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Congo/Témoignage : Fondateur de «La Semaine de l’AEF», Jean Le Gall était un visionnaire de la presse catholique d’Afrique

mars 17, 2015

Jean Le Gall en septembre 1952.

Il y a des hommes dont la mission est de se charger du destin des autres. Cela peut paraître grandiloquent, parlant d’un missionnaire spiritain comme le Père Jean Le Gall, rappelé à Dieu vendredi 13 mars dernier, et qui repose, depuis le lundi 16 mars, à Langonnet, sur cette terre du Morbihan qui le vit naître en 1919. Pourtant, il n’y a pas d’exagération à user de superlatifs, pour parler de cet homme, prêtre «de la coloniale», mais qui vint servir sur les bords du Congo, dans un registre où le catéchisme et les exercices de piéténe passaient pas, pas seulement chez lui, par le seul fait de réciter la bible, en vue de la première communion.

Le Père Le Gall était, et oui, journaliste. Un de ces hommes de médias comme seule la Congrégation du Saint-Esprit a su nous en gratifier au siècle passé. Je le vois encore, enregistreur ou reflex en bandoulière, partant en reportage. Voir? C’est en tout cas la photo de lui qui m’a marqué de toutes celles que j’ai retrouvées dans les archives de La Semaine Africaine. Car, le Père Jean Le Gall est le fondateur du journal La Semaine Africaine que vous tenez en main.

Il a changé le destin de l’Afrique centrale. Oui! Car, il ne s’est pas contenté d’obéir à un ordre de ses supérieurs, en publiant, en ce jeudi 4 septembre 1952, le premier numéro du journal «La Semaine de l’AEF», qui devint «La Semaine Africaine», «La Semaine», puis, de nouveau, «La Semaine Africaine»: un témoin de ce qui s’est passé dans cette région en bon et en pire. Un aiguilleur d’opinion, un éveilleur des consciences.

Le Père Le Gall aurait pu se contenter de faire un travail a minima. Il fit un journal. Avec conviction. «L’Afrique bouge, il faut bouger avec elle», écrivit-il alors. A une époque où le futur de cette Afrique qui s’annonçait iconoclaste se déclinait en craintes de confrontations, «accompagner l’Afrique» pouvait sembler paternaliste ou provocateur, mais pas synonyme de ce que le Père Le Gall a dit et fait. Il ne s’est pas agi, ou alors bien peu, de tenir la bride à une Afrique qui s’annonçait turbulente et dépravée, en se détournant de Dieu et de l’Eglise. Le Père Le Gall a mis sur pied un outil vrai de réflexion (dans toutes les acceptions du mot), de ce que l’Afrique pensait; de ce dont elle se détournait; de ce dont elle rêvait. Pas même peur: parmi la communauté française de l’époque, il n’est pas exclu que le nouveau journal ait été mal vu, en tout cas considéré comme un instrument de perdition venu accélérer la déliquescence d’une Afrique en déperdition, loin de la «mère patrie». La Semaine Africaine, faut-il le rappeler, naît huit ans avant les indépendances de 1960!

Les élites d’alors, toutes formées à l’école de la mission, sont aussi celles qui commencent, telle la chèvre de Monsieur Seguin, à lorgner par-dessus le muret, à contester la présence française et, donc, à interroger l’Eglise sur la validité de son message, dans une Afrique brûlant de se prendre en main.

Cet esprit, le journal va l’accompagner. Le Père Le Gall va l’incarner sans laisser paraître l’écartèlement que l’on aurait supposé chez ce qui tenait en lui du Français (et même, c’est autre chose, du Breton!), du spiritain et du journaliste. Lorsqu’il décide de recruter du personnel africain, c’est lui qui donne leur chance aux premiers journalistes de chez nous. S’affirment alors des plumes comme Arsène Samba, Sylvain Mbemba, Bernard Mackiza et Fulbert Kimina-Makumbu. Et dans l’ombre, d’autres mains africaines se saisissaient de ce que des têtes africaines ont «pondu»: souvenir ému d’André Sizamba «Makayabu» qui est, de tous nos distributeurs, celui qui est resté le plus constant dans la fidélité à Jean Le Gall et que, même sur son lit de mort, il continuait d’appeler «mon père», avec plus d’affection que de seul sens de respect à la fonction.

Le Père Le Gall nous a, d’une manière ou d’une autre, préparés à ce métier. Si je suis entré à La Semaine Africaine, alors qu’il en était parti depuis des années, c’est un fait que nos chemins avaient tout pour se croiser, dans le temps et dans l’espace. Son premier poste d’affectation fut ma paroisse de naissance, Kibouendé. Pour la rédaction de ma thèse de doctorat à l’Institut français de presse, je passai de longues journées avec lui en entretiens, aussi bien à Auteuil qu’à Chevilly-Larue, ou même au téléphone. Plus tard, nous nous retrouvâmes avec le même bonheur d’évocation du passé à Rome, lui au séminaire pontifical français et moi à Radio Vatican. Nous commentions notre journal que nous continuions de recevoir l’un et l’autre. Il avait un humour décapant, mais qu’il ne dégainait que par moments. Comme contraint.

En tout cas, au moment où le Morbihan ravale le fils qu’il donna à l’évangélisation lumineuse de l’Afrique par les médias, je ne peux m’empêcher de penser que sans le Père Le Gall, l’Afrique centrale n’aurait pas eu un merveilleux instrument d’information et d’archivage comme La Semaine Africaine.

C’est un de ses successeurs dans ce journal, le Père Paul Coulon, lui aussi spiritain, qui m’annonça la nouvelle avec un commentaire qui me rendit triste: «Qui sait encore qu’il a fondé La Semaine?». Quelle que soit la réponse, elle doit tenir de l’impératif de mémoire et du devoir de reconnaissance chez tous, dans notre pays, pas seulement chez les catholiques.

Rappeler qu’il y eut des missionnaires, ici, qui tracèrent la voie. Il y eut ceux qui fendaient les savanes à coups de machette, pour porter l’évangile. Mais, il y eut aussi un Jean Le Gall, sur d’autres sentiers tout aussi fondateurs de la naissance nouvelle de l’homme à sa dignité. A son destin d’intellectuel, de citoyen et de chrétien, au cœur de l’Afrique.

Albert S. MIANZOUKOUTA
Ancien Rédacteur-en-chef adjoint, ancien Secrétaire
de Rédaction de La Semaine Africaine.