Les nuances ne peuvent pas être l’alibi pour noyer le poisson. »

Ce fauteuil 21 n’en est pas à sa première polémique. L’élection en 1976 de son précédent occupant, Félicien Marceau, avait provoqué une tempête en Belgique, l’auteur de Creezy et de L’Oeuf, exilé en France, ayant été condamné par contumace à la Libération à 15 ans de prison dans son pays natal. S’il est élu, le philosophe devra faire l’éloge de son prédécesseur, un exercice délicat mais à la portée de ce brillant intellectuel.

« Il ne sait pas comment ne pas réagir »

Fils d’un déporté survivant d’Auschwitz, Alain Finkielkraut est né le 30 juin 1949 à Paris dans une famille juive d’origine polonaise. Normalien, agrégé de lettres et professeur de philosophie, notamment à l’Ecole polytechnique jusqu’à l’an dernier, il voue aux lois de la République un respect absolu et défend bec et ongles l’école républicaine « à la française ».

On retrouve chez l’écrivain et philosophe, à qui un lymphome a coûté la vision de l’oeil droit, l’influence de Hannah Arendt, Emmanuel Lévinas, Charles Péguy ou encore de son ami Milan Kundera, qui dit de lui: « Cet homme ne sait pas comment ne pas réagir. » Finkielkraut a été ainsi l’un des premiers intellectuels à prôner une intervention occidentale en ex-Yougoslavie.

L’Express.fr