Posts Tagged ‘jomo kenyatta’

Kenya : Uhuru Kenyatta dit merci à la CPI !

mars 23, 2013
Uhuru Kenyatta (au centre) le 9 mars à Nairobi. Uhuru Kenyatta (au centre) le 9 mars à Nairobi. © Benedicte Desrus/Sipa USA

Élu le 4 mars à la tête du pays, Uhuru Kenyatta est un politicien retors et un héritier bien né. Poursuivi par la justice internationale pour crimes contre l’humanité, il a su se poser en victime de l’ingérence des Occidentaux.

Du fond de sa retraite dorée à l’or fin, un homme savoure une victoire qu’il attendait depuis 2002. Le vieil autocrate Daniel arap Moi, au pouvoir entre 1978 et 2002, voit enfin son rêve se réaliser. Le 9 mars, après cinq jours de dépouillement, la commission électorale kényane (Independent Electoral and Boundaries Commission, IEBC) a déclaré son dauphin, Uhuru Kenyatta, vainqueur au premier tour de l’élection présidentielle avec 50,07 % des voix, contre 43,31 % pour Raila Odinga. Successeur de Jomo Kenyatta, Daniel arap Moi sait bien ce que le fils du père de l’indépendance lui doit.

Évidemment, le nouvel homme fort du pays a eu l’avantage de bien naître. Il peut se targuer d’avoir mené des études sérieuses à l’école Sainte-Marie de Nairobi, puis au Amherst College (Massachusetts, États-Unis), où il s’intéressa aux sciences politiques et à l’économie. Mais c’est bien Daniel arap Moi qui a donné à sa carrière les quelques coups de pouce nécessaires pour le conduire au seuil de State House.

Frustrés

Entré en politique en 1997, à l’âge de 36 ans, comme président d’une branche locale de la Kenya African National Union (Kanu, l’ancien parti unique), mais sèchement battu aux élections générales cette même année, Kenyatta a bénéficié deux ans plus tard d’une fort opportune nomination à la tête de l’Office du tourisme kényan (le Kenya Tourism Board), décidée directement par Moi. Élu au Parlement en 2001, il est ensuite devenu ministre chargé des Gouvernements locaux, puis vice-président de la Kanu et, enfin, en dépit de cette expérience somme toute réduite du pouvoir, candidat à la succession de Moi en 2002. Frustrés d’être si malproprement éconduits, les caciques de la Kanu rejoignirent alors en masse l’opposition, et la Coalition arc-en-ciel (la National Rainbow Coalition, Narc), emmenée par Mwai Kibaki, offrit au pays sa première alternance démocratique.

Il n’empêche. Immergé très tôt dans les eaux turbulentes des tractations politiciennes, rompu aux renversements d’alliances, Kenyatta junior apprend vite. En 2005, désormais chef de file de l’opposition, il se bat avec succès contre le projet de nouvelle Constitution, tout comme un certain… Raila Odinga, le leader du Mouvement démocratique orange. Mais deux ans plus tard, alors que se profile une nouvelle élection présidentielle, Kenyatta soutient cette fois Kibaki face à Odinga. Il ne veut plus, dit-on, prendre le risque d’être battu.

Moins impatient qu’à ses débuts, Uhuru Kenyatta sait qu’il a le temps… et l’argent nécessaire pour préparer son avenir. Si l’on en croit le magazine Forbes, il occupe une très honorable place dans le classement des 40 Africains les plus riches du continent : 26e en 2011, avec une fortune estimée à 500 millions de dollars (383,7 millions d’euros). Même s’il refuse souvent d’en parler, ce propriétaire terrien disposerait de 500 000 hectares de terres arables acquises à bas prix par son père, dans les années 1960 et 1970, à la faveur d’un accord avec l’ancien occupant britannique. La famille Kenyatta possède aussi la compagnie laitière Brookside Dairy, la Commercial Bank of Africa, le groupe de médias Mediamax et quelques hôtels.

Cette fortune, Kenyatta la doit sans doute plus à sa naissance qu’à la sueur de son front, du moins si l’on en croit ce qu’écrivait en 2009 l’ambassadeur américain à Nairobi dans un télégramme diplomatique révélé par WikiLeaks : « Les handicaps de Kenyatta sont au moins aussi importants que ses forces. Il boit trop et n’est pas un bourreau de travail. » Mais les apparences sont parfois trompeuses.

Dans le cambouis et dans le sang

Pariant sur une victoire de l’homme de terrain qu’est Raila Odinga, nombre d’observateurs ont sous-estimé les ressources d’un politicien retors qui a appris son métier dans le giron de Daniel arap Moi. Après la présidentielle controversée de 2007, son soutien à Kibaki lui a, par exemple, permis de devenir ministre du Commerce et vice-Premier ministre dans le cadre du gouvernement de coalition mis en place in extremis, en mars 2008, alors que le spectre de la guerre civile menaçait le pays. Pour assurer la victoire de Kibaki, Kenyatta n’avait pas ménagé sa peine, montrant qu’il savait plonger les mains dans le cambouis. Ou dans le sang, comme le lui reproche la Cour pénale internationale (CPI).

Partisans de Raila Odinga, le 12 mars à Nairobi. ©Reuters

Alors que le combat électoral entre Kibaki et Odinga dégénérait en affrontements politico-ethniques, Kenyatta n’aurait pas hésité à s’appuyer sur la secte kikuyue des Mungiki pour répondre aux attaques des supporteurs kalenjins, dont l’un des chefs n’était autre que William Ruto, ancien allié d’Odinga, ancien ministre de l’Enseignement supérieur, ancien ministre de l’Agriculture, colistier de Kenyatta à la présidentielle du 4 mars 2013 et nouveau vice-président du Kenya ! Le pays n’ayant pas réussi à mettre en place une juridiction ad hoc pour juger les responsables des violences, la CPI a pris les choses en main : Kenyatta et Ruto doivent tous deux être jugés pour crimes contre l’humanité.

Une certaine logique aurait voulu que la menace judiciaire plombe la campagne du duo « Uhuruto ». Tel n’a pas été le cas. En s’alliant, Kenyatta et Ruto ont réconcilié deux des plus importants blocs ethniques du Kenya. En outre, ils ont joué à fond la carte victimaire, se présentant comme les boucs émissaires d’une justice occidentale s’immisçant dans les affaires kényanes. Le cabinet londonien BTP Advisers qui les a conseillés est-il à l’origine de cette stratégie consistant à surfer sur le sentiment antibritannique ? Le paradoxe fait sourire, mais alors que les anciens combattants Mau Mau ont obtenu en 2012 le droit de poursuivre le Royaume-Uni pour les crimes commis à leur encontre, il faut reconnaître que l’idée était porteuse ! Surtout lorsque l’on sait que Jomo Kenyatta fut emprisonné par les Britanniques, de 1952 à 1961, pour ses liens supposés avec les Mau Mau.

Couleuvres

Le sentiment anticolonial a-t-il suffi pour faire basculer le vote ? Sans doute pas. Mais les deux hommes ont mené une campagne efficace qui a permis de rassembler les quelque 6 millions de voix nécessaires pour dépasser les 50 % et être élus au premier tour. Sonné, mais fidèle à ses engagements de campagne, Raila Odinga a appelé ses partisans au calme même s’il conteste la victoire de son adversaire devant la Cour suprême de justice.

Prudents, les gouvernements occidentaux se sont contentés de congratuler le peuple kényan, contrairement à leurs homologues africains, chinois et russes, qui ont félicité le nouvel élu. Mais si la victoire de Kenyatta est confirmée, les États-Unis comme l’Europe vont affronter une situation diplomatique délicate. Avant l’élection, le haut-commissaire britannique Christian Turner fanfaronnait en affirmant que son gouvernement ne traiterait que des « affaires essentielles » avec un responsable poursuivi par la CPI. De son côté, l’Américain Johnnie Carson se fendait d’un menaçant « Tout choix a des conséquences ». Les couleuvres de la realpolitik risquent d’être dures à avaler : le Kenya est à la fois un partenaire économique de poids et un allié incontournable dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Est. 

________

Jeuneafrique.com par  Nicolas Michel

Kenya: Kenyatta élu président, Odinga conteste, le pays reste calme

mars 9, 2013
 

Le vice-Premier ministre sortant et nouveau président kényan Uhuru Kenyatta, le 2 mars 2013 à Nai
Le vice-Premier ministre sortant et nouveau président
kényan Uhuru Kenyatta, le 2 mars 2013 à Nai © AFP

Uhuru Kenyatta, inculpé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI), a été proclamé, le 9 mars, président du Kenya dès le premier tour. Une victoire aussitôt contestée en justice par son rival Raila Odinga.

M. Kenyatta, fils de Jomo Kenyatta, premier président du Kenya indépendant entre 1964 et 1978, devient, près de 50 ans après l’accession au pouvoir de son père, le quatrième chef de l’Etat kényan. Son rival Raila Odinga, Premier ministre sortant, qui conteste les résultats du scrutin, a cependant appelé ses partisans au calme pour éviter une répétition des affrontements sans précédent ayant suivi sa précédente défaite en décembre 2007, car « la violence maintenant pourrait détruire ce pays pour toujours ».

La police avait été déployée en force dans plusieurs bidonvilles de Nairobi où les partisans de M. Odinga résident en nombre, mais contrairement à l’explosion de violences qui avait immédiatement suivi la réélection du président Mwai Kibaki il y a cinq ans, aucun trouble particulier n’avait marqué samedi soir l’annonce de la victoire de M. Kenyatta, 51 ans.

L’Union européenne et les Etats-Unis ont félicité les Kényans pour leur vote pacifique et appelé les deux parties à régler leurs différends dans le calme, via les procédures prévues par la Constitution.

Premier inculpé de la CPI à devenir chef de l’Etat

Fils de Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964-1978), Uhuru Kenyatta a franchi d’environ 8.400 voix la barre des 50% des votants requise pour l’emporter dès le premier tour du scrutin de lundi, marqué par une participation record de 85,9%.

Accusé de crimes contre l’Humanité pour son rôle présumé dans l’organisation des violences consécutives au scrutin de fin 2007, M. Kenyatta est le premier inculpé de la CPI à devenir chef de l’Etat. La Cour de La Haye a déjà inculpé le président soudanais Omar el-Béchir en 2009, mais celui-ci était alors au pouvoir depuis vingt ans.

Dans une référence apparente à cette situation politique et juridique inédite, M. Kenyatta a assuré que son pays « continuera de coopérer avec toutes les nations et institutions internationales, conformément à (ses) obligations ».M. Kenyatta a déjà assuré qu’il ne se déroberait pas à ses obligations devant la CPI même en cas d’élection.

Son procès doit s’ouvrir le 9 juillet et pourrait durer au moins deux ans. Son vice-président William Ruto doit comparaître à partir du 28 mai à La Haye, également à propos des violences de 2007-2008. « Les élections ne changent pas la donne en ce qui concerne la CPI car il n’existe pas d’immunité devant la Cour », a réagi le porte-parole du tribunal Fadi el-Abdallah. M. Kenyatta – qui a rendu hommage à M. Odinga dans son premier discours présidentiel – a recueilli au total 6.173.433 voix, soit 50,07% des 12.330.028 bulletins, selon le résultat final proclamé par le président de la Commission électorale, Ahmed Issack Hassan.

« Sans Raila, pas de paix »

Crédité de quelque 800.000 voix de moins que son adversaire (43,31% des votants), Raila Odinga a dénoncé « des irrégularités massives ». Mais celui qui, à 68 ans, a enregistré sa troisième et probable ultime défaite présidentielle, a assuré « faire confiance » à la Cour suprême pour annuler l’élection. La nomination à la tête de la plus haute juridiction du pays d’un ancien militant réputé des Droits de l’homme, Willy Mutunga, incarne le renouveau des institutions kényanes voulues par l’adoption en 2010 d’une nouvelle Constitution.

Fin 2007, la défaite de M. Odinga avait plongé le pays dans plusieurs semaines de violences avec plus de 1.000 morts et plus de 600.000 déplacés. Le président sortant Mwai Kibaki – qui, à 81 ans, ne se représentait pas cette année – avait été proclamé vainqueur à l’issue d’un dépouillement entaché de soupçons.

Uhuru Kenyatta était alors un soutien clé de M. Kibaki, issu comme lui de la communauté kikuyu, la plus importante numériquement – 17% des 41 millions d’habitants. Samedi, une foule nombreuse a envahi les rues de Naivasha, Nakuru et Eldoret, dans la Vallée du Rift qui a voté en masse pour M. Kenyatta.

« Uhuru, Uhuru, Uhuru »

Des petits groupes en tee-shirts rouges – couleur de Jubilee, la coalition victorieuse – sillonnaient Nairobi aux cris de « Uhuru, Uhuru, Uhuru ». Kisumu (ouest), fief de M. Odinga, oscillait en revanche entre abattement et colère froide. Des jeunes ont brièvement affronté la police à coups de pierre peu après l’annonce officielle des résultats. « Il faut qu’on reste calme, mais à ce que je vois, certains ne le resteront pas », s’inquiétait Alphonse Omodi, vigile de 30 ans, qui se dit « en état de choc ».

« Sans Raila, pas de paix ! », avaient scandé en fin de matinée près du bidonville de Kondele, des centaines de jeunes, conspuant la police, alors que des responsables religieux appelaient au calme. « On ne peut pas reprendre 10 ans »de pouvoir Kikuyu, s’insurgeait David Onyango, Luo comme M. Odinga (11% de la population).

Jeuneafrique.com avec AFP