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De quoi l’assassinat de Martinez Zogo est-il le nom ?

février 26, 2023

L’onde de choc provoquée par l’assassinat du journaliste n’en finit pas de se propager à Yaoundé. Une affaire qui pourrait menacer la cohésion de la nation camerounaise.

Lors d’une cérémonie en l’honneur du journaliste Martinez Zogo, dans le quartier Elig Essono, à Yaoundé, le 23 janvier 2023. © DANIEL BELOUMOU OLOMO/AFP

La cause est entendue : la liquidation crapuleuse de Martinez Zogo, journaliste en croisade contre la pandémie de corruption au sommet du pouvoir camerounais, s’inscrit dans le cadre de la « guerre des clans » entre prétendants à la succession du président Paul Biya. D’une certaine façon, les responsabilités seraient donc déjà établies. Resterait à trouver les coupables.

Cela tombe bien : un peuple d’ordinaire sevré de « justice » réclame, bave aux lèvres, des têtes: #JusticeForZogo. Un pouvoir d’ordinaire épris d’injustice brûle d’impatience de les offrir. L’enquête, plus administrative que judiciaire, autorise toutes les transgressions et manipulations, certes, mais si c’est pour aboutir à la mise à mort sociale du fameux Jean-Pierre Amougou Belinga, homme de paille honni des masses, alors l’opération sera in fine un succès politique : demande populaire de « justice » satisfaite ; médias internationaux, dont l’attention incommode fortement un régime allergique à la lumière, rassurés ; once de légitimité retrouvée auprès d’un peuple désorienté. Mais qui peut croire cette affaire si simple ?

« Choc » et «colère »

Les médias locaux ont fait état du « choc » et de la « colère » ressentis par les Camerounais devant la découverte de la dépouille de Martinez Zogo. Mais le sentiment qui domine dans les esprits est la peur. Ce n’est pas tant la mort d’un homme, dont les Camerounais sont malheureusement coutumiers, qui a heurté les consciences, mais les circonstances dans lesquelles celle-ci a été provoquée. Jambe brisée. Doigts coupés. Rectum défoncé, et autres abominations. La sœur aînée de la victime s’est émue de l’inhumanité de cet acte : « Même à ton pire ennemi, tu ne peux faire ça… »

Si l’on s’en tient aux premiers éléments de l’enquête distillés par des fuites savamment orchestrées, le journaliste aurait été assassiné par des professionnels. C’est donc en toute conscience qu’ils ont décidé de torturer leur victime, de la mutiler, mais surtout de laisser sa dépouille en « libre accès ». Elle devait être découverte, le victime, identifiée. Comme si l’acte en lui-même, pour atroce qu’il soit, était incomplet aux yeux des commanditaires en l’absence de publicité. Comme si celle-ci, par l’effet de sidération qu’elle produirait sur les esprits, donnerait son plein sens à ce crime.

D’une certaine façon, Martinez Zogo ne serait pas vraiment mort sans le spectacle macabre de son exécution. Les assassins du journaliste et, derrière eux, les donneurs d’ordre, avaient pour objectif de provoquer la terreur. Martinez Zogo a été victime d’un acte terroriste.

Loin d’être une exception, la déshumanisation à laquelle faisait allusion la sœur aînée de Martinez Zogo tend à devenir la norme. Et une nécessité. Certaines réactions de journalistes ont pu surprendre, tant ces derniers semblaient découvrir, à la faveur de ce crime abominable, la nature de l’État camerounais.

Un État engagé depuis sept ans, dans les régions anglophones, dans une guerre contre-insurrectionnelle, avec son cortège d’atrocités, d’abominations et de crimes contre des civils – certes commis des deux côtés. Ces villages incendiés, ces exécutions sommaires, ces actes de torture, ces abus quotidiens ont bien suscité quelques remous au sein du corps social. Mais rien de nature à ébranler les ardeurs du régime.

Légendaire fatalisme

Dans le sillage de l’élection présidentielle de 2018, nous avons assisté au pilonnage en règle d’un parti coupable de faire de la politique : leaders séquestrés et embastillés sans autre forme de procès ; militants et sympathisants, dont de nombreux jeunes, pourchassés, persécutés, et parfois poussés à l’exil. Des actes terrifiants que le corps social camerounais a, une nouvelle fois, absorbé dans son légendaire fatalisme. Et la vie a repris son cours inexorable. Mais à quel prix ?

Chaque silence légitime la transgression suivante – et la montée en gamme dans la violence qui l’accompagne. Chaque lâcheté ouvre la voie à la prochaine escalade, dans un engrenage qui n’épargnera personne. La mort de Martinez Zogo, après d’innombrables autres évènements, pose la question de la responsabilité collective du peuple dans le chaos qui vient. Elle nous tend un miroir qui nous montre nos compromissions, nos égoïsmes, notre déshonneur. Coupables ? Non. Responsables ? Assurément.

Avec Jeune Afrique

Yann Gwet

Par Yann Gwet

Analyste politique.

Qui en voulait au journaliste Martinez Zogo ?

janvier 23, 2023

Au Cameroun, le directeur de la radio Amplitude FM était porté disparu depuis plusieurs jours. Son corps a été retrouvé le 22 janvier au matin. Une enquête a été ouverte et plusieurs associations de journalistes dénoncent un « assassinat ».

Martinez Zongo était l’animateur vedette d’une émission quotidienne, Embouteillage, sur la radio camerounaise Amplitude FM. © DR.

Il était porté disparu depuis le 17 janvier. Le corps sans vie de Martinez Zogo, 51 ans, directeur général de la radio privée Amplitude FM, a été découvert le 22 janvier au matin, aux environs de la localité Soa, à la périphérie nord de Yaoundé. L’information a été confirmée par le porte-parole du gouvernement, René-Emmanuel Sadi, qui indique dans un communiqué daté du même jour que la dépouille a été retrouvée dans un « état de décomposition avancée ».

« Sévices corporels »

Charly Tchouemou, rédacteur en chef d’Amplitude FM, a assuré avoir reconnu la victime. Les autorités précisent quant à elles que l’épouse de Martinez Zogo a formellement reconnu ses effets personnels et que le journaliste « a subi d’importants sévices corporels ». Son corps a été transporté dans la journée à l’hôpital central de Yaoundé pour y être autopsié et, ce dimanche, une foule nombreuse s’était réunie devant l’établissement, ainsi que de nombreux éléments des forces de l’ordre. Le gouvernement a fait savoir qu’une enquête avait été ouverte pour retrouver « les auteurs de ce crime odieux, inqualifiable et inadmissible ».

L’opposition et des organisations de défense de la presse dénoncent un « assassinat ». Disparu dans des circonstances troubles, Zogo était l’animateur vedette d’une émission quotidienne, Embouteillage, diffusée du lundi au vendredi et très écoutée dans la capitale camerounaise. Une enquête avait été ouverte pour faire la lumière sur les circonstances de sa disparition, selon une source policière.

« Assassinat odieux »

À l’antenne, ce journaliste engagé abordait régulièrement des affaires de corruption, n’hésitant pas à mettre en cause nommément des personnalités importantes. Il avait notamment été détenu préventivement deux mois en 2020 dans une affaire où il était accusé de diffamation. Le Comité de protection des journalistes (CPJ) avait alors réclamé sa libération et exhorté le gouvernement à dépénaliser cette infraction.

Le Syndicat national des journalistes du Cameroun a exprimé dans un communiqué sa « consternation », dénonçant un « assassinat odieux » et appelant les travailleurs des médias à se vêtir de noir le 25 janvier pour marquer leur deuil. L’International Press Institute, organisation de défense de la liberté de la presse basée à Vienne, a exhorté les autorités camerounaises à « enquêter rapidement sur le meurtre horrible du journaliste Martinez Zogo et veiller à ce que les coupables soient traduits en justice ».

L’opposition politique s’est également indignée, à l’image du député de l’opposition du Social Democratic Front (SDF), Jean-Michel Nintcheu, qui a dénoncé dans un communiqué un « crime » qui « ne saurait rester impuni ».

L’ONG Reporters sans frontières (RSF) affirmait vendredi que Zogo avait été « enlevé » le 17 janvier aux alentours de 20 h devant un commissariat de la périphérie de Yaoundé. Il a bien été vu pour la dernière fois devant un poste de gendarmerie, avait confirmé une source policière, qui ajoutait ne « pas disposer d’indices pour affirmer qu’il s’agit d’un enlèvement ».

CHACUN DE NOUS PEUT SE RETROUVER DANS CETTE SITUATION POUR QUELQUE CHOSE QU’IL AURAIT PEUT-ÊTRE DIT

« Il y a de nombreuses zones d’ombres concernant les circonstances de son enlèvement brutal. Les autorités doivent lancer une enquête rigoureuse, approfondie et indépendante pour établir toute la chaîne de responsabilité et les circonstances qui ont conduit à ce triste événement », a déclaré Sadibou Marong, responsable du bureau Afrique subsaharienne pour RSF.

Dimanche, plusieurs chaînes de télévision camerounaises ont dédié leurs programmes à cet événement. Interrogée sur la chaîne Info TV, la romancière Calixthe Beyala s’est dite « abattue, attristée. Je savais qu’il était mort dès qu’on a annoncé qu’il était enlevé. On peut se poser la question : à qui le tour ? Chacun de nous peut se retrouver dans cette situation pour quelque chose qu’il aurait peut-être dit ».

Par Jeune Afrique (avec AFP)