Une Mante religieuse d’Amazonie, aux brillants petits yeux verts et au visage triangulaire, à la tête surmontée de deux petites antennes, vivait dans un cotonnier à la floraison abondante. Elle avait aussi des ailes qui se confondaient avec le voile verdâtre des feuilles.
Un jour, elle rencontra une Guêpe maçonne noire, très élégante qui revenait d’un étang avec de la boue dans sa bouche. Elle lui demanda ce qu’elle en faisait. Celle-ci répondit qu’elle fabriquait des cocons de berceau pour y loger ses œufs qui auraient la chance de se développer dans ces beaux logis. Elle sollicita auprès de la Guêpe maçonne de lui construire une grotte pour ses heures de méditation afin d’augmenter sa foi. Elle accepta sans hésiter et lui montra l’emplacement où elle devrait édifier son lieu de culte.
La Mante religieuse invita la Guêpe d’aller se promener entre les branches du cotonnier afin de lui indiquer le bel ombrage d’où ce monument pourrait être construit. Un endroit paisible, discret et caché de l’arbre.
Ayant reçu toutes les instructions de l’entente, la Guêpe maçonne commença la construction. Elle descendait au bord du fleuve Amazone pour prendre l’argile, matière, par excellence, la plus solide pour la grotte. Elle transportait ladite matière à l’aide de ses mandibules, équilibrant le poids de la charge sur le plan de vol avec le reste de son corps. Elle n’éprouva pas beaucoup de difficultés car elle était habituée à construire de nombreux châteaux des rois et autres logements de sa condition d’insectes volants.
Quand elle eût terminé ce lieu de culte, la Mante religieuse la remercia. En voulant la payer, elle refusa et préféra, en échange d’argent, s’associer et venir prier avec elle dans la grotte parce qu’elle n’avait pas de lieu d’adoration et de recueillement. Elle accepta sa demande. La Mante religieuse l’exerça à ses pratiques quotidiennes des matines et des vêpres (prières du matin et du soir). Mais au-delà de l’assiduité, une ferveur naquit chez la Guêpe maçonne. Elle était devenue très régulière au rendez-vous et ne manquait aucune occasion.
Depuis un certain temps lorsqu’elles se retrouvaient dans la grotte, elles constataient que la nappe blanche de l’autel était parsemée, par endroits, d’excréments noirs dont elles ignoraient la provenance.
Un bon matin, en pleine méditation et concentration, des fientes du même animal leur tombaient sur la tête, rebondissant et roulaient sur l’autel comme de pelotes ovales avec des pointes aux deux extrémités.
A la fin de la prière, la Mante en voyant que son lieu de culte était désacralisé, elle se mit à pleurer. La Guêpe maçonne cueillit des grappes de coton sec et lui essuya ses larmes qui perlaient sur ses joues ainsi que sa morve qui suintait de ses narines. Elle suffoquait de colère comme si elle était tabassée.
La Guêpe maçonne la consola en la tenant dans ses mains. Assise l’une à côté de l’autre, elles cherchèrent à savoir d’où provenaient cette saleté. En levant les yeux sur la paroi intérieure de la grotte, elles virent un Lézard qui secouait sa queue et écarquillait ses yeux. Quand leurs regards se croisèrent, il émit un cri d’ironie : kikiki, kikiki. La Mante religieuse fâchée lui dit de ne plus recommencer de salir son lieu sacré du culte. Elle ajouta : « quel plaisir trouves-tu à désacraliser ce beau sanctuaire que j’ai fait construire grâce à la volonté bienfaisante de la Guêpe maçonne? »
– Fier et arrogant, le lézard rétorqua : « je suis dans la nature sauvage et n’importe où je peux déféquer ».
– Quelle audace as-tu en le faisant en ce lieu où tu sais très bien que mon esprit prend sa source d’illumination ? La prochaine fois, je te prie de ne plus recommencer sinon tu vas me sentir de quel bois je me chauffe ?
– Ah, bon ! s’exclama le Lézard qui rasait le mur de la grotte pour s’enfuir sur les branches du cotonnier.
La Guêpe maçonne implora la Mante religieuse de quitter les lieux. Connaissant bien ses heures de trouble religieux, elle alla se cacher entre les feuilles du cotonnier sur l’itinéraire régulier du Lézard.
Voulant défier la discussion et les avertissements solennels, il repartit audit lieu et avant d’arriver dans l’enceinte de la grotte, il tomba dans les pattes crochues de la Mante religieuse, criant à gorge déployée : « Ah, maman fuidi, na ku kakula » (Ah, maman, je suis mort, qui va me délivrer).
La Mante religieuse enfonça de plus belle les pointes de ses griffes dans sa chair et il commença à saigner. Sa queue s’agitait en tout sens et fouettait les feuilles vertes en un petit bruit de dernier espoir. Elle buvait le sang frais de ses premières gouttes chaudes. Essuyait ses lèvres avec du coton arraché. Elle lui disait : parle encore, je t’ai eu. Je t’interdisais de venir déféquer sur mon autel. Elle s’appuya fortement sur ses pattes arrière contre les branches, l’étouffa jusqu’à ce que mort s’ensuive au dernier soupir et commença à le dévorer.
La Guêpe maçonne qui ne mange pas la chair de reptile lui dit au revoir et partit vaquer à ses occupations.
Depuis lors, la Mante religieuse fait du Lézard son repas copieux qu’elle préfère attraper à l’affût quand une occasion favorable se présente dans le bois.
L’entêtement sans force est un défaut du courage inutile vous conduisant à l’échec ou à la mort.
© Bernard NKOUNKOU