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Avons-nous atteint les limites de la mondialisation?

avril 18, 2022

Après trois décennies de libéralisation des échanges et de multiplication des accords commerciaux, les prochaines années seront-elles celles d’une amplification du protectionnisme?

L’OMC prévoit que le volume du commerce mondial des marchandises devrait augmenter en 2022 d’environ 3 %, plutôt que de 4,7 %: prévision d’octobre. Photo : La Presse Canadienne/AP/Virginia Mayo

La pandémie a montré la fragilité des chaînes d’approvisionnement dans le monde. La guerre en Ukraine nous révèle maintenant la dépendance de certains pays pour les produits agricoles et les matières premières. Conséquence : la croissance du commerce mondial pourrait être fortement réduite, prévoit l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation telle que nous l’avons connue au cours des trois dernières décennies, écrivait le 24 mars dans sa lettre aux actionnaires Larry Fink, le président-directeur généralPDG de BlackRock, la plus grande société de gestion d’actifs et d’investissements du monde.

Le découplage de la Russie de l’économie mondiale va inciter les entreprises et les gouvernements du monde entier à réévaluer leur dépendance vis-à-vis des autres États et à vouloir rapatrier ou du moins rapprocher leurs activités de manufacture et d’assemblage, pense-t-il.

C’est également ce que craint l’organisation mondiale du commerceOMC, selon laquelle il s’agit d’une désintégration de l’économie mondiale en blocs distincts.

Après plusieurs années où le libre-échange a été mis à mal, par le protectionnisme de Donald Trump, le Brexit ou d’autres guerres commerciales, s’agira-t-il du clou dans le cercueil de cette idéologie qui a connu ses heures de gloire dans les années 1990 et 2000?

Ce qui meurt, présentement, c’est peut-être une version idéalisée de la mondialisation, pense Michèle Rioux, professeure de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation.

« On voit maintenant les vrais enjeux, qui sont des enjeux de régulation des marchés. »— Une citation de  Michèle Rioux, directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM

Un homme tente de faire tomber une partie du mur de Berlin, le 12 novembre 1989. Photo : La Presse Canadienne/John Gabb

Jusqu’à la crise financière de 2008, on croyait, selon la thèse de Francis Fukuyama, avoir atteint la fin de l’histoire avec la victoire du libéralisme sur le communisme. C’est cette idée-là qui vole en éclats maintenant, soutient Mme Rioux. Tous les problèmes que la pandémie et la guerre en Ukraine révèlent étaient déjà là, mais pas aussi exacerbés.

« Peut-être qu’on doit oublier cette mondialisation heureuse, un peu naïve. »— Une citation de  Michèle Rioux, directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM

La crise actuelle représente en fait une phase de repli ou de stagnation dans ce long processus d’ouverture au monde, pense également Mark Manger, professeur à l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l’Université de Toronto et codirecteur du Laboratoire de politique économique mondiale.

Pendant la pandémie, les gens ont pris conscience du fait que presque tout est fabriqué en Chine et que, si un maillon de la chaîne se casse, c’est toute la chaîne qui est brisée, explique-t-il.

« Il y aura probablement une tendance pas tant à démondialiser qu’à diversifier, au cas où il y aurait des problèmes avec la chaîne d’approvisionnement. Cela ne réduit pas le commerce, mais cela signifie qu’on a des fournisseurs dans plusieurs pays plutôt que dans un seul. »— Une citation de  Mark Manger, codirecteur du Laboratoire de politique économique mondiale de l’Université de Toronto

Se tourner vers les alliés

Un point de vue partagé par Ari Van Assche, professeur au Département d’affaires internationales de HEC Montréal, qui pense qu’on doit chercher une diversité de sources d’approvisionnement.

« Nous sommes trop dépendants de partenaires qui ne sont pas fiables. »— Une citation de  Ari Van Assche, professeur au Département d’affaires internationales de HEC Montréal

Une travailleuse inspecte un composant d’un ordinateur portable dans une usine de Lu’An, en Chine, qui fabrique des pièces pour Toshiba, Matsushita et d’autres multinationales. Photo : Getty Images/STR

Cela s’ajoute aux contraintes d’acceptabilité sociale et de réduction de l’impact sur l’environnement, de plus en plus prenantes. Dorénavant, les entreprises vont sûrement vouloir s’installer dans des pays avec lesquels les relations sont plus faciles, même si les coûts sont plus élevés.

On va donc se tourner vers les alliés (friend-shoring) plutôt que vers le fournisseur à plus bas coût.

Les entreprises vont continuer de se délocaliser, mais là où elles peuvent mieux maîtriser ce qui se passe, que ce soit dans les mines ou dans les usines. Il y a beaucoup plus de gestion des risques que ce qu’on voyait avant, affirme M. Van Assche.

« La mondialisation est là pour rester. Les entreprises en bénéficient énormément. Mais les risques et les coûts ont changé. »— Une citation de  Ari Van Assche, professeur au Département d’affaires internationales de HEC Montréal

Des rouages essentiels

Avec l’invasion de l’Ukraine, de grands constructeurs européens se sont brutalement aperçus de leur dépendance aux faisceaux de câbles qui y étaient fabriqués. Dans plusieurs usines, l’assemblage de certains modèles de voitures a été interrompu par la guerre.

De toute évidence, personne ne l’avait vu venir, explique Mark Manger. Ils ont réalisé tout à coup la fragilité de leurs chaînes d’approvisionnement.

C’est pour se prémunir contre ces risques que les multinationales voudront construire des chaînes d’approvisionnement supplémentaires dans des lieux plus sûrs, même si cela augmente leurs coûts.

Des employés d’une usine de voitures au Vietnam Photo : Getty Images/Hoang Dinh Nam

On ne peut pas dépendre seulement d’une entreprise dans le Guangdong; ça en prend une en Chine et une autre au Vietnam, par exemple, explique Mark Manger.

Les consommateurs des pays riches pourront assumer cette hausse des prix. Mais pour les pays pauvres, c’est plus problématique, croit-il.

« Nous devons trouver un moyen de garantir qu’ils puissent continuer d’importer ces produits. Et cela ne peut se faire qu’en assurant la libre circulation des échanges internationaux. »— Une citation de  Mark Manger, codirecteur du Laboratoire politique économique mondiale de l’Université de Toronto

Une gouvernance globale à définir

C’est pour cela que la réglementation est essentielle, observe Michèle Rioux.

La mondialisation a augmenté les interdépendances, mais elle a également accru les vulnérabilités, croit-elle.

« La mondialisation ne peut pas être seulement économique. Elle doit aussi être politique et réglementaire pour que le système économique mondial tienne. »— Une citation de  Michèle Rioux, directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM

Une partie du port de Shanghai, en Chine Photo : Getty Images/AFP/Johannes Eisele

Il est nécessaire, estime-t-elle, de mettre en place de nouveaux instruments pour gérer de nouveaux problèmes.

Les anciennes règles, conçues pour les relations économiques entre les nations, ne fonctionnent plus dans ce contexte où les entreprises, les États et la société civile doivent être parties prenantes, remarque Mme Rioux.

Si on veut éviter le scénario du repli national, un peu à l’image de ce que le monde a vécu dans les années 30 et qui a mené à la Deuxième Guerre mondiale, il faut opter pour une libéralisation ordonnée, croit-elle, avec des échanges commerciaux équitables.

Ce n’est pas le moment de nous replier sur nous-mêmes, soutient dans un communiqué Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’organisation mondiale du commerceOMC.

« L’histoire nous enseigne que le fait de diviser l’économie mondiale en blocs rivaux et de tourner le dos aux pays les plus pauvres ne conduit ni à la prospérité ni à la paix. »— Une citation de  Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC

Oui à l’interdépendance, non aux diktats des multinationales

Ce besoin de régulation est vital pour un autre secteur qui a été très touché par l’invasion de l’Ukraine : celui de l’agriculture.

La guerre et les sanctions contre la Russie ont provoqué un choc sur les marchés alimentaires internationaux, notamment ceux du blé, du maïs et de l’huile de tournesol et de palme. Par conséquent, dans certains pays, le prix du pain et d’autres denrées de base atteint des sommets.

Les conséquences pourraient être catastrophiques et ce ne sera pas la première fois. En 2011, l’augmentation du prix du blé avait contribué à l’éclosion du printemps arabe, rappelle Nicolas Bricas, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), à Montpellier, et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du monde.

Depuis une dizaine d’années, il y a eu une succession d’événements qui font douter de la stabilité des marchés internationaux et de la possibilité de compter sur ces marchés pour s’approvisionner, souligne-t-il.

L’Ukraine est l’un des plus grands producteurs de blé et de maïs du monde. Photo : AFP via Getty Images/Sergei Supinsky

Il y a le blé et le maïs, mais aussi des intrants, comme les engrais azotés, dont les agriculteurs partout dans le monde ont besoin.

Le problème est qu’ils sont dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de structures et de systèmes sur lesquels ils ont perdu toute emprise. Les producteurs ont les pieds et poings liés, croit M. Bricas.

Selon lui, le système alimentaire industriel a permis d’augmenter la production et de nourrir la planète à un prix très bas, mais on prend maintenant conscience des dégâts qu’il cause sur les plans de l’environnement, de la santé et de la société, entre autres.

« On a joué à fond les avantages comparatifs, à la recherche de la calorie la moins chère possible, mais aujourd’hui, on s’aperçoit des coûts qui ne sont pas pris en compte dans le prix qu’on paie au supermarché. »— Une citation de  Nicolas Bricas, titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du monde

Dans ce secteur-là aussi, la transition impliquera une période d’instabilité, mais le protectionnisme et l’autarcie ne sont pas la solution. Celle-ci réside plutôt, estime M. Bricas, dans le jeu des complémentarités et des solidarités régionales à plus petite échelle.

Avec Radio-Canada par Ximena Sampson

Lagarde exhorte les pays à ne pas céder à la tentation du repli sur soi

octobre 11, 2017

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, lors d’une conférence à Londres le 29 septembre 2017 / © AFP/Archives / ADRIAN DENNIS

Christine Lagarde directrice générale du FMI, a exhorté mercredi les pays à ne pas céder à la tentation du rejet du commerce international et du repli sur soi, estimant que « tous les citoyens pouvaient tirer profit de la mondialisation ».

« La meilleure réponse politique aux défis (posés par la mondialisation) n’est pas de tourner le dos au commerce », a estimé Christine Lagarde, lors d’une conférence sur la mondialisation en marge de la réunion d’automne du Fonds monétaire international. « Nous devons au contraire redoubler nos efforts pour créer un système de commerce mondial qui profite à tous », a-t-elle ajouté.

Ces remarques interviennent alors que les discussions sur la renégociation du traité de libre-échange nord-américain (Aléna) ont repris mercredi près de Washington dans un climat de tensions exacerbées entre les Etats-Unis et le Canada. Le président Donald Trump, qui entend résorber le colossal déficit commercial des Etats-Unis avec le Mexique (plus de 64 milliards de dollars), a menacé de quitter purement et simplement le traité.

Christine Lagarde a reconnu que « la crise financière mondiale s’est traduite par une croissance plus faible et un creusement des inégalités dans de nombreux pays, augmentant les doutes sur les bénéfices de la mondialisation, en particulier dans les pays développés ».

Ceux-ci ont dû notamment faire face à la concurrence des pays ayant une main d’œuvre bon marché. Pour le président américain, l’Aléna est responsable de la perte de milliers d’emplois en particulier dans le secteur automobile au profit du Mexique où les entreprises ont massivement délocalisé leurs activités pour bénéficier de salariés à moindres coûts.

Pour autant, la responsable du FMI souligne que la mondialisation, ce « monde interconnecté qui fait circuler les biens, les marchandises, les capitaux, les individus et les idées a conduit à une prospérité formidable dans le monde ».

Pour les pays en voie de développement, le commerce a également eu des effets négatifs avec un accroissement des inégalités de revenus. Pourtant, « une étude récente montre que les 10% plus pauvres consommateurs perdraient plus de 63% de leur pouvoir d’achat si les frontières étaient fermées », a-t-elle fait valoir.

Elle a enfin rappelé que l’une des préoccupations majeures de l’institution était de renforcer le commerce, d’aider les 189 pays membres à profiter de la mondialisation pour dynamiser la croissance, l’emploi et les revenus.

Romandie.com avec(©AFP / 11 octobre 2017 19h45)