Condamnés le 9 mars en première instance par la justice ivoirienne à deux ans de prison ferme pour trouble à l’ordre public, ils ont vu leurs peines commuées en sursis au terme d’un procès qui s’est achevé tard dans la nuit.
L’audience s’est achevée hier, mercredi 22 mars, tard dans la nuit. Les 26 militants du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), la formation politique de Laurent Gbagbo, condamnés le 9 mars en première instance à deux ans de prison ferme pour trouble à l’ordre public, étaient jugés en appel dans la grande salle du Palais de justice d’Abidjan. Au terme de plusieurs heures de débat, le tribunal a décidé de commuer leur peine en sursis.
Selon un de leurs avocats, Me Tapi, ils devraient être libérés ce jeudi 23 mars quand les démarches administratives nécessaires auront été effectuées. Ces 26 personnes étaient incarcérés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) depuis leur arrestation, le 24 février.
En soutien à Damana Pickass
Ce jour-là, le groupe s’était rassemblé, dans le calme, en soutien à Damana Pickass, le secrétaire général du parti, convoqué pour s’expliquer devant un juge d’instruction sur son rôle présumé dans l’attaque d’un camp militaire à Abobo qui avait fait trois morts et un blessé en 2021. Ce dernier était ressorti libre de son audition, mais avait plus tard été inculpé pour « atteinte à la sûreté de l’État, participation à des activités de terrorisme, blanchiment d’argent et détention d’armes ».
Le PPA-CI avait dénoncé des condamnations « iniques, arbitraires et politiquement orientées », « une provocation injustifiée du gouvernement ivoirien à l’égard du parti », et réclamé leur libération. Me Tapi, qui a plaidé l’acquittement, n’exclut pas de se pourvoir en cassation pour tenter de faire annuler ces condamnations.
L’ancien président ivoirien, chef du PPA-CI qui fête son premier anniversaire, demande aussi au Togolais Faure Essozimna Gnassingbé de « redoubler d’efforts » pour obtenir la libération des 46 soldats encore détenus à Bamako. Et estime qu’Alassane Ouattara porte « la plus grande responsabilité ».
« Il faut demander au président Assimi Goïta de penser à sa fraternité d’armes avec ceux qui sont en prison là-bas, que certains appellent des soldats et d’autres des mercenaires », a-t-il déclaré en marge d’une cérémonie célébrant le premier anniversaire de sa formation politique, le Parti des peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI).
Pique adressée à Ouattara
Il a également lancé un appel « au président togolais Faure [Essozimna] Gnassingbé », qui joue le rôle de médiateur entre la Côte d’Ivoire et le Mali, le priant de « redoubler d’efforts ». Il a annoncé que son parti allait bientôt envoyer des délégations en Guinée, au Burkina et au Mali, trois pays où des militaires ont pris le pouvoir après avoir perpétrés des coups d’État.
Laurent Gbagbo a cependant rappelé que les soldats avaient été envoyés au Mali par la Côte d’Ivoire et, selon lui, « c’est celui qui envoie qui a la plus grande responsabilité […] si cela tourne au vinaigre ».
Blocage sur le lieu où seront remis les soldats
Abidjan et l’ONU affirment que les soldats ivoiriens arrêtés devaient participer à la sécurité du contingent allemand des Casques bleus au Mali, mais les autorités maliennes les a présentés comme des « mercenaires » venus attenter à la sûreté de l’État. Au début d’octobre, le président ivoirien, Alassane Ouattara, s’était montré optimiste quant à l’issue de ce conflit diplomatique.
« Les choses évoluent bien […]. Nous pensons que, très rapidement, nous aurons sans doute un heureux aboutissement », avait dit le chef de l’État ivoirien à l’issue d’une rencontre avec son homologue bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalò, qui préside actuellement la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Il avait rencontré la veille à Abidjan le président togolais mais, selon nos informations, un point de blocage restait à résoudre : le lieu où seront remis les soldats.
Dialogue politique, alliances, commission électorale… À quelques jours de son premier anniversaire, le parti de l’ancien président a dressé un premier bilan – forcément positif – de ces douze derniers mois. Sans oublier de critiquer vertement le pouvoir et sa gestion.
À Abidjan, ce 13 octobre, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) a choisi d’ignorer les sceptiques et de jouer la carte de l’optimisme. « Un an après [sa création], le PPA-CI constitue une force politique majeure », s’est enthousiasmé Justin Koné Katinan, deuxième vice-président et porte-parole du parti, lors d’une conférence de presse. Avec ses 18 députés, le parti créé par Laurent Gbagbo le 17 octobre 2021 se présente comme la troisième force politique du pays, après le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) d’Alassane Ouattara, et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié.
L’amnistie plutôt que la grâce
Face aux journalistes, Justin Koné Katinan n’a pas communiqué sur le nombre de membres que compte aujourd’hui le PPA-CI, mais il a affirmé que son implantation « progress[ait] très bien ». Il a toutefois promis qu’un point plus précis serait fait lors des célébrations marquant ce premier anniversaire. Celles-ci seront l’occasion d’une prise de parole de Laurent Gbagbo.
En attendant, le PPA-CI a entrepris de dresser un premier bilan des douze derniers mois. S’il s’est félicité de la participation du parti au dialogue politique lancé par le Premier ministre Patrick Achi, il a dit regretter la grâce accordée par le chef de l’État à son prédécesseur en lieu et place d’une amnistie. « Il n’a jamais été question d’une grâce. L’amnistie fait partie des résolutions du dialogue politique et le PPA-CI compte se battre pour cela car il s’agit de l’honneur de son président », a-t-il poursuivi.
Le PPA-CI regrette également son absence au sein de la Commission électorale indépendante (CEI) et le fait qu’il n’ait pas pu prendre part au renouvellement de ses représentations locales. « Notre entrée à la CEI n’est pas une faveur, c’est un droit, a-t-il lancé alors que le gouvernement a annoncé, le 12 octobre, le début de la révision des listes électorales. C’est une résolution du dialogue politique qui trouve inacceptable que la troisième force politique du pays n’y soit pas représentée. » Laissant entendre que la légalité de la formation avait été mise en doute, Justin Koné Katinan a insisté sur le fait qu’il avait bien un récépissé du ministère de l’Intérieur, et qu’il comptait se battre pour être intégré. Il a néanmoins appelé les militants à s’inscrire sur les listes.
Concernant ses alliances, le PPA-CI répète ne faire aucun compromis et réfute les informations selon lesquelles des discussions auraient été entamées autour de la formation d’un gouvernement d’ouverture. Au sujet du PDCI, il a expliqué que leur partenariat avait été dicté par les circonstances. Les deux anciens présidents se parlent d’ailleurs régulièrement, même si Henri Konan Bédié a laissé libre court aux spéculations, lors du bureau politique de son parti, en affirmant que le PDCI allait, lui, devoir réévaluer ses alliances.
Le chef de l’État ivoirien a fait plusieurs annonces importantes ce 6 août, lors de son discours à la nation diffusé à la veille de la fête nationale qui se tient cette année à Yamoussoukro.
« Dans le souci de renforcer la cohésion sociale, j’ai signé un décret accordant la grâce présidentielle à monsieur Laurent Gbagbo », a déclaré Alassane Ouattara lors de son discours à la nation, ce samedi 6 août. L’ancien chef de l’État avait été condamnée en 2018 à vingt ans de prison dans l’affaire dite du « casse de la BCEAO ».
Le président ivoirien a également annoncé avoir « demandé qu’il soit procédé au dégel des comptes [de son prédécesseur] et au paiement de ses arriérés de rentes viagères ». Ce versement était bloqué par les autorités ivoiriennes depuis le retour de Gbagbo en Côte d’Ivoire, en juin 2021.
ADO a enfin signé un décret accordant la libération conditionnel au contre-amiral Vagba Faussignaux et au commandant Jean-Noël Abehi. Ancien commandant de la marine nationale blessé le 11 avril 2011, le premier avait été condamné à 20 ans de prison en 2015. Le second, ex-homme fort du dispositif sécuritaire de Laurent Gbagbo, avait écopé de dix ans de prison en 2018 pour « complot contre l’autorité de l’État ».
Umaro Sissoco Embaló, président de la Guinée-Bissau et président en exercice de la Cedeao et et Georges Weah, président du Liberia, y assisteront également.
Le président Alassane Ouattara a reçu ses deux prédécesseurs ce jeudi 14 juillet. Un rendez-vous de « réconciliation » et « d’apaisement » destiné à devenir le premier d’une série.
Ils ont échangé en tête-à-tête pendant plus d’une heure. « Nous avons eu une très bonne séance de travail », a déclaré Alassane Ouattara au sortir des discussions, avant de laisser la parole au benjamin des trois, Laurent Gbagbo, qui s’est exprimé en leur nom à tous.
Décrispations
« La rencontre de ce jour a été une rencontre de retrouvailles pour renouer le contact et échanger dans la vérité sur toutes les grandes questions. Le président de la République et ses deux prédécesseurs ont exprimé leur volonté de faire de cette première rencontre un levier de la décrispation du climat politique et social en Côte d’Ivoire », a dit l’ancien président (2000-2011).
« Les uns et les autres considèrent que c’est une réunion extraordinaire. Mais on doit considérer qu’elle est ordinaire et qu’elle sera régulière. Chaque fois que mes prédécesseurs auront le temps de reprendre ces échanges, je leur ferai appel pour recueillir leur avis et recommandations. Je trouve que ce sera une bonne chose pour la nation d’entendre et d’écouter mes prédécesseurs, leur connaissance du pays, leur expérience et le poids politique qu’ils représentent. Nous auront l’occasion de nous revoir régulièrement », a pour sa part ajouté Alassane Ouattara.
Fraternelle
Cette rencontre des trois piliers de la scène politique, prévue de longue date, avait été reportée pour des questions de calendrier. Elle était l’une des propositions issues du dialogue politique, dans la perspective des élections locales qui se tiendront en 2023 et de la présidentielle de 2025.
Un an plus tôt, le 27 juillet 2021, Ouattara avait rencontré Gbagbo lors d’une rencontre « fraternelle ». Ils s’étaient alors engagés à œuvrer pour la réconciliation.
Attendues depuis le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, il y a un an, les retrouvailles d’Alassane Ouattara et de ses deux prédécesseurs sont imminentes. Un cliché historique qui confirmera que les « vieux » refusent la retraite politique ?
En même temps que la Côte d’Ivoire intriguait pour réunir quatre anciens chefs d’État burkinabè autour du condamné Blaise Compaoré – celui-ci n’en côtoiera finalement qu’un (Jean-Baptiste Ouédraogo), Roch Marc Christian Kaboré, Yacouba Isaac Zida et Michel Kafando ayant décliné l’invitation de Paul-Henri Sandaogo Damiba -, le pays de Félix Houphouët-Boigny feuilletonnait la réunion d’un autre boys band : les retrouvailles annoncées des trois anciens présidents vivants de la République ivoirienne.
Simple selfie ?
Après de légitimes hésitations et de sincères encombrements d’agendas, le temps semble venu. Laurent Gbagbo rentré le 28 juin de plusieurs semaines de déplacement privé à Bruxelles et Henri Konan Bédié débarqué ce 10 juillet de sa ville de Daoukro, les deux anciens présidents ont pu signaler leur disponibilité à s’asseoir, qui à droite de l’actuel locataire du palais, qui à gauche.À LIRECôte d’Ivoire : le parti de Gbagbo à l’heure des comptes
Si les titans de la politique ivoirienne contemporaine ont souvent dansé le tango en duo, à l’occasion d’alliances opportunistes dont ils ont épuisé les combinaisons, ils ont rarement présenté une bourrée au grand public, cette danse qui peut se pratiquer à trois partenaires. La rencontre au sommet est imminente, probablement le 14 juillet. Simple selfie à trois ? Des sourires hypocrites pour une photographie historique en guise de terminus ? Les « vieux » Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo – 245 ans à eux trois – ne sont pas du genre à prendre de la distance avec la politique politicienne opérationnelle.
Élections en ligne de mire
La rencontre au sommet s’inscrit donc en contrepoint du dialogue politique du début d’année. Et l’ordre du jour, devant ou derrière les caméras, devrait être concret : la perspective des élections locales et régionales de 2023, le projet de loi créant deux nouveaux sièges à la commission centrale de la Commission électorale indépendante (CEI), la question des prisonniers considérés par certains comme « politiques », depuis les crises électorales de 2010-2011 et de 2020, mais aussi la présidentielle de 2025. Un scrutin sur lequel chaque ancien chef d’État entend bien peser, avec toute l’ambiguïté qui sied sur sa participation éventuelle au casting…
La rencontre de ce mois de juillet n’offrira sans doute que des vœux de fraternité dont on a appris qu’ils étaient souvent pieux. Peut-être faudra-t-il s’en contenter, voire s’en réjouir. Car le proverbe populaire indique que « Quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent ». La Côte d’Ivoire est bien le pays des éléphants, alors qu’ils dansent la bourrée.
Militant anti-impérialiste, longtemps “Monsieur Afrique” du Parti socialiste français avant d’entamer une carrière de chanteur, Guy Labertit est l’un des plus proches amis de Laurent Gbagbo.
C’était il y a tout juste quarante ans, mais je m’en souviens encore parfaitement. C’était le dernier lundi de juin 1982. Comme tous les lundis, à 19 heures, j’avais rendez-vous au 14 rue de Nanteuil, dans le 15e arrondissement de Paris, pour assister au comité de rédaction de la revue Libération Afrique que je dirigeais.
À l’époque, je n’étais pas au Parti socialiste – que je n’intègrerai que neuf ans plus tard. J’étais professeur d’espagnol et militant anti-impérialiste, et je m’intéressais déjà beaucoup à l’Afrique : j’avais rencontré le Burkinabè Thomas Sankara et le Tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Ce jour-là, nous avions décidé d’organiser un échange autour de la littérature contemporaine africaine. Nous avions invité les Camerounais Paul Dakeyo et Mongo Beti. Ce dernier était de loin le plus célèbre d’entre nous depuis la publication, en 1954, de son roman Ville cruelle. On cherchait un interlocuteur supplémentaire et nous avons pensé à Laurent Gbagbo. Il avait 37 ans, n’était pas vraiment connu, mais venait de publier Économie et société en Côte d’Ivoire avant 1960, qui n’est pas un roman mais un résumé de sa thèse.
Persona non grata
Il s’est assis de l’autre côté de la table, juste en face de moi. Je le revois encore, il portait des lunettes à grosse monture en écaille noire, ses cheveux drus et rebelles dépassaient d’une sorte de casquette beige.
GBAGBO VOULAIT MONTRER QUE LE RÉGIME D’HOUPHOUËT-BOIGNY PERSÉCUTAIT LES OPPOSANTS
Laurent Gbagbo venait d’arriver en France. Quand était-ce exactement ? Lui-même a toujours été incapable de me dire quel jour il avait quitté Abidjan, mais c’était à la fin de mars 1982. Aussitôt à Paris, il avait demandé le statut de réfugié. Le lendemain de notre rencontre, il apprendrait d’ailleurs le refus de l’administration française de le lui octroyer. Il ne l’obtiendrait que trois ans plus tard, en 1985. Il n’en avait pas vraiment besoin pour rester en France mais il y tenait. C’était politique : il voulait montrer que le régime d’Houphouët-Boigny persécutait ses opposants.
Il avait fui la Côte d’Ivoire car il était considéré comme le principal responsable d’un prétendu complot des enseignants. Pour le pouvoir, c’était surtout un moyen de « casser » les manifestations universitaires. À l’époque, Gbagbo venait de se lancer en politique. Depuis une dizaine d’années, il était surtout connu en tant que leader syndicaliste. Deux ans auparavant, il avait été nommé à la tête de l’Institut d’histoire d’art et d’archéologie africains. Ce n’était pas rien pour lui de quitter la Côte d’Ivoire.
C’était, bien sûr, renoncer temporairement à sa vie dans son pays mais aussi à son statut dans le monde intellectuel abidjanais. Car Laurent Gbagbo est un vrai intellectuel, un homme qui peut encore vous parler en latin. Il s’était enfui par le train Abidjan-Ouagadougou puis avait pris un vol jusqu’à Paris où il était logé chez une amie, avenue du Maine, dans le 14e. Plus tard, il s’installera dans le quartier de Saint-Paul, de l’autre côté de la Seine.
Je me souviens de ce jour comme d’un formidable moment. D’ailleurs, Laurent Gbagbo est resté également ami avec Mongo Beti. En sortant de notre réunion, vers 21 heures, il faisait encore jour et doux – ce sont les plus longues journées de l’année en France. Nous n’avons pas bu un verre mais je lui ai donné mon numéro et, quinze jours plus tard, nous nous sommes revus. Puis encore une fois en septembre.
L’année suivante, il est venu vivre chez moi. Il y est resté pendant cinq ans. Il a fondé le Front populaire ivoirien (FPI), puis a été candidat à la présidentielle et, des années plus tard, est devenu président, avant d’être envoyé devant la Cour pénale internationale… puis libéré. Nous ne nous sommes jamais quittés.
BILAN. Le retour de l’ex-président, le 17 juin 2021, présageait une opposition plus franche au pouvoir d’Alassane Ouattara. Un an plus tard, il n’en est rien.
Laurent Gbagbo garde le silence et cela interroge visiblement. Rentré en fanfare le 17 juin 2021 à Abidjan, après son acquittement par la justice internationale, l’ancien président ivoirien se positionne pour l’heure comme un opposant discret. Tout en gardant un œil sur la présidentielle de 2025 ?
Une fois la liesse populaire accompagnant son retour retombée, l’ex-chef de l’État (2000-2011), âgé aujourd’hui de 77 ans, a rapidement affiché sa volonté de jouer le jeu de la réconciliation. En juillet 2021, il s’est d’abord rendu à Daoukro (centre), chez Henri Konan Bédié, ex-président jadis rival et désormais son allié. Quelques semaines plus tard, il était reçu par le président Alassane Ouattara, une première depuis leur duel à la présidentielle de 2010 qui avait débouché sur une crise meurtrière. L’accolade chaleureuse entre les deux hommes laissait entrevoir « des lendemains heureux », comme l’espérait alors la presse. « L’esprit de revanche, pour un républicain, ça ne marche pas. Pour Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire passe au-dessus de tout », affirme à l’AFP Justin Koné Katinan, un de ses fidèles lieutenants.
Laurent Gbagbo pris dans le jeu de la réconciliation
Après des années d’incarcération à La Haye, accusé puis acquitté par la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité, le « Woody » (garçon, un de ses surnoms) a toutefois voulu reprendre toute sa place dans le jeu politique ivoirien. En octobre, alors qu’il lance le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), une nouvelle formation politique panafricaniste de gauche, il assure vouloir continuer la politique jusqu’à sa mort. Mais, si la plupart des cadres du Front populaire ivoirien (FPI), son parti historique, l’ont suivi dans cette aventure, quelques poids lourds manquent à l’appel : parmi eux, Simone Gbagbo, ex-première dame, avec laquelle il a demandé le divorce, et Pascal Affi N’Guessan, son ancien Premier ministre, avec lequel il est en rupture politique. « On pensait que sa sortie de prison allait le booster, mais ça n’a pas été aussi facile, il n’a pas su être le rassembleur de la gauche ivoirienne », pointe l’analyste politique Arthur Banga.
Depuis lors, outre quelques piques contre le troisième mandat controversé de son successeur, Laurent Gbagbo se garde généralement de tirer à boulets rouges sur le pouvoir actuel. « À part deux-trois saillies lors de visites à l’intérieur du pays, ce n’est pas le foudre de guerre qu’on attendait », confirme Arthur Banga. Début juin, les députés de son camp ont même voté en faveur d’Adama Bictogo, le candidat de la majorité, à l’élection du président de l’Assemblée nationale. « Nous ne sommes pas une opposition dogmatique », avait alors justifié Hubert Oulaye, un de ses fidèles lieutenants et patron du groupe PPA-CI à l’Assemblée. « Il n’y a pas d’incompatibilité à travailler à la réconciliation et être un opposant. Laurent Gbagbo est un homme de l’opposition et nous avons beaucoup de points de divergences avec le pouvoir », assure le porte-parole du parti, Justin Koné Katinan, citant pêle-mêle l’endettement, la politique de développement ou encore la politique étrangère.
Une discrétion contrainte jusqu’à quand ?
Pour plusieurs observateurs, cette opposition modérée s’explique aussi par l’épée de Damoclès judiciaire qui plane toujours au-dessus de la tête de Laurent Gbagbo. Car, s’il a été acquitté par la justice internationale, il reste condamné par contumace en 2018 en Côte d’Ivoire à vingt ans de prison pour le « braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale de 2010-2011. « Cette condamnation le contraint à la discrétion. Le pouvoir peut à tout moment activer la procédure judiciaire », estime le politologue et essayiste ivoirien Geoffroy Kouao.
Alors, un an après son retour, Laurent Gbagbo a-t-il toujours envie d’être président de la Côte d’Ivoire en 2025 ? « Il a encore ses ambitions et nous l’accompagnerons. Il n’y a aucun débat là-dessus », répond Katinan, martelant que Laurent Gbagbo n’est « pas à la retraite ». « Son âge avancé constitue un handicap politique dans un pays où les jeunes et l’opinion publique sont de plus en plus hostiles à la gérontocratie. Laurent Gbagbo, aujourd’hui, politiquement, c’est plus un nom, un symbole qu’une réalité », tempère M. Kouao.
Les résultats du PPA-CI aux élections municipales et régionales de 2023 seront un premier indicateur du poids politique que pèse encore Laurent Gbabgo en Côte d’Ivoire.
Général de gendarmerie, un temps proche d’Hamed Bakayoko et d’Alain-Richard Donwahi, il avait été l’un des premiers hauts gradés à faire allégeance à Alassane Ouattara en 2011.
Chef d’état-major particulier de Laurent Gbagbo jusqu’en 2010, le général de gendarmerie Grégoire Touvoly Bi Zogbo, 76 ans, est décédé dans l’après-midi du 2 mai dans une clinique d’Abidjan. « Il se portait bien mais avait subitement commencé à souffrir de difficultés respiratoires fin avril, alors qu’il se trouvait dans sa résidence d’Abidjan. Il s’est éteint quelques jours plus tard, après avoir été transporté dans un établissement hospitalier », a confirmé à Jeune Afrique une source familiale qui a requis l’anonymat.
Nommé au poste de chef d’état-major particulier en octobre 2005, sous la présidence de Laurent Gbagbo, le général Touvoly a occupé cette fonction jusqu’à la chute de celui-ci, début 2011. Cette année-là, il a été parmi les premiers hauts gradés à faire allégeance à Alassane Ouattara – une promptitude qui lui a permis de ne jamais être inquiété.
Respecté par les officiers
Grégoire Touvoly Bi Zogbo était un proche d’Hamed Bakayoko, l’ancien Premier ministre décédé en mars 2021, mais aussi d’Alain-Richard Donwahi, ministre des Eaux et forêts jusqu’au dernier remaniement. Il était apparu en public au côté d’Alassane Ouattara en septembre 2020 lors d’une visite dans sa région de Sinfra, dans le centre du pays. Le président ne tarissait pas d’éloges sur ce général soucieux des valeurs républicaines, qui passait son temps entre sa résidence d’Abidjan et Sinfra depuis qu’il avait fait valoir ses droits à la retraite.
EN 2004, IL A SAUVÉ GUILLAUME SORO LORS D’UNE EMBUSCADE À LA RTI
Affable et discret, cet officier de la maréchaussée a occupé, de 2000 à 2005, en pleine rébellion armée, les fonctions de commandant supérieur de la gendarmerie. Il était considéré comme un homme de dialogue et de consensus, et dénotait dans l’entourage de Laurent Gbagbo. Respecté par ses hommes et par les officiers ivoiriens, il conseillait parfois l’actuel patron de la gendarmerie, Alexandre Apalo Toure.
Lors du putsch manqué de septembre 2002, sa résidence abidjanaise avait été attaquée par les insurgés. Mais cela ne l’a pas empêché, deux ans plus tard, de sauver Guillaume Soro lorsque le chef des rebelles, devenu ministre de la Communication, est tombé dans une embuscade lors d’une visite des locaux de la RTI. Selon plusieurs témoins, c’est Grégoire Touvoly Bi Zogbo qui a alors dépêché une escouade de gendarmerie, appuyée par un char, pour lui porter secours.
Avec Jeune Afrique par Baudelaire Mieu – à Abidjan
L’ancien chef de l’État ivoirien s’est rendu, ce 8 avril, dans la ville de l’ouest du pays qui fut le théâtre de tueries attribuées aux forces pro-Ouattara lors de la crise postélectorales de 2010-2011.
Depuis son retour en Côte d’Ivoire le 17 juin 2021, Laurent Gbagbo multiplie les actes symboliques et les clins d’œil à l’histoire. Son passage éclair à Duékoué, dans le cadre d’une grande tournée dans l’ouest du pays, appartient à cette dernière catégorie. Arrivé le 8 avril en milieu d’après-midi, l’ancien président s’est recueilli sur la fosse commune du quartier Carrefour, y déposant une gerbe de fleurs, avant d’animer un meeting devant des milliers de personnes. Il était accompagné de son épouse Nady Bamba, de plusieurs cadres de son parti, le Parti des peuples africain – Côté d’Ivoire (PPA-CI), et d’une délégation du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Dans cette ville où s’est déroulée, en 2011, l’une des principales tueries attribuées aux forces pro-Ouattara, Gbagbo voulait-il réveiller les vieux démons, comme le lui reprochent certains détracteurs ? Dans son discours, l’ancien président a mis l’accent sur la réconciliation. « La paix en Côte d’Ivoire viendra du pays Wé, parce que ce sont les Wé qui ont le plus souffert », a-t-il déclaré.
IL Y A UN MOMENT OÙ LA CÔTE D’IVOIRE EST DEVENUE FOLLE, OÙ LES IVOIRIENS SONT DEVENUS FOUS
L’ex-président s’est aussi interrogé sur les raisons des graves violences survenues après l’élection présidentielle contestée de novembre 2010, sans s’épancher sur sa part de responsabilité. « Aujourd’hui, je suis venu pleurer, parce que ce qu’il s’est passé est indicible. […] Pour un petit conflit, il y a […] tous ces charniers que nous avons visités, ces nombreux morts. Je ne comprends pas et je souhaite un jour comprendre. Il y a un moment où la Côte d’Ivoire est devenue folle, où les Ivoiriens sont devenus fous. […] On ne peut pas chercher à se massacrer perpétuellement pour des petites questions […]. Les disputes postélectorales, et même pré-électorales, existent dans tous les pays. C’est ça la politique. Mais ce n’est pas pour ça ces milliers de morts. C’est qu’il y a quelque chose qui a dérapé », a-t-il lancé.
800 victimes
« Ce n’est parce que l’on demande la paix et la réconciliation, que l’on ne veut pas savoir ce qu’il s’est passé dans notre pays afin que cela ne se reproduise plus. Le but n’est pas de remuer le couteau dans la plaie, mais d’apprendre de nos erreurs. Il faut restituer les faits et la réalité historique », a précisé Damana Pikass, le secrétaire général du PPA-CI.
L’ouest de la Côte d’Ivoire fut l’une des régions qui paya un lourd tribut lors de la crise. Verrou stratégique vers le port de San Pedro, la ville de Duékoué fut le théâtre d’un massacre qui marqua les esprits. Déjà, en 2005, des massacres avaient été perpétrés par des milices armées dans les quartiers de Petit Duékoué et de Guitrozon.
Tout bascule à nouveau entre le 29 et le 31 mars 2011, dans le prolongement de la crise postélectorale. Jusque-là bastion des milices pro-Gbagbo, ce carrefour de l’ouest ivoirien tombe aux mains des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), favorables à Alassane Ouattara. Des maisons sont incendiées, des cases pillées, des hommes, des femmes et des enfants assassinés. Selon un rapport du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 800 victimes auraient été dénombrées par les hommes du contingent marocain de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Une fosse commune creusée par ces derniers à Carrefour, quartier des autochtones guérés, accueillera des corps ensevelis à la va-vite.
Ouérémi reconnu coupable
Depuis, les victimes demandent que justice soit faite. Chargée de faire la lumière sur les crimes de la crise postélectorale, la cellule spéciale d’enquête et d’instruction a divisé son instruction en plusieurs séquences. Un pan entier fut consacré à la prise de Duékoué par les forces pro-Ouattara. En 2014, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), qui s’était constituée partie civile avec d’autres organisations des droits de l’homme, a publié un rapport détaillant la responsabilité de plusieurs chefs de guerre dans ces massacres, notamment celle de Losseni Fofana, d’Eddie Médi et d’Amadé Ouérémi.
Arrêté le 18 mai 2013, le chef de guerre burkinabè a été condamné à la prison à vie en avril 2021 par le tribunal criminel. Il a été reconnu coupable de « crimes contre les populations », « pillages », « séquestrations », « coups et blessures volontaires » et « destructions de biens ». Le tribunal a alors suivi les réquisitions du procureur contre cet ancien réparateur de vélo né en 1964 dans le centre-ouest du pays, reconverti en planteur puis en trafiquant redouté, à la tête d’un groupe d’une centaine d’hommes basé dans la forêt du mont Péko.
Des comzones hors d’atteinte
Ce procès avait malgré tout laissé un goût amer aux organisations de défense des droits humains. Lors des débats, Adamé Ouérémi avait désigné l’ancien comzone de Man, Losseni Fofana, dit « Loss », et l’ancien commandant des FRCI de Kouibly, le lieutenant Coulibaly, dit « Coul », comme ses supérieurs hiérarchiques. « Je n’ai pas commandé, dirigé, donné d’ordres. Je n’ai pas sorti les fusils, pas donné les balles, pas demandé aux [chasseurs] Dozos de m’aider », avait-il soutenu à la barre. Malgré ce témoignage, ni Fofana ni Coulibaly n’ont été entendus lors du procès. Lors de leurs auditions respectives, lues par le président du tribunal, ils avaient affirmé ne pas connaître l’accusé avant son arrestation.
EN 2018, UNE AMNISTIE DÉCRÉTÉE PAR LE CHEF DE L’ÉTAT IVOIRIEN A PERMIS À PLUSIEURS ANCIENS COMZONES D’ÉCHAPPER À LA JUSTICE
Depuis, la procédure est à l’arrêt et Losseni Fofana a poursuivi son ascension au sein de l’armée. En décembre 2021, il a été promu au grade de colonel-major. Après avoir dirigé le bataillon de sécurisation de l’Ouest (BSO), il avait été affecté début 2019 à la tête du 3e bataillon d’infanterie militaire de Bouaké, remplaçant Hervé Touré, alias « Vetcho », un autre ancien commandant de zone des Forces nouvelles de Côte d’Ivoire (FNCI).