Imprévisible jusqu’au bout, le maire Régis Labeaume aura causé la surprise jusqu’à l’annonce de sa retraite mercredi. Après 14 ans au pouvoir, il laissera derrière lui une ville à laquelle son nom était si collé qu’on peine à l’imaginer évoluer sans lui.

© Francis Vachon Le Devoir «Cette réflexion, elle est mûrie, elle est réfléchie», a affirmé Régis Labeaume en conférence de presse.
« Mon temps est fait et j’aspire à une autre vie », a déclaré M. Labeaume mercredi dans un discours qui semblait mûrement réfléchi. « J’ai le sentiment que je quitterai une maison en ordre », a-t-il ajouté en soulignant que les finances de la ville étaient « stabilisées » malgré la pandémie et que le projet de réseau structurant « était finalement en route ».
Serein, le maire a dit avoir vécu « professionnellement les plus belles années » de sa vie à la Ville. « Je n’ai pas vécu de la politique ; j’aurai plutôt vécu pour la politique : totalement, intensément, pendant 14 ans », a lancé ce sociologue de formation en citant Max Weber.
Régis Labeaume aura entretenu le suspense jusqu’à la fin sur son avenir politique. Alors que les autres candidats à la mairie entraient en campagne ces dernières semaines, son silence à ce sujet impatientait autant les médias que ses adversaires potentiels.
La décision, a-t-il dit, était prise « depuis plus de quatre ans ». Or, ces derniers mois, il avait laissé entendre qu’elle était liée au destin du projet de tramway qui vient à peine de démarrer officiellement avec le lancement des appels de propositions, vendredi.
Véritable bête médiatique, M. Labeaume aura ainsi jusqu’à la fin su garder le contrôle sur le scénario de la vie politique municipale dont il dirige la cadence depuis 14 ans à coups de déclarations choc, de revirements et de défis lancés à ses adversaires politiques.
Un phénomène populaire
La carrière de Régis Labeaume a débuté après le décès subit d’Andrée Boucher en 2007 après moins de deux ans au pouvoir. Nouveau venu en politique, ce millionnaire associé au milieu de l’entreprenariat était méconnu quand il est entré dans la course à la mairie. Au départ, on lui attribuait à peine 5 % des appuis populaires mais il a causé la surprise en se faisant élire avec 59 % des votes.
Ce n’était qu’un début : à l’élection suivante, il allait rafler pas moins de 80 % pour s’imposer comme l’un des politiciens les plus populaires de l’histoire récente du Québec, un véritable « phénomène » politique. « En quelques mois, le maire de Québec Régis Labeaume est devenu la superstar du monde municipal », écrivions-nous à l’époque dans Le Devoir.
Un phénomène en grande partie attribuable à son absence de langue de bois et son style fort en gueule qui lui ont valu beaucoup d’amour de la population, mais aussi certains écarts de conduite.
« La politique, c’est tough. Bon, ça excuse pas tout ce que j’ai fait », a-t-il répondu à un journaliste qui le questionnait mercredi sur son fameux style. « Mais faut jouer dur dans ce milieu-là si on veut avoir des résultats. » Et d’ajouter qu’il avait besoin de se sentir libre : « Pour être bien dans ma peau, avoir de l’énergie et avoir le goût de revenir le lendemain, fallait que je me sente libre. »
On n’a pas fini par ailleurs de disserter sur son legs à la ville de Québec. Mercredi, le principal intéressé à beaucoup insisté sur l’importance du tramway pour faire de la capitale « la ville la plus attrayante au pays ». « Je crois sincèrement qu’avec un mode de transport écologique et moderne, elle le deviendra. »
Ses premières années au pouvoir auront quant à elles été marquées par la relance du 400e qu’il a réalisée en recrutant Daniel Gélinas, du Festival d’été, lequel allait livrer le spectacle légendaire de Paul McCartney sur les Plaines.
Le hockey aura quant à lui fait la pluie et le beau temps de son deuxième mandat pendant lequel Régis Labeaume allait obtenir pas moins de 200 millions de dollars du gouvernement de Jean Charest pour financer l’amphithéâtre nécessaire à la venue d’une équipe qui ne viendra finalement pas.
À ce sujet, M, Labeaume semblait malgré tout paisible, mercredi, en rappelant que la venue d’une équipe était hors de « son contrôle ».
Enfin, on en parle peu désormais, mais son troisième mandat (2013-2017) a été axé sur les relations avec les syndicats, le maire ayant milité pour augmenter leur contribution aux régimes de retraite, débat qui allait essaimer bien au-delà de la capitale et secouer l’Assemblée nationale.
Des drames marquants
Régis Labeaume aura en outre été aux premières loges de deux horribles tragédies survenues en à peine cinq ans : l’attaque à la Mosquée de Québec qui a fait six morts (2017), et celle dans le Vieux-Québec qui en a fait deux, en octobre dernier.
C’est d’ailleurs ce qu’il dit avoir trouvé le plus « difficile » à la mairie. « La Mosquée, c’était terrible. C’était surnaturel. Le 31 octobre, c’était tellement violent », a-t-il déclaré. « C’est toujours la même inquiétude, tu te demandes comment les gens vont percevoir la ville après. » Certaines personnalités ont d’ailleurs vanté le tact du maire lors de ces épisodes particulièrement délicats.
De Québec à Ottawa en passant par tout le monde municipal, les éloges et messages amicaux fusaient de partout mercredi après l’annonce. « Il laisse un legs impressionnant à notre capitale nationale », a déclaré le premier ministre François Legault. « Ça fait bizarre d’imaginer Québec sans le maire Labeaume, tellement il a marqué sa ville. »
« Ton dévouement pour la ville depuis 14 ans est remarquable », a quant à lui fait remarquer son ancien compagnon au municipal Denis Coderre. « Tu peux certainement partir avec le sentiment du devoir accompli ! »
Et maintenant ? Régis Labeaume veut d’abord « se reposer » et « dormir, dormir, dormir, dormir… ». Seul regret affiché dans son discours : il part un peu tard pour entreprendre une deuxième carrière. « Lors de ma première élection à la mairie de Québec, mon espoir le plus fou était d’y demeurer dix ans […] et entreprendre par la suite une nouvelle carrière au tournant de la soixantaine, mais c’est raté », a déclaré le politicien de 65 ans. Chose certaine, on ne le reverra pas en politique à quelque niveau que ce soit, a-t-il insisté.
Reste à savoir quel rôle il jouera dans la campagne au terme de laquelle son successeur sera élu le 7 novembre prochain. M. Labeaume n’a pas indiqué ce qui allait advenir du parti qui porte son nom — Équipe Labeaume — ni des nombreux conseillers municipaux élus sous sa bannière. Ce sera pour une prochaine annonce, a-t-il lancé. Il n’a pas non plus voulu dire s’il allait prendre position lors de la campagne. « Vous verrez ! » a-t-il précisé avant de laisser échapper un rire.
Quatre candidats sont dans la course à sa succession : l’actuel chef de l’opposition Jean-François Gosselin (Québec 21), le conseiller Jean Rousseau (Démocratie Québec), Jackie Smith (Transition Québec) et Bruno Marchand, du nouveau parti Québec forte et fière.
Pour le reste, le maire sortant a prévenu qu’il n’était pas encore parti et comptait bien tirer le maximum des six mois à venir. « Je suis encore à l’ouvrage pour six mois. C’est pas fini ! »
Avec Le Devoir par Isabelle Porter