MONTRÉAL — C’est une absence qui a choqué, puis fait réfléchir Stephanie Bumba, une infirmière clinicienne de Montréal. L’absence de scientifiques et de professionnels de la santé noirs dans ses manuels scolaires. En les cherchant pour les faire rayonner, elle a découvert, parmi d’autres, cette docteure qui a fait avancer la science et la médecine à grands pas: Yvette Bonny.

© Fournis par La Presse Canadienne
Stephanie Bumba, 25 ans, faisait tout bonnement du ménage dans ses livres de science et de santé quand elle a réalisé ce fait: aucune personne afro-descendante n’y figurait — si on omet les brèves mentions en caractères minuscules, dit-elle.
«Ce n’est pas normal, a-t-elle relaté. «Car c’était impossible pour moi qu’il n’y en ait pas».
La jeune femme, qui étudie aussi pour obtenir une maîtrise en administration des services de santé à l’Université de Montréal, s’est mise à faire des recherches. Ce fut le «choc» et ensuite, la «fierté».
Car elle en a trouvé. Et plusieurs.
Dans la foulée du mouvement «Black Lives Matters» et de la mort atroce de George Floyd aux États-Unis, elle a vu une occasion de réaliser une action citoyenne.
La jeune femme, rencontrée par La Presse Canadienne dans le cadre d’une série d’entretiens réalisés à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, a alors créé une websérie, Ces afro-scientifiques d’hier à aujourd’hui, et met en ligne des capsules dans lesquelles elle présente des gens de science, inventeurs, chercheurs et médecins.
«Malgré toute l’adversité, la ségrégation du passé, ces gens-là ont fait des choses incroyables pour l’avancement de la science», dit-elle aujourd’hui, encore émerveillée.
Ce qui l’a menée à découvrir Dre Yvette Bonny.
Yvette Bonny
La femme, née en Haïti en 1938, est arrivée au Québec en 1962. Elle est une pédiatre-hématologue qui a aussi été professeure à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
Fait notable: elle a réalisé la première greffe de moelle osseuse chez un enfant au Québec en 1980.
À l’époque, elle est la seule pédiatre-hématologue de l’Est du Canada à faire de telles greffes. «Elle soignait des enfants d’Ottawa, du Nouveau-Brunswick, d’un peu partout», a souligné Mme Bumba. Des enfants très malades, souvent atteints de leucémie.
Cette intervention, alors une technique de pointe peu répandue, sera, 30 ans plus tard, indiquée pour traiter certains cancers ainsi que des maladies hématologiques comme les leucémies et la drépanocytose. Cette dernière maladie, dont l’avancement du traitement tient particulièrement à cœur à la Dre Bonny, touche surtout les personnes noires, est-il mentionné dans sa biographie sur le site de l’Ordre du Québec, dont elle a joint les rangs en 2007. Elle recevra l’Ordre du Canada l’année suivante.
Dre Bonny mène de plus des travaux de recherche sur différentes maladies infantiles telles que la leucémie. Elle a dirigé l’Unité provinciale de transplantation médullaire pédiatrique de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal, de1980 à 1998.
On l’a surnommée la «Patch Adams» de l’hôpital, du nom du médecin américain qui a fait sa renommée par son approche fondée sur la compassion et l’humour, souligne aussi le site de l’Ordre du Québec.
Pour Stéphanie Bumba, elle est une inspiration.
«C’est un modèle. Car ses contributions ont permis aux soins de santé de s’améliorer».
Elle dit qu’elle ne peut que s’imaginer les obstacles qu’elle a dû rencontrer. Car elle était une minorité sous plusieurs aspects, a-t-elle relevé. Femme, noire, hématologue, une spécialité qui ne comptait que peu de spécialistes à l’époque, dit-elle.
La websérie
Son but? Faire reconnaître l’apport très concret de ces scientifiques pour que les stéréotypes s’effacent peu à peu, jusqu’à ce qu’ils n’existent plus.
La websérie sur «Nurse Stephie TV» «montre aux gens que nous sommes une partie importante de la société et de son avancement. Que l’Histoire des Noirs, ce n’est pas que la guerre et l’esclavage.»
«C’est d’autant plus important pour les jeunes, ajoute-t-elle. Ils peuvent se dire: moi aussi je peux réaliser des choses exceptionnelles et la couleur de la peau n’est pas un obstacle pour se réaliser».
Déjà, des enseignants du secondaire se servent de ses capsules en classe. Et elle a reçu des mots de remerciement touchants d’élèves, dont un qui disait: «On en avait besoin».
— Site de la websérie: https://www.youtube.com/c/NurseStephieTV
Autres scientifiques présentés dans les capsules
– Dre Patricia Bath, une ophtalmologue, pionnière de la chirurgie au laser pour les cataractes, qui a obtenu de nombreux brevets pour ses inventions.
– Dr Charles Richard Drew, considéré comme le père des banques de sang à l’échelle mondiale.
– Marie Van Brittan Brown, une infirmière du Bronx, qui a conçu dans les années 1960 le premier système de caméras de surveillance pour la maison à l’aide de deux télévisions.
– Dr Daniel Hale Williams, qui a réalisé en 1893 la première opération à coeur ouvert.
Avec Stéphanie Marin, La Presse Canadienne