Il était une fois, sur le Mont Panié, en Nouvelle-Calédonie, un peuple venait d’Australie, en canoë, avec leurs chiens, pour chasser le cagou et le notou, deux espèces d’oiseaux rares du monde, qui font l’honneur et la fierté du pays des Kanaks.
Dans la vaste forêt humide composée d’essences naturelles et végétales, les oiseaux vivaient en parfaite harmonie avec les populations des villages. Nombreux étaient des symboles des anciens, sortes de totems, qui imposaient respect et dignité. Ces différentes incarnations étaient préservées. L’unique occasion où l’on pouvait les tuer était lors des cérémonies des cultes où ils constituaient des offrandes sacrifiées, au buisson ardent. La cendre récupérée était répandue dans les villages, les forêts, les roches noires et les rivières aux pentes escarpées et saccadées. Elle était aussi versée dans les cascades pour parler à l’union sacrée des esprits des pierres et des eaux. Des esprits, qui par leur présence, bénissaient la végétation pour une production abondante.
Voilà qu’un jour, au moment où le chef de la tribu de Gööpä(Gohapin) comptait des notous dans le ciel, il vit et lit un signe étrange de son âge sur ces gros pigeons, totems puissants des anciens, qui lui tenaient souvent compagnie. Troublés, nombreux ne voulaient plus l’approcher au moindre sifflement d’appel. Les oiseaux devinrent méfiants. Très apeurés. Peu confiants. Le tissu du lien d’affection établi avec les hommes était déchiré. Rompu. Même le breuvage dans lequel ils étanchaient leur soif et se baignaient souvent n’était plus un réservoir de bonté, sinon un récipient de méchanceté.
Ils ne s’arrêtaient plus dans la cour du chef. Ils filaient à toute vitesse, bruissant les feuilles des arbres qui se détachaient des manches des branches par leur passage violent et affolant.
Peu après, il entendit, au loin, des bruits de coups de feu qui secouaient la grande forêt, sans arrêt. Son retentissement interpella sa conscience. Les arbres préhistoriques comme le tamanou, le hou et le kaori, hurlèrent et vocifèrent leur colère. Il fit traversé par un courant d’énergie corporelle qui lui produisit des frissons sur toute sa peau.
Pendant que le soleil, du haut de la voûte céleste, descendait la curiosité de ses rayons sur le plateau terrestre, passant, à travers, la cime des arbres. Un oiseau, prit son courage de toutes ses ailes puis vint se poser sur son épaule. Il était maculé de sang. Blessé à la patte, son sang imprimait une grande empreinte sur sa chemise. Il le prit dans ses mains, le conduisit dans le hameau de la cuisine où il prit la cendre qu’il pulvérisa de quelques jets de sa salive. Il ajouta au mélange un peu de sel qu’il badigeonna à sa plaie. Il pansa celle-ci avec un vieux chiffon de sa vieille culotte avant de le placer dans la cage de fortune pour son séjour de convalescence afin de le surveiller jusqu’à la guérison.
Les coups de feu reprirent d’intensité et de violence en éclatant. Les oiseaux perturbés dans leur tranquillité, continuaient de s’éparpiller, de planer à la ronde, battant de l’aile pour signaler le danger. Ne pouvant plus supporter le vacarme assourdissant et le préjudice causé à ce totem important et puissant de la Nouvelle-Calédonie. Pris de colère, il convoqua un conseil des chefs traditionnels de tous les villages.
Quand ceux-ci arrivèrent, il leur montra les taches de sang du notou et son bandage dans la cage. Il envoya des agents de renseignements pour vérifier ce qui se passait dans la réserve faunique des oiseaux sauvages.
Arrivés sur les lieux, ils furent repoussés par des aboiements de chiens. Ils virent dans la gueule des canidés, ces compagnons des chasseurs, de nombreux cagous. Des proies qu’ils ramenaient auprès de leurs maîtres respectifs. D’aucuns étaient attrapés à la course parce qu’ils étaient essoufflés car volant à basse altitude, d’autres récupérés après avoir été mortellement touchés par les balles de petits calibres.
Très admirés et respectés, ces beaux oiseaux, au plumage gris bleu dont le chant fait lever le soleil, est un don des dieux.
Après avoir recueilli tous les renseignements lapidaires des émissaires, le chef de la tribu de Gohapin, furieux, organisa les villages de son autorité en commandement pour aller batailler.
Selon leur taille graduelle des plus petits au plus grands, il les disposa en colonne de trente fantassins, constitués de ses imminents guerriers et tireurs d’élites munis de flèches empoisonnés et incendiaires. Il les instruisit que la guerre qu’ils vont livrer consiste d’une part à préserver la nature qui a été violée par des chasseurs venus d’ailleurs, sans autorisation, de pénétration du territoire réservé. Un territoire qui comprend des espèces sacrées, interdites à la chasse mais qui ont été sauvagement tuées et massacrées pour un commerce illicite. D’autre part, il leur dit que les totems des anciens ont été chassés maladroitement. Cette violation des symboles ancestraux méritent réparation, au prix de repousser ces envahisseurs indésirables jusqu’à leur dernier retranchement.
Avançant pieds nus, les farouches guerriers avaient des muscles dissuasifs; le torse bombé, traversé de motifs faits d’une poudre d’écorce de toumanou et d’argile de couleur rouge. Ils progressèrent silencieusement, à pas feutrés, avec leurs arcs posés à l’épaule prêts pour le combat. Surpris, les envahisseurs chargèrent leurs fusils et envoyèrent leurs chiens pour les mordre. Malheureusement tous les chiens furent tués à l’aide d’une poudre magique tenue à la main, pulvérisée dans leur naseau, laquelle, à chaque aboiement, rendaient les canidés aveugles. Ceux-ci affolés, courraient dans tous les sens et se jetèrent du haut des pentes jusqu’à la mer.
La riposte au fusil ne tarda pas. Les chasseurs indésirables utilisèrent et vidèrent toutes leurs cartouches. Fatigués, ils commençaient à replier. Mais les Kanaks s’étaient sérieusement préparés, avec leurs amulettes attachées avec des bouts de bois de toumanou, qui les rendaient puissants. Les cartouches de leurs calibres rebondissaient sur leur corps. Ils étaient invulnérables. La surprise de leur invincibilité était grande aux yeux de leurs adversaires. La peur brisait la supériorité des armes modernes devant les flèches artisanales adroitement utilisées et appliquées.
Ayant constaté que leurs munitions se vidaient de leur boite. Ils commençaient à jeter un à un leur fusil.
Dès lors, ils recoururent à leurs pratiques magiques enseignées par les aborigènes d’Australie. En porte-voix, ils poussèrent des cris de lions, de panthères et de tigres pour effrayer les Kanaks. En vain! Les combats doublaient d’ampleur et de frayeur. Ils coururent tous dans la maison avec leur toison rouge pour un rassemblement rapide afin d’asseoir une nouvelle stratégie. Dans le secret de la concertation, ils burent une potion magique, mangèrent une tête écrasée d’abeilles. Ils se transformèrent en abeilles, passant par la porte arrière pour la forêt puis les attaquèrent en les piquant. Ceux-ci dansaient à chaque piqûre des insectes. Ils s’induisirent de miel et furent invincibles à toutes leurs piqûres. Cette intelligence de transformation dura le temps d’un orage sauvage dans le maquis.
Les Kanaks repartirent à la charge et les affrontèrent sans armes. Ils utilisèrent des flèches mais elles glissaient sur leur corps. Au regard de leur résistance farouche, ils prirent, cette fois-ci, des flèches incendiaires qui les brûlaient. Ils se replièrent dans leur maison d’occupation. Leurs adversaires, sous le feu du combat, changèrent de stratégie et se transformèrent en fourmis qui se faufilaient sous les feuilles mortes des arbres qui jonchaient le sol. De leurs mandibules, les bêtes au ventre bedonnant, aux pinces crochues, firent danser les Kanaks pour les distraire et mieux les atteindre.
Par une inspiration ancestrale, le chef du peloton des Kanaks prit sa salive du bout de l’index, la mélangea d’un peu de terre et se frotta les yeux. Il eût l’intelligence d’instruire ses troupes à vaincre ses ennemis. Ils brûlèrent les feuilles mortes, ils s’enfuirent et se réfugièrent dans leur maison qui fût aussi incendiée. Ils n’eurent pas le temps de la métamorphose pour changer et de retrouver leur enveloppe corporelle.
Dans la débandade, en qualité de fourmis, elles trouvèrent refuge dans des népenthès. Ne sachant pas qu’ils sont friands d’insectes et surtout des fourmis, elles furent dévorées par ses plantes carnivores qui exhibent des belles urnes ouvertes pour attraper leur proie.
C’est ainsi que les Kanaks vinrent à bout des indésirables venus chasser dans la forêt de la Grande Terre en Nouvelle-Calédonie. Ils réussirent, par cette belle victoire, à préserver leur faune composée d’oiseaux précieux du cagou mais aussi de leur totem du notou.
© Bernard NKOUNKOU