Ces trois personnalités congolaises, dont deux ont déjà déclaré leur candidature à la présidentielle de 2023, accusent le chef de l’État de déficit de « leadership ».
La RDC est menacée d’ »émiettement », de « balkanisation » et cette situation est « le résultat d’un déficit criant de leadership et de gouvernance de la part d’un régime irresponsable et répressif », écrivent dans une déclaration commune rendue publique ce 26 décembre Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle de 2018, ainsi qu’Augustin Matata Ponyo, ancien Premier ministre aujourd’hui sénateur, inquiété par la justice pour une affaire de détournement de fonds présumé et le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix.Les deux premiers ont déjà annoncé leur candidature à la présidentielle de 2023, et il se murmure que le troisième pourrait aussi être un prétendant à la magistrature suprême contre Félix Tshisekedi.
« Externalisation »
« Au lieu de doter le pays d’une armée efficace », notent les trois hommes, « le gouvernement a privilégié une politique d’externalisation de la sécurité nationale à des forces étrangères et pire, à des États à la base de la déstabilisation du pays. »
Évoquant « l’agression de notre pays par le Rwanda au travers de ses supplétifs du M23 », ils formulent une série d’exigences, parmi lesquelles : « la condamnation ferme du Rwanda par le Conseil de sécurité des Nations unies » ; « le retrait immédiat des éléments du M23 de toutes les positions qu’ils occupent » ; « le déplacement loin de la RDC des éléments rwandais des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et Ougandais des ADF [Allied Democratic Forces] » ainsi que « la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda et la fermeture de toutes les frontières » entre le Rwanda et la RDC.
Sous la pression internationale, les rebelles du M23 qui ont conquis au cours des derniers mois de vastes pans du territoire du Nord-Kivu, ont participé le 23 décembre à une cérémonie en vue de remettre la ville stratégique de Kibumba à une force militaire régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Un évènement que l’armée congolaise a qualifié de « leurre ».
Sur la situation politique, Mukwege, Fayulu et Matata Ponyo ont exprimé leur « profonde inquiétude sur le caractère non-inclusif du processus électoral » qui a démarré avec l’enrôlement des électeurs, ainsi que « la violation de la Constitution » notamment en ce qui concerne « les poursuites judiciaires engagées contre certains acteurs politiques » dans le but de les « éliminer du processus électoral ».
« Le dernier arrêt rendu par la Cour constitutionnelle dans le dossier du sénateur Matata Ponyo Mapon, en violation de l’article 168 de la Constitution en témoigne à suffisance », notent les trois signataires dont Matata Ponyo lui-même.
Risque de glissement du calendrier électoral, potentielles alliances, hypothétique dialogue… De passage à Paris, l’opposant, qui retentera sa chance lors des prochaines élections, s’est confié à Jeune Afrique. Rencontre avec un homme revanchard.
La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a beau ne pas avoir encore publié son calendrier, Martin Fayulu sait déjà à quoi s’en tenir. « Le 23 janvier 2024, à minuit, Félix Tshisekedi devra prendre ses cliques et ses claques et partir”, lance-t-il, déterminé, dans le salon d’un hôtel parisien. Après avoir passé quatre ans à revendiquer la victoire à la dernière élection présidentielle, Fayulu renfile ses habits de candidat.
Investi par son parti, l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (ECiDé) en juillet dernier, l’ancien porte-étendard de la plateforme d’opposition Lamuka est à Paris pour quelques jours. Une visite familiale puisque l’un de ses fils réside en région parisienne, mais surtout politique. Il vient notamment poursuivre la tournée médiatico-diplomatique de ces derniers mois aux États-Unis, au Canada et en Belgique. « J’ai vu des élus américains, je suis allé au Département d’État à Washington, au ministère des Affaires étrangères au Canada. J’ai également rencontré des députés canadiens », énumère-t-il, convaincu que ses « interlocuteurs regrettent aujourd’hui d’avoir pris acte de l’élection de Félix Tshisekedi ». « On le sent dans leur attitude, même s’ils ne le disent pas clairement avec des mots. »
Il y a d’un côté le conflit en cours entre la RDC et le Rwanda autour de la résurgence du M23 et les accusations répétées de Tshisekedi à l’encontre de son homologue Paul Kagame. « Aujourd’hui, il est tellement flagrant que la RDC est agressée par le Rwanda que Félix Tshisekedi n’a d’autre choix que de rejoindre notre position », tacle d’entrée Fayulu, qui affirme tenir le discours actuel du chef de l’État depuis « plus de dix ans ».
De l’autre, il y a la préparation de cette élection aux allures de revanche, prévue pour décembre 2023 mais sur laquelle plane le spectre d’un glissement du calendrier. « Les élections en décembre 2023 sont une obligation, un must », rétorque immédiatement cet ancien cadre de la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil.
LE MANDAT, C’EST CINQ ANS. PAS CINQ ANS PLUS UNE SECONDE
Qu’importe le discours rassurant du gouvernement, dont le porte-parole, Patrick Muyaya, a encore réaffirmé que « l’organisation des élections [était] une question de conviction et pas une obligation ». Martin Fayulu n’y croit pas. « À un moment donné, on vous dira que l’on n’a pas pu, malgré toute notre bonne volonté, les tenir à temps, à cause de l’état de siège ou de la guerre avec Kagame… Ce sont des stratégies pour gagner du temps, estime-t-il. La Constitution fixe le mandat à cinq ans. Pas cinq ans plus une seconde, cinq ans. »
La Ceni s’est engagée à publier son calendrier en novembre et promet, malgré des alertes régulières sur des difficultés de financement, de mener les activités d’enrôlement dans un délai raccourci. Mais à un peu plus d’un an de la date butoir, la perspective d’un glissement est prise très au sérieux, tant au sein de la classe politique que par les chancelleries. Certains parient sur un report de six mois, d’autres de huit. Les plus pessimistes évoquent un délai qui pourrait dépasser un an. Et l’opposition est à l’affût du moindre faux pas.
« Beaucoup de gens sont responsables de la situation dans laquelle nous nous trouvons », affirme Fayulu. Déterminé à défendre son bilan d’opposant – lui préfère dire qu’il fait de la « résistance » –, il énumère ses différentes initiatives : « Le 8 février 2019, j’avais déjà fait une proposition concrète à l’Union africaine. Le 10 mai 2019, j’ai fait une autre proposition de sortie de crise en plaidant pour la mise en place d’un haut conseil de réformes institutionnelles. J’ai réitéré cette proposition le 4 novembre 2019. À chaque fois, personne ne m’a suivi. » « Martin Fayulu ne reconnaît pas les institutions, mais il faudrait qu’on écoute et que l’on soutienne chaque nouvelle proposition qu’il formule », assène l’un de ses anciens alliés qui a rallié la majorité.
« L’Église a cassé le bloc patriotique »
Mais Martin Fayulu ne cherche-t-il pas aussi à se positionner en fer de lance d’une opposition pour l’instant éparpillée ? Candidat surprise de Lamuka en 2018, il a longtemps ressassé la « trahison » de janvier 2019. Celle de la Ceni et de la Cour constitutionnelle, qu’il accuse de l’avoir privé de « sa » victoire. Celle des diplomates qui ont pris acte d’un scrutin controversé ayant toutefois abouti à la première transition pacifique en RDC. Pendant près de quatre ans, il s’est donc attaché à rester au centre du jeu pour capitaliser sur ce statut « d’opposant numéro un ». Mais cela n’a pas été évident. Antipas Mbusa Nyamwisi et Freddy Matungulu ont quitté Lamuka dès 2019. Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba ont ensuite rejoint l’Union sacrée, fin 2020, après la rupture de l’alliance entre Tshisekedi et Joseph Kabila.
Fayulu, lui, a longtemps résumé ces bouleversements politiques à de simples « stratagèmes [de Félix Tshisekedi] pour se maintenir au pouvoir », préférant se démener sur le terrain des réformes électorales et de la Ceni. Fin octobre 2021, il s’est même investi au sein d’un « bloc patriotique » avec des représentants du Front commun pour le Congo (FCC, la coalition de Joseph Kabila). Une marche sera organisée le 13 novembre suivant. Mais la mobilisation finira par s’essouffler.
« Félix Tshisekedi a pris peur. Il a envoyé les présidents des deux chambres du Parlement, le Premier ministre et François Beya [alors conseiller en sécurité] chez le cardinal Ambongo avant de recevoir les évêques de la Cenco », se souvient l’opposant. « Je ne sais pas ce qu’il leur a dit mais Mgr Utembi [le président de la Cenco] est sorti de là en déclarant qu’il fallait aller de l’avant”, regrette Fayulu, qui accuse l’Église catholique d’avoir « cassé le bloc patriotique ».
Vive contestation
Si la mobilisation face à Denis Kadima a faibli au sein de l’opposition, la composition des bureaux respectifs de la Ceni et de la Cour constitutionnelle, accusés de servir les intérêts du pouvoir, fait toujours l’objet d’une vive contestation, sans que cela ne débouche pour l’instant sur un quelconque dialogue. La perspective d’un glissement pourrait-elle pousser dans cette direction ? En cas d’empêchement du président, la Constitution prévoit que le président du Sénat – en l’occurrence Modeste Bahati Lukwebo – prenne en charge la gestion de la transition et l’organisation, dans les 90 jours, des élections.
« Nous, nous pensons que le président du Sénat ne doit pas gérer cette transition, car il appartient au camp du pouvoir. L’Union sacrée, le FCC, Lamuka et la société civile doivent se mettre à la même table pour s’entendre sur une personnalité de la société civile », explique Fayulu. Une perspective évidemment bien éloignée des positions du gouvernement, qui affirme ne pas envisager de report. « Nous ne faisons pas dans la politique-fiction. Les élections seront tenues dans les délais. Martin Fayulu peut donc dialoguer avec lui-même », balaie un ancien allié de l’opposition qui lui reproche de « s’isoler ».
S’il semble s’étonner lorsqu’on lui énumère la liste des candidats déjà investis ou sur le point de se déclarer, Martin Fayulu se dit en tout cas sûr de sa force. « Nous étions 21 en 2018 et 33 en 2006, rappelle-t-il. Dans le lot, il n’y avait quasiment que des candidats [qui ont enregistré] entre 0 % et 1 %. Aujourd’hui, nous sommes trois ou quatre à pouvoir peser. » Il évoque aussi des « manœuvres du pouvoir pour soutenir et pousser des candidats », sans toutefois préciser les noms de ceux qu’il vise. “N’est pas candidat qui veut. En 2011, vous pensez sérieusement que Vital Kamerhe pensait pouvoir être élu alors qu’Étienne Tshisekedi crevait le plafond ? »
« Encore une question d’ego »
Reste que la multiplication des candidatures dans une élection à un seul tour ne joue pas en faveur de l’opposition. En 2018, celle-ci avait réussi à s’asseoir à une même table à Genève. Difficile pour l’instant d’envisager un renouvellement de l’expérience. « Personnellement, je suis d’accord avec l’idée d’organiser un Genève bis. Lors du congrès qui m’a désigné candidat, nous avons pris trente résolutions, dont une qui autorise que l’on s’associe à quelqu’un qui regarde dans la même direction que soi », admet Fayulu. « Au final, comme à Genève, cela sera une question d’ego, estime un opposant congolais présent à l’époque. Qui acceptera à nouveau de se ranger derrière l’autre ? »
Les pistes d’alliances ne sont pas nombreuses. Ces derniers mois, Martin Fayulu a rencontré à deux reprises l’ancien Premier ministre de Joseph Kabila, Matata Ponyo Mapon, candidat sous l’étiquette de son nouveau parti, Leadership et Gouvernance pour le développement. Fayulu reconnaît qu’un rapprochement est possible. « Il m’a parlé de son appartenance à l’opposition. S’il voit dans Lamuka quelque chose qui peut lui correspondre, nous avons des structures au sein de la coalition pour trancher sur cette question », ajoute-t-il.
Quid de Denis Mukwege, Nobel de la Paix 2018 dont certains soutiens poussent en coulisses pour une candidature en 2023 ? « Évidemment qu’il entre dans la liste des candidats potentiels. Il fait des choses énormes pour ce pays », reconnaît Fayulu, qui entretient de bonnes relations avec le célèbre médecin mais n’envisage pas, pour le moment, de se ranger derrière quelqu’un d’autre. « Je ne peux pas décider à la place du peuple qui m’a désigné candidat, conclut-il. N’est-ce pas Félix Tshisekedi qui disait, en novembre 2018 à Genève, que le changement [s’appelait] Fayulu ? »
Le leader de Lamuka en appelle à la mise en place d’une Commission électorale neutre dont le Bureau serait exclusivement constitué des membres de la société civile.
Dans un entretien accordé, le 9 juillet, à une radio locale, le leader de Lamuka et président du parti politique Ecidé a réfuté la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) récemment promulguée par le chef de l’Etat. Il considère que les modifications apportées à la loi ne garantissent pas l’organisation des élections crédibles, transparentes et démocratiques en 2023.
L’évolution actuelle du processus électoral marquée essentiellement par la promulgation de la loi sur le fonctionnement de la Céni ne serait, pour Martin Fayulu, qu’un stratagème pour justifier le report de la date de l’élection présidentielle. « On n’est en train de nous distraire pour convoquer des négociations pour postposer les élections », a-t-il précisé. A cet effet, l’intéressé a rappelé que la centrale électorale ne peut pas aller au-delà du 23 octobre 2023 pour la convocation de l’électorat au scrutin présidentiel. Ce qui permettra, a-t-il dit, d’organiser l’investiture du nouveau président de la République le 23 janvier 2024.
Pour éviter le dépassement du délai constitutionnel, le président de l’Ecidé propose, l’adoption d’un texte consensuel de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Céni qui consacrerait la neutralité de ladite institution. Il invite, par conséquent, les confessions religieuses en général et les catholiques et les protestants, en particulier, à faire obstacle au processus en cours en refusant de désigner leurs représentants à la Céni. «Si toutes les confessions religieuses sont proches du peuple et entendent ce que le peuple dit, ils ne peuvent pas cautionner cette forfaiture », a dit Martin Fayulu.
Sans pour autant manifester une quelconque intention de boycotter les prochaines élections, en cas de maintien de la réforme actuelle, le leader de Lamuka a tenu à marquer son opposition face une loi qui plante le décor de la tricherie aux prochaines élections. Il en appelle à une Commission électorale neutre dont le bureau serait exclusivement constitué des membres de la société civile.
Se proclamant toujours « président élu », Martin Fayulu a brisé le silence qu’il était imposé depuis plusieurs semaines pour rejeter l’« union sacrée » souhaitée par Félix Tshisekedi, à laquelle se sont ralliés Katumbi et Bemba.
Deux ans après, arrivé en seconde positon selon les résultats officiels de la présidentielle de décembre 2018, celui qui fut le candidat de Lamuka n’en démords pas. L’élection présidentielle a été un « hold-up électoral sans précédent dans l’histoire du continent ».
« Le régime FCC-CACH distrait l’opinion. On prend les mêmes acteurs, responsables de l’échec, et on les recycle dans une blanchisserie baptisée « union sacrée », a-t-il notamment déclaré. Cette transhumance que cultivent certains politiques congolais sans idéal est un véritable cancer pour notre pays. »
La communauté internationale indexée
Le divorce entre le camp du président congolais et celui de son prédécesseur, et le ralliement déclaré de Moïse Katumbi et de Jean-Pierre Bemba, ses deux anciens alliés au sein de Lamuka, ne serait pour lui qu’une « tentative de faire subtilement oublier le bilan négatif des deux dernières années ». « Un nouveau nom a été trouvé mais le système reste le même, assène Fayulu. L’« union sacrée » n’est rien d’autre que la seconde grossesse du couple FCC-CACH. »
Dans sa diatribe, l’ancien candidat à la présidentielle n’épargne pas non plus certains acteurs de la communauté internationale, au premiers rangs desquels les États-Unis, l’Union européenne et l’Union africaine, qui ont soutenu publiquement l’initiative du président congolais. « Ces représentants de vieilles démocraties et d’États de droit sont désormais ambigus, et même devenus aphones, quand il s’agit de défendre les principes que leurs pays prônent » a-t-il accusé.
Vers la création d’un « cabinet »
Un procès en « illégitimité » auquel l’opposant congolais à ajouter un autre, en inefficacité, cette fois. « En toute franchise, avez-vous, aujourd’hui, l’impression que vos conditions de vie s’améliorent ? Existe-t-il réellement un pacte social conclu entre vous et ceux qui se sont imposés comme dirigeants ? », a-t-il notamment lancé, évoquant par ailleurs les questions d’éducation et de sécurité, en particulier dans l’est de la RDC.
Assurant vouloir « accompagner le peuple dans la reconquête de sa souveraineté », il a annoncé la future mise en place d’une « cabinet composé de femmes et d’hommes qui veulent que le Congo de Kimbangu et de Lumumba soit fort, digne et prospère. »
Comme il fallait s’y attendre, l’adresse du chef de l’Etat du 23 octobre a donné lieu à une série de réactions en sens divers. Si, pour les uns, Félix Antoine Tshisekedi a pris la bonne option en engageant le pays sur la voie de nouvelles consultations en vue de mise en place d’une Union sacrée pour la nation »; pour les autres, il a simplement botté en touche.
Au regroupement politique Lamuka du chef de file Martin Fayulu, l’on préfère se donner un peu de temps avant de se prononcer sur le message du chef de l’Etat. Entre-temps, le parti de Martin Fayulu, l’Engagement pour la citoyenneté et le développement, n’exclut toute possibilité d’une entrevue entre Etienne Tshisekedi et son leader qui détient, par devers lui, une proposition de sortie de crise. « Nous sommes humains, vous savez que même dans les guerres les plus atroces, on finit toujours par se parler », a-t-on signifié.
Il est à noter que les relations entre les deux hommes se sont détériorées à Genève en 2018, lorsque Félix Tshisekedi, à l’époque président de l’Union pour la démocratie et le progrès social, avait retiré sa signature de l’accord qui avait désigné Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition. Insatisfait des résultats électoraux publiés par la Céni, Martin Fayulu a enfourché la trompette de la contestation au point de devenir le chantre de la vérité des urnes mettant en cause la légitimité du leadership actuel.
Au niveau de la Nouvelle société civile congolaise, l’on se dit satisfait de la communication du chef de l’Etat tout en l’exhortant d’aller au bout de sa logique en démantelant toute force qui fait obstruction à l’avancement du pays en procédant à la recomposition de l’espace de gestion de la gouvernance de la République. Même ressentiment à l’Association congolaise pour l’accès à la justice qui souhaite à ce que les pourparlers que le chef de l’Etat va entamer cette semaine puissent déboucher sur la mise en place d’un gouvernement qui va réunir toutes les grandes forces politiques et sociales sur la base d’un programme censé mettre exclusivement en avant les intérêts du pays.
D’autres personnalités politiques, comme le haut représentant du chef de l’Etat, Kitenge Yesu, soutiennent l’option prise par Félix Tshisekedi d’organiser de nouvelles consultations. « Nous étions en coalition, c’était comme une voiture, qui ne peut pas avoir deux chauffeurs. La voiture n’a qu’un seul chauffeur (…) C’est pourquoi le président de la République a dit que je rentre vers le peuple, qu’il me dise ce qu’il veut que je fasse. Ce que le président a décidé n’exclut personne », avait-il indiqué, ce week-end, dans la foulée de la sortie officielle de la plate-forme Coalition nationale populaire.
Des soutiens à la démarche présidentielle ne cessent de se multiplier dont celle de l’Eglise catholique assortie néanmoins de quelques observations. « Le pays tel que piloté par la coalition actuelle au pouvoir ne sert pas les intérêts des populations. Que le chef de l’État entrevoie une autre solution politique en passant par les consultations. Nous saluons cette initiative si c’est avec l’intention vraiment de servir la population », a dit le secrétariat général de la Conférence épiscopale du Congo, l’abbé Donatien N’shole. Et de marteler : « Si c’est pour partager le pouvoir et oublier encore une fois le peuple, ça personne n’acceptera ».
Félix Tshisekedi est populaire en RDC et la cote d’opinion de Joseph Kabila, si elle est relativement basse, remonte. Mais l’alliance formée par leurs coalitions politiques respectives est rejetée par plus de la moitié des Congolais. Ce sont les conclusions de deux enquêtes d’opinion réalisées aux mois de mars et mai.
C’est un résultat qui peut sembler paradoxal. Si 67% des Congolais interrogés ont une « très bonne » opinion de la gouvernance de Félix Tshisekedi depuis son investiture, en janvier dernier, plus de la moitié désapprouve l’alliance que forme sa coalition politique avec celle de son prédécesseur, Joseph Kabila.
Ce ne sont pas un, mais deux sondages qu’ont publié ce mercredi le Groupe d’études sur le Congo (GEC) de l’Université de New York et le Bureau d’études, de recherche et de consulting international (Berci). Ils ont été réalisés par téléphone entre le 27 mars et le 6 avril pour le premier (sur un échantillon de 1 212 personnes) et du 4 au 9 mai pour le second (sur un échantillon de 1 294 personnes).
Les deux instituts ont également interrogé les personnes sondées sur les élections organisées le 30 décembre 2018. Là encore, le résultat peut sembler paradoxal. Une majorité de répondants (56%) affirme ne pas faire confiance à la Commission électorale nationale indépendante (Céni), alors que, dans le même temps, 62% des personnes interrogées se disent « satisfaits de la façon dont la démocratie fonctionne dans le pays ».
Félix Tshisekedi à 67% d’opinions favorables
« La plupart des répondants soutiennent les premiers pas de Félix Tshisekedi » note l’enquête d’opinion intitulée « Les 100 premiers jours de Tshisékedi au Pouvoir, une élection ambiguë ». « 67% ont une opinion favorable des performances de Félix Tshisekedi en tant que président de la République », notent les enquêteurs, qui soulignent par ailleurs que, « pour la première fois depuis plusieurs années, la majorité des répondants sont optimistes quant à la direction que prend le pays : 51% en mars et 61% en mai 2019, contre 19% dans un sondage de février 2018 et 27% en novembre 2017 ». Vital Kamerhe est, pour sa part, crédité de 62 % d’opinions favorables.
L’ancien président Joseph Kabila est pour sa part crédité d’une cote de popularité en relative hausse depuis qu’il a quitté le pouvoir. « Bien que Kabila soit considéré plus favorablement qu’avant les élections de décembre 2018, où seulement 22% des répondants avaient une bonne opinion de lui, en mars 2019, il demeure toujours impopulaire, avec seulement 33% de personnes de bonne opinion », notent le rapport.
Surtout, une large majorité des personnes interrogées désapprouve l’alliance actuelle entre la coalition de Félix Tshisekedi (Cap pour le Changement) et celle de Joseph Kabila (Front Commun pour le Congo). Et cette désapprobation est croissante : 53% en mars, pour 58% en mai. En cause, selon le rapport, « la perception négative du FCC ».
Dans l’opposition, c’est Moïse Katumbi qui remporte la palme des bonnes opinions, avec 70% des personnes sondées qui ont une « bonne opinion » de l’ancien gouverneur du Katanga.
Vient ensuite Martin Fayulu, qui continue de se présenter comme « président élu », qui affiche 65% d’opinions favorables. Surtout, « les élections ont propulsé Martin Fayulu à la tête du palmarès des politiques pouvant diriger l’opposition », estiment les sondeurs.
En mai 2019, à la question « Quelle personnalité devrait diriger l’opposition », 48% ont répondu Martin Fayulu, soit une progression de 10% par rapport à l’enquête menée en mars. C’est plus du double des résultats obtenus sur la même question par Jean-Pierre Bemba (16%) et Moïse Katumbi (23%). « Si l’alliance entre ces trois leaders se défaisait, il sera intéressant de voir l’évolution de leur popularité », notent les auteurs du rapport.
Steve Kivuata, un des porte-parole de la coalition Lamuka – qui a soutenu la candidature de Martin Fayulu – pose cependant la crédibilité de ces sondages. « La popularité de Martin Fayulu reste intacte », affirme-t-il, tout en martelant son rejet, par principe, de le voir devenir chef de l’opposition. « Il est président de la République élu, il ne peut pas diriger l’opposition », martèle simplement Steve Kivuata.
La police a annoncé samedi avoir reporté, pour des raisons de « sérénité », la convocation de l’opposant Martin Fayulu à la suite d’une plainte déposée contre lui. Aucune date n’a été fixée pour une nouvelle audition.
Les proches du candidat malheureux à la présidentielle du 30 décembre, qui revendique toujours la victoire, avaient affirmé le même jour que l’opposant répondrait lundi à cette convocation de la police.
Report à une « date ultérieure »
Sa convocation a finalement été reportée. « Pour éviter que la sérénité de la population ne soit rompue, des instructions précises viennent d’être données à la police judiciaire de décaler l’audition de M. Fayulu pour une date ultérieure », écrit dans un communiqué le colonel Pierrot Mwanamputu, porte-parole de la police congolaise.
La police dit regretter que certaines personnes aient donné à « cette invitation de la police un caractère politique », poursuit le texte.
Après deux semaines passées au chevet de son père, l’opposant congolais (RDC) Étienne Tshisekedi, à Bruxelles, Félix Tshisekedi retourne dans la mêlée Kinoise. Entretien.
Félix Tshisekedi était attendu dans la capitale congolaise, samedi 30 août. Officiellement, il s’agit de préparer le retour du président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) au pays. Mais, comme Félix l’admet, sa « convalescence » durera encore – au mieux – plusieurs semaines.
Il pourrait poursuivre son rapprochement avec Vital Kamerhe et Martin Fayulu, deux autres opposants en vue. Et en profiter pour tenter de régler des dissensions internes qui se multiplient dans son parti en l’absence du « président et rassembleur ». Si personne ne veut commettre de crime de lèse-majesté (malgré ses 81 ans et un état de santé dégradé, Étienne Tshisekedi reste officiellement le candidat du parti) la succession est dans toutes les têtes à l’UDPS.
Quelques jours avant son son retour à Kinshasa, il a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique Quel est l’état de santé de votre père, Étienne Tshisekedi ?
Félix Tshisekedi : Il évolue dans le bon sens. Un premier bilan médical avait été fait à son arrivée [à Bruxelles, le 16 août]. Il était porteur d’espoir car le pronostic vital n’est pas engagé. Il est parti pour une convalescence de quelques semaines. Je pense que fin septembre – début octobre, il sera opérationnel.
Et de retour à Kinshasa ?
Cela il faudra voir, car nous allons devoir préparer son retour.
Est-il hospitalisé ?
Il suit des soins ambulatoires à son domicile. Il a été hospitalisé le jour de son arrivée pour faire un bilan de santé. Cela a pris le temps d’un week-end. Depuis, il est à la maison.
Souffre-t-il d’un handicap ou d’une paralysie ?
Non. Ce sont des rumeurs. Bien évidemment, un homme de son âge [81 ans] récupère moins vite qu’un jeune homme. Il est resté longtemps confiné à la maison, parce qu’à la moindre sortie, c’était l’émeute… Il a besoin de délassement pour remettre les articulations en marche. Mais il n’a pas de handicap. Vous le verrez quand il réapparaîtra.
Sera-t-il capable d’être candidat lors de la prochaine présidentielle ?
Oui, je le pense. Aujourd’hui, un monument comme Étienne Tshisekedi n’a pas besoin de sillonner toute la république pour se faire connaître. Le moment venu on jugera en fonction de la situation où nous sommes. Mais son potentiel physique et intellectuel n’est pas atteint.
Quand le prochain congrès de l’UDPS aura-t-il lieu ?
Normalement fin décembre 2015. Il peut y avoir, d’ici là, un congrès extraordinaire. Mais c’est le président qui doit le convoquer.
S’il ne se représente pas, excluez-vous d’être candidat ?
En politique, il ne faut jamais dire jamais. Donc je ne peux pas l’exclure. Mais je n’y pense pas, parce que, pour l’instant Étienne Tshisekedi est l’homme de la situation et le candidat qu’il nous faut.
Avez-vous été approché pour la constitution du prochain gouvernement de cohésion nationale ?
Non, pas du tout.
Le groupe parlementaire « UDPS et alliés » [présidé par Samy Badibanga] est-il membre de votre parti ?
Leur attitude avait provoqué une crise de confiance, à la suite de leur décision d’aller siéger contre l’avis du parti. Mais je crois que l’UDPS a besoin de se retrouver pour résoudre ce cas. S’ils manifestent vraiment le désir de retrouver leur famille politique, je dis pourquoi pas. On ne peut pas considérer leur acte comme de la trahison, mais plutôt comme de l’indiscipline. L’indiscipline, cela se sanctionne et puis cela s’oublie.
Quand cette réunion pourrait-elle avoir lieu ?
Il pourrait y avoir un forum ou un conclave, convoqué par le secrétaire général Bruno Mavungu et les cadres. Cela permettrait aussi de rassembler le parti. En l’absence du président et rassembleur du parti, différentes tendances se sont manifestées et elles font désordre.
Une révision de la Constitution serait-elle acceptable si elle ne touche pas au nombre de mandats présidentiels ?
Non. Il faudrait qu’on nous dise à quoi elle servira. À chaque échéance électorale, il y a des retouches de la Constitution pour aider [le président] Joseph Kabila. La première, c’était avant les élections de 2006, lorsqu’on a diminué l’âge minimal des candidats pour lui permettre de se présenter. En 2011, nous sommes passés d’un scrutin de deux tours à un tour. Nous disons, pas de réforme de la Constitution avant le départ de Kabila.
Pourriez-vous accepter la suppression d’une élection intermédiaire pour ne pas prendre le risque de retarder la présidentielle de 2016 ? Certains parlent des provinciales ?
Je ne souhaite pas qu’on reporte les provinciales. Ce sont des élections importantes. Elles vont donner lieu à l’élection des gouverneurs de Province qui sont tous du bord politique de Kabila. C’est très dangereux pour la crédibilité du processus électoral.
Par contre, je suis favorable à un report des élections locales. Il doit y avoir 10 000 candidats, 6500 tribunaux de paix à installer, 800 circonscriptions à redécouper… Je ne crois pas le Congo d’aujourd’hui capable de le faire. Les locales sont destinées à faire tirer en longueur le processus pour passer le cap de 2016, et faire gagner un mandat à Kabila.
Vous avez signé une déclaration avec les opposants Vital Kamerhe et Martin Fayulu, appelant à déférer Joseph Kabila devant la Cour pénale internationale. Est-ce une alliance électorale ?
C’est trop tôt pour le dire. La politique congolaise est imprévisible. Cette déclaration est un instantané de la vie politique. Mais notre système électoral est fait de telle sorte qu’aucun parti ne peut atteindre seul la majorité des sièges au Parlement. Nous n’en sommes pas encore là, mais aucun scénario n’est exclu.
Certains affirment que votre mère, Marthe Tshisekedi, cherche à vous imposer à la tête du parti. Quel rôle y joue-t-elle ?
Je veux tordre le coup aux rumeurs sur son influence. Ma mère me soutient, comme toutes les mères du monde avec leurs fils. Mais elle n’a rien fait de répréhensible. Elle a son mot à dire parce qu’elle connait l’histoire de ce parti, elle l’a vu naître. Elle a été sollicitée à plusieurs reprises, par différents cadres, pour intervenir auprès de son mari. Et aujourd’hui, ce sont les mêmes qui veulent la diaboliser pour jouer leur propre carte.