Alors qu’une loi prévoit de réguler leur rémunération, rencontre avec trois médecins intérimaires de luxe aux quatre coins de la France. Portraits.

Ce sont des intérimaires de luxe, des médecins itinérants qui louent très cher leurs compétences dans des centres hospitaliers confrontés à la pénurie de personnel soignant. Certains de ces snipers du stéthoscope peuvent empocher près de 7 000 € pour une bonne semaine de gardes prises au débotté. La loi du marché appliquée à l’hôpital ! Mais à partir d’avril, c’est la loi Rist qui s’applique et doit mettre fin à cette pratique. Elle prévoit de plafonner la rémunération de ces indispensables supplétifs, à 1 170 euros bruts par 24 heures de garde dans les services hospitaliers. Soit, pour certains, deux à trois fois moins que le tarif habituel. Inacceptable pour beaucoup de ces médecins souvent qualifiés de mercenaires par leurs confrères hospitaliers. Eux se voient plutôt comme un rouage indispensable dans une machine hospitalière déjà sérieusement grippée. Sans ce rouage, c’est la casse assurée. Portrait de ces praticiens intérimaires dont l’hôpital ne peut pourtant pas se passer.
Éric Reboli, médecin intérimaire hospitalier à 6 900 € la semaine
Plus que le mot « mercenaire » – qu’il « déteste » et trouve « diffamatoire » –, le Dr Éric Reboli accepte d’être qualifié « d’insatiable ». « Mais je ne fais que répondre à la demande du marché. Ce n’est pas de ma faute si autant d’établissements nous sollicitent, tout le temps », explique ce médecin urgentiste, porte-parole du Syndicat national des médecins hospitaliers remplaçants (SNMHR). Sa semaine de travail donne littéralement le tournis. « Vendredi 3 mars, j’ai fait 24 heures de garde urgentiste et pédiatrie à l’hôpital privé de Valence (Drôme). Payé 1 500 euros net. Samedi 4 mars au soir, j’ai fait la nuit dans une clinique à Lyon. Heureusement, sinon c’était fermé. 900 euros net les douze heures. Dimanche matin 5 mars j’ai pris un train pour aller en région parisienne. J’ai fait 24 heures de garde le lundi 6 mars au CH Rives-de-Seine de Neuilly-Courbevoie (Hauts-de-Seine). Payé 1 500 euros net. Mardi 7 mars, je me suis reposé, à mon domicile, à Lyon. Mercredi 8 mars, je ne devais pas bosser mais Valence m’a rappelé car ils n’avaient personne. J’ai donc fait la garde de 24 heures, payée 1 500 euros net. Jeudi, je me suis reposé et vendredi 10 mars, je fais une autre garde de 24 heures, à Valence, payée 1 500 euros net. » Une activité énorme, payée, donc, en une semaine seulement, la coquette somme de… 6 900 nets ! « C’était une grosse semaine. Je fais souvent moins », tempère le D Reboli. Ses revenus oscillent selon les mois « entre 15 000 euros net » et d’autres fois « rien du tout, quand je décide de ne rien faire ».
« On nous colle une étiquette de mercenaire, mais qui est là pour aller dépanner au quart de tour à Chalon-sur-Saône, à Bourges ou aux Sables d’Olonne ? Je reçois des dizaines d’offres sur mon mail par des boîtes d’intérim et des centaines d’offres d’hôpitaux. Et on est nombreux dans mon cas. On répond à la loi de l’offre et de la demande. » À 57 ans, ce père de trois enfants s’insurge. « Mais pourquoi on ne critique pas les revenus des pilotes d’avion ou des footballeurs ? On a une grosse responsabilité. Le problème, c’est que nos confrères praticiens hospitaliers ne sont pas assez payés. On est des boucs émissaires. Le gouvernement ne se rend pas compte de la cata dans laquelle il s’est mis avec cette loi. Ça va être un séisme. »
Christine*, métro, boulot et colo en Corse
Un séjour dans l’île de Beauté, la possibilité de nager dans la grande bleue et de sortir avec des amis, le soir venu, quoi de mieux ? C’est le choix de vie ponctuel de Christine, la quarantaine, qui vient de temps en temps faire des missions d’intérim dans les établissements d’Ajaccio ou de Bastia. Elle fait ça en complément de son activité de praticien hospitalier à mi-temps en Île-de-France. « C’est un peu la colonie de vacances. Ça me détend. On ne va pas se mentir, certaines destinations sont plus attirantes que d’autres ! » confie-t-elle. Elle peut compter sur ses billets d’avion aller-retour payés et son hébergement à l’hôtel. Pour autant, Christine n’est pas là-bas en vacances. « On fait tourner la boutique. L’été notamment il y a beaucoup de boulot aux urgences, avec les vacanciers. Mais je comprends que l’on énerve les titulaires car on est maintenant plus nombreux qu’eux. On a le droit de décider avec qui on bosse, pour les plannings. » Elle a choisi cette formule car ela lui rappelle sa « vie d’étudiante, plus libre ».
Christine constate d’ailleurs que « l’intérim a beaucoup changé. Des jeunes, des vieux en préretraite et des praticiens hospitaliers […] qui veulent varier leur activité ». Christine ne se considère pas comme une mercenaire. « Le mercenaire, ça existe, oui, mais moins qu’avant. C’est celui qui accepte une garde de 24 heures à 2 000 euros net, dans un endroit pourri, par appât du gain, qui fait de la mauvaise médecine et laisse les autres collègues en plan. Il peut être dangereux pour les patients. » Mais à partir d’avril, elle n’accepte plus de missions d’intérim. « Actuellement, je suis payé 650 euros net pour une journée, sans garde de nuit, avec 10 % en plus de congés payés. Sur ces prestations-là, avec la loi Rist, ce sera seulement 390 euros net. Je faisais des missions de quatre jours. Là, ça ne m’intéresse plus. Je vais plutôt faire quelques gardes en plus dans mon hôpital d’Île-de-France, avec qui je suis en contrat régulier. » Christine se demande comment vont tourner les hôpitaux insulaires : « Ça va être très chaud. Par exemple, une médecin italienne vient une semaine sur deux faire des gardes, 5 jours sur 5 et 24 heures sur 24, jour et nuit, et empoche 5 000 euros. Ça ne sera plus possible. Espérons qu’ils pourront trouver une solution locale… »
Gaël*, 33 ans, jeune médecin intérimaire, faute de mieux
« Vous savez, j’aurais bien aimé avoir un poste de médecin bien payé. Mais à Saint-Étienne on m’a proposé 2 200 euros comme salaire débutant et je n’étais pris qu’à mi-temps, soit 1 100 euros par mois. Après dix ans d’étude, c’était impossible à accepter, j’ai dit non. » Gaël s’est donc lancé dans l’intérim. « On a l’impression d’être utile, de faire de l’humanitaire. J’aime bien m’adapter, faire de mon mieux, rencontrer de nouvelles équipes, même si ce n’est pas toujours simple. » Il enchaîne les missions : « J’ai été au centre hospitalier de Bourges et aussi au centre hospitalier d’Ambert. Moi je n’étais pas logé dans un hôtel de luxe, mais dans les chambres de l’internat. On ne roule pas sur l’or. » Gaël raconte une France des territoires isolés, reculés… mais qui ont besoin de médecins. « Je me sens utile, quand j’interviens dans un hôpital du Jura. Après, ce n’est pas facile de ne pas avoir un restaurant à 10 kilomètres à la ronde. » Il a fait ses comptes et réfléchit aux nouvelles conditions de la loi Rist. « Je crois que je vais quand même accepter leurs prix. Je n’ai pas trop le choix. Mais je n’irai plus dans certains endroits trop difficiles, si le prix est trop bas. »
Avec Le Point.fr par Marc Payet
*Prénom modifié.