Cette nuit, Hafez devrait dormir au chaud. A moins que la présidence de l’université Jussieu (Varrondissement de Paris) ne décide de faire évacuer le préfabriqué occupé depuis mercredi par des étudiants, des militants, et des migrants. Le mouvement d’occupation des universités pour y loger des «personnes en situation d’exil», entamé à Lyon cet automne et poursuivi notamment à Nantes cet hiver, a fait des émules. Après Paris-VIII, c’est désormais une deuxième université parisienne qui est occupée. Avec un double objectif : offrir un toit aux migrants, alors que le thermomètre affiche dans la capitale des températures négatives, et créer une plateforme de revendication politique, notamment contre la politique migratoire du gouvernement.

Occupation de Jussieu.
COMMANDE N° 2018-0227Un étudiant bloque l’accès à la salle occupée, mercredi. Photo Cyril Zannettacci pour Libération.

Mercredi matin, des étudiants se sont rendus au campement de la Villette (XIXe arrondissement de Paris) pour proposer à Hafez et d’autres migrants à la rue de venir occuper un bâtiment vide de leur université. Arrivé il y a un peu plus d’un an du Darfour (Soudan) via la Libye, Hafez, 28 ans, dit ne pas avoir encore obtenu de place d’hébergement même s’il a déposé sa demande d’asile. «Ça faisait une semaine que je dormais à la Villette, il faisait très, très froid», témoigne-t-il. «C’était très difficile là-bas, abonde un jeune homme qui refuse de donner son nom ou son âge. Il fait froid. Les étudiants nous ont dit qu’il y avait beaucoup de place dans l’université, qu’on serait au chaud et qu’on aurait à manger.»

Houmous-salade-tomate

Puis, dans la matinée, des étudiants et militants ont fait entrer, par petits groupes, dans l’université – où l’on ne contrôle à l’entrée que le contenu des sacs – environ 25 hommes migrants. Bientôt rejoint par d’autres soutiens, tout ce petit monde s’achemine ensuite vers le préfabriqué repéré au préalable. «Il était vide et chauffé», résume un étudiant habitué à ce type d’action militante. Aucune difficulté pour entrer, mais, pour éviter de se faire sortir, les étudiants placent des tables et des anciens lavabos contre une partie des portes extérieures.

 

Occupation de Jussieu.
COMMANDE N° 2018-0227Jussieu est la deuxième université parisienne réquisitionnée par des étudiants pour y loger des migrants. Photo Cyril Zannettacci pour Libération.

Si l’électricité fonctionne, l’eau est coupée. «Bah je vais trouver où c’est et aller l’ouvrir !» lance un membre du comité de soutien, qui s’est déjà occupé des serrures récalcitrantes de quelques salles à l’étage. Une poignée de membres de la sécurité de l’université déboulent, échangent avec des étudiants, restent devant le bâtiment sans intervenir. La présidence vient d’être prévenue. Pendant ce temps, des migrants regardent par les fenêtres des péniches défiler sur la Seine. Chacun cherche une prise pour brancher son téléphone, on distribue des sandwichs houmous-salade-tomate et des crêpes.

«Infantilisation»

Le programme de l’après-midi est chargé. Tandis que les migrants commencent à se détendre, des étudiants nettoient quelques salles jusqu’ici en chantier – en témoignent les chaussures de sécurité et les plinthes en plastique qui traînent, encore emballées. Quelques étudiants de Paris-VIII arrivent. «On est venus en soutien, apporter un peu d’ustensiles et de bouffe», explique l’un d’eux. Les jours précédents, les étudiants ont récupéré duvets, matelas, couvertures, et les ont stockés discrètement dans un local de l’université. Il faut désormais les récupérer. Dans leur courriel à la présidence, les étudiants revendiquent la libre circulation des migrants et de leurs soutiens dans l’université, mais aussi de pouvoir sans difficulté transporter leur matériel.

Occupation de Jussieu.
COMMANDE N° 2018-0227Photo Cyril Zannettacci pour Libération.

Il leur faut aussi organiser l’assemblée générale de 18 heures, aller tracter devant le restaurant universitaire, expliquer aux autres étudiants le sens de l’action («l’occupation est un moyen de peser dans le rapport de force face à ces politiques migratoires injustes, qui permet à ces personnes d’échapper momentanément à une situation de survie et d’infantilisation à leur égard», peut-on lire sur le tract qu’ils ont rédigé), faire venir des soutiens parlant notamment l’arabe et capables de traduire.

Vers 13 h 15, une rumeur se répand : «Il y a les flics à l’entrée de Jussieu !» En principe, la police ne peut pas entrer dans l’enceinte de la fac sans l’autorisation de la présidence – c’est d’ailleurs pour cela que les universités sont, aux yeux des militants, des lieux idéaux pour loger des migrants et mener ce type d’action politique.

Au cas où, les étudiants s’échangent quand même le numéro de leur avocate et expliquent à leurs invités qu’ils ont droit à un traducteur et un médecin en cas de garde à vue. Un moment, il est envisagé de conduire les migrants dans un autre local pour éviter qu’ils ne soient arrêtés en cas d’évacuation. Un vote lors d’une assemblée générale, où les échanges sont traduits en quatre langues, tranche le débat : une délégation va aller négocier avec la présidence de l’université un engagement à ne pas faire intervenir la police.

En espérant avoir assez de temps pour organiser un lieu de vie et d’expression politique que les migrants pourront eux-mêmes gérer. A l’instar du bâtiment A de l’université  Paris-VIII, qui a fêté mercredi son premier mois d’occupation.

Liberation.fr