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Les Tunisiens s’interrogent sur la « disparition » de Kaïs Saïed

avril 3, 2023

Mis à jour le 3 avril 2023 à 13:56Habituellement omniprésent sur la scène publique, le président tunisien n’a plus fait aucune apparition depuis le 23 mars. Une absence qui alimente rumeurs et spéculations.

Le président tunisien Kaïs Saïed rencontre le secrétaire d’État américain Antony Blinken lors du sommet États-Unis – Afrique à Washington, le 14 décembre 2022. © KEVIN DIETSCH/Getty Images via AFP

Le 22 mars, veille de ramadan, le président Kaïs Saïed s’est déplacé à la mosquée de la Zitouna, espace cultuel phare de Tunis. C’est la dernière fois qu’il a été vu en public. Depuis, la page Facebook de la présidence, qui à l’accoutumée fait part de l’essentiel de l’activité présidentielle, semble figée au 23 mars. On sait pourtant que le chef de l’État tunisien a reçu Paolo Gentiloni, le 27 mars. Une information confirmée par deux communiqués émis par le  commissaire européen à l’Économie, à l’occasion de son déplacement à Tunis. La délégation qui a accompagné le responsable européen au palais, sans être reçue, a attendu dans un salon la fin de la rencontre, et l’un de ses membres rapporte avoir entendu Kaïs Saïed, dont la voix est particulière. C’est l’ultime témoignage crédible concernant l’activité du président.

Depuis le 31 mars, les Tunisiens s’interrogent publiquement sur ce qu’il est advenu de leur président. À défaut d’informations données par les autorités, on spécule. En trois jours, la rumeur a enflé et s’est infiltrée sur tous les réseaux sociaux. Elle a démarré avec des « vœux de bon rétablissement » sibyllins pour devenir encore plus hermétique dans la soirée du 31 mars, avec des messages évoquant une « tachycardie ventriculaire polymorphe avec torsades de pointes ». Depuis, la formule sature les réseaux sans être très explicite. Renseignements pris, ce type de pathologie touche, notamment, des personnes suivant certains traitements médicaux.

Le précédent Essebsi

Aucun médecin, bien sûr, ne se hasarde à formuler le moindre avis. C’est donc la rumeur, toujours elle, qui remplit les cases manquantes. À en croire certaines sources, le président aurait eu un malaise après le départ de Gentiloni, ce qui aurait nécessité son admission à l’hôpital militaire de Tunis. Depuis, son état se serait amélioré et il serait actuellement de retour à Carthage, sous contrôle médical.

Interpellé sur le sujet par des journalistes, le ministre de la Santé, Ali Mrabet, a refusé d’évoquer l’état de santé du président. Il n’a sans doute pas voulu se substituer au général Mustapha Ferjani, ministre conseiller du président Saïed, qui a conservé son poste de chef de service de la réanimation à l’hôpital militaire de Tunis et qui, de par sa position, est sans doute celui dont la parole est la plus crédible. Comme cela avait été le cas lors des hospitalisations de Béji Caïd Essebsi.À LIRETunisie : disparition de Béji Caïd Essebsi, héritier de Bourguiba à la présidence contrastée

Cette situation préoccupe et trouble d’autant plus les Tunisiens que, comme le fait remarquer un internaute sur les réseaux sociaux, « le président de la République disparaît des radars à un moment critique où la Tunisie est en pleine négociation internationale pour sa survie économique ». Difficile, là encore, de ne pas faire le parallèle avec les incertitudes dues aux difficultés constitutionnelles apparues au décès du président en exercice Béji Caïd Essebsi, en juillet 2019.

À l ‘époque déjà, il aurait théoriquement fallu qu’une Cour constitutionnelle constate la vacance de pouvoir et désigne un président par intérim, mais cette instance n’avait pas été créée en raison des embûches posées par Ennahdha. Malgré les pressions – en particulier la tentation d’un passage en force de l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed – , Mohamed Ennacer, président de l’Assemblée des représentants du peuple, avait finalement tranché et imposé, avec le soutien de l’hémicycle, une feuille de route pour aller à des élections présidentielles anticipées. Lesquelles ont été remportées par Kaïs Saïed.

Vide constitutionnel

Aujourd’hui, la question de la vacance de pouvoir revient, quoi que d’une autre manière, et révèle la faiblesse de la Constitution de 2022 sur ce point. Le texte voulu par Kaïs Saïed prévoit, dans ses articles 107 et 108, qu’en cas d’empêchement provisoire le président délègue ses pouvoirs au chef du gouvernement (lequel ne peut toutefois pas procéder à la dissolution des deux chambres du Parlement). L’article 109 quant à lui, énonce qu’ « en cas de vacance de la présidence de la République pour cause de décès, de démission, d’empêchement absolu ou pour toute autre cause, le président de la Cour constitutionnelle est alors immédiatement investi provisoirement des fonctions de président de l’État pour une période allant de quarante-cinq jours au moins à quatre-vingt-dix jours au plus. »

Mais comme en 2019, le problème est que la Cour constitutionnelle évoquée dans le texte n’a toujours pas été mise en place. Et pour tout compliquer, certains estiment que puisque le président Saïed a été élu et a prêté serment conformément à la Constitution de 2014, ce sont les règles de celle-ci – et non de celle adoptée en 2022 – qui doivent s’appliquer. Une interprétation qui, dans les faits, n’apporte rien de plus puisque même dans ce cas, il faudrait une Cour constitutionnelle.

Dans l’attente d’éclaircissement (ou d’une réapparition du président), l’heure est donc au vide constitutionnel. Une situation d’impasse qui commence à angoisser l’opinion. « Nous sommes conscients que ce qui se joue est grave et nous sommes en droit de savoir puisque, selon la Constitution, le peuple est souverain », assène, à titre personnel, un proche du Parti destourien libre (PDL). Il est l’un des rares à donner un avis alors que les partis politiques encore opérationnels, tout comme la société civile, ne se prononcent pas.

Confusion

Certains pages et comptes animés par des mouvements acquis à Kaïs Saïed en sont réduits à démentir les rumeurs via la diffusion d’anciennes photos, ce qui ne fait qu’alimenter une confusion qui ajoute à l’anxiété. D’autres rappellent que les demandes de diffusion d’un bulletin de santé du président n’ont jamais été suivies d’effet tandis que les plus optimistes, pour dédramatiser, rappellent qu’avant de prendre en main tous les pouvoirs, Kaïs Saïed avait l’habitude de se mettre en retrait à certaines périodes. D’autres enfin estiment que cette absence de la scène publique pourrait également être une réaction à la pression internationale qui enjoint le président à signer l’accord pour un prêt du Fonds monétaire international, dont l’octroi est conditionné à des réformes que le président perçoit comme une ingérence.

Les spéculations vont bon train mais jusqu’à présent, les Tunisiens continuent d’attendre une parole officielle. Qui aurait le courage de la prendre ? L’heure est pour l’instant au silence et à la Kasbah, siège de la primature, on continue à traiter les affaires courantes. Une attitude qui, avec le temps, risque de devenir de plus en plus surréaliste.

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani

Près de 300 Ivoiriens et Maliens seront rapatriés de Tunisie ce samedi

mars 3, 2023

Les rapatriements de migrants subsahariens se multiplient en Tunisie après que le récent discours du président Kaïs Saïed a déclenché une vague de xénophobie dans le pays.

Des migrants ivoiriens se pressent devant leur ambassade de Tunis en vue de leur prochain rapatriement. © Yassine Mahjoub / NurPhoto / NurPhoto via AFP

« Un départ sur Air Côte d’Ivoire est prévu samedi à 7h du matin (6h GMT) avec 145 passagers à bord », a déclaré l’ambassadeur ivoirien à Tunis, Ibrahim Sy Savané, interrogé depuis Abidjan. « Le nombre de candidats au retour atteint 1 100 à ce jour », a-t-il poursuivi.

L’ambassade du Mali à Tunis a quant à elle indiqué qu’un avion pouvant transporter 150 personnes avait été affrété sur ordre du chef de la junte, le colonel Assimi Goïta. L’avion quittera Tunis à 8h samedi (7h GMT).

« Prison à ciel ouvert »

Il s’agit des premiers vols de rapatriement en Côte d’Ivoire et au Mali depuis le discours le 21 février du président tunisien Kais Saïed, qui avait annoncé des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine en provenance d’Afrique subsaharienne. Dans ce discours qualifié de « raciste » par des ONG, il avait affirmé que leur présence en Tunisie était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».

Selon Ange Séri Soka, responsable d’une association de ressortissants ivoiriens en Tunisie, rentré à Abidjan cette semaine, « la Tunisie est devenue une prison à ciel ouvert aujourd’hui », pour les migrants d’Afrique subsaharienne.

Abus de pouvoir et agressions physiques

« La question de la carte de séjour bloque tout », a-t-il poursuivi lors d’une conférence de presse à Abidjan, affirmant qu’il était quasiment impossible pour les travailleurs migrants d’obtenir ce sésame en Tunisie. « Sans carte de séjour, vous ne pouvez pas aller au poste de police si vous êtes agressé, vous travaillez au noir » et « cela encourage les abus de pouvoir », a-t-il dit.

Un grand nombre des 21 000 migrants originaires de pays d’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie, pour la plupart en situation irrégulière, ont perdu du jour au lendemain leur travail (généralement informel) et leur logement. D’autres ont été arrêtés pour des contrôles policiers et certains ont témoigné d’agressions physiques.

Par Jeune Afrique avec AFP

La Côte d’Ivoire va rapatrier 500 de ses ressortissants de Tunisie

mars 2, 2023

Après les propos du président tunisien Kaïs Saïed contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans son pays, Abidjan débloque un milliard de francs CFA pour une opération spéciale de rapatriement.

Le 1er mars 2023 devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis : les migrants ivoiriens viennent s’enregistrer en espérant un rapatriement, suite aux propos de Kaïs Saïed contre la communauté subsaharienne en Tunisie. © Nicolas Fauque

La Côte d’Ivoire a annoncé le mercredi 1er mars le rapatriement de 500 Ivoiriens résidant en Tunisie. L’annonce a été faite à l’issue du Conseil des ministres par le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly. « Le Conseil a été informé de la situation en Tunisie, où nos compatriotes vivent des moments particulièrement difficiles. […] Aujourd’hui, nous avons un effectif de 725 Ivoiriens identifiés. Parmi eux, nous avons 500 volontaires pour le retour », a-t-il précisé. Au total, les Ivoiriens seraient jusqu’à 7 000 dans le pays, selon l’Institut national des statistiques tunisien.

Le lundi 27 février, certains avaient manifesté devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis pour réclamer ce rapatriement. Cette mobilisation faisait suite aux propos tenus par le président tunisien Kaïs Saïed contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans son pays, affirmant que leur présence était source de « violence et de crimes » et provoquant dans la foulée une série d’agressions contre ces expatriés.

1 milliard de francs CFA

« Notre compagnie nationale Air Côte d’Ivoire a été missionnée pour opérer ces retours », a détaillé Amadou Coulibaly. Le gouvernement ivoirien a par ailleurs promis d’allouer à ces 500 ressortissants un pécule à leur arrivée à Abidjan afin de « faciliter leur réintégration ». Le montant total de cette opération est estimé à 1 milliard de francs CFA (un peu plus de 1,5 million d’euros).

En attendant ce retour, dont la date n’a pas été précisée, le porte-parole du gouvernement a assuré que « des dispositions ont été prises pour identifier et héberger les compatriotes dans des conditions acceptables grâce à des ONG caritatives ».

De son côté, la Guinée a d’ores et déjà procédé à une première vague de rapatriements. Une cinquantaine de Guinéens sont arrivés ce mercredi 1er mars à Conakry grâce à un avion mis à leur disposition par les autorités de leur pays.

Avec Jeune Afrique par Florence Richard

En Tunisie, des Subsahariens sur leurs gardes et désireux de quitter le pays

mars 1, 2023

En appelant, le 21 février, à des mesures radicales contre les « vagues de migration », Kaïs Saïed a rendu la vie des ressortissants subsahariens en Tunisie très difficile, quel que soit leur statut légal. Témoignages.

Devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis, le 1er mars 2023. © Nicolas Fauque

Début février, à Sfax, une jeune Ivoirienne a été assassinée par deux Guinéens. Un fait divers dramatique, dont les autorités tunisiennes se sont aussitôt emparées pour dénoncer un « regain de violence » imputable, selon elles, à ces « migrants subsahariens » à l’encontre desquels le président Kaïs Saïed, évoquant une stratégie visant à modifier la composition de la société tunisienne et à africaniser un pays arabe et musulman, a réclamé des mesures répressives le 21 février.

Si les propos sans précédent du président ont suscité tollé et indignation, ils se sont aussi immédiatement accompagnés d’une multiplication de contrôles et d’arrestations de personnes « de couleur ». Un durcissement qui suscite des réactions partagées. « Ils ne font qu’appliquer la loi », justifie Omar, un épicier de Dar Fadhal, à La Soukra, dans les environs de Tunis, où une communauté des migrants irréguliers est installée. S’il défend la position des autorités, le commerçant réalise aussi qu’il va peut-être devoir se passer d’une clientèle acquise et qui payait comptant.

Mais qui sont ces ressortissants subsahariens présents en Tunisie ? De quels pays viennent-ils et combien sont-ils réellement ? Le flux d’arrivées a en fait commencé à s’intensifier à partir de 2011, à la faveur de la chute du régime de Kadhafi en Libye. Un nombre croissant de personnes fuyant leur pays d’origine, mais aussi les camps libyens, ont alors commencé à affluer dans le pays. Auparavant, les Subsahariens que l’on pouvait croiser étaient pour la plupart des diplomates, des fonctionnaires internationaux, des patients venus se faire soigner ou des étudiants, un diplôme tunisien représentant un bon viatique pour retourner au pays ou s’intégrer ailleurs.

Plus gros contingent : les Ivoiriens

Actuellement, le nombre total de ressortissants subsahariens dans le pays est estimé à 60 000, dont 21 000 sont sans papiers. Selon l’Institut national des statistiques (INS), le contingent le plus nombreux est celui des Ivoiriens, qui sont environ 7 000, souvent arrivés par le biais de réseaux de compatriotes opérant comme des organisations mafieuses et s’adonnant à de la traite de personnes, sous couvert de procurer des emplois dignes et rémunérateurs en Tunisie.

Une pratique d’autant plus simple que, depuis plusieurs années, la plupart des ressortissants subsahariens n’ont pas besoin de visa pour entrer en Tunisie. Un passeport et un billet d’avion aller-retour permettent de séjourner trois mois en toute légalité. Passé ce délai, certains se fondent dans la clandestinité, ce qui est relativement facile pour ceux, et ils sont nombreux, qui se sont installés dans les pôles urbains du littoral comme Sfax, Sousse et Tunis, où ils ont souvent eu le temps de trouver un emploi, certes précaire et non déclaré. Parfois avec l’envie, ensuite, de tenter de passer en Italie, car aucun des Subsahariens en situation irrégulière n’a pour projet de s’installer durablement en Tunisie.

En attendant, leur statut d’irréguliers en fait les victimes toutes désignées de toutes formes d’exploitation. Les Ivoiriens l’ont appris à leurs dépens, mais aussi les Camerounais, les Guinéens, les Congolais et les Sénégalais, qui représentent les communautés les plus importantes parmi les candidats à la traversée vers l’Europe.

Pénalités de retard

On croise aussi, mais en nombre bien plus faible, des Malgaches, des Burundais, des Tchadiens, des Maliens et des Togolais, et depuis peu, des Soudanais. Tous tendent à se montrer discrets, font le maximum pour se couler dans la masse et se conformer au mode de vie tunisien, tremblant à l’idée d’être arrêtés et conduits vers le centre de rétention d’El-Ouardia, dans la périphérie de Tunis.

Cet établissement où sont rassemblés les migrants irréguliers en instance d’expulsion reste peu connu dans le pays, même si son existence a été dévoilée dès 2015 par des Syriens fuyant les exactions de l’État islamique (EI), mais qui n’avaient pas obtenu le droit d’asile en Tunisie.À LIREAprès les propos de Kaïs Saïed, l’absence de réaction des gouvernements africains fait polémique

Aujourd’hui pourtant, certains Subsahariens en arrivent à penser que l’expulsion est peut-être un moindre mal. « Je ne pensais pas que les Tunisiens étaient aussi racistes. C’est difficile à vivre au quotidien et encore plus maintenant », témoigne Sidiki, un Guinéen qui travaillait comme mécanicien à Mandiana, dans l’est de son pays, et s’est improvisé maçon, vivant de travaux non déclarés. Il attend que son épouse le rejoigne par voie terrestre, mais elle se heurte aux contrôles rigoureux récemment instaurés dans les zones frontalières sahariennes avec l’Algérie. Lui-même est arrivé en Tunisie par la Libye, où il assure avoir été témoin de véritables atrocités dans les camps de réfugiés du Fezzan.

Sidiki ne s’attendait pas à rencontrer tant de difficultés en Tunisie à cause de la barrière de la langue et de sa couleur de peau. Il avoue se sentir piégé, d’autant que pour quitter la Tunisie, il devra s’acquitter obligatoirement de pénalités de retard – 20 dinars par jour –, qui courent dès que les trois mois de séjour autorisés arrivent à échéance. « Fais le compte, je suis là depuis dix-huit mois. Je n’ai pas cet argent », confie-t-il. Depuis dix jours, il craint pour sa sécurité, mais parvient encore à travailler grâce à un patron conciliant. Depuis cinq jours, toutefois, il n’a plus de lieu fixe où dormir, ayant été mis dehors avec ses colocataires par son logeur. Il est en contact avec diverses associations et espère être rapatrié par l’ambassade de Guinée à Tunis.

Hébergés dans les ambassades

Les ambassades tunisoises de plusieurs pays subsahariens voient d’ailleurs, depuis quelques jours, défiler un flot croissant de personnes souhaitant être rapatriées. Le 28 février, l’AFP a dénombré une cinquantaine d’Ivoiriens campant dans l’herbe devant leur représentation diplomatique. Selon le responsable d’une association locale d’Ivoiriens, 500 d’entre eux se seraient inscrits « pour repartir au pays ». De son côté, l’ambassade du Mali affirme héberger « une trentaine » de ses ressortissants et avoir établi une liste de 200 personnes désirant être rapatriées. Un diplomate malien cité par l’agence de presse faisait état de pourparlers entre Bamako et Tunis pour que les autorités tunisiennes « annulent les pénalités et permettent à nos compatriotes de rentrer ».

Le même diplomate évoque le cas d’« un étudiant qui a eu le visage tailladé en pleine rue à Bizerte (Nord) et des compatriotes insultés et pris à partie hier dans le quartier aisé de La Marsa ». Quant au Conseil supérieur de la diaspora malienne, il a publié un communiqué condamnant des scènes « inacceptables de violences physiques, d’expulsions ou d’expropriations de biens ». Le communiqué se conclut par ces mots forts : « La Tunisie du président Bourguiba ne mérite pas un président comme Kaïs Saïed. »

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani  – à Tunis

L’Union africaine condamne les déclarations « choquantes » de Kaïs Saïed sur les migrants

février 25, 2023

L’Union africaine a condamné les propos de président tunisien sur les migrants originaires d’Afrique subsaharienne et appelé ses états membres à « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste ».

Des migrants africains au large de la ville de Sfax, dans le sud de la Tunisie, le 28 octobre 2022. © Yassine Gaidi / Anadolu Agency via AFP

Kaïs Saïed avait provoqué la stupeur le 21 février en prônant des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine de ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, affirmant que leur présence en Tunisie était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », des propos dénoncés par des ONG.

Lors d’une réunion, le président tunisien avait aussi tenu des propos très durs sur l’arrivée de « hordes de migrants clandestins » et insisté sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration. Il avait en outre soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».

« Traiter tous les migrants avec dignité »

Dans un communiqué vendredi, le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, « condamne fermement les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre des compatriotes Africains, qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de notre Organisation et de nos principes fondateurs ».

Il « rappelle à tous les pays, en particulier aux États membres de l’Union africaine, qu’ils doivent honorer les obligations qui leur incombent en vertu du droit international (…), à savoir traiter tous les migrants avec dignité, d’où qu’ils viennent, s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes, et accorder la priorité à leur sécurité et à leurs droits fondamentaux ».

Crise économique

Moussa Faki Mahamat réitère « l’engagement de la commission à soutenir les autorités tunisiennes en vue de la résolution des problèmes de migration afin de rendre la migration sûre, digne et régulière ».

Le discours de Kaïs Saïed, qui concentre tous les pouvoirs après avoir suspendu en juillet 2021 le Parlement et limogé le gouvernement, survient alors que le pays traverse une grave crise économique marquée par des pénuries récurrentes de produits de base, sur fond de tensions politiques.

Selon des chiffres officiels cités par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), la Tunisie compte plus de 21 000 ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, en majorité en situation irrégulière.

Par Jeune Afrique (Avec AFP)

En Tunisie, Kaïs Saïed veut rendre au peuple l’argent qui lui a été volé

janvier 10, 2023

Récupérer l’argent détourné sous Ben Ali ou depuis 2011 pour l’affecter à des projets de développement. C’est le but de la « conciliation pénale » mise en place par le président tunisien, mais dont le cadre juridique inquiète déjà.

Le président tunisien Kaïs Saïed. © Nicolas Fauqué

Après la mise en place d’entreprises citoyennes, le président Kaïs Saïed continue à dérouler son programme. Il pousse les administrations concernées à faciliter la tâche de la Commission de la conciliation pénale, qu’il a désignée en novembre 2022 et à laquelle il a donné six mois pour aboutir à des résultats, selon le décret annonçant la création de cette instance publié en mars 2022.

L’idée n’est pas nouvelle mais elle a maintenant force de loi. Kaïs Saïed part d’un principe de justice sociale – éviter que certains ne s’enrichissent sur le dos d’un peuple déjà dans la précarité – et en fait le fer de lance de sa politique.

Grâce au nouveau dispositif, il compte récupérer pas moins de 13,5 milliards de dinars (environ 4 milliards d’euros) détournés durant l’ère Ben Ali, et au moins autant pour les dix dernières années de gabegie financière et politique. Les ressources ainsi récupérées doivent être affectées à des projets de développement dans des zones sinistrées.

Pour le président, il s’agit à la fois de créer un précédent pouvant jouer sur les équilibres sociaux et de tenir une promesse électorale, tout en tentant de renflouer les caisses de l’État. Le tout obéissant à une logique qui lui tient à cœur et dont il veut démontrer la validité : il suffit de le vouloir et de s’en donner les moyens pour faire aboutir un projet. Projet qu’en l’occurrence Kaïs Saïed avait longuement présenté aux partis et à la société civile en 2012-2013, mais qui était resté sans lendemain.

La récente adoption du dispositif de conciliation sonne donc comme une revanche, et donne au président le rôle de celui qui sait ce qu’il convient de faire. Ici, obliger ceux qui se sont rendus coupables de malversations à investir dans les régions démunies pour générer du développement.

Retour sur la chose jugée

Une opération simple et qui n’est pas inconnue des Tunisiens. Immédiatement après la chute du régime de Ben Ali en janvier 2011, l’une des exigences exprimée par la révolution a été une reddition des comptes.

Corruption, affairisme et népotisme avaient largement contribué à dresser l’opinion contre les détenteurs de pouvoir ou les membres du sérail. Dans la foulée du 14-Janvier, a été mise en place la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation. Une instance dont le nom était associé à celui de Abdelfattah Amor, l’ancien doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, qui la préside et qui a été le mentor de l’actuel chef de l’État.

Cette commission a établi une liste de 460 personnes et a transmis les dossiers à la justice. Certains prévenus ont été blanchis, d’autres ont écopé d’amendes et de peines de prison, et d’autres encore sont tout simplement décédés.

On pourrait penser que pour ces derniers, ce chapitre de redevabilité est clos, mais il n’en est rien. Bien au contraire. Le décret de mars 2022 revient, au mépris des principes juridiques les plus élémentaires, sur la chose jugée et considère que tout ce qui a précédé en matière de conciliation est caduc, voire irrecevable.

Pourtant, en dix ans, plusieurs tentatives d’en finir avec cette situation sur laquelle achoppe une réconciliation nationale ont été amorcées. Deux commissions, celle de Abdelfattah Amor et celle de la confiscation, ont référencé tous les manquements constatés durant la période Ben Ali.

Ensuite, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) a elle aussi rassemblé des témoignages et engagé des procédures auprès des tribunaux sans que nul ait recensé les résultats obtenus. À ces instances vient encore s’ajouter l’initiative de conciliation politique du président Béji Caïd Essebsi, dont le volet prévoyant l’amnistie des commis de l’État concernés par des dossiers de corruption s’est heurté à un mouvement protestataire « menech msamhine » (« Nous ne pardonnons pas ») et a été écarté de la loi adoptée en 2017.

Un texte trop large

Aujourd’hui, Kaïs Saïed tient à ce que la nouvelle commission obtienne des résultats au plus vite. Une manière de bloquer l’avancée des « forces, entre autres celles du capital, qui voudraient contrer le président », confie l’un des soutiens de la coordination d’El Mnihla, quartier de Tunis où vit le chef de l’État.

Mais à la lecture du décret qui officialise la création de la commission, on a le sentiment que la procédure risque de toucher riches et pauvres indistinctement. La procédure ne tient pas compte des jugements rendus précédemment. Chacun, même présumé innocent, devra démontrer sa bonne foi.

« Plus grave encore, alerte l’avocat et ancien magistrat Ahmed Souab, on peut être condamné sur des intentions. Si on comptait commettre un fait de corruption, même si on n’est pas passé à l’acte, on tombe sous le coup du décret actuel. »

Ayant siégé à la Commission de la confiscation en 2011, le juriste précise aussi que l’identification des personnes et des biens a déjà été effectuée et que les biens confisqués sont depuis au moins dix ans propriété de l’État. Un fait sur lequel l’administration préfère garder le silence, d’autant que depuis, la gestion des biens confisqués par l’État s’est révélée calamiteuse.

Le décret de 2022 prévoit aussi que dans le cas où la commission clôt ses travaux et où l’exécution de la réconciliation n’a pas été réalisée, le dossier retournera entre les mains de la justice et les peines prévues seront appliquées. « Le processus ne prévoit rien pour la justice transitionnelle », déplore un ancien de l’IVD.

« Le projet est trop important pour présenter des lacunes et être traité en six mois. Il faut en finir avec l’idée que rien n’a été concluant depuis 2011 et ouvrir un nouveau chapitre. Sous cet angle, la conciliation pénale peut être fédératrice et provoquer un sursaut salutaire », estime de son côté un candidat aux législatives dans la circonscription de Zaghouan.

Plusieurs magistrats soulignent quant à eux les lacunes et les contradictions du texte créant la nouvelle commission. Et rappellent que c’est ce projet qui a été à l’origine du désaccord entre le président de la République et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qu’il a dissous en février 2022.

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani- à Tunis

Tunisie : Kaïs Saïed, l’Iran et le chiisme

août 5, 2022

Rumeurs de visites de pèlerins chiites, tropisme iranien de Kaïs Saïed, changement d’identité religieuse… Depuis plusieurs semaines, la question chiite agite la très sunnite Tunisie.

Commémoration du martyre de l’imam Hussein, petit-fils du Prophète, pendant la ‘Achoura, à Kerbala, en Irak. © HAIDAR MOHAMMED ALI / AFP

Depuis quelques jours, la rumeur se fait insistante à Tunis : 263 Iraniens sont attendus à Mahdia (Est) pour commémorer la ‘Achoura, les 7 et 8 août. Et un autre groupe d’Algériens chiites devrait en faire autant à Kairouan (Centre). Un événement qui ne revêt pas le même sens pour les sunnites et les chiites.

Pour ces derniers, la ‘Achoura est la commémoration du martyre de l’imam Hussein et de sa famille durant la bataille de Kerbala, en 680, alors que les sunnites rendent grâce à Dieu d’avoir permis à Moïse de traverser le mer Rouge et d’échapper à Pharaon.

L’information surprend, la Tunisie n’étant pas une terre de pèlerinage ou de tourisme religieux. Mais ces derniers mois, la question chiite revient de manière régulière et persistante.

Les chaînes télé Telvza TV et Attounissia se sont emparées du sujet avec un reportage de vulgarisation sur Kerbala en Irak ou des débats avec le cheikh chiite Ahmed Salmane de l’association Ahl El Beyt. Cette petite musique interpelle une opinion essentiellement sunnite malékite, peu coutumière des confrontations confessionnelles.

Les liens MTI-Téhéran

« Pourquoi parle-t-on autant du chiisme, qui a toujours existé en Tunisie de manière minoritaire ? » s’interroge Kamel, qui admet assimiler les chiites « aux invasions arabes des Banou Hilal au XIe siècle ». Les esprits s’échauffent avec un imaginaire nourri d’approximations historiques. « Il faudrait rétablir la vérité sur les chiites, qui sont musulmans, croient au Prophète et au Coran. On devrait en avoir fini avec la grande discorde… », déplore de son côté un enseignant de Skhira converti au chiisme en 2019.

Sans réellement distinguer le chiisme et l’ismaélisme (une branche du chiisme) des Fatimides, la plupart des Tunisiens situent l’âge d’or des chiites dans leur pays à l’époque du califat fatimide (909-1171). En Tunisie, ce dernier a renversé la dynastie aghlabide (800-909), fondé la ville côtière de Mahdia, avant de s’établir au Caire en 973.

La communauté chiite compte aujourd’hui en Tunisie près de 5 000 fidèles. Une progression qui remonte à la lointaine révolution iranienne de 1979. À ses premières heures, la République islamique a accueilli des militants tunisiens du Mouvement de la tendance islamique (MTI) persécutés par le régime de Bourguiba, puis de Ben Ali. Ultime témoignage de ses liens, en 2018, le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, était présent à la fête de la révolution à l’ambassade iranienne à Tunis.

Impressionnés par l’effervescence et les promesses de la révolution iranienne, certains Tunisiens ont cherché à s’en inspirer pour provoquer une révolution islamique sunnite similaire. Un moment marquant qui a également conduit des islamistes au chiisme, comme Mbarek Baadech, chef de la communauté à Gabès. Mais, de façon contre-intuitive, la sphère chiite intéresse également des militants de la gauche nationaliste arabe, davantage attirés par l’anti-impérialisme du régime iranien et de son protégé libanais le Hezbollah que par le mysticisme chiite.

Le Sud, terre de prosélytisme

Une tendance générale que l’ancien président Zine al-Abidine Ben Ali a contrée « en s’accordant avec l’Iran pour que la révolution islamique ne fasse pas de prosélytisme en Tunisie et ne se rapproche pas des islamistes tunisiens », rappelle le politologue Slaheddine Jourchi.

« C’est après 2011 et la chute du régime que des associations, dont l’influente Ahl El Beyt et son réseau international, ont eu pignon sur rue en finançant et en menant des actions dans le cadre culturel et associatif », raconte un proche du courant chiite qui rappelle le rôle du centre culturel iranien, lequel se livrait discrètement au prosélytisme sous couvert d’activités culturelles.

Mais la chute du régime de Ben Ali et la sortie de la clandestinité des islamistes tunisiens ont favorisé l’apparition d’un courant salafiste violemment anti-chiite. Dans ses prêches en 2012-2013, le cheikh intégriste Béchir Ben Hassen réclamait ainsi la déchéance de nationalité, voire l’exécution pour les chiites tunisiens. Des propos brutaux qui ont fait dire au cheikh Mbarek Baadach que la religion des adeptes du cheikh Ben Hassen « est autre que celle de Mohammed ».

« Il n’y a pas de déploiement chiite en Tunisie mais une minorité qui jouit des libertés accordées par le pays », tempère le journaliste Wajdi Ben Messaoud, qui a travaillé sur le sujet.

De nombreux Tunisiens ignorent que le chiisme a pris ses quartiers principalement dans le Sud, région rude et conservatrice. « C’est une survivance des Fatimides. Le chiisme a été préservé par le fait qu’il était vécu en communauté, mais comme un secret de famille ou de tribu », explique Wajdi Ben Mansour. Reste que le travail du cheikh Mbarek Baadech a fait de Gabès un foyer chiite qui rayonne jusqu’à Ksibet El Mediouni (Sahel).

Dans la région du Djerid (Sud-Ouest), le cheikh Tijani Smaoui relaie depuis Gafsa la tradition chiite à laquelle il s’est initié après un voyage initiatique qui l’a conduit jusqu’en Irak.

Mais dans cette région profondément marquée par le soufisme et où le prestige des marabouts est encore vivace, cette présence soulève des inquiétudes. « Il faudrait aimer suffisamment ce pays pour lui éviter d’être divisé en deux clans qui s’affronteraient sans raison tangible sur un si petit territoire… », assène Meriem, une militante pour la laïcité originaire de Mahdia.

Sur la dernière décennie, Téhéran a ainsi pu, par son entregent en Tunisie, poser un pied au Maghreb et s’ouvrir vers l’Afrique, une approche inenvisageable en Algérie et au Maroc.

Fascination pour l’Iran

Le petit tropisme iranien du président Kaïs Saïed suscite également des interrogations. Son rapport à l’Iran intrigue depuis sa prise de fonction en octobre 2019 et sa volonté de s’entourer de proches comme l’ancien ambassadeur tunisien à Téhéran, Tarak Bettaieb, qui sera son chef de cabinet. Naoufel Saïed, frère et conseiller officieux du président, co-dirigeant de la Ligue tunisienne pour la culture et la pluralité, est un admirateur notoire de la pensée de l’Iranien Ali Shariati, l’idéologue de la révolution iranienne.

« De là à affirmer que le président est un crypto-chiite, il y a une grande marge. Il n’y a que quelques présomptions », commente le sociologue Mouldi Gassoumi. Qui reprend : « Le régime que veut instaurer Kaïs Saïed est un régime présidentiel ultra renforcé où il incarne un pouvoir absolu », à l’image des pouvoirs extensifs que l’article 107 de la Constitution iranienne octroie au Guide de la révolution. « Sa fascination pour l’Iran est évidente mais le chiisme n’est pas le monopole de l’Iran… », admet un soutien de Kaïs Saïed.

Ce tropisme iranien de Kaïs Saïed provoque incontestablement des remous, notamment au sein du Parti destourien libre (PSL) de Abir Moussi, dont l’un des membres dénonce dans les colonnes du médias Business News « la falsification de la volonté des Tunisiens et le recours à un référendum illégitime et illégal afin de forcer le passage, en Tunisie, vers un système politique similaire et inspiré de l’expérience de la révolution iranienne et du règne de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny ».

Le juriste Sadok Belaïd, dont le projet de Constitution n’a pas été retenu par le président Kaïs Saïed, se fait le relais de ces craintes dans une conférence sur la loi fondamentale donnée le 22 juillet 2022. Évoquant l’émergence du chiisme en Tunisie avec le consentement du pouvoir, il a ainsi affirmé que « l’enjeu est la transformation profonde de l’identité tunisienne ».

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani – à Tunis

Tunisie : pour la Fête de l’indépendance, Kaïs Saïed fait le procès de l’ère Bourguiba

mars 21, 2022
Kaïs Saïed, lors de son discours du 20 mars 2022. © DR

À l’occasion de la fête du 20 mars, le président tunisien a réservé un discours quelque peu surprenant à ses concitoyens, alors que son projet de consultation nationale s’est soldé par un échec.

Avant de devenir président, Kaïs Saïed était enseignant. Il ne l’a pas oublié. Pour commémorer les soixante-six ans de l’indépendance, il a troqué à minuit, entre le 20 et le 21 mars, ses notes de juriste pour se faire historien.

Toute la journée, les Tunisiens ont attendu que le président de la République évoque les pères fondateurs de leur pays en un hommage fédérateur. Tout s’est déroulé comme si le gouvernement, accaparé par la préparation de décrets examinés lors d’un conseil ministériel convoqué au pied levé en cette fin de journée du 20 mars, avait occulté la Fête de l’indépendance. Certaines rumeurs faisaient état d’un président très affecté après la dégradation à CCC de la note souveraine de la Tunisie par Fitch Ratings, le 18 mars.

Avant le conseil des ministres, le président a choisi de valoriser les trois décrets en question, dont ceux de la réconciliation nationale et de la création d’entreprises citoyennes. Des projets qu’il a déjà abondamment présentés et dont « on attend de voir l’application », selon un membre du courant des Citoyens contre le coup d’État.

Mais les interrogations de l’opinion sur la célébration de l’anniversaire de l’indépendance semblent être remontées jusqu’à Carthage et ont provoqué une intervention in extremis avant que la journée du 20 mars ne s’achève. « Kaïs Saïed attendait aussi la fin de la consultation nationale en ligne qui se terminait à minuit », signale plus prosaïquement un observateur de la vie du Palais.

Les travers du parti unique

Cette consultation en ligne constitue la première étape cruciale du projet présidentiel, dont le chef d’État compte intégrer les résultats à la Constitution qu’il va soumettre au référendum le 25 juillet 2022. Il s’est ainsi félicité du succès de la démarche, 534 915 Tunisiens s’étant exprimés, soit « plus de suffrages que certains partis aux législatives », a-t-il rappelé. En rapportant ce chiffre à un corps électoral de plus de 8 millions d’électeurs, force est de constater que l’enthousiasme présidentiel a quelque chose de forcé.

LE PRÉSIDENT TUNISIEN S’EST LIVRÉ À UNE RÉTROSPECTIVE DE L’HISTOIRE MODERNE DU PAYS, RÉINTERPRÉTÉE À SA MANIÈRE

Mais Kaïs Saïed, loin de s’interroger sur la pertinence de son initiative, dénonce plutôt les malveillances et les offensives technologiques destinées à bloquer le site de la consultation. Il évoque une coupure d’internet, fomentée par des hackers, mais aussi des manipulations qui auraient permis de changer de manière ciblée l’indicatif téléphonique de la Tunisie de 216 en 212, ce qui aurait empêché des citoyens de recevoir un code d’identification et d’accéder au formulaire.

Surtout, le président tunisien s’est livré à une rétrospective de l’histoire moderne du pays, réinterprétée à sa manière. Sans faire référence au Premier ministre Tahar Ben Ammar (1889-1985), signataire de l’indépendance, Kaïs Saïed est abondamment revenu sur les années de la construction nationale, tout en dénonçant les travers du régime de Bourguiba et du parti unique.

Il cite ainsi la réduction des libertés, le complot de 1962, les tribunaux exceptionnels et l’interdiction du Parti communiste. Il fustige aussi le Parti socialiste destourien (PSD) qui n’a pas su, à l’issue du congrès de Monastir en 1974, accepter le principe de la pluralité politique.

Poids des symboles

L’hostilité de Kaïs Saïed à Bourguiba n’est pas un secret mais sa sortie est interprétée comme une tentative de réduire l’aura de celui qui est encore considéré comme le père de la Nation. « Kaïs Saïed ne fait pas la part des choses alors qu’il a bénéficié du système Bourguiba », dénonce une militante du Collectif contre le coup d’État.

« Le président agit et s’exprime comme s’il voulait s’accaparer le passé du pays et substituer aux faits historiques ses propres actions. Le 25 juillet, Fête de la République, il a mis la main sur tous les pouvoirs, et le 20 mars 2022, Fête de l’indépendance, il a signé des décrets dont il estime qu’ils sont un temps fort de l’histoire nationale », précise un historien qui souhaite conserver l’anonymat.

« Les décrets ne valent que par leur pertinence », s’agace de son côté Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui souhaite la tenue d’un dialogue national.

Pour ce discours à la tonalité historique, les services de communication de la présidence ont imaginé faire signer les décrets à Saïed sur la table qui a servi à signer le traité du Bardo (1881), par lequel la Tunisie est devenue protectorat français.

« Il n’en est rien. Le guéridon du traité figure parmi les pièces bien connues présentes au palais Ksar Saïd et ne ressemble en rien à celui filmé par Carthage », affirme une conservatrice qui a travaillé en 2016 sur « L’éveil d’une nation », exposition portant sur le réformisme tunisien et les origines du protectorat, dont cette pièce était un élément majeur.

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani – à Tunis

Tunisie : incendie au siège d’Ennahdha, Kaïs Saïed cherche à apaiser les tensions

décembre 10, 2021
Bilan du sinistre : 1 mort et 18 blessés, dont Abdelkrim Harouni, président de la Choura, et Ali Laarayedh, ancien chef du gouvernement et vice-président du parti à la colombe. © FETHI BELAID/AFP

Le siège du parti islamiste a été ravagé par un incendie causé par l’immolation d’un militant. Explications.

Le 9 décembre, en début d’après-midi, un incendie s’est déclaré au siège d’Ennahdha, situé dans le quartier de Montplaisir, à Tunis. Le feu a ravagé une grande partie des locaux du parti islamiste. Bilan : 1 mort et 18 blessés, dont Abdelkrim Harouni, président de la Choura, qui souffre de brûlures, et Ali Laarayedh, ancien chef du gouvernement et vice-président du parti à la colombe, qui présente des fractures après avoir sauté du deuxième étage du bâtiment en feu.

Les rumeurs sur les causes du drame sont allées bon train, avant que les faits ne se précisent : Samir, un militant d’Ennahdha de 51 ans, s’est immolé dans le hall de l’immeuble. Un geste de désespoir et de dépit.

L’homme, qui avait participé à l’attentat contre la cellule du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) à Bab Souika (Tunis) en 1991, avait été libéré en 2006, puis embauché par Ennahdha, qui a renoncé à ses services voilà un an.

UNE PARTIE DE L’OPINION PUBLIQUE S’EST FÉLICITÉE DU DRAME SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

Sans emploi, l’homme, qui escomptait percevoir les dédommagements que l’Instance Vérité et Dignité (IVD) avait accordés aux islamistes persécutés par l’ancien régime, n’a pu rencontrer le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, ce qui aurait motivé son passage à l’acte.

Détestation

Le chef du parti et président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) – gelée par le président Kaïs Saïed depuis le 25 juillet – s’est exprimé en fin de journée sur l’identité de celui qu’il qualifie de « martyr » : « Sami a passé plus de dix ans en prison et a mené une longue bataille contre la dictature […]. Même si l’Instance Vérité et Dignité s’est prononcée en sa faveur, Sami a souffert de la discrimination sociale. »

Depuis 2011, de nombreux protestataires ont tenté ou menacé de s’immoler par le feu. Exprimant d’ordinaire son empathie à l’endroit de ceux qui se tuent ainsi par désespoir, une partie de l’opinion publique s’est au contraire félicitée du drame sur les réseaux sociaux. Un phénomène qui en dit long sur la ténacité et l’ampleur de la détestation du parti islamiste. Alors qu’Ennahdha est le principal parti qui pâtit des décisions présidentielles du 25 juillet, Kaïs Saïed ne peut laisser les profondes divisions qui traversent la société mettre en péril son projet.

Dans la matinée du 9, le président s’est réuni avec son trio de conseillers en droit constitutionnel, les professeurs Sadok Belaïd, Amine Mahfoudh et Mohamed Salah Ben Aïssa. Kaïs Saïed se prépare à faire des annonces majeures à l’occasion de la commémoration de la révolution, qu’il vient de fixer au 17 décembre et non plus au 14 janvier.

Le président estime que la Constitution en vigueur n’est pas l’émanation de la volonté populaire et dénonce les politiciens qui cherchent des appuis auprès de puissances étrangères. Ce qui donne une idée des mesures que le chef de l’État va annoncer le 17 décembre.

LE SOIR, LORS D’UNE SÉANCE DU CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ, KAÏS SAÏED SE PRÉSENTE COMME FÉDÉRATEUR ET CONCILIANT

Changement de ton en fin de journée après l’incendie au siège d’Ennahdha : celui qui dit vouloir mettre en œuvre ce que « le peuple veut », selon le slogan qu’il a fait sien, se présente lors d’une séance du Conseil national de sécurité comme fédérateur et conciliant. Il s’est dit garant de la continuité de l’État sur un ton apaisé qu’on ne lui connaissait pas.

Pas de marche arrière

Entre le matin et le soir, Kaïs Saïed n’a pas changé d’avis mais il a jugé qu’il fallait calmer les tensions. « Il a bien affirmé et répété qu’il ne compte pas opérer de marche arrière et il faut se le tenir pour dit. Il a révélé que son problème et son projet est d’ordre constitutionnel mais les mesures qu’il prépare ne sont pas toutes les bienvenues, notamment la modification de la loi fondamentale qui revient à reconnaître que le 25 juillet était bien un coup d’État », commente une source proche des Affaires étrangères.

Dans ce contexte tendu, certains craignent que le chef de l’État n’ait recours à la force publique pour enrayer les mouvements de protestation qui s’organisent pour le 17 décembre. « Attendons de voir si les acquis seront préservés par son projet constitutionnel », tempère une militante féministe qui participera à la marche contre les violences faites aux femmes prévue à Tunis le 10 décembre.

Avec Jeune Afrique par RFrida Dahmani – à Tunis

Tunisie : Kaïs Saïed assure « préparer la sortie » de l’état d’exception

novembre 21, 2021
Kaïs Saïed, le 11 octobre à Tunis. © TUNISIAN PRESIDENCY/ANADOLU AGENCY/AFP

Le président tunisien Kaïs Saïed a assuré « préparer la sortie » de l’état d’exception, en vigueur depuis le 25 juillet, lors d’une conversation téléphonique avec le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.

La Tunisie « prépare les prochaines étapes » politiques afin de « sortir de la situation exceptionnelle » dans laquelle se trouve le pays, a assuré Kaïs Saïed à Antony Blinken samedi soir, confirmant « sa volonté » de ramener le pays à une « situation normale ».

Le 25 juillet, le président avait créé la surprise en limogeant le Premier ministre, en suspendant les activités du Parlement et en reprenant le contrôle de l’appareil judiciaire. Il avait ensuite promulgué, le 22 septembre, un décret officialisant la suspension de certains chapitres de la Constitution et instaurant des « mesures exceptionnelles », le temps de mener des « réformes politiques ».

« Péril imminent »

Le président tunisien, qui ne pas fait pas mystère de sa volonté d’instaurer un système politique présidentialiste, a aussi l’intention de faire approuver les changements constitutionnels par référendum, avant tout nouveau scrutin parlementaire. Il a justifié ses décisions par un « péril imminent », lié aux blocages politiques et à la profonde crise socio-économique et sanitaire dans laquelle se trouvait la Tunisie en juillet.

Ses détracteurs dénoncent toutefois un « coup d’Êtat » et « un accaparement du pouvoir ». À Antony Blinken, Kaïs Saïed a expliqué avoir agi face à un Parlement tunisien qui s’était « transformé en théâtre d’affrontements » où « les travaux ont été perturbés à maintes reprises par des violences verbales et physiques ».

Le président Saïed a par ailleurs souligné que les difficultés économiques et sociales sont « le problème essentiel » de la Tunisie. Le taux de chômage atteint désormais 18,4% et le pays, dont la croissance reste faible (3 à 4% prévus pour 2021), a demandé récemment au FMI une nouvelle aide de près de 4 milliards de dollars (3,3 milliards d’euros).

Par Jeune Afrique avec AFP