
Emmanuelle Riva : «Je n’ai jamais pensé aux prix. Le prix nous pourrit si on y pense avant. Mais si on est surpris par un prix, c’est joli…» Crédits photo : PATRICK KOVARIK/AFP

«La conviction que ce rôle était pour elle»
Vedette du film d’Alain Resnais Hiroshima mon amour (1959), primée à la Mostra de Venise pour Thérèse Desqueyroux, elle n’a jamais songé à cultiver cette célébrité. Elle n’aime que la gratuité du jeu. «Elle a tout de suite eu la conviction que ce rôle était pour elle, uniquement, et d’ailleurs elle ne quittait pas le plateau, dormant dans sa loge inconfortable», se souvient Margaret Ménégoz, gérante des Films du Losange, qui a produit le film.
Avec son sujet rébarbatif, Amour n’a pas été facile à financer. «D’un côté, chacun est concerné par l’interrogation devant la souffrance de l’être qu’on aime le plus. De l’autre, a-t-on envie d’aller au cinéma pour voir cela? résume-t-elle. Ma crainte était que les jeunes ne soient pas intéressés par une histoire qui leur paraîtrait lointaine, et que les personnes âgées en aient peur parce qu’elle est trop proche. Mais les premiers ont été touchés de voir un amour qui durait si longtemps, et les secondes par le fait qu’ils choisissent de finir leurs jours chez eux. Finalement, on a été surpris de constater qu’Amour est un film plus consolant et plus rassurant qu’on aurait pu l’imaginer.»
Palme d’or à Cannes, Amour a été vu par quelque 700.000 spectateurs en France, autant que Le Ruban blanc, précédente palme d’or de Haneke: c’est ce qu’escomptait la productrice. Le film est déjà sorti dans cinquante pays étrangers, ce qui représente 2,8 millions d’entrées et 18,7 millions d’euros de recettes.
Les Américains impressionnés par la performance
«Un excellent résultat par rapport au coût du film (près de 8,2 millions d’euros), estime Margaret Ménégoz, et notre but est justement que le cinéma d’auteur soit un succès commercial. On sent de plus en plus un appétit du public pour des films qui apprennent quelque chose. Mettre trois stars ensemble et leur donner un dialogue comique pour plaire facilement n’est pas une recette sûre. En Hollande, par exemple, Amour fait un des meilleurs scores des années 2000.»
Aux États-Unis, le film est sorti le 19 décembre dans 320 salles en version originale. Comme en Grande-Bretagne, il a gardé son titre français, Amour. «Les distributeurs n’ont pas voulu de “love”, trop galvaudé, pas sérieux, peu évocateur. L’Allemagne est le seul pays où le titre ait été traduit.» Un certain effet oscar s’est fait sentir dès les nominations. Amour a été vu par 450.000 spectateurs, rapportant 4 millions de dollars. «Le film a réconcilié les Américains avec Haneke: on lui reprochait sa misogynie et son sadisme. Son remake américain de Funny Games a été rejeté. Mais là, il se retrouve avec cinq nominations aux Oscars, dont celle meilleur film, à égalité avec à des poids lourds comme Lincoln, Argo ouZero Dark Thirty.»
Auréolée du Bafta britannique de la meilleure actrice, Emmanuelle Riva a toutes ses chances. «Depuis plusieurs années, les Bafta préfigurent les Oscars, note Margaret Ménégoz. Et les Américains sont toujours impressionnés par la performance. Trintignant, qui est plus connu aux États-Unis, n’a pas été remarqué. Alors que les métamorphoses du personnage d’Emmanuelle Riva lui donnent quelque chose de plus spectaculaire. Je pense que l’Académie a été sensible à cette dimension de performance de sa composition.»
Oscars: les nominations
• Meilleur film : Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, Django Unchained de Quentin Tarantino, Argo de Ben Affleck, Les Misérables de Tom Hooper, Amour de Michael Haneke, L’Odyssée de Pi d’Ang Lee, Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin, Happiness Therapy de David O. Russell,Lincoln de Steven Spielberg.
• Meilleur acteur : Daniel Day-Lewis, Denzel Washington, Hugh Jackman, Bradley Cooper, Joaquin Phoenix.
• Meilleur actrice : Emmanuelle Riva, Jessica Chastain, Naomi Watts, Quvenzhané Wallis, Jennifer Lawrence
Lefigaro.fr par Marie-Noëlle Tranchant