Martine la Sardine blanche du fleuve Congo vivait dans un palais majestueux au toit vert des jacinthes de bois.
Plongée dans l’ennui d’absence de loisirs, un jour elle partit se promener et rencontra aux cataractes, dans la turbulence et le tumulte des eaux, Arthur le Silure, au teint d’ébène qui jouait au cerf-volant. Elle demanda si elle pouvait se joindre à lui. Celui-ci accepta sans un brin d’hésitation. Ils s’amusèrent à pleine joie, rigolèrent en suivant le cerf-volant qui dansait aux caresses du vent. Ils se cognèrent parfois contre de petits cailloux et roulèrent sur le sable fin du fleuve. Le vent qui était au rendez-vous dans ce beau jeu du ciel redoubla de vigueur et le cerf-volant se propulsait plus haut dans les airs accompagnés de nombreux cris de salutation dans son mouvement. Pendant que les deux amis jubilaient sur le sable, le cerf-volant s’accrocha dans son voyage au sommet d’un palmier.
Martine la Sardine commençait à se lamenter pour cet espoir ludique suspendu dans les bras verts du palmier. Arthur le Silure lui rassura qu’il réussirait à descendre le jouet de son arrêt momentané. Il ramassa des cailloux et commençait à les jeter pour faire tomber le cerf-volant. Il invita aussi sa campagne à cet exercice d’adresse. Mais dans cet acte de décision, un gros caillou lancé par Arthur le Silure traversa le palmier et alla cogner un tombeau en un bruit assourdissant, rebondit et se morcela. Soudain, une fumée grise s’échappait et prenait une forme humaine dressant debout une vieille dame qui dormait depuis une éternité : c’était Bertille l’Anguille.
– Mes enfants : pourquoi aviez-vous dérangé mon sommeil ?
Ses simples paroles faisaient trembler le sable et l’herbe sauvage, produisaient un tourbillon aux alentours qui remuait fortement leurs habits et leurs cheveux tandis que les poils de leur peau se dressaient comme des aiguilles rigides.
– Mémé, Mémé ! nous n’avons pas fait exprès. On voulait tout simplement descendre notre cerf-volant par le jet des pierres c’est pourquoi maladroitement un caillou est tombé sur ta demeure. Veuille bien nous en excuser.
– Alors que puis-je faire pour vous mes petits-enfants ?
– Si tu peux nous aider à décrocher notre cerf-volant. Nous savons que tu en es capable.
– Merci de la certitude que vous reposiez sur moi.
Bertille l’Anguiille s’approcha de l’arbre, se concentra un moment, ses yeux devinrent rouges, dégageant du feu et elle retrouva les souvenirs de son vivant lorsqu’elle grimpait sur les palmiers pour aller manger les noix mûrs d’un goût exceptionnel lui donnant une peau luisante. Elle s’enroula le long du tronc, arriva au sommet et descendit le cerf-volant. Ils remercièrent Bertille l’Anguille qui regagna son tombeau pour retrouver sa paix de l’âme.
Cependant, le jouet de Martine la Sardine et d’Arthur le Silure était perforé par les aiguilles du palmier, il n’était plus bon et ne pouvait plus s’envoler. Ils le prirent, l’enroulèrent d’une pierre et le jetèrent au-dessus du fleuve Congo. Le cerf-volant s’ouvrit quand même et se déposa comme un parachute en perte de vitesse, tomba droit à la surface de l’eau.
Par ailleurs, le soleil au zénith balançait sa férule de rayons de plein fouet. Ils eurent faim et soif puis mangèrent des tiges de roseaux. Ils creusèrent des vers de terre et firent la pêche pour avoir du poisson à manger. Durant toute la partie de la pêche, seule Martine la Sardine capturait le poisson. Pourquoi? Quand ceux-ci remontaient à la surface de l’eau, au temps chaud, par la clarté rayonnante et blanchâtre de Martine, les poissons exprimaient une grande joie pour mordre son appât. Mais au moment où ils émergeaient et qu’ils découvraient la présence d’Arthur le Silure, le trouvant trop noir, ils fuyaient son approche et n’osaient pas mordre à son hameçon. Pauvre de lui ! il rentra bredouille. Un peu confus. La compagnie ne pouvait pas se limiter à l’unique gain d’une partie.
Pour le consoler, Martine l’invita chez elle dans son palais. Elle prépara le poisson. Ils mangèrent ensemble, burent du bon vin. A chaque fois, il terminait toujours goulûment sa part de nourriture. Il mangeait, mangeait, mangeait. Il ne cessait de demander à manger à Martine la Sardine. Celle-ci lui dit un moment qu’elle ne pouvait pas opérer un miracle de la multiplication de poisson.
Fâché, il saisit le couvercle, regarda et constata effectivement que plus rien n’y était, il renversa toute la marmite, brisa les verres de table, renversa les chaises puis s’en prit à Martine la Sardine qui de sa petite taille s’étant débattue mais en vain, il la mangea pour assouvir sa faim. II en raffola bestialement la chair de Martine qui lui procura un appétit supérieur.
C’est pourquoi depuis lors, le Silure quand il est dans le même étang que la sardine, finit toujours par la manger. Leur cohabitation n’est plus amicale et recommandée chez les pisciculteurs.
Le service d’un bonheur dans l’amitié peut parfois se transformer dans le malheur.
© Bernard NKOUNKOU