DÉFIS. Un mois après sa victoire à la présidentielle contestée du 9 août, William Ruto prend la tête d’un pays divisé, où les challenges ne manquent pas.

C’est peu dire que cette journée d’investiture était attendue. En effet, c’est ce mardi 13 septembre que le nouveau président élu William Ruto, 55 ans, jusqu’alors vice-président du sortant Uhuru Kenyatta, a pris la tête de la plus grande économie d’Afrique de l’Est, après que la Cour suprême a finalement validé sa victoire à la présidentielle du 9 août dernier, avec environ 233 000 voix d’avance sur Raila Odinga, l’opposant historique qui avait dénoncé des « fraudes ». Les juges ont rejeté à l’unanimité les accusations d’Odinga, figure historique de la politique kényane de 77 ans qui avait reçu le soutien du président Uhuru Kenyatta.
Les observateurs indépendants ont loué le bon déroulement de l’élection qui, malgré des résultats serrés et contestés, n’a pas donné lieu à des violences comme le pays a pu en connaître par le passé. Mais de multiples défis attendent le nouveau président qui, selon de nombreux analystes, hérite d’un pays profondément divisé.
Comment gouverner après une élection disputée ?
Si les habitudes de vote ethnique qui façonnent traditionnellement les élections au Kenya semblent avoir moins pesé sur les élections cette année au profit d’un clivage socio-économique, le résultat serré a toutefois révélé une nation fortement divisée.
Stratège politique reconnu, William Ruto a fait de l’élection une opposition entre les « débrouillards » du petit peuple qu’il affirme défendre face aux « dynasties » incarnées par Raila Odinga et son principal soutien, le président sortant Uhuru Kenyatta, dont les familles ont dominé la politique depuis l’indépendance en 1963.
Une fois sa victoire confirmée, il a adopté un ton conciliant, tendant « une main fraternelle » à ses concurrents et promettant que son gouvernement servirait les Kényans quelle que soit leur affiliation politique et ethnique.
Mais les relations avec les camps Odinga et Kenyatta, anciens rivaux qui s’étaient alliés contre lui, pourraient être houleuses. Selon le cabinet de conseil en risques politiques Eurasia Group, « Ruto s’est efforcé de coopter des législateurs indépendants et des maillons faibles d’Azimio [la coalition de Raila Odinga, NDLR] pour établir une majorité opérationnelle suffisante pour adopter des lois et des budgets » au Parlement.
Comment redresser une économie en difficulté ?
Si le Kenya est l’économie la plus dynamique d’Afrique de l’Est, elle fait face à d’importantes difficultés, avec notamment une explosion des prix des carburants et des produits de première nécessité comme la farine de maïs servant à préparer l’ugali, aliment de base au Kenya.
L’inflation a atteint 8,5 % en août, un plus haut depuis cinq ans, venant se combiner avec une chute du shilling kényan, la monnaie nationale.
Le chômage est également un problème majeur, notamment chez les jeunes.
William Ruto a promis de mettre en place un « fonds des débrouillards » d’un montant de 50 milliards de shillings kényans (environ 410 millions d’euros) permettant d’accorder des prêts aux petites entreprises pour stimuler la croissance.
Ancien ministre de l’Agriculture, le président Ruto s’est également engagé à subventionner des engrais pour redynamiser le secteur agricole, pilier de l’économie kényane qui pèse 20 % du PIB. « Cette année, de nombreux agriculteurs n’ont pas planté de maïs, de manioc et de blé à cause des prix trop élevés des engrais », confiait la semaine dernière Florentina Kimoi, agricultrice de 81 ans originaire d’Eldoret, bastion de Ruto dans la vallée du Rift.
Toutes ces promesses d’aides devront toutefois être menées dans un contexte d’explosion de la dette, qui a été multipliée par six depuis 2013 pour dépasser les 70 milliards d’euros, soit 67 % du PIB.
Comment s’attaquer à la corruption ?
William Ruto a promis de s’attaquer à la corruption, sujet aussi crucial qu’épineux dans un pays où des dizaines d’hommes politiques et de fonctionnaires font l’objet d’inculpations dans des affaires de détournements de fonds publics.
Mais cette promesse récurrente de tous les dirigeants kényans sonne creux pour de nombreux habitants.
Le président Ruto a lui-même une réputation sulfureuse, marquée par des accusations passées de corruption, d’appropriation de terres et de détournement de fonds, tandis que son vice-président, Rigathi Gachagua, a été condamné à quelques jours de la présidentielle à rembourser environ 1,7 million de dollars dans une affaire de corruption.
Dans son éditorial du 7 septembre, le quotidien The Standard a exhorté le nouveau président à nommer « des hommes et femmes intègres » dans son gouvernement.
L’ONG Transparency International classait le Kenya au 128e rang sur 180 dans son classement en 2021 sur la perception de la corruption, évoquant une lutte qui avait « stagné » dans le pays.
Quelle diplomatie dans la région ?
Le président sortant Uhuru Kenyatta a consacré une partie de son second mandat à jouer les médiateurs en Afrique de l’Est, réchauffant les relations avec la Somalie voisine, s’impliquant dans la crise en République démocratique du Congo et accueillant des pourparlers entre le Soudan et l’Éthiopie.
Les partenaires du Kenya attendent désormais de voir l’attitude qu’adoptera la nouvelle administration dans un pays considéré comme un allié de confiance et un havre de stabilité démocratique dans une région tourmentée.
Pour les analystes, le sujet brûlant est la reprise des combats fin août dans le nord de l’Éthiopie entre forces progouvernementales et rebelles tigréens, après une trêve de cinq mois.
Le président Kenyatta avait proposé d’accueillir à Nairobi des négociations pour mettre fin au conflit qui dure depuis près de deux ans. Dimanche, les rebelles se sont dit d’accord pour une médiation de l’Union africaine, comme le demandait le gouvernement éthiopien.
Le Point avec AFP