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Canada/Sages-femmes : l’engouement pour les naissances à la maison représente un travail colossal

février 7, 2021

Accoucher à l’hôpital ou à la maison? La question se pose pour de nombreux parents en raison de la pandémie et les sages-femmes sont de plus en plus sollicitées. Malgré la forte demande, les salaires n’ont pas bougé et certaines se sentent délaissées par les gouvernements.

Un accouchement dans l’eau, en fin janvier, au centre de naissance de Ottawa. Les deux sages-femmes présentes sont Mélanie Page et Emmanuelle-Dennie Filion.

© Wonder Life Photography/wonder life photography Un accouchement dans l’eau, en fin janvier, au centre de naissance de Ottawa. Les deux sages-femmes présentes sont Mélanie Page et Emmanuelle-Dennie Filion.

Donner naissance depuis sa chambre à coucher ou son salon est un choix que font de plus en plus de parents depuis le début de la pandémie.

Celle-ci a changé l’accouchement traditionnel : plus question de recevoir famille et amis, avec fleurs et cadeaux.

 La présidente de l’Association des sages-femmes de l’Ontario, Jasmin Tecson

© Photo remise par l’AMO La présidente de l’Association des sages-femmes de l’Ontario, Jasmin Tecson

«De manière anecdotique, le taux de naissance à domicile était d’environ 5 à 15 % en Ontario et a doublé au cours de la dernière année», précise la présidente de l’Association des sages-femmes de l’Ontario (AMO), Jasmin Tecson.

Les constats sont identiques dans d’autres provinces, comme au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Emmanuelle-Dennie Filion, sage-femme à Ottawa

© Emmanuelle-Dennie Filion Emmanuelle-Dennie Filion, sage-femme à Ottawa

C’est d’ailleurs pour être entourée des siens que Mélissa L’Écuyer a choisi d’accoucher de son deuxième enfant depuis chez elle, en décembre.

«Le dilemme que j’avais était que je voulais avoir ma mère avec moi durant l’accouchement pour me soutenir, mais je ne voulais pas que mon conjoint loupe les premières minutes de vie de sa fille», dit-elle.

Pour elle, l’expérience s’est très bien déroulée. Huit minutes après la première poussée, elle avait sa fillette dans les bras. Si c’était à refaire pour un troisième, elle le referait sans hésiter ajoute-t-elle.

Ola et Tess, deux sages-femmes qui travaillent à Community Midwives of Ottawa.

© avec permission de Community midwives of Ottawa Ola et Tess, deux sages-femmes qui travaillent à Community Midwives of Ottawa.

Même son de cloche pour Anne Knight, qui a accouché de son troisième enfant en avril 2020, à la maison.

«Nous n’avions que peu d’informations sur la transmission de la COVID, c’était le tout début, mais le nombre de cas atteignait un pic», se souvient-elle.

Avec deux enfants à la maison et personne pour les garder en raison du confinement, la décision d’accoucher à domicile a été prise un mois avant la naissance.

L’hôpital reste accessible

Les clientes à risque accouchent dans les hôpitaux. Même chose en cas de complication durant le travail et qu’il faut procéder à une césarienne, comme pour la fille de Lisa Senack.

«J’ai fait la majorité de mon processus à la maison. J’étais rendue à 8 cm et là ça ne progressait pas bien et la petite montrait des signes de détresse, alors nous avons dû nous rendre à l’hôpital», indique-t-elle.

Alita, un jour.

© Photo remise par Lisa Senack Alita, un jour.

La présence de sage-femme dès le début du travail l’a toutefois rassurée.

«Elle avait réalisé que j’étais déshydratée, et quand tu es déshydratée ta température corporelle augmente. Elle m’a dit tout de suite que si on ne pouvait pas baisser ma température, l’hôpital allait me considérer comme à risque de COVID, donc la sage-femme m’a réhydratée tout de suite», raconte-t-elle.

La petite Alita est née en santé, mais Lisa avait quelques craintes sur les visites à cause de la COVID-19.

Autre temps, autre pandémie

Si ces familles ont pu prévoir la naissance à la maison en amont, ce n’était pas le cas de Sylvie Maclean.

En avril 2003, l’épidémie du SRAS touchait le Canada depuis à peine un mois quand elle a dû accoucher.

«On avait décidé la semaine d’avant de rester à la maison parce qu’il y avait des risques qui nous avaient été dits, ce n’était pas aussi public que maintenant», se souvient-elle.

Un accouchement dans l’eau fin janvier au centre de naissance de Ottawa. Les deux sages-femmes présentes sont Mélanie Page et Emmanuelle-Dennie Filion.

© Wonder Life Photography/wonder life photography Un accouchement dans l’eau fin janvier au centre de naissance de Ottawa. Les deux sages-femmes présentes sont Mélanie Page et Emmanuelle-Dennie Filion.

La sage-femme avait dû recevoir une autorisation spéciale pour administrer les antibiotiques par intraveineuse, une première en Ontario, raconte Sylvie.

Des complications la conduisent finalement à l’hôpital, en pleine tempête hivernale.

Après une année de COVID-19, les sages-femmes sont désormais bien rodées et savent faire face aux défis que la pandémie apporte.

«On a rajouté tout l’équipement protecteur, on travaille avec des masques, des jaquettes spéciales, les rendez-vous sont plus espacés», raconte Emmanuelle-Dennie Filion.

Malgré la demande qui bondit, la profession est toujours en mal de reconnaissance et sous-rémunérée, selon plusieurs associations de sages-femmes.

Selon une enquête menée par l'Association des sages-femmes de la Colombie-Britannique, les futures mamans ont été plus nombreuses à poser des questions sur l'accouchement à domicile entre mars et novembre comparé aux années précédentes.

© FatCamera/Getty Images Selon une enquête menée par l’Association des sages-femmes de la Colombie-Britannique, les futures mamans ont été plus nombreuses à poser des questions sur l’accouchement à domicile entre mars et novembre comparé aux années précédentes.

«Elles doivent s’équiper grâce aux budgets de leurs cliniques ou dépenses personnelles», précise Mme Tecson.

Emmanuelle-Dennie Filion explique que l’équipement de protection est souvent fourni par les centres de naissance auxquels ces travailleuses autonomes sont rattachées, mais aussi par des dons de familles.

Selon une enquête menée auprès de 121 sages-femmes par des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique en novembre 2020, 81 % d’entre elles ont dû acheter ou fabriquer leur propre équipement de protection individuelle pendant la pandémie. Une sage-femme sur cinq déclarait aussi avoir des difficultés financières et songeait quitter la profession.

Bien que certaines provinces aient annoncé une augmentation de salaire pour les travailleurs de première ligne, en Ontario et en Colombie-Britannique, les sages-femmes ont été exclues de ce soutien financier.

Le ministère de la Santé de l’Ontario précise dans un courriel avoir étendu le programme d’appui transitoire en cas de pandémie pour fournir gratuitement des équipements de protection à tous les spécialistes des soins primaires et communautaires, y compris les sages-femmes.

Mais il explique également qu’«il y a une limite au montant de financement fourni par le gouvernement fédéral dans le cadre de notre entente commune et nous ne pouvons pas étendre le programme de paye en cas de pandémie au-delà des 375 000 employés déjà jugés admissibles».

D’autres soutiens supplémentaires ont aussi été mis en place en réponse à la COVID-19, comme l’augmentation du financement de budgets des groupes de pratique des sages-femmes pour répondre à l’augmentation de la demande.

Mme Tecson rappelle toutefois que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a ordonné en février 2020 au gouvernement Ford d’augmenter le salaire des quelque 960 sages-femmes de la province afin de supprimer l’écart de rémunération entre les sexes.

Cette décision a été remise en question par le gouvernement progressiste-conservateur qui a demandé en avril 2020 au Tribunal de la réviser.

La présidente de l’AMO réitère les demandes de l’association.

«Nous demandons au gouvernement de nous donner un soutien financier pour aider à payer le travail supplémentaire et à créer de nouvelles lignes directrices plus uniformes, notamment en ce qui a trait à l’accès à l’équipement de protection individuelle.»

Son espoir est que leur contribution au cours des derniers mois permette de mieux faire reconnaître et valoriser la profession.

Car si la pandémie a d’abord bouleversé de nombreux scénarios de naissance et nécessité des ajustements, l’engouement suscité pour les services des sages-femmes ne semble désormais pas près de s’estomper.

Avec La Presse canadienne

Baisse «historique» des naissances en vue en raison de la pandémie

décembre 5, 2020

Chez nos voisins du Sud, on parle déjà d’un « baby bust », un recul des naissances de l’ordre de 15 % pour 2021, soit la plus importante baisse de natalité vécue en Amérique depuis l’épidémie de grippe espagnole de 1918 et la Grande Dépression.

La récession de 2008 aux États-Unis avait fait chuter de 10 % le nombre de naissances l’année suivante.

© Josep Lago Agence France-Presse La récession de 2008 aux États-Unis avait fait chuter de 10 % le nombre de naissances l’année suivante.

À titre de comparaison, le krach de 1929 avait entraîné un recul des grossesses de 15 %, alors que la grippe espagnole avait réduit de 13 % le nombre de bébés mis au monde. La dernière récession de 2008, elle, a fait chuter de 10 % le nombre de poupons nés aux États-Unis l’année suivante.

« Une baisse de 15 % en quatre mois, ça paraît peu, mais c’est immense. C’est historique, en termes démographiques », affirme Joshua Wilde, chercheur au Max Planck Institute for Demographic Research, auteur d’une étude qui prévoit une telle chute des naissances entre novembre 2020 et février 2021 aux États-Unis. Ses projections sont basées sur le déclin notable des requêtes faites pour certains mots-clés liés à la grossesse, observé depuis l’hiver dernier sur le moteur de recherche de Google.

Le modèle développé par le chercheur, basé sur les taux mensuels de naissance recensés pendant 15 ans aux États-Unis et les recherches les plus populaires faites six à huit mois plus tôt pour certains termes liés à la grossesse, permet de prédire avec acuité les naissances à venir. Le caractère prédictif des requêtes faites sur Internet est d’ailleurs souvent utilisé dans d’autres domaines de recherche, notamment pour mesurer la circulation du virus de l’influenza.

« Les associations observées entre 2004 et 2019 entre la popularité de certains mots et le taux de fertilité neuf mois plus tard sont extrêmement fortes. Nous avons confiance dans notre modèle », a expliqué au Devoir Joshua Wilde, joint en Allemagne.

Parmi les traces numériques les plus probantes, annonciatrices de bébés en route, on note les mots clés « Clear Blue » (marque de test de grossesse), ovulation, test de grossesse, nausées du matin, tous moins utilisés ces derniers mois. Par contre, la fréquence des mots « chômage » et « mise à pied » a bondi sur les moteurs de recherche, autre signe précurseur d’une baisse des naissances.

« Les recherches avec le mot “chômage” se sont multipliées par 20 au début du confinement aux États-Unis. Elles restent aujourd’hui dix fois plus élevées qu’en temps normal », explique M. Wilde. « Les couples craignent d’abord l’incertitude économique, plus que le virus », ajoute le chercheur.

Et cette courbe descendante pourrait frapper davantage certains États et certains sous-groupes plus touchés par le chômage, comme les Afro-Américains (près de 16 %), observe M. Wilde. À Hawaï, la baisse de la natalité pourrait atteindre 24 %.

Plusieurs autres chercheurs commencent aussi à mesurer le coût démographique de la COVID pour la société. Outre les milliers de morts, jusqu’à un demi-million de bébés pourraient ne pas voir le jour en 2021 aux États-Unis, selon une étude de l’Institut Brookings, un groupe de recherche indépendant basé à Washington.

Au contraire de l’épidémie de 1918, survenue sans crise économique, celle provoquée par la COVID, déjà qualifiée de « she-recession », frappe les femmes de plein fouet. Non seulement en raison des milliers d’emplois disparus dans les restaurants et l’hôtellerie, de la surcharge de travail vécue dans les emplois liés à la santé et à l’éducation, majoritairement occupés par des femmes, mais aussi en raison du casse-tête familial imposé à de nombreuses femmes par le télétravail.

« Les conditions actuelles vont probablement perdurer pour beaucoup de gens. Plusieurs de ces naissances ne seront pas reportées, mais n’arriveront jamais. Il y aura un “baby bust” COVID-19. Ce sera un autre des coûts de ce terrible épisode », écrit Melissa S. Kearney, coauteure de cette recherche, qui précise que chaque hausse de 1 % du taux de chômage réduit d’autant le taux de naissance.

Au Québec aussi

Le Québec, lui, affiche déjà une baisse significative des naissances depuis le mois d’avril. Effet COVID ? Difficile à dire, puisque les naissances du printemps et de l’été dernier découlent de grossesses amorcées avant la pandémie. Mais selon Chantal Lapointe, démographe à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la baisse observée, de l’ordre de 1700 naissances pour les second et troisième trimestres, pourrait s’expliquer par la chute importante du nombre d’immigrants admis au Québec depuis le début de la crise sanitaire. « Ça nous semble l’hypothèse la plus probable, car 33 % des bébés nés au Québec viennent de couples comptant un immigrant. Ce qui est clair, pour 2019, c’est qu’il y a une tendance à la baisse. »

Si on a noté 600 naissances de plus de janvier à avril 2020, la baisse des naissances est constante depuis mai. « Le nombre de femmes en âge de procréer n’a pas diminué, affirme la démographe, mais il se peut que la fécondité pour chaque femme, elle, diminue. Ça prendra plusieurs années pour mesurer l’effet réel de la COVID sur le taux de fertilité et voir si ces naissances seront reportées à 2022 ou 2023, ou carrément annulées. »

Chose certaine, durant la pandémie, le Québec a reçu de 13 000 à 18 000 immigrants de moins que prévu. Selon Statistique Canada, la fermeture des bureaux d’immigration, des cliniques de fertilité et la suspension des processus d’adoption devraient concourir à engendrer une baisse de la population partout au pays au quatrième trimestre de 2020.

Aux États-Unis, la violence actuelle de la deuxième vague pourrait faire durer ce « baby bust » au-delà de 2021, pense Joshua Wilde. Des données préliminaires colligées par ce chercheur laissent penser que certains pays d’Europe, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, seront davantage épargnés, avec des baisses de natalité projetées de 5 %. « Même si le taux de chômage reste élevé, des mesures sociales compensent et aident les individus, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. »

Pour les pays les plus touchés, ce recul démographique ne sera pas sans effet, affirme-t-il. Le vieillissement de la structure de la population aura des répercussions à long terme sur les revenus en taxes des États, ainsi que sur la capacité à financer plusieurs services publics, notamment les écoles, les hôpitaux et les caisses de retraite.

Avec Le Devoir par  Isabelle Paré