Notre journaliste Benjamin Roger avait pénétré sur le territoire malien dans la nuit du 6 février muni d’un visa en règle et sans dissimuler sa profession.
La Direction de Jeune Afrique condamne la décision prise par les autorités maliennes de procéder à l’expulsion de son envoyé spécial, Benjamin Roger, ce 8 février.
Arrivé à Bamako dans la nuit du 6 au 7 février, Benjamin Roger a été interpellé à son hôtel par la police, ce lundi 7 février vers 11 heures, et conduit dans les locaux de la Brigade d’investigation judiciaire, où il a été interrogé, puis dans ceux de la Police de l’Air et des Frontières, où son expulsion lui a été signifiée.
Benjamin Roger était muni d’un visa d’entrée en règle et n’a pas dissimulé sa profession de journaliste ni le fait qu’il venait l’exercer – en toute impartialité – au Mali.
La Direction de Jeune Afrique considère donc cette mesure prise à l’encontre de son collaborateur comme injustifiée et contrevenant à la liberté d’informer.
Chefs d’État, intellectuels, lecteurs… Depuis le décès, le 3 mai à Paris, de Béchir Ben Yahmed, fondateur de « Jeune Afrique » et de « La Revue », les messages saluant sa mémoire se multiplient.
Béchir Ben Yahmed, fondateur et patron historique de Jeune Afrique, s’est éteint lundi à l’âge de 93 ans à l’hôpital parisien Lariboisière. Depuis l’annonce du décès de ce témoin privilégié des soubresauts de l’Afrique et du Moyen-Orient, les hommages affluent. Qu’ils soient chefs d’États, Premiers ministres, journalistes ou lecteurs émus, les témoignages de respect et d’estime se multiplient, publics comme privés.
L’un de ses amis les plus chers et les plus fidèles, Alassane Ouattara – le journaliste considérait être pour l’Ivoirien « une sorte de frère aîné » – a été l’un des premiers à réagir. « C’est avec une immense tristesse que j’apprends le décès de mon aîné Béchir Ben Yahmed, un ami depuis une quarantaine d’années, un grand intellectuel, un excellent journaliste et un infatigable entrepreneur », s’est ainsi ému le président.
Son Premier ministre, Patrick Achi, a évoqué un « homme du dialogue des cultures, des continents et des hommes ». « Créatif, généreux, exigeant, il avait le génie de la presse », a-t-il ajouté.
« C’est une certaine Afrique qui s’en est allée »
Peu après l’annonce du décès de BBY, c’est un autre chef d’État, fraîchement élu, qui a été parmi les premiers à saluer la mémoire du fondateur de JA. « C’est une certaine Afrique qui s’en est ainsi allée, à travers ce grand témoin de notre histoire, a écrit le président du Niger, Mohamed Bazoum. Mes condoléances attristées à l’équipe de Jeune Afrique. Je suis convaincu qu’elle saura porter très haut le flambeau de cette belle aventure. » Son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, lui a emboîté le pas, rendant hommage à « un géant ». Un terme également employé par Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine.
« Je salue la mémoire d’un pionnier qui a mis sa plume au service du continent », a écrit pour sa part le président burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré. BBY a été un acteur de la lutte pour la cause du tiers-monde, l’indépendance des pays africains, l’État de droit et la démocratie. » Le président sénégalais, Macky Sall, a quant à lui fait part de sa peine, insistant sur le « parcours exceptionnel » du fondateur de Jeune Afrique.
« La disparition de Béchir Ben Yahmed signe indubitablement le départ d’un serviteur passionné qui mit, des décennies entières, des compétences exceptionnelles d’intelligence, de créativité et de plaidoirie en faveur de la dignité et du bien-être de l’Afrique », a quant à lui écrit le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh.
C’est également le cas de Kaïs Saïed, le président tunisien, qui a salué « l’une des figures de proue du mouvement national tunisien qui a contribué, aussi bien par son engagement politique que par sa plume, à l’indépendance de son pays natal ».
« Béchir Ben Yahmed restera à jamais gravé dans la mémoire du monde des médias tunisiens, français et africains », écrit le chef de l’État, grand lecteur de Jeune Afrique, dont il conserve chez lui des dizaines de numéros.
Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a également rendu hommage « au nom du Royaume du Maroc », à cet homme « d’une grande lucidité et d’une grande constance de conviction, ainsi que le Maroc et les Marocains peuvent en témoigner ».
De son côté, l’ambassadeur d’Algérie à Paris, Mohamed Antar Daoud, a adressé ses condoléances à la famille Ben Yahmed en saluant une figure « connue et appréciée pour ses qualités humaines et professionnelles », qui laissera « le souvenir d’un homme qui a fait siens la cause et le combat du peuple algérien pour le recouvrement de son indépendance ».
Le Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana, a lui aussi adressé une lettre de condoléances à Danielle Ben Yahmed. Abdoulaye Bio Tchané, ministre d’État du Plan et du Développement et numéro deux du gouvernement béninois, ainsi qu’Olivier Boko, proche conseiller du président Patrice Talon, ont également présenté leurs hommages.
Daniel Ona Ondo, président de la Commission de la Cemac, a lui écrit sa « peine » après la disparition de celui qui a « réussi à faire de Jeune Afrique un puissant outil d’analyses pour la lecture et la compréhension de l’histoire contemporaine africaine ». François Fall, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique centrale, a pour sa part salué « un baobab qui aura contribué à l’éveil du continent ».
Le Béninois Serge Ékué, président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), ou encore le Sénégalais Makhtar Diop, à la tête de la Société financière internationale (IFC), ont également fait part de leurs condoléances.
L’Élysée salue « un homme de conviction »
La présidence française a longuement rendu hommage à une « plume alerte, dont la lucidité clinique n’épargnait aucun chef d’État, ni africain, ni français ». Emmanuel Macron a notamment salué « un homme de presse et de conviction qui a accompagné et éclairé les indépendances africaines, qui a insufflé une fraternité d’âme entre les États de ce continent, et qui a incarné la profondeur du lien indéfectible entre la France et l’Afrique ».
Les chefs d’État et ministres n’ont pas été les seuls à réagir. Personnalités politiques et intellectuels, artistes, écrivains, nombreux ont été celles et ceux qui ont adressé leurs condoléances de manière publique ou privée. C’est notamment le cas de Lakhdar Brahimi, ancien ministre algérien des Affaires étrangères, de Tiébilé Dramé, ancien ministre malien des Affaires étrangères, du Sénégalais Karim Wade, ex-ministre et fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. « L’Afrique perd son plus grand patron de presse », s’est pour sa part ému le Congolais Moïse Katumbi, rendant hommage aux soixante années que BBY a passées « au service de l’information ».
Écrivains, cinéastes, journalistes…
La Prix Goncourt franco-marocaine Leïla Slimani, ancienne journaliste à Jeune Afrique, le peintre marocain Mehdi Qotbi, le cinéaste tunisien Férid Boughedir et l’ancien ministre français de la Culture Frédéric Mitterrand, qui a collaboré à La Revue, ont également adressé leurs condoléances à la famille du défunt. « C’est grâce à Béchir Ben Yahmed et à Jeune Afrique qu’une très grande partie de ma génération est née au panafricanisme, a quant à lui écrit le philosophe camerounais Achille Mbembe. Il aura eu un impact considérable sur la formation de notre conscience historique. »
Les hommages des professionnels des médias n’ont pas manqué. De l’Ivoirien Venance Konan, directeur général de Fraternité Matin, et son confrère Noël Yao, au Marocain Mohamed Khabbachi. Ce dernier, patron du site Barlamane et ancien directeur général de la MAP, salue « le parcours du combattant » d’un homme dont « le nom résonne dans toute l’Afrique et le monde arabe ».
Les anciens collaborateurs de JA ont également été nombreux à rendre hommage à Béchir Ben Yahmed : Francis Kpatindé, dans Le Monde, Pascal Airault, dans L’Opinion, Christophe Boisbouvier et Jean-Baptiste Placca, sur RFI, le Camerounais Célestin Monga, aujourd’hui enseignant à Harvard, sans oublier l’ancien rédacteur en chef de Jeune AfriqueHamid Barrada, l’une des références du journalisme au Maroc, les Sénégalais Cheikh Yérim Sow et Cécile Sow, Mohamed Selhami, fondateur de Maroc Hebdo, Guy Sitbon, Jean-Claude Hazena, Jean-Pierre Séréni…
Beaucoup de quotidiens et de sites d’information du continent également rendu hommage à Béchir Ben Yahmed, de Walf Quotidien (Sénégal) à Wakat Séra (Burkina Faso), en passant par Le Djely (Guinée) ou encore Les Dépêches de Brazzaville.
Le fondateur de Jeune Afrique s’est éteint ce lundi 3 mai à l’âge de 93 ans. Il était hospitalisé à Paris depuis la fin du mois de mars.
Né à Djerba le 2 avril 1928, dans une Tunisie sous protectorat français, Béchir Ben Yahmed, fondateur et patron historique de Jeune Afrique, est décédé lundi 3 mai à l’hôpital parisien Lariboisière des suites d’une contamination au Covid-19.
Militant du Néo-Destour aux côtés de Habib Bourguiba, Béchir Ben Yahmed avait été, très jeune, ministre dans le premier gouvernement de la Tunisie indépendante. Mais la tentation du journalisme l’habitait déjà : en 1956, il lançait l’hebdomadaire L’Action puis, en 1960, Afrique Action qui, un an plus tard, allait devenir Jeune Afrique.
Après avoir mené de front ses carrières ministérielle et journalistique, il avait finalement opté pour la seconde et, pour se donner les moyens de son indépendance, avait décidé en 1962 de quitter Tunis pour Rome. Puis, deux ans plus tard, pour Paris où le groupe est toujours installé.
Des générations de lecteurs
Fondé pour accompagner le mouvement d’émancipation des peuples qui, à l’orée des années 1960, accèdent à l’indépendance, Jeune Afrique a pris une part active dans tous les combats qui ont depuis rythmé l’histoire du continent : contre les partis uniques et pour la démocratisation dans les années 1970-1980, pour l’indépendance économique dans les années 1990-2000 et pour l’inclusion de l’Afrique dans la mondialisation dans les années 2000-2020.
Considéré à ses origines comme une gageure, le groupe qu’il a créé célèbre cette année son soixantième anniversaire. Véritable école de journalisme où sont passés Frantz Fanon, Kateb Yacine et, plus récemment, les prix Goncourt Amin Maalouf et Leïla Slimani, « JA » a marqué des générations de lecteurs. Son influence lui a même valu d’être qualifié de « 55e État d’Afrique ».
Autour de l’hebdomadaire Jeune Afrique, un groupe s’est constitué au fil des années, s’étoffant d’autres titres, de lettres d’information, d’une maison d’édition, d’un département consacré à l’organisation d’événements et, bien sûr, de sites d’information en ligne. À la fin de la décennie 2000, Béchir Ben Yahmed avait passé les rênes du groupe à ses fils, Amir et Marwane, ainsi qu’au directeur de la rédaction, François Soudan. Son épouse Danielle, qui a joué un rôle essentiel à son côté tout au long de l’histoire du journal, avait notamment lancé la maison d’édition du groupe.
Toujours passionné par l’actualité, il s’était investi en 2003 dans un nouveau projet : La Revue, magazine de réflexion sur l’actualité internationale (et non plus seulement africaine) qui fut mensuel pendant plusieurs années avant de devenir bimestriel.
Houphouët-Boigny, Guevara, Lumumba…
Témoin privilégié de tous les soubresauts de l’Afrique et du Moyen-Orient, observateur et éditorialiste engagé, Béchir Ben Yahmed a fréquenté tout au long de sa carrière des personnalités déterminantes pour le continent : le Sénégalais Senghor, l’Ivoirien Houphouët-Boigny, le Marocain Hassan II ou encore les Français Jacques Foccart – dont il a coédité les Mémoires – et François Mitterrand.
Dans les années 1960, il avait côtoyé Che Guevara à Cuba, rencontré à Hanoï, en pleine guerre du Vietnam, Ho Chi Minh, et bien connu l’Égyptien Nasser, le Ghanéen Nkrumah, le Congolais Lumumba et l’Algérien Ben Bella.
Avec lui, c’est l’un des derniers grands témoins de l’Afrique des indépendances et de la période postcoloniale qui disparaît.
C’est pathétique, mais rien n’est plus étonnant sous le soleil de Brazzaville. Quand Firmin Ayessa vient lire la liste du nouveau gouvernement de « rupture » sur Télé Congo (Télé Foufou pour la diaspora congolaise), il précise bien que : « sur proposition du premier ministre chef du gouvernement », le président de la République chef de l’Etat a signé le décret nommant le gouvernement. Mais, depuis hier que les ministres défilent sur Télé Congo pour se présenter au peuple, ils ne font que remercier le (seul) président de la République. Aucun mot gentil pour le premier ministre qu’on ne cite même pas. Qui a, finalement, proposé ce gouvernement à Sassou ? Clément Mouamba ou quelqu’un d’autre ? Les ministres de l’Economie forestière, des Finances, des Postes et Télécommunications et de la Jeunesse, se sont, tous, bornés, hier, à remercier le seul chef de l’Etat. Pas un (petit) mot gentil pour leur premier ministre.
Parmi les nouveaux venus au gouvernement, on compte l’épouse d’un confrère parisien, directeur de la rédaction de son état dans un magazine panafricain de la place, parfaitement, connu, sur le continent, comme donneur de leçons. Des leçons qu’il ne s’applique, jamais, à lui-même, ni aux journalistes qu’il dirige dans son équipe. Son épouse, Arlette Nonault, qui vient d’être nommée ministre, est une nièce du dictateur. Conservatrice sur les bords, elle a été en flèche dans le combat qui permit à son oncle d’adopter la nouvelle constitution qui lui a assuré le hold up du 20 mars dernier. Membre du Bureau politique du PCT, elle est très active dans les réseaux sociaux, quand ce n’est pas dans la désinformation livrée au public, à Paris, au travers du magazine de son époux. Les Congolais de la diaspora s’en offusquent, grandement. A plusieurs reprises, ils ont interpellé son fondateur. N’ayant pas eu gain de cause, ces derniers temps, ils vont carrément devant le siège de ce magazine avec des pancartes et des banderoles, pour y manifester leur colère, parfois, en brûlant les vieux numéros du magazine pour signifier leur dégoût.
Acculé jusqu’à ses derniers retranchements, le dictateur n’a plus la capacité de faire l’économie de ses appuis : jouant son va tout, cette fois, il a choisi d’exposer sa nièce sur la place publique (gouvernement), espérant sauver quelques meubles ? Question à son époux, donneur de leçons à l’Afrique entière : à quand sa démission, ou tout au moins, son retrait de la rédaction de son magazine ? Car pour des raisons d’éthique, de déontologie et de conflit d’intérêt, il doit, absolument, quitter le groupe qui l’emploie. Anne Sinclair avait abandonné ses magazines sur TF1 quand son époux, Dominique Strauss Kahn, fut nommé ministre de l’Economie et des Finances, dans le gouvernement Jospin, en 1997. Dernièrement, c’est l’ex-première dame de France, Valérie Trierweiler qui avait abandonné le Service Politique de Paris Match pour ne faire que de la Culture, lors de l’accession de François Hollande à l’Elysée. Il existe beaucoup d’autres exemples de ce type.
Les Congolais attendent, donc, avec impatience la décision du mari de la nouvelle ministre du Tourisme et des Loisirs du Congo. Choisira-t-il comme tout bon jouisseur (qu’il semble être) de conserver le beurre et l’argent du beurre ?
Une fausse une de « Jeune Afrique » circule depuis vendredi sur les réseaux sociaux. Une manipulation que nous dénonçons avec la plus grande fermeté.
À plus d’un an de l’élection congolaise, prévue en juillet 2016, ceux pour qui la perspective de voir l’actuel chef de l’État Denis Sassou Nguesso s’y présenter est déjà un cauchemar rivalisent d’imagination, quitte à prendre leurs désirs pour des réalités – et à jouer aux faussaires du net. En témoigne cette fausse couverture de Jeune Afrique, diffusée le 27 février et qui a ému nombre d’internautes. Sur le terrain de la cyberguerre, tous les moyens sont bons, y compris les plus douteux…
Dans deux articles de presse publiés le 28 mai, l’ancien directeur du port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, accuse « Jeune Afrique » de manipulation à la suite de notre enquête sur le malaise des anciens exilés du Front populaire ivoirien (FPI). La rédaction lui répond.
Dans les colonnes des quotidiens Notre Voie et Le Nouveau Courrier, datés du 28 mai, Marcel Gossio réagit à la publication de notre enquête sur le malaise des anciens exilés du FPI [Jeune Afrique n°2784]. L’ancien directeur du port autonome d’Abidjan nie avoir refusé de nous accorder une interview parce que son parti ne souhaitait pas qu’il s’exprime. « C’est une manipulation de Jeune Afrique qui n’a pas pu avoir son entretien qu’il a sollicité avec moi », dit-il dans Le Nouveau Courrier.
Ceci est, bien évidemment, inexact.
Marcel Gossio a bien indiqué le lundi 5 mai dans la matinée au téléphone à notre envoyé spécial Vincent Duhem que son parti (le FPI) ne souhaitait pas qu’il s’exprime. Quelques jours plutôt, il s’était pourtant montré enclin à le recevoir. Nous lui avions alors expliqué que nous souhations qu’il raconte son quotidien d’exilé, les conditions de son retour et fasse part de ses nouvelles ambitions.
Que Marcel Gossio refuse de s’exprimer est une chose. Qu’il mette en cause la crédibilité de Jeune Afrique en est une autre. En n’assumant pas ses propos, en adoptant une posture victimaire et en préférant réagir dans la presse proche de son parti plutôt que dans nos colonnes, M. Gossio se livre aux pratiques de manipulation qu’il dénonce pourtant abusivement.
PARIS – Le président rwandais Paul Kagame accuse une nouvelle fois la France de participation à l’exécution du génocide de 1994, dans une interview à paraître dimanche dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, à la veille des cérémonies marquant le 20ème anniversaire des massacres.
Evoquant la question des responsabilités, le président rwandais dénonce le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. Il accuse les soldats français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée en juin 1994 sous mandat de l’ONU dans le sud du pays, d’avoir été complices certes mais aussi acteurs des massacres.
Ces accusations, maintes fois démenties par Paris, reprennent celles déjà formulées par Kigali à plusieurs reprises et notamment en août 2008 à l’occasion de la publication du rapport de la commission d’enquête rwandaise sur le rôle supposé de la France dans le génocide qui a fait, selon l’ONU, quelque 800.000 morts, essentiellement tutsi, entre avril et juillet 1994.
Revenant dans Jeune Afrique sur le cas de la France, Paul Kagame constate que vingt ans après, le seul reproche admissible (aux) yeux (de la France) est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel: le rôle direct de la Belgique (ancienne puissance coloniale) et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même.
Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite +humanitaire sûre+, mais aussi acteurs, accuse Paul Kagame.
En 2008, la commission d’enquête avait déjà évoqué l’affaire du village de Bisesero (ouest), où jusqu’à 50.000 Tutsis avaient trouvé refuge, accusant l’armée française d’avoir retardé sciemment de trois jours le sauvetage de près de 2.000 survivants afin de laisser le temps aux tueurs de les achever.
Les déclarations de Paul Kagame, ancien chef de la rébellion tutsi à la tête du Rwanda depuis 1994, surviennent alors que les relations franco-rwandaises, rompues entre 2006 et 2009, semblaient s’être apaisées, surtout depuis la condamnation en mars dernier à 25 ans de prison du premier Rwandais jugé en France pour le génocide des Tutsi.
Condamné pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité, Pascal Simbikangwa, ex-officier de la garde présidentielle, a nié toutes les charges pesant contre lui et a fait appel.
Nous verrons ce qu’il adviendra de cette condamnation en appel, commente Paul Kagame dans Jeune Afrique. Pour le reste, je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une évolution particulièrement positive, déclare-t-il, alors que le Rwanda a pendant des années fustigé la France pour sa lenteur à poursuivre les génocidaires présumés.
Pour un criminel condamné après vingt ans, combien la justice française en a-t-elle escamoté ?, s’interroge M. Kagamé. Nous ne sommes pas dupes de ce petit jeu. On nous présente cette sentence comme un geste, presque comme une faveur de la France à l’égard du Rwanda, alors que c’est le rôle de la France dans le génocide qu’il conviendrait d’examiner, insiste-t-il.
La France doit être représentée lundi à Kigali aux commémorations marquant le 20ème anniversaire du génocide au Rwanda par la ministre de la Justice Christiane Taubira.
Le chef de la Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) malien a promis de rendre le pouvoir aux civils et de mettre en place une convention nationale pour organiser des élections. Interview.
Jeune Afrique : aujourd’hui, êtes-vous le chef de l’État malien ?
Amadou Haya Sanogo : Jusqu’à l’instant où l’on parle, je suis le chef de l’État. Avec qui dirigez-vous le pays ? Quels sont les hommes qui vous entourent ?
Nous sommes nombreux, c’est tout un comité. Il y a moi, il y a le lieutenant-colonel Konaré, le colonel Moussa Coulibaly, qui est chef de cabinet… Nous sommes plusieurs à prendre les décisions et je ferai part au public de tous les membres de ce comité dans les meilleurs délais. Avez-vous parlé à Amadou Toumani Touré depuis qu’il a quitté le palais présidentiel de Koulouba ?
Non. Mais je souhaite préciser que si je le pouvais, je le prendrais sous ma protection pour préserver son intégrité physique. Je ne souhaite pas qu’il tombe entre de mauvaises mains, ou qu’il se trouve au mauvais endroit au mauvais moment.
Quel sort réservez-vous aux personnes encore détenues ?
Il ne faut pas utiliser le mot détention. Nous les gardons pour préserver leur intégrité physique. Mais ils ne peuvent pas recevoir de visites…
Bien sûr que si, ils reçoivent des visites : la Croix rouge, le barreau…
Mais leurs familles ?
J’ai fait la promesse d’assurer la sécurité de ces dignitaires de l’ancien régime et de préserver leur intégrité physique. Je m’y tiendrai. Je vous rappelle que nous ne sommes pas allés tous les chercher. Cinq d’entre eux – dont je préfère taire les noms – sont venus d’eux-mêmes. Nous les avons mis à l’abri dans un camp militaire et je leur ai même demandé d’appeler la presse pour expliquer qu’ils sont là de leur propre chef.
Il y a une médiation en cours et beaucoup de débats. Mais tout cela peut attendre. En revanche, les vies humaines n’attendent pas et les Maliens aujourd’hui sont en danger. Si l’on pouvait différer toutes les considérations d’ordre politique et rétablir la situation qui se dégrade… L’ennemi progresse à une vitesse incroyable, et après le Mali, qui dit qu’il ne s’attaquera pas au Burkina Faso ou au Niger ? Il serait bien que la Cedeao songe à nous donner des moyens militaires conséquents pour faire face à ces attaques.
Quels sont les points de blocages avec la Cedeao ?
S’il y en a un, c’est celui qui concerne le retour à l’ordre constitutionnel. Selon la Constitution, en l’absence du président élu, c’est à Dioncounda Traoré [le président de l’Assemblée nationale, NDLR] de mener à bien le processus de transition. Mais son mandat expire le 8 juin. Et en toute objectivité, je ne pense pas qu’il puisse organiser les élections dans le délai constitutionnel de 40 jours. Donc si on l’y place aujourd’hui, lui aussi sera illégalement à la tête de l’État à cette date, et on devra repartir à zéro. D’où l’idée de mettre en place dès maintenant une convention nationale, composée de membres de la société civile et de militaires pour mener à bien le processus qui conduira aux élections.
Combien de temps vous faut-il pour mettre en place cet organe ?
Cela va se faire très vite. Nous sommes en concertation avec la société civile et les partis politiques.
Une fois le processus de transition achevé, rendrez-vous vraiment le pouvoir aux civils ?
Un coup de force n’est jamais apprécié. Celui-ci l’a été parce que j’ai libéré mon peuple. Je suis entré par la grande porte, je souhaiterai sortir par la grande porte. Et la seule façon de faire une sortie honorable, c’est de partir en laissant le pouvoir au président démocratiquement élu. Le militaire que vous voyez, quand ce sera fini, il rentrera tranquillement dans sa caserne !
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Jeuneafrique.com propos recueillis par Malika Groga-Bada,envoyée spéciale à Bamako
Près d’un mois après l’explosion d’un dépôt de munitions à Brazzaville, qui a entraîné la mort de 223 personnes, des milliers de sinistrés ont violement manifesté lundi 26 et mardi 27 mars, alors que l’aide d’urgence promise par le gouvernement ne leur avait pas été versée. Dans le même temps, la situation au sein des sites d’hébergement de la ville se dégrade, avec notamment l’apparition du choléra. Roch Euloge N’zobo, responsable des programmes de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH), met en cause le manque de compétences techniques du gouvernement congolais.
Jeune Afrique : Quelle est la situation après les émeutes des lundi 26 et mardi 27 mars ?
Roch Euloge N’Zobo : Le problème n’est pas réglé. Les listes des bénéficiaires de l’aide d’urgence ont été élaborées par des personnes non compétentes. On a également constaté la mauvaise fois de certains chefs de quartiers qui ont également participé à leur élaboration. Des personnes fictives ont ainsi été inscrites sur les listes, alors que les sinistrés n’ont pas été pris en compte. C’est quand les sinistrés concernés l’ont constaté que les émeutes ont débuté.
Deux listes ont été créées, une pour les propriétaires – à ce niveau les versements ont été effectués ou sont en cours -, l’autre pour les locataires. C’est à ce niveau là que le gouvernement rencontre un problème. Le décompte est difficile car plusieurs familles pouvant habiter à la même adresse. Le gouvernement a donc suspendu la distribution du fonds d’urgence afin d’approfondir les listes.
Des cas de choléras signalés
Déjà jugée catastrophique, la situation sanitaire se dégrade dans les sites d’hébergement provisoire des sinistrés sans-abri à Brazzaville. « La situation a évolué défavorablement et nous faisons actuellement face à une dizaine de cas de choléra, qui touche deux sites », a affirmé mercredi 28 mars le Dr Youssouf Gamatié, représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Congo. Et le directeur général de la santé au Congo, le Professeur Alexis Elira Dokekias, de confirmer : « Depuis le 4 mars, nous avons 13 cas de choléra suspects dont un cas confirmé au niveau des sites et un décès ». Les deux lieux affectés sont la cathédrale Sacré coeur, proche du centre-ville, et le marché couvert Nkombo, au Nord, qui accueillent respectivement environ 6 000 et 5 000 personnes, sur les 14 000 hébergées au total dans une dizaine de sites. « Des quartiers populaires sont également touchés. Ce sont les conditions déplorables d’hygiène, l’insuffisance de l’assainissement qui font le lit du choléra. On a eu aussi de fortes pluies qui sont un facteur déterminant », explique Gamatié. (Avec Agences).
Le gouvernement congolais a assuré que l’argent était disponible et serait versé à toutes les personnes enregistrées. Est-ce réalisable ?
Je pense que oui. Le fond d’urgence promis sera versé. Il faudrait ensuite que les victimes soient indemnisées. Mais les dégâts matériels n’ont pas encore été évalués. Une commission doit être mise en place afin d’étudier cela.
Les organisations humanitaires font état d’une dégradation de la situation sanitaire dans les centres d’hébergement (voir encadré). Qu’en est-il exactement ?
La situation sanitaire est catastrophique. Dans les sites de la cathédrale Sacré coeur et du marché couvert, la distribution des aliments est chaotique. Les conditions de vie sont insalubres, les odeurs nauséabondes, les toilettes pas bien entretenues, il a de graves problèmes d’assainissement. On a constaté des cas de rougeoles à la cathédrale.
Comment l’expliquez-vous ?
Le gouvernement a les moyens, de la bonne volonté, mais le ministère des Affaires sociales, qui est responsable des différents sites, n’a pas les compétences techniques pour gérer ces sites. Ils auraient mieux fait de transférer la gestion des sites d’accueil à des organismes ayant l’habitude de traiter ce genre de situation. Certaines organisations internationales comme MSF et la Croix-rouge assistent tout de même le ministère.
De plus, les gens se plaignent de vols, qu’une partie de l’aide (médicaments, vêtements) est détournée par des agents du ministère. Les cas de détournements ont d’ailleurs été dénoncés par la ministre des Affaires sociales elle-même.
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Jeuneafrique.com propos recueillis par Vincent Duhem
C’est le premier entretien qu’il accorde à la presse depuis son élection. Porté à la tête de l’Assemblée nationale avec un score quasi soviétique, le 12 mars, Guillaume Soro savoure. Pour l’ancien chef rebelle devenu, en à peine dix ans, numéro deux de l’État ivoirien, c’est une consécration. Et un tremplin. «Mon destin est formidable ! » Mardi 13 mars dans l’après-midi, alors qu’il vient tout juste de passer ses pouvoirs à son successeur, Jeannot Ahoussou-Kouadio, le désormais ex-Premier ministre Guillaume Soro ne dissimule pas son plaisir, presque son vertige, lors d’une longue conversation téléphonique avec Jeune Afrique. Il est vrai qu’on ne peut pas avoir été leader de rébellion puis ministre d’État à 30 ans, chef du gouvernement à 34 ans et – depuis le 12 mars – président de l’Assemblée nationale à 39 ans, le tout dans un pays aussi richement doté que la Côte d’Ivoire en politiciens de qualité, sans en éprouver un frisson de narcissisme. Le 8 mars, au sortir d’une entrevue avec le président Ouattara au cours de laquelle il lui a, comme convenu de longue date entre les deux hommes, remis sa démission de Premier ministre, Guillaume Soro téléphone à son mentor, son grand frère et son Pygmalion de toujours, Blaise Compaoré : « Voilà, c’est fait, lui dit-il. Je suis désormais au chômage. Il va falloir que tu m’envoies chaque mois un boeuf et un sac de riz pour nourrir toute ma famille. » Le chef de l’État burkinabè éclate de rire : il connaît, pour l’avoir coécrit, le scénario qui est en train de se dérouler entre Abidjan et Yamoussoukro.
Si j’avais accepté le deal de Gbagbo, l’Histoire aurait été différente. De fait, Soro ne restera que quatre jours sans emploi. Le lundi suivant, seul candidat au perchoir, il est élu avec un score quasi soviétique : 236 des 249 députés ont voté pour lui, sans tenir compte du fait que, à deux mois près, le nouvel élu de Ferkessédougou n’a pas l’âge requis (40 ans) pour le poste. « Qui peut le plus peut le moins, commente-t-il. L’article 48 de la Constitution a permis à tout le monde de se présenter à la présidentielle de 2010, sans tenir compte de la limite d’âge. Cette disposition s’applique a fortiori à l’Assemblée nationale. Quant aux treize députés qui se sont abstenus, je les remercie. L’unanimité aurait été embarrassante. » Amères. Un plébiscite tout de même, qui propulse Guillaume Soro au deuxième rang de l’État ivoirien. Un statut enviable et qui n’a rien de symbolique : en cas de décès ou d’empêchement du président, c’est lui qui assure l’intérim. « Je mesure pleinement la confiance que me fait Alassane Ouattara. J’imagine qu’il a dû peser, soupeser et repeser cette décision », dit-il, comme pour répondre à ces quelques voix amères qui susurrent que le chef a pris un risque en choisissant un ex-rebelle ambitieux pour un poste aussi sensible. Après tout, même s’ils se connaissent depuis une quinzaine d’années et s’ils ont, depuis un an, cohabité sans heurts au pouvoir, Ouattara et Soro ne sont pas issus de la même matrice. Le second doit beaucoup plus, en termes d’apprentissage et d’accompagnement politiques, à Blaise Compaoré qu’au premier, et sa loyauté envers Laurent Gbagbo jusqu’à l’élection présidentielle a longtemps nourri, dans l’entourage de Ouattara, des soupçons de partialité. Mais tout a changé au lendemain du 28 novembre 2010 lorsque Soro, ulcéré par le comportement de Gbagbo entre les deux tours, conscient du fait que ce dernier ne lui réservait aucun avenir politique et prenant acte du résultat officiel du second tour, a basculé définitivement dans le camp du vainqueur assiégé. « Je crois que la confiance que m’accorde le président repose sur deux choses, analyse, lucide, Guillaume Soro. Le 28 novembre, après avoir confisqué le pouvoir, Gbagbo a voulu passer un deal avec moi. Si j’avais accepté, l’Histoire aurait été différente. Or j’ai refusé. Puis j’ai engagé les Forces nouvelles, mes troupes, dans la bataille. Nous avons gagné, nous avons pris Yamoussoukro puis Abidjan et j’aurais fort bien pu, dans la foulée, ramasser la mise pour moi. Or je ne l’ai pas fait. Qui d’autre Alassane Ouattara a-t-il pu tester de façon aussi précise, cruciale et déterminante ? » Au-dessus de la mêlée. Son avenir, Guillaume Soro le voit d’abord dans la proximité. « Président de l’Assemblée nationale, c’est une lourde responsabilité », reconnaît-il, et peu importe à ses yeux si, en l’absence du Front populaire ivoirien (FPI), aucune opposition significative n’y siège. « Ce ne sera pas une chambre d’enregistrement, ce n’est pas mon genre. Il n’y aura ni complaisance, ni chèque en blanc délivré au gouvernement, j’y veillerai. Mon successeur à la primature et moi avons travaillé ensemble pendant quatorze mois. Je l’apprécie. Mais il me connaît. » Il est clair également que Guillaume Soro n’entend pas se désintéresser d’un dossier qu’il suivait presque heure par heure lorsqu’il était Premier ministre : la refonte de l’armée et le sort des ex-rebelles. « Je reste là, en back-office », promet-il. Le ministre délégué à la Défense, Paul Koffi Koffi, qu’il avait lui-même choisi, à qui il s’est efforcé de beaucoup déléguer et qui a été reconduit dans le nouveau gouvernement, servira de courroie de transmission. Quant aux Forces nouvelles (FN), dont il est le secrétaire général, il entend, assure-t-il, s’en retirer, le poste étant incompatible avec une présidence de l’Assemblée « au-dessus de la mêlée ». Reste qu’il y a de fortes chances pour que ce retrait soit avant tout formel. Le nouveau secrétaire général, qui devrait être connu dans un ou deux mois après une réunion au sommet, ce sera lui et personne d’autre qui l’aura adoubé. Un moment caressée, l’idée de transformer les FN en parti politique est écartée depuis septembre 2011, quand celui qui était encore Premier ministre a décidé de se présenter aux législatives sous l’étiquette du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de Ouattara. Une formation dont il se sent proche mais à laquelle il n’a pas – ou pas encore – adhéré, préférant attendre de voir si l’ambitieux projet de fusion organique entre ce parti et celui d’Henri Konan Bédié, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), prend corps. Chez Soro, on l’aura noté, le mot rassemblement revient fréquemment, comme s’il voulait en faire la pierre angulaire de son destin politique.
Rester loyal envers le président, c’est le meilleur moyen de préparer mon avenir.
Guillaume Soro avec l’ancien président Gbagbo en octobre 2008 à Katiola. Plaisanterie. L’avenir immédiat, c’est aussi une urgence : lever au plus vite l’hypothèque de la Cour pénale internationale (CPI), qui a déjà attrapé Laurent Gbagbo dans ses filets et dont les enquêtes rétrospectives s’étendent désormais jusqu’à septembre 2002, date de l’entrée en rébellion d’un certain Guillaume Soro. À la question « Vous sentez-vous menacé ? », le nouveau président de l’Assemblée nationale répond d’abord sur le ton de la plaisanterie : « Si j’en crois certains, il faudrait incarcérer tous les Ivoiriens, du plus grand au plus petit d’entre eux. Croyez-vous que la prison de Scheveningen contienne assez de cellules VIP ? » Puis, il se ravise, redevient sérieux. La CPI, il le sait, a sa propre logique, ses propres mécanismes, sur lesquels nul n’a de prise, et – signe qu’il ne prend pas l’affaire à la légère – Guillaume Soro a fait plancher sa propre équipe de juristes sur « son » dossier. « Je n’ai été ni convoqué ni entendu par la CPI parce qu’il n’y a rien me concernant, dit-il. Je suis serein. C’est Gbagbo qui, en refusant le verdict des urnes, est le seul responsable des événements de 2011. Les FN ne sont entrées dans la guerre que pour y mettre un terme. Ni l’origine ni le niveau des crimes commis ne sont donc comparables. Si certains comzones sont poursuivis par la Cour, ils devront en répondre, mais cela s’arrêtera là. La CPI va juger Jean-Pierre Bemba ; elle n’a pas, que je sache, mis en cause Joseph Kabila. » Et la réouverture éventuelle d’une enquête sur les crimes commis par les rebelles à Bouaké en octobre 2002 et à Korhogo en juin 2004 ? « Des jugements ont été prononcés, des sanctions sont tombées contre les responsables. Je vois mal la Cour remettre cela en question », répond Soro. Serein peut-être mais aussi préoccupé, l’ancien chef de guerre sait que, dans la pire des hypothèses, Alassane Ouattara ne le lâchera pas. On le sent pourtant désireux d’être au plus vite soulagé de ce qui apparaît comme une sourde menace, histoire qu’elle ne vienne pas s’immiscer en travers de son destin. Car tout Abidjan, toute la Côte d’Ivoire en est persuadée : l’Assemblée nationale n’est, pour Soro, qu’une étape sur les marches du Palais. Lui, bien sûr, ne se découvre pas. « Mon seul objectif est de préparer la réélection d’Alassane Ouattara en 2015 », explique-t-il, avant d’ajouter : « Je pense que si je reste loyal, dans le sillon du président, comme j’en ai bien l’intention, c’est le meilleur moyen pour moi de préparer mon avenir. Après tout, il arrive que l’on rencontre sa destinée par le chemin que l’on emprunte pour l’éviter. » Dépucelage politique. Sur ce point, Guillaume Soro, dont le dépucelage politique est ancien, endosse les habits d’un enfant de choeur, qui ne lui siéent guère. Nul n’ignore en effet qu’il ne fera rien pour éviter ce chemin qui mène au pouvoir suprême, qu’il y pense en se rasant, qu’il s’y prépare, et que cette ambition, naturelle chez un homme aussi jeune, aussi brillant et avec un tel parcours, n’a rien d’illégitime. Mais sur ce point aussi Guillaume Soro dit vrai : la réussite dans cette entreprise passe par sa fidélité à Alassane Ouattara. Si, comme on l’imagine et sauf aléas de la vie, ce dernier se retire en 2020 une fois ses deux mandats constitutionnels achevés, Soro aura de vraies chances de lui succéder, à une condition : que Ouattara l’ait auparavant décidé, en mettant son influence et son parti à son service. Guillaume Soro aura alors 48 ans. Sa ferme de Ferkessédougou, qui compte déjà cent têtes de boeuf, sera d’une taille respectable, et beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts de la lagune Ébrié. En attendant, lui qui n’a pratiquement pas pris de congés depuis cinq ans attend avec impatience le mois de juin pour faire un break. En guise de devoirs de vacances, il suivra, c’est promis, des cours intensifs de remise à niveau dans la langue de Shakespeare. Maîtrisard en anglais, il n’a guère eu le temps en effet, ces dernières années, de le pratiquer. Mister Soro, qui en douterait, voit loin… ___
Jeuneafrique.com François Soudan et Baudelaire Mieu, à Abidjan