Les employés de FAB 3R sont spécialisés dans la fabrication, l’usinage et l’assemblage de pièces mécaniques de grandes dimensions. Photo : Radio-Canada
Le manque de main-d’œuvre pourrait forcer des entreprises à ralentir leur croissance dans les prochaines années, et peut-être même à décroître, selon plusieurs experts. L’entreprise trifluvienne FAB 3R a amorcé cette réflexion. Le manufacturier spécialisé en assemblage et usinage mécanique est en croissance, mais la perte d’une quarantaine d’employés le force à revoir son modèle d’affaires.
Même si j’aspirais à retrouver les 150 employés que j’avais avant la pandémie, ça n’arrivera pas, laisse tomber son directeur général, Yves Lacroix. Plusieurs travailleurs ont profité de la crise sanitaire pour partir à la retraite, raconte-t-il, et depuis, l’entreprise peine à trouver des remplaçants.
Yves Lacroix est le directeur général de l’entreprise FAB 3R. Photo : Radio-Canada/Josée Ducharme
La concurrence entre les employeurs sera d’autant plus grande avec l’implantation prévue de nouvelles entreprises au parc industriel et portuaire de Bécancour, estime M. Lacroix. La pénurie de main-d’œuvre pourrait s’aggraver jusqu’en 2030, selon lui.
Quand j’entends des entreprises dire qu’elles cherchent de la croissance, on n’est malheureusement pas à un moment pour parler de croissance. Si je regarde autour, avec les investissements qui vont se faire sur la rive sud, où va-t-on trouver toute cette main-d’œuvre? , souligne Yves Lacroix.
Face à cette situation, FAB 3R se questionne aujourd’hui sur l’épaisseur de son carnet de commandes. Le projet s’apparente à une décroissance, mais son directeur général préfère parler d’une consolidation.
On ne veut pas abandonner nos clients, mais on ne veut pas les servir de la mauvaise façon. Ce n’est pas tant qu’on choisit nos commandes, c’est qu’on regarde l’expérience et les équipements qu’on a pour avoir la parfaite adéquation entre les deux pour s’assurer qu’on est en mesure de livrer ce qu’on promet , explique M. Lacroix.
Son objectif est de bâtir une entreprise plus petite dans un horizon de deux à trois ans, pour éviter de surcharger les 110 employés restants.
Il faut plus d’immigrants, dit FAB 3R
Bien que l’entreprise ait amorcé ce processus, Yves Lacroix est convaincu que le salut des entreprises repose sur l’arrivée de travailleurs étrangers. Je pense que la meilleure solution pour le moment passe par l’immigration, parce que ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre la robotisation.
Il souhaite que Québec et Ottawa accélèrent le traitement des demandes d’immigration. Faisons en sorte que les délais soient plus courts. Il y a bon nombre d’entreprises qui ont des besoins criants, mais ça prend jusqu’à un an et demi, tandis qu’au Nouveau-Brunswick, ils réussissent à avoir quelqu’un à l’intérieur de quatre à cinq mois.
Une solution à quelques coins de rue
La solution au problème de FAB 3R n’est peut-être qu’à quelques coins de rue de son usine, croit le centre d’emploi pour femme, Le Pont.
Des cohortes pour former des opératrices d’équipement de production et de montage d’équipement électroniques ont déjà été mises en place par l’organisme.
Je lance un cri du cœur. Les organismes en employabilité, c’est une des solutions, j’en suis convaincue , clame la directrice du centre, Annie Brassard.
Annie Brassard dirige le centre d’emploi pour femme, Le Pont, situé à Trois-Rivières. Photo : Radio-Canada
Elle est convaincue que son organisme pourrait faire la même chose pour former notamment des machinistes qui pourraient œuvrer chez FAB 3R. Son équipe a d’ailleurs initié un premier contact auprès de l’entreprise, vendredi, et rapporte avoir perçu une ouverture chez le manufacturier.
Radio-Canada avec les informations de Charles-Antoine Boulanger
Les baby-boomers quittent la population active en masse, laissant plus de postes vacants qu’il n’y a de gens pour les occuper, expliquent des économistes.
La démographie est à blâmer pour la pénurie de main-d’œuvre, selon des économistes. (Archives) Photo : Istock
Le Canada est en proie à une grave pénurie de main-d’œuvre, mais les économistes affirment que ce n’est pas la faute de la pandémie. Il s’agit plutôt de l’aboutissement inévitable d’un vaste changement démographique qui se prépare depuis des décennies, disent-ils.
[Cette situation] était prévisible il y a 60 ou 65 ans et nous n’avons rien fait pour y remédier, selon Armine Yalnizyan, économiste et membre sur l’avenir des travailleurs de la Fondation Atkinson. Nous savions que cette transition allait se produire.
Selon Statistique Canada, le ratio chômage/emplois vacants – une mesure clé qui sert à comparer le nombre de Canadiens à la recherche d’un emploi au nombre d’emplois disponibles – se situe actuellement à un niveau historiquement bas dans chaque province. En fait, ce ratio est nettement inférieur à ce qu’il était avant le début de la pandémie de COVID-19.
Il y a moins de travailleurs disponibles pour occuper les emplois disponibles. Selon les économistes, le baby-boom de l’après-guerre explique cette situation.
Pas assez de remplaçants
Les personnes âgées de 55 ans et plus quittent la main-d’œuvre canadienne, un exode qui, selon certains économistes, a été accéléré par la pandémie, car de nombreux travailleurs âgés ont opté pour une retraite anticipée. Et il n’y a tout simplement pas assez de jeunes travailleurs pour les remplacer.
En fait, la participation au marché du travail des personnes âgées de 25 à 54 ans approchait les 88 % en mai, soit une hausse de plus d’un point de pourcentage par rapport à février 2020, avant que la pandémie ne s’installe au Canada.
Les baby-boomers quittent [le marché du travail] et il n’y a pas assez de personnes qui entrent en scène, a déclaré Mme Yalnizyan. Nous avons en fait une part plus élevée que jamais de la population en âge de travailler qui travaille.
Cela contredit la théorie selon laquelle une sorte de grande démission parmi les Canadiens en âge de travailler, dont beaucoup ont profité des soutiens au revenu pandémiques, est à blâmer pour tous ces emplois vacants, selon Ian Lee, professeur associé à la Sprott School of Business de l’Université Carleton.
J’ai trouvé [cette hypothèse] très douteuse, car à moins d’être financièrement indépendant… La plupart d’entre nous doivent avoir un revenu pour vivre, a déclaré M. Lee. [Cette idée] n’a tout simplement aucun sens.
Mon premier soupçon en tant qu’économiste du travail est le suivant : est-ce que les gens ne font tout simplement plus partie de la population active? a déclaré Gordon Betcherman, professeur émérite à l’école de développement international et d’études mondiales de l’Université d’Ottawa. Ce n’est pas le cas. Elle est revenue aux niveaux que nous observions avant la pandemie.
Un marché d’employés
Selon les économistes, les données indiquent plutôt l’émergence d’un marché où les travailleurs jouissent d’un énorme pouvoir sur les employeurs.
Il est indéniable que l’équilibre entre les demandeurs d’emploi et les postes vacants a totalement changé, a déclaré M. Betcherman.
Selon Statistique Canada, cela a entraîné des pénuries de main-d’œuvre quasi sans précédent dans presque tous les secteurs d’emploi.
En particulier, le secteur de la construction et le secteur manufacturier ont du mal à recruter des travailleurs qualifiés. Même chose du côté des secteurs de l’hébergement et de la restauration, ce qui comprend les hôtels, les restaurants et les bars.
« Il n’y a tout simplement pas assez de personnes prêtes à occuper des emplois mal payés. »— Une citation de Armine Yalnizyan, économiste et membre sur l’avenir des travailleurs de la Fondation Atkinson
Les travailleurs ont beaucoup plus de choix maintenant, a convenu M. Lee. Si vous avez plus de choix et que vous n’êtes pas obligé de travailler dans cet secteur d’activité, vous irez travailler dans un secteur où il y a de meilleurs parcours professionnels, où les salaires sont plus élevés et où les horaires sont plus previsibles.
Les salaires devraient augmenter
Cela pourrait forcer les employeurs de certains secteurs d’activité à augmenter les salaires, a déclaré M. Lee.
Je ne veux pas dire que la demande pour ces emplois va disparaître : ce n’est pas le cas, a-t-il déclaré. Mais je crois que nous allons assister à une inflation salariale assez substantielle dans ces secteurs au cours des prochaines années.
Selon Mme Yalnizyan, ce nouvel environnement concurrentiel signifie que les employeurs de certains secteurs devront augmenter les salaires s’ils espèrent conserver les travailleurs qualifiés.
Nous perdons des gens qui ont une formation d’éducateur de la petite enfance parce que nous ne les payons pas plus que les toiletteurs pour animaux. Pourquoi resteraient-ils s’ils peuvent obtenir un meilleur emploi dans un autre secteur?
C’est ce que confirment les données de Statistique Canada, qui montrent que le salaire d’acceptation – le taux horaire minimum auquel les demandeurs d’emploi sont prêts à accepter un poste – dépasse le salaire actuel offert dans presque tous les secteurs, alors que les travailleurs canadiens ont toujours été prêts à se contenter de moins.
Le salaire d’acceptation dépasse le salaire actuel offert dans presque tous les domaines. Photo : Radio-Canada
Les économistes estiment qu’il existe d’autres conséquences possibles, notamment une automatisation accrue pour combler le vide laissé par la pénurie de main-d’œuvre.
Certains secteurs pourraient également faire appel à davantage de travailleurs étrangers temporaires pour combler les lacunes au bas de l’échelle du marché du travail, ce qui pourrait atténuer les gains réalisés par les travailleurs nationaux.
Selon Mme Yalnizyan, la hausse des salaires pourrait contribuer à effacer certaines des inégalités causées par un marché du travail qui, pendant des années, a bien payé certains travailleurs et mal payé les autres.
Si nous améliorons réellement les salaires et les conditions de travail, en particulier au bas de l’échelle, nous pourrions créer les conditions nécessaires à l’émergence d’une classe moyenne plus résistante, capable de se permettre d’acheter des biens. C’est ce qui nous échappe depuis un certain temps déjà, a-t-elle déclaré.
Le vieillissement de la population peut être notre ami, pas notre ennemi. Mais nous devons le traiter comme quelque chose de plus qu’une simple pénurie de main-d’œuvre pour les entreprises. Nous devons le traiter comme une occasion de faire de chaque emploi un bon emploi.
Radio-Canada par Radio-Canada avec les informations d’Alistair Steele, CBC
Le spectacle de Marie-Mai prévu le 11juin à la salle J.-Antonio-Thompson est notamment annulé. Photo : Courtoisie / Francos de Montréal – Frédérique Ménard-Aubin
Culture Trois-Rivières vient d’annuler cinq de ses spectacles prévus en mai et juin par manque de personnel. « C’est par bienveillance pour nos équipes qui sont déjà surchargées et épuisées que nous prenons cette décision », mentionne Mélanie Brisebois, directrice des arts de la scène pour Culture Trois-Rivières.
Le spectacle de Marie-Mai prévu le 11 juin à la salle J.-Antonio-Thompson est notamment annulé.
Je suis tellement déçue, j’avais hâte de venir jouer chez vous et de retrouver l’énergie qu’on vous connaît. Chaque show qu’on a fait sur place a toujours été mémorable, a écrit l’artiste sur son compte Instagram.
Une des deux représentations de la pièce de théâtre de Robert Lepage, La face cachée de la lune, sera également annulée soit celle du 24 juin. Finalement les spectacles de P-A Méthot (28-29 mai) et de Billy Tellier (21 mai) ont déjà été annulés.
Le manque de main-d’œuvre se faisait déjà sentir avant la pandémie, mais les nombreux arrêts des salles de spectacle ont accentué le problème. Plusieurs techniciens ont quitté le domaine et ces gens spécialisés en son ou en éclairage ne sont plus disponibles.
La salle J.-Antonio-Thompson (Archives) Photo: Radio-Canada
En plus de ses équipes permanentes, Culture Trois-Rivières dit avoir régulièrement besoin de main-d’œuvre supplémentaire pour tenir ses spectacles, parfois jusqu’à 10 employés de plus par représentation. Il est donc difficile de trouver ces ressources spécialisées dans le contexte actuel. L’organisation espère pouvoir favoriser la formation et le partage d’employés avec d’autres diffuseurs pour éviter l’annulation d’autres spectacles.
Des conséquences sur la prochaine saison
La pénurie de personnel qualifié pour opérer des salles de spectacle aura certainement des répercussions pour les prochaines saisons de diffusion chez Culture Trois-Rivières. L’équipe dit travailler à construire une programmation qui offrira des semaines équilibrées pour le personnel.
Le problème ne touche pas seulement Culture Trois-Rivières, selon Mélanie Brisebois : c’est à la grandeur du Québec que cette pénurie de ressources techniques se fait sentir et elle semble malheureusement s’installer pour plusieurs années.
Si certains jeunes s’épanouissent, d’autres voient leurs droits bafoués.
Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale dit ne pas disposer des données nécessaires pour établir un décompte des travailleurs âgés de 14 ans et moins. Photo: Radio-Canada/Alexis Gacon
Au Québec, un nombre croissant de préadolescents occupent des postes laissés vacants par la pénurie de main-d’œuvre, notamment dans les épiceries et dans le secteur de la restauration rapide. Face à ce nouveau contexte et compte tenu du risque de décrochage scolaire, plusieurs experts réclament des changements pour mieux encadrer le travail des enfants.
Qu’est-ce que vous souhaitez commander? C’est Amanda, 11 ans, une petite blonde aux yeux bleus pétillants, qui pose cette question. Sa tête dépasse à peine le comptoir.
Amanda, c’est la petite nouvelle de la cantine La Grande Gueule, à Saint-Alphonse-de-Granby. Derrière elle, les friteuses fonctionnent à plein régime. Amanda travaille en cuisine entre 12 et 18 heures par semaine. Ici, près du quart des 32 employés sont âgés de 11 à 15 ans.
À la cantine La Grande Gueule, à Saint-Alphonse-de-Granby, sept employés sur 32 sont âgés de 11 à 15 ans. Photo: Radio-Canada/Alexis Gacon
Au départ, le patron d’Amanda, Pascal Lamarche, n’était pas sûr de pouvoir embaucher des employés si jeunes. Des gens m’avaient dit : « As-tu le droit? » J’ai eu un doute. […] Mon comptable m’a envoyé l’information de la CNESSTCommission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail : il n’y a pas d’âge!
Au Québec, contrairement à la plupart des provinces canadiennes, il n’existe pas d’âge minimum pour travailler. En Colombie-Britannique, par exemple, cet âge est passé de 12 à 16 ans l’an dernier. Mais ici, seule une autorisation parentale écrite doit être demandée par l’employeur si la jeune personne que celui-ci veut embaucher a moins de 14 ans. Or, plusieurs interlocuteurs à qui nous avons parlé soutiennent que les employeurs ne la demandent pas toujours.
Elle a été gérée comme une adulte
Dans la cuisine du restaurant, Amanda semble insensible à la pression. Je sais ce que c’est que les rushs. Souvent, le midi ou à l’heure du souper, on a beaucoup de commandes […]. J’aime l’ambiance. Pourquoi a-t-elle commencé si jeune? Parce que j’aime travailler et je trouvais que c’était une bonne place.
La jeune équipe semble en effet se serrer les coudes et travailler dans la bonne humeur. Il en faut, car les tâches ne sont pas si simples et le rythme est soutenu. Le plus difficile, c’est de supporter la chaleur et de blanchir les frites. Si tu peux blanchir un après-midi par semaine, tu vas être capable de tout faire dans la cantine, parce que les paniers sont pesants et il fait chaud, explique Pascal Lamarche.
Au restaurant, Amanda est une employée comme les autres, dit son patron. Pour l’instant, elle fait des journées de six heures, car je ne connais pas encore sa capacité à travailler. Ses parents me disent qu’elle serait capable de faire des journées pleines. On analyse ses points forts, ses points faibles, l’endurance qu’elle va avoir. […] Tant qu’elle veut travailler, on le fait!
Même si elle est très jeune, Amanda n’a pas reçu un encadrement adapté à son âge, détaille le propriétaire. Même constat chez Marianne, qui a commencé à 12 ans à servir dans un restaurant à Saint-Jean-sur-Richelieu l’année dernière : On m’a montré les bases et on m’a dit : « vas-y! »
C’est elle qui a demandé à travailler, explique son père, Sylvain. Elle a de bonnes notes, on sait qu’elle adore apprendre. Si les notes en pâtissent, elle arrête. Mais là, elles n’ont pas baissé. Elle avoue sa joie de gagner en autonomie et d’apprendre de nouvelles choses. Elle a aussi appris à faire abstraction des remarques de certains clients qui n’hésitent pas à commenter son air juvénile ou sa taille. Il y a un client qui m’a dit que la table était trop haute pour moi!
Cette expérience lui semble bénéfique, même si le stress peut la gagner, raconte son père, comme cette fois où elle a échappé un plateau en verre par terre. Elle a pleuré. Le patron lui a dit : « Si tu pleures trop, tu t’en retournes à la maison! » Elle a été gérée comme une adulte, puis on l’a vue, elle a bien répondu, elle a essuyé ses larmes et […] elle y est retournée.
Sans jeunes, je ne suis pas capable d’avancer
Dans son restaurant, Pascal Lamarche évoque le fort potentiel d’Amanda. Ce potentiel sied aussi à un contexte : celui de la pénurie de main-d’œuvre. Actuellement, le chômage est sous la barre des 4 % au Québec. Sans les jeunes, je ne suis pas capable d’avancer, car les adultes qui veulent travailler les week-ends, c’est difficile à trouver maintenant, explique le patron du restaurant.
Roxane Larouche, représentante nationale aux TUAC, section du Québec Photo: Radio-Canada/Alexis Gacon
Roxane Larouche, représentante nationale au syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC Canada), se rend bien compte que l’âge ne compte plus au moment de recruter dans le secteur de l’alimentation. Notre plus jeune membre a 11 ans. Le représentant de service a été très surpris.
Elle observe que les jeunes adolescents sont de plus en plus nombreux à travailler dans les épiceries de la province. C’est une tendance que semble confirmer la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui a vu le nombre de blessures subies par des moins de 16 ans au travail plus que doubler entre 2018 et 2021, passant de 85 à 203.
« On voit plus de jeunes, donc le risque de blessures existe et ça pose plein d’autres défis. C’est une toute nouvelle réalité. On pensait avoir des textes de conventions qui pouvaient répondre à toutes sortes de situations, mais force est de constater que non. […] Comment encadrer ces jeunes-là? Il faut trouver des solutions maintenant, car le problème, c’est maintenant qu’il arrive! […] On est dans une situation de jamais vu. »— Une citation de Roxane Larouche, représentante nationale au syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce
Cependant, le nombre de travailleurs de 14 ans et moins est difficile à mesurer. Le ministère du Travail du Québec ne fait pas le décompte de ces employés. En effet, le décompte, basé sur les informations de Statistique Canada, commence à l’âge de 15 ans.
D’après l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017, 22 % des jeunes du secondaire avaient un employeur qui les rémunérait. Cette proportion passe de 6 % en première année du secondaire à 47 % en cinquième secondaire.
Est-ce que tu penses que l’école, ça va être son plan A ou D?
Roxane Larouche s’inquiète du risque de décrochage quand elle observe la concurrence des entreprises qui s’arrachent les services des très jeunes, particulièrement à l’extérieur de Montréal.
« Un employeur qui a engagé un jeune d’environ 12 ou 13 ans se l’est fait voler par la scierie qui l’a embauché pour balayer à 26 dollars de l’heure. […] La question qu’on se pose, c’est : est-ce qu’on a ouvert la voie à un décrochage? […] Ces questions doivent être analysées, car c’est un problème de société. »— Une citation de Roxane Larouche, représentante nationale au syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce
Mme Larouche fait observer que certains parents envoient leur enfant travailler dans une épicerie comme si c’était un camp de jour qui ne coûte rien.
À l’école Amos, à Montréal, l’enseignante Marie-Betty Desrouillères questionne ses élèves, âgés de 16 à 20 ans, sur le sujet du travail des jeunes. Beaucoup sont entrés sur le marché du travail dès le début de leur adolescence.
Le jeune qui commence à travailler à 11 ans […], est-ce que tu penses que l’école, ça va être son plan A ou D ? Un des élèves s’exclame : Son plan C!
Parmi ceux qui l’écoutent, certains travaillent de nuit et arrivent en classe sans avoir dormi, comme Assitan, 19 ans, tressée et cernée. Elle occupe un emploi depuis déjà six ans.
Ces jours-ci, elle finit son quart dans un dépanneur à 7 h, puis elle marche une demi-heure pour se rendre à l’école. Elle n’a pas commencé à travailler par choix; elle l’a fait pour aider sa mère. On est quatre enfants, elle est toute seule. Il y a des choses à acheter, mais elle n’a pas assez [d’argent].
Au Québec, jusqu’à l’âge de 16 ans, les employeurs doivent veiller à ce que l’école passe avant le travail. Ils ne peuvent pas demander à leurs employés de manquer l’école pour travailler et doivent s’assurer que les jeunes puissent être à leur domicile de 23 h à 6 h, sauf quelques exceptions (le gardiennage, notamment).
Toutefois, Assitan, depuis qu’elle a commencé à travailler, n’a pas souvent senti beaucoup de compréhension de la part de ses différents patrons. Les employeurs vont te manipuler. Ils vont te faire sentir à l’aise. Il n’y avait pas un jour où mon téléphone ne sonnait pas. Ils vont dire « on t’aime » juste pour que tu fasses plus d’heures.
Jemima, une autre élève de l’école Amos, travaille depuis ses 14 ans et déplore le manque de considération des gérants d’établissements de restauration rapide où elle a été employée. Tout ce qui est fast food, les boss ne sont pas compréhensifs. Moi, quand je disais que je ne pouvais pas rentrer au travail et que je devais étudier, ils me coupaient tous mes autres quarts. Je n’avais pas de quarts la semaine suivante.
On ne peut pas laisser aux enfants la responsabilité de leur propre bien-être
Selon Sarah Denenne, une avocate spécialisée en droits des enfants, il est temps que le Québec revoie sa copie dans le domaine. Il doit y avoir place à une réforme. Là, en ce moment, l’état du droit actuel, c’est qu’on doit déléguer la responsabilité de la protection au bon jugement de l’employeur et de l’enfant lui-même. […] Dans la loi, il est écrit qu’il ne doit pas avoir un travail disproportionné qui nuise à son développement; c’est très vague. Et ça, c’est une chose à laquelle il faut s’attaquer.
« On est dans un système pensé pour l’adulte et l’enfant a des besoins spécifiques : il faut protéger le développement spécifique de l’enfant. Qu’est-ce qui va être dans son intérêt? Dans le contexte actuel, est-ce que l’impératif économique ne va pas prendre le dessus sur la protection de l’enfant? […] On ne peut pas laisser aux enfants la responsabilité de leur propre bien être. […] Ils ne peuvent pas tenir tête à leurs employeurs. Plus on est jeune, plus c’est difficile. »— Une citation de Sarah Denenne, avocate spécialisée en droits des enfants
D’après l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017(Nouvelle fenêtre), parmi les élèves qui occupent un emploi durant l’année scolaire, ceux qui travaillent de 11 à 15 heures par semaine ou 16 heures et plus étaient proportionnellement plus nombreux à présenter un niveau élevé de détresse psychologique que ceux qui consacraient moins de 11 heures par semaine à leur emploi (34 % et 37 % contre 29 %).
Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a décliné nos demandes d’entrevue. Dans un courriel, les communications du ministère soutiennent que les lois du travail au Québec encadrent déjà le travail des adolescents.
Le Québec est l’endroit le plus frappé par le phénomène de vieillissement de sa population parmi les provinces les plus populeuses au pays. Photo: Radio-Canada
Les données de Statistique Canada sur le vieillissement de la population cette semaine devraient sonner comme une alarme au bureau du premier ministre du Québec. Non seulement le vieillissement est bien engagé, mais le Québec est l’endroit le plus frappé par ce phénomène parmi les provinces les plus populeuses au pays. Il y a urgence d’agir.
L’effet structurel du vieillissement sur le marché du travail, sur la compétitivité de l’économie, la pénurie de main-d’œuvre et la capacité à croître n’est pas à sous-estimer. Et pour en atténuer les répercussions, toutes les solutions doivent être explorées et possiblement utilisées.
Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on parle de pénurie de main-d’œuvre et de vieillissement de la population qui ont un impact économique important, le gouvernement répond par de multiples engagements, des intentions, des programmes, des rapports et des tables rondes, mais le constat, année après année, ne change pas : la pénurie de main-d’œuvre prend de l’ampleur et les effets du vieillissement se font de plus en plus sentir.
Sur le plan économique, ces enjeux sont structurels et peuvent entraîner des dommages durables. Ce sont des enjeux qui ne sont pas séduisants dans le discours politique. Ils sont complexes, ils sont difficiles à expliquer et certaines solutions, en particulier celle de l’immigration, sont généralement coincées dans toutes sortes d’affrontements partisans à l’Assemblée nationale qui ne nous font pas avancer.
Les problèmes structurels du Québec
La solution de l’immigration pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre et au vieillissement de notre population n’est pas la seule, loin de là. Et elle comporte sa part de défis. Mais, malgré les enjeux d’intégration, elle ne peut pas être rejetée du revers de la main. Il faut travailler à l’intégration des immigrants pour que cette solution fonctionne.
Pourquoi j’écris ça? Parce que le Québec est aux prises avec des problèmes structurels qui pourraient ralentir son économie et nuire au financement nécessaire du système de santé, de nos écoles et de nos services sociaux, des soins également pour nos aînés.
Les données de Statistique Canada sont éloquentes :
C’est au Québec, parmi les provinces les plus populeuses, qu’on retrouve la part la plus élevée de personnes âgées de 65 ans et plus, soit 20,6 %;
Le part des 65 ans et plus passera à près de 26 % en 2043 par rapport à 23,7 % pour la moyenne canadienne;
Le poids démographique du Québec dans le Canada passera de 22,6 % en 2018 à une fourchette allant de 20,1 % à 20,6 % en 2043 selon plusieurs scénarios explorés. Pendant ce temps, en Ontario, cette part passera de 38,6 % à environ 39,3 %;
Et les personnes en voie de prendre leur retraite, les 55-64 ans, représentent 23,2 % de la population en âge de travailler au Québec, contre 21,8 % dans l’ensemble du pays.
Selon Statistique Canada, la migration internationale est le principal moteur de la croissance au Québec dans tous les scénarios et compense un accroissement naturel négatif ou en baisse au cours de la projection (du fait du vieillissement de la population) ainsi que des pertes au chapitre de la migration interprovinciale dans tous les scénarios.
Autrement dit, sans l’immigration, la croissance démographique du Québec va rester plus lente qu’ailleurs. Et cet état de fait représente un poids sur notre économie et nos finances publiques.
Dans un texte publié en octobre dernier, j’expliquais combien le Québec était en désavantage numérique par rapport aux provinces les plus populeuses au Canada. J’expliquais que :
Depuis 2011, la population de l’Alberta avait progressé de 21,9 %, celle de la Colombie-Britannique de 18,5 %, et celle de l’Ontario avait augmenté de 15,4 %. Pendant ce temps, au Québec, la hausse de la population n’avait été que de 8,9 %;
Et puis, depuis 2011 toujours, le nombre des 25-54 ans, le cœur battant de la main-d’œuvre, avait chuté de 2,2 % au Québec, alors qu’il avait crû de 4,9 % en Ontario et de 9,9 % en Alberta et en Colombie-Britannique.
Pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre, il faut miser sur la formation. Le ministre de l’Emploi Jean Boulet travaille d’arrache-pied à mettre en place différents programmes pour tenter d’aider les entreprises et les travailleurs à se transformer.
Pour atténuer les effets du vieillissement de la population, il faut miser sur une amélioration de la productivité. Et ça, ça passe par l’automatisation, des investissements importants de la part des entreprises, et… plus de bras!
Dans une étude publiée en novembre dernier, l’Institut du Québec écrivait que le Québec devait s’assurer d’atteindre les seuils fixés en matière d’accueil d’immigrants. Le Québec doit aussi rattraper les réductions des années pandémiques.
Rattraper ces retards par rapport à la cible, écrivait l’Institut du Québec, est important pour l’économie québécoise pour deux raisons principales. D’une part, cette immigration a pour but de combler des besoins immédiats sur le marché du travail et, d’autre part, plusieurs personnes actuellement en sol québécois et en attente de l’octroi d’un statut de résidence permanente risquent de se décourager en quittant le Québec ou de perdre leur emploi si les délais ne se résorbent pas.
L’Institut appelait à une réduction des délais d’admission des immigrants et une meilleure reconnaissance des compétences et de l’expérience étrangère. Québec a annoncé une entente avec le gouvernement fédéral, le 1er avril dernier, pour accélérer la venue de travailleurs étrangers. Le gouvernement Legault a aussi annoncé, il y a quelques jours, la tenue de 17 missions à l’étranger pour tenter d’attirer 3000 travailleurs au Québec.
Il faut mettre fin aux débats partisans sur l’immigration et s’intéresser davantage à l’économie, la société, la démographie, le financement de nos services publics. L’immigration fait partie de la solution québécoise pour maintenir notre niveau de vie et notre modèle de société.
À l’approche de la présentation de la mise à jour économique du gouvernement Legault, six grandes organisations d’employeurs ont livré vendredi à Montréal une liste de cinq demandes afin de contrer ce qu’elles qualifient de crise sans précédent et même de situation catastrophique dans l’économie québécoise.
En tête de liste, les organisations réclament une accélération du processus d’immigration, blâmant les délais beaucoup plus longs au Québec qu’ailleurs au pays, surtout que la pandémie a freiné l’arrivée de nouveaux immigrants.
Toujours en immigration, elles réclament une plus grande régionalisation de l’immigration pour combler les besoins en région.
Les organisations d’employeurs insistent également sur l’instauration de mesures pour garder ou ramener les travailleurs plus âgés en emploi.
Enfin, elles réclament un soutien aux PME pour requalifier la main-d’oeuvre et un appui pour faciliter l’implantation de nouvelles technologies et la modernisation des entreprises.
Les organisations qui lançaient cet appel, vendredi, sont l’Union des municipalités du Québec (UMQ), le Conseil du patronat (CPQ), le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ)
Bien qu’elles représentent, à l’exception de l’UMQ, des employeurs privés, les organisations ont insisté sur le besoin de mettre en place de telles mesures pour combler également le manque d’employés dans le secteur public, notamment en santé, en éducation et en petite enfance.
Dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, le Service d’accueil aux nouveaux arrivants (SANA) de Shawinigan observe que la demande pour ses services est grandissante. Alors que la Semaine québécoise des rencontres interculturelles bat son plein, un organisme de Shawinigan se mobilise avec le SANA pour l’élaboration d’un plan d’action tourné vers davantage d’accueil et d’inclusion, notamment en milieu de travail.
L’organisme Autrement d’ici, qui travaille depuis 15 ans à développer les compétences interculturelles de professionnels, vient de conclure une semaine de consultations publiques auprès de citoyens, d’employeurs, d’organismes et de personnes immigrantes de Shawinigan sur le sujet.
La fondatrice de l’organisme, Suzie Yeo, mentionne que l’inclusion ne va pas de soi. Si on a de la difficulté à aller au-delà des différences, croyant que ces différences-là insinuent que les gens ne travaillent pas de la même façon, qu’on n’a pas la même vision, qu’on collaborera de façon difficile, bien naturellement, ça ne permet pas cette rencontre interculturelle et ça ne permet pas à tous et chacun de participer pleinement à l’organisation. »
Une soixantaine de nationalités sont représentées à Shawinigan, mais le SANA fait le constat qu’une plus grande place pourrait leur être faite en entreprise. L’organisme offre nouvellement des formations et ateliers qui misent sur cet objectif, comme l’explique le chargé de projet au SANA de Shawinigan Éric Champoux.Comment éviter les biais inconscients, ou comment gérer ça dans une équipe? C’est toujours une méconnaissance de l’autre, donc d’aller vers l’autre, de se parler. »
Le SANA note que la demande pour ces formations est en forte croissance, à l’heure où plusieurs domaines souffrent d’un manque criant de personnel.
L’exemple du CNETE
Une entreprise se démarque particulièrement en matière d’inclusion. Le Centre national en électrochimie et en technologies environnementales (CNETE) a remporté le prix Diversité culturelle au Gala de la Chambre de commerce et d’industrie de Shawinigan (CCIS) l’an dernier.
On les a choisis parce que ce sont les plus performants, tout simplement ,» indique la directrice générale du CNETE Nancy Déziel pour expliquer qu’un grand nombre de ses employés est issu de la diversité. Non seulement on retrouve dans le laboratoire des travailleurs de diverses origines, mais on y observe également la parité hommes femmes.
Je pense que l’ouverture est là. Maintenant il y a peut-être des domaines où c’est moins évident, peut-être les domaines professionnels. Peut-être qu’il y a des ouvertures à faire de ce côté-là», poursuit Nancy Déziel.
Au CNETE, c’est une question de progrès et de vitalité économique, d’autant plus en contexte de pénurie de main-d’œuvre.
Avec CBC/Radio-Canada avec les informations de Marie-Ève Trudel
TROIS-RIVIÈRES — Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) demande l’aide des professionnels de la santé afin de dépister massivement la population au cours des prochaines semaines.
Dans l’objectif de rassembler une soixantaine de gens qualifiés pour tester la population, l’administration du CIUSSS MCQ invite les audiologistes, dentistes, diététistes-nutritionnistes, hygiénistes dentaires, infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes, orthophonistes, physiothérapeutes et technologistes médicaux qui le souhaitent à venir se joindre aux travailleurs de la santé déjà sur le terrain.
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«Avec le déconfinement et la saison estivale, nous souhaitons agrandir notre équipe de professionnels afin d’augmenter les dépistages et offrir un accès facile et rapide à la population. Nous sollicitons la contribution d’un maximum de professionnels pour venir en renfort à nos équipes», a indiqué le directeur des ressources humaines, des communications et des affaires juridiques au CIUSSS MCQ, Me Louis Brunelle.
Les personnes intéressées recevront d’ailleurs une formation rémunérée spécifique à leurs nouvelles fonctions. Ils auront le loisir de travailler à temps complet ou partiel, selon leur disponibilité. De plus, ils recevront le même salaire qu’ils recevaient dans l’exercice de leurs fonctions habituelles. Enfin, tout l’équipement de protection requis sera mis à la disposition de ces professionnels qui oeuvreront sur le terrain.
«Nous vivons une situation hors du commun. La solidarité dont font preuve les gens de la Mauricie et du Centre-du-Québec est exceptionnelle. Je suis persuadé que les professionnels de la santé répondront présents», a fait savoir Me Brunelle.
Les personnes qualifiées désireuses d’apporter leur aide au réseau de la santé peuvent le faire en consultant le www.ciusssmcq.ca/carrieres.
Un dépistage massif, mais préventif
Bien que la région s’en tire relativement bien par rapport au reste du Québec en ce qui a trait à l’aplanissement de la courbe de propagation de la COVID-19, il était primordial pour la Direction régionale de santé publique de mettre en place une stratégie de dépistage adéquate. De cette façon, le CIUSSS espère être en mesure de prévenir toute apparition d’une deuxième éclosion du virus.
«Cette stratégie de dépistage de répression nous permettra de préparer la région à une éventuelle deuxième vague. En découvrant rapidement si quelqu’un est asymptomatique, nous pourrons éviter qu’une éclosion se déclare dans nos milieux fermés. Notamment, on souhaite tester énormément nos travailleurs de la santé. Ce sont pas moins de 4000 tests qui seront effectués chaque semaine uniquement auprès des employés de notre réseau», a fait savoir la présidente-directrice générale adjointe du CIUSSS MCQ, Nathalie Boisvert.
Berlin – Attirer les travailleurs étrangers qualifiés pour répondre à la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs: les partis de la coalition au pouvoir en Allemagne sont tombés d’accord mardi pour légiférer afin de faciliter l’immigration.
Les trois partis, les conservateurs de la CDU et de la CSU ainsi que les sociaux-démocrates du SPD, sont parvenus à un accord dans la nuit sur cette délicate question migratoire, dans un contexte politique marqué par une forte poussée de l’extrême droite en raison de l’arrivée de plus d’un million de demandeurs d’asile en 2015-2016.
Ils se sont entendus sur l’adoption courant 2019 d’une loi pour faciliter l’accès au marché du travail allemand d’étrangers extracommunautaires qualifiés.
« Nous ne voulons pas d’une immigration de personnes non qualifiées venant de pays tiers », notent sociaux-démocrates et conservateurs dans le document présenté mardi résumant les grandes lignes du projet.
Les demandeurs d’emploi de l’extérieur de l’UE — en particulier évoluant dans des secteurs sous tension comme la cuisine, les mathématiques ou l’informatique– pourront obtenir un permis de séjour en Allemagne de six mois s’ils peuvent assurer leurs moyens de subsistance durant ce laps de temps. Il sera prolongé s’ils trouvent un emploi. Une condition néanmoins, ils devront démontrer un niveau d’allemand suffisant.
« Nous avons besoin de travailleurs de pays tiers, » a reconnu le ministre de l’Intérieur (CSU), Horst Seehofer, par ailleurs très critique à l’égard de la politique d’accueil des réfugiés décidée par Angela Merkel en 2015.
Quelque 338.200 emplois étaient non pourvus en septembre en Allemagne dans les seuls secteurs de l’informatique, des mathématiques et des technologies de l’information, selon le quotidien économique Handelsblatt, qui cite l’Institut économique allemand, basé à Cologne.
Le document présenté mardi souligne que la « forte croissance économique de ces dernières années » a en partie été atteinte grâce à des une « immigration en provenance des États membres de l’Union européenne ». Mais, relève le document, « ce solde migratoire est actuellement en baisse ».
La CDU-CSU et les sociaux-démocrates du SPD ont dû trancher un désaccord au sujet des étrangers déboutés d’une demande d’asile mais qui occupent un emploi en Allemagne et parlent allemand. Le SPD souhaitait qu’ils puissent rester, ce à quoi la CSU s’opposait.
Finalement, M. Seehofer a donné son accord pour que les plus qualifiés puissent rester.
« Il s’agit de ne pas renvoyer chez elles les mauvaises personnes », a résumé Hubertus Heil, ministre SPD du Travail.
Le leader de l’AfD (extrême droite), Alexander Gauland, a réagi en accusant les partis de la coalition de vouloir « tromper les Allemands », en semant la confusion entre droit d’asile et immigration économique.
Du côté des Verts, Filiz Polat, chargé des questions migratoires, a mis en garde contre un trop-plein de « bureaucratie et des réglementations opaques ». Jan Korte, un des responsables parlementaires de Die Linke, a pour sa part demandé à ce que l’accord soit élargi à tous les demandeurs d’asile disposant d’une activité.
L’organisation patronale BDA a salué cet accord, regrettant cependant qu’il manque d’ambition en matière de reconnaissance des diplômes étrangers.
Après l’arrivée depuis d’un million de demandeurs d’asile dans la première économie européenne en 2015 et 2016, ce nombre devrait être inférieur à 200.000 cette année.
L’intégration des demandeurs d’asile via le travail montre des succès en Allemagne notamment, grâce à une économie florissante. Mais une partie de l’opinion, de même que le parti d’extrême droite AfD et une part de la CDU-CSU, accuse les demandeurs d’asile d’être responsables d’une hausse de l’insécurité.
Au volant de sa Mercedes toute neuve, un entrepreneur polonais contemple pensivement l’affiche ornant l’arrière d’un bus municipal devant lui: « Bâtisseurs, soudeurs. Travailleurs d’Ukraine et du Bangladesh ».
« Pour le moment nous prenons surtout les Ukrainiens et quelques Bélarusses », dit l’homme qui gère une entreprise de logistique à Varsovie. « On n’a pratiquement plus de Polonais, ils travaillent tous en Allemagne ou en Grande-Bretagne ».
Il préfère ne pas se nommer, ni son entreprise. « Question d’image », dit-il sans sourire.
Cette situation ne peut que s’aggraver, selon les démographes, et mettre en péril la croissance de l’économie polonaise, rapide et, exception remarquable, ininterrompue depuis la chute du communisme en 1989.
Les projections sont sombres. La génération du baby-boom des années 50, qui avait vu 800.000 naissances par an, est en train de quitter le marché du travail. Celle des années 90 qui arrive, représente environ la moitié de ce chiffre. S’y ajoute l’émigration de travailleurs qualifiés vers l’Europe de l’Ouest, où les salaires sont meilleurs.
D’après les prévisions d’experts, basées sur les projections de l’Office central des statistiques, à l’horizon 2030 un emploi sur cinq sera vacant. L’économie polonaise aura besoin de 20 millions de travailleurs, mais la population active tombera à 16 millions de personnes.
Ni le réservoir de main d’œuvre des campagnes – l’agriculture, comptant des millions de petites exploitations, emploie relativement plus de travailleurs qu’en France ou en Allemagne – ni l’embauche de chômeurs, de moins en moins nombreux (6,6% de la population active en mars 2018), ni les retraités réembauchés, ne pourront y remédier.
Dans le BTP, le déficit atteint d’ores et déjà environ cent mille personnes, confirme à l’AFP le vice-président de l’Union polonaise des Employeurs du Bâtiment, Rafal Baldys Rembowski.
Le numéro un du secteur, Budimex (du groupe espagnol Ferrovial) voudrait embaucher mille personnes, indique son porte-parole Krzysztof Koziol.
– Du mal à embaucher –
« Nous ressentons un déficit de main d’œuvre dans notre entreprise, dit-il à l’AFP, mais tout aussi bien chez nos sous-traitants qui s’en plaignent. Parfois ils nous proposent de fournir des engins en précisant qu’ils n’ont personne pour les piloter. On manque de travailleurs pratiquement dans toutes les professions: maçons, charpentiers, bétonniers, plâtriers, paveurs, chauffeurs, conducteurs d’engins. Les contremaîtres et les ingénieurs manquent aussi. »
Les chaînes de la grande distribution – dont beaucoup de françaises, entre Auchan, Carrefour et Leclerc – n’ont pas eu à licencier du personnel lorsqu’une loi leur a imposé de fermer leurs magasins le dimanche. « On a plutôt du mal à embaucher », reconnaît un responsable qui préfère garder l’anonymat.
Du coup, la Pologne (qui a fermé sa porte aux réfugiés pour des raisons de sécurité) doit repenser sa politique d’immigration, reconnaît le ministre des Investissements et du Développement Jerzy Kwiecinski.
« Notre économie a d’ores et déjà besoin de travailleurs étrangers et à l’avenir on en aura besoin de plus en plus », a-t-il dit lors d’une conférence de presse fin mars.
Le gouvernement a adopté un document intitulé « Priorités sociales et économiques de la politique migratoire ». Il s’agit de l’adapter aux besoins du marché du travail et de favoriser l’entrée des professionnels qui manquent en Pologne, d’inciter les Polonais émigrés à rentrer au pays, y compris avec leurs entreprises, et de freiner la fuite de la main d’œuvre.
– Sept mille Népalais –
Le gouvernement veut aussi faciliter l’accès des étrangers aux études supérieures dans les secteurs importants pour l’économie, développer pour eux l’enseignement du polonais et simplifier les formalités grâce au système de « guichet unique ».
Certes, les étrangers, et notamment les Ukrainiens, n’ont pas attendu ces mesures pour affluer en Pologne, parfois sans permis de travail ni visa, mais dans ce cas les régulations en vigueur les contraignent à retourner chez eux au bout de trois mois, avant de repasser à nouveau la frontière polonaise trois mois plus tard. Et s’ils travaillent au noir, ils risquent une amende.
Selon les estimations de la banque centrale polonaise NBP, un million d’Ukrainiens travaillent actuellement en Pologne et ce chiffre augmentera de 200.000 à 300.000 au cours des prochaines années.
D’après le ministère de la Famille, du Travail et de la Protection sociale, la Pologne a délivré l’an dernier aux étrangers plus de 235.000 permis de travail, dont plus d’un quart octroyés aux femmes. Les Ukrainiens sont les plus nombreux, avec 192.547 permis, les Bélarusses suivent loin derrière, avec 10.518 autorisations. Le troisième groupe national sont, signe des temps, les 7.075 Népalais.