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Haïti : les sinistrés de Jérémie vulnérables un mois après l’ouragan

novembre 6, 2016

Un garçon dans la cour d’un lycée à Jérémie dans le sud-ouest d’Haïti, qui abrite les victimes de l’ouragan Matthew, le 5 novembre 2016. © AFP/HECTOR RETAMAL

Sous un abri précaire dans un camp de fortune, vivant dans une salle de classe depuis plus d’un mois ou dans une maison partiellement détruite dans la ville de Jérémie, les sinistrés sont aux abois.

Cela fait plus d’un mois que l’ouragan Matthew a ravagé la côte sud de Haïti, laissant des dizaines de milliers de personnes totalement démunies.

Marteau en main, grondant les enfants qui jouent avec les précieux clous rouillés qu’elle a pu trouver, Fabienne Jacynthe se construit un petit abri avec des tôles usagées.

« On est sur un terrain privé et le propriétaire nous a demandé de partir mais, malgré ça, on s’installe car on n’a nulle part où aller » explique la jeune mère célibataire de 20 ans. « Le père de mon fils est mort l’an dernier, je n’ai pas d’argent pour payer quelqu’un, donc je suis bien obligée de le construire toute seule » se résigne Fabienne, gardant malgré tout le sourire.

Depuis début octobre, plus d’une centaine de sinistrés occupent ce terrain vague au bord de la route qui mène à la ville de Jérémie, l’une des plus affectées par l’ouragan.

Livrés à eux-mêmes, sans aucune assistance humanitaire ou sécurité, leur vulnérabilité est extrême.

« Si vous êtes dans ces abris de fortune, il y a de véritables problèmes de protection » reconnaît John Ging, le directeur des opérations du bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha). « Nous devons garder les personnes les plus vulnérables au centre de notre attention et nous assurer, qu’en 2016, elles soient en sécurité, qu’elles ne soient ni exploitées ni violées, ni victimes de violences » insiste t-il.

Dans ce camp informel qui prend forme jour après jour, Fabienne, qui vit seule avec son fils de 3 ans mise sur la protection de ses compagnons d’infortune.

« Ici, on se soutient les uns les autres pour assurer notre sécurité car les autorités n’ont pris aucune démarche pour nous » regrette la jeune femme. « J’ai appris à gérer cette peur car la situation est comme ça, il faut qu’on fasse avec », se résigne-t-elle.

Au coeur de la ville de près de 100.000 habitants, la situation de centaines de femmes et d’enfants est tout aussi préoccupante.

Entassés dans les salles de classe du lycée public Nord Alexis, près de 3.000 sinistrés survivent depuis plus d’un mois en trouvant à manger grâce aux aléatoires distributions dans les environs.

Le bébé de Cristella Alcine dort sur une couverture posée sur le sol en béton où il est né il y a tout juste un mois.

« L’accouchement ne s’est pas bien passé du tout: les femmes qui étaient là dans la salle m’ont aidée mais j’ai pas vu de médecin » raconte l’adolescente de 16 ans assise dans la salle envahie de mouches. « On m’a dit de donner de l’eau traitée à mon bébé mais c’est pas tous les jours que j’en trouve ».

Inquiète pour la santé du nouveau-né, la mère de Cristella est très remontée contre les autorités face à la menace d’évacuation qui se profile.

Le ministère de l’éducation veut que les cours reprennent lundi dans l’établissement qui est aussi ciblé par les autorités pour servir de centre de vote pour les élections du 20 novembre.

« On nous a fait venir ici le dimanche avant le mauvais temps. Il faut que l’Etat se débrouille parce que si c’est pour nous jeter à la rue, il aurait dû nous laisser mourir dans le cyclone », s’énerve Mirlande Alcine.

Les toilettes du lycée sont hors service depuis deux semaines et l’éclairage installé dans la cours par la police ne fonctionne plus depuis trois jours faute de carburant mais les sinistrés ne veulent quitter les lieux sans garantie de recevoir le minimum pour réparer leurs maisons détruites.

Pragmatiques, les personnes réfugiées dans l’école récupèrent l’eau qui tombent des gouttières mais, quelques rues plus bas, cet orage qui s’abat complique encore plus les vies des habitants dont les toits ont été arrachés par les rafales de vents.

La planification urbaine étant inexistante en Haïti, comme nombre de villes du pays, Jérémie enregistre régulièrement des inondations.

Un torrent d’eau chargé d’ordures a coupé la rue principale de la ville et Marie-André Henri doit une nouvelle fois évacuer la boue qui a envahi sa petite maison.

« Le cyclone a tout détruit, emporté toutes mes affaires et là, les souliers que j’avais juste achetés pour que ma petite-fille retourne à l’école sont maintenant partis dans la mer » enrage la femme de 61 ans. « Il faut que quelque chose soit fait. On ne peut plus supporter ça » soupire Marie-André.

Jeuneafrique.com avec AFP

En Haïti, la faim attise la colère des rescapés

octobre 11, 2016

A Jérémie (Haïti), lundi 10 octobre.

A Jérémie (Haïti), lundi 10 octobre. CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS
Pieds nus ou chaussés de claquettes, ils convergent comme un seul homme sur le chemin de terre qui surplombe les décombres de la petite église de Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, à Numéro-Deux, dans le sud d’Haïti. D’ordinaire très croyants, les habitants de ce faubourg rural de la ville de Jérémie – 30 000 âmes –, détruite à 80 % dans la nuit du 3 au 4 octobre par le souffle dévastateur de l’ouragan Matthew, longent la statue de la Vierge – qui, elle, a résisté – sans même la voir.

Lundi 10 octobre, ils ont abandonné de concert la tâche qui les occupe depuis une semaine : le rapiéçage de leur vie en lambeaux et le rafistolage de leur logis aux murs emportés par le vent et la pluie et au toit de tôle ondulée envolé. La nouvelle du passage imminent d’un camion porteur d’aide alimentaire en provenance de l’aéroport s’est répandue. Ils collent à son pare-chocs et rejoignent, à sa suite, l’école élémentaire dont le préau, ouvert à tous les vents, continue à leur servir de dortoir, et les pupitres de mobilier de fortune.

Les visages sont mouillés de l’humide chaleur ambiante et les corps tendus par l’exaspération d’une semaine de régime à base de fruits projetés au sol par l’ouragan, de tubercules restés enfouis dans la terre et des restes du bétail, décimé à 50 % dans la zone. Tout autour, les arbres déracinés, aux branches échevelées, ont été transformés en étendoir à linge ou en penderie de fortune, pour les vêtements que Matthew n’a pas emportés. Entre les troncs, chèvres, brebis et vaches efflanquées furètent nerveusement, affamées elles aussi.

Des gens font la queue pour recevoir de la nourriture et des vêtements, à Port-Salut, au sud-ouest de Port-au-Prince, le 9 octobre.

Des gens font la queue pour recevoir de la nourriture et des vêtements, à Port-Salut, au sud-ouest de Port-au-Prince, le 9 octobre. RODRIGO ARANGUA / AFP

Décompte controversé

Le camion se gare. En douceur, une demi-douzaine de membres des Compagnies d’intervention et de maintien de l’ordre maintient la foule à distance, tandis que des casques bleus brésiliens de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) installent un couloir fictif à l’aide de rubans adhésifs jaunes entre l’arrière du camion et l’école. Une annonce en créole passe en boucle dans un haut-parleur : « Restez calmes, ne vous disputez pas, nous sommes là pour apporter de l’aide humanitaire au peuple haïtien. » Une poignée de jeunes hommes choisis par les sinistrés défilent pour charger sur leurs épaules les sacs de riz, de pois, de sel et des bidons d’huile qu’ils rapportent à l’intérieur de l’édifice.

« On a eu tellement de souffrance », murmure Jackson, un adolescent visiblement soulagé de constater qu’il dînera le soir même à sa faim. Depuis plusieurs jours, un ballet d’hélicoptères de l’armée américaine a acheminé 16 tonnes de nourriture en provenance de Port-au-Prince – la capitale – vers l’aéroport de Jérémie. Le Programme alimentaire mondial (PAM), bras humanitaire des Nations unies, s’est mis en devoir de les répartir. L’agence, présente en Haïti et plus particulièrement dans ce département deGrand’Anse, à l’ouest de la péninsule, depuis presque dix ans, connaît bien le secteur, où elle distribue habituellement des repas chauds dans les cantines scolaires chaque jour. Mais elle n’est pas pour autant en terrain conquis.

Des véhicules de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, sur la route entre Les Cayes et Jérémie, le 8 octobre.

Des véhicules de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, sur la route entre Les Cayes et Jérémie, le 8 octobre. HECTOR RETAMAL / AFP

Avec des forces de l’ordre visibles et sa direction de la protection civile qui répartit les aides humanitaires, la République d’Haïti entend garder la main sur la gestion de cette catastrophe, mais l’état du terrain n’a pas encore permis un recensement exact des besoins. Le décompte des victimes est lui-même controversé : les chiffres officiels évoquent 372 morts, tandis que des responsables politiques locaux et des ONG estiment que le bilan pourrait monter jusqu’à plus de 1 000 morts. Environ 1,4 million de personnes sur une population de 10 millions a besoin d’une assistance humanitaire, dont 400 000 un besoin urgent de nourriture. Et 175 000 Haïtiens n’ont plus de toit.

C’est dans ce contexte qu’est ­survenue, lundi, une erreur d’aiguillage. Quelques heures avant d’y être accueilli en messie, un des camions du PAM a essuyé des jets de pierres aux abords de Notre-Dame du Perpétuel Secours. La Direction de la protection civile, qui gère le déploiement des ONG, avait dirigé le véhicule vers un abri provisoire en omettant de lui signaler que d’autres se trouvaient sur la route y menant, d’où le courroux de la population.

« Les récoltes sont perdues »

D’autres camions du PAM provenant de Port-au-Prince à destination de la Grand’Anse ont rencontré lundi des barrages, au niveau de Torbeck, dans le département du Sud, et ont dû rebrousser chemin jusqu’aux Cayes. Dans cette zone, grenier de la République d’Haïti, l’agriculture est affectée à 100 %. « Les récoltes sont perdues, les boutiques de la zone urbaine de Jérémie ont vu leurs stocks détruits par la tempête, et l’alimentation est très précaire », explique Cédric Charpentier, qui dirige le PAM en Haïti, afin d’éclairer le contexte des incidents. Il pense que la population de Grand’Anse pourrait se rabattre sur le commerce de charbon de bois. Au sol, les troncs brisés commencent à être débités et utilisés à la fois pour la cuisine et pour la vente.

Certains arbres ont résisté à la tempête. Selon Oddy Naval, un des coordinateurs de Médecins du monde dans la zone, les jeunes bananiers doivent être taillés au plus vite. « Il faut maintenant que la population se mette au travail, et empoigne la machette pour les tailler. Ces arbres ne redonneront pas avant un an et il faudra pour cela beaucoup de pluie. » Pour l’heure, les habitants de Grand’Anse redoutent de voir le ciel s’obscurcir.

Lemonde.fr  Patricia Jolly (Jeremie, Haïti, envoyée spéciale) Journaliste au Monde