En 2022, environ 39 000 migrants ont emprunté ce chemin irrégulier pour se rendre au Québec à partir des États-Unis. Photo : The Canadian Press/Ryan Remiorz
Plus de 4800 migrants sont arrivés au Canada en provenance du chemin Roxham depuis le mois de janvier, selon les dernières statistiques du gouvernement fédéral. En arrivant au Québec à partir des États-Unis, des milliers d’entre eux sont déplacés en Ontario depuis que la province voisine a sonné l’alarme en disant qu’elle ne pouvait plus accueillir de demandeurs d’asile. Le sort de ces migrants à la recherche d’une vie meilleure est donc incertain.
Mohammed est l’un d’eux. Cet homme originaire du Tchad, en Afrique centrale, a été conduit à Niagara Falls alors qu’il espérait rester au Québec parce qu’il ne parle pas l’anglais.
« Je ne parle pas du tout l’anglais et ici, à Niagara, il m’est très difficile de communiquer. »— Une citation de Mohammed, demandeur d’asile

Mohammed, à gauche, a fui le Tchad, son pays d’origine, mais il confie avoir trop peur pour divulguer plus de détails sur lui-même. Photo: (CBC NEWS) /Ousama Farag
Mohammed raconte qu’il n’a pas eu le choix d’embarquer dans un bus en direction de l’Ontario pour quitter la Belle Province.
Ce demandeur d’asile vit maintenant dans une des quelque 2000 chambres d’hôtel réservées à Niagara Falls par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour fournir un logement temporaire aux migrants qui arrivent du chemin Roxham et qui sont maintenant redirigés hors du Québec.
Le maire de Niagara Falls, Jim Diodati, dit être surpris par le nombre de chambres d’hôtel que le gouvernement fédéral réserve régulièrement aux demandeurs d’asile. On est passés de 87 chambres à 300 chambres, puis c’est passé à 687 chambres, explique-t-il. Ensuite, il y a eu 1500 chambres, puis ils en ont annoncé 1700 et 2000. Alors on se demande où on va avec ça.
Selon IRCC, la plupart des migrants séjournent en moyenne 60 jours dans des chambres d’hôtel financées par le gouvernement fédéral et reçoivent également des repas pendant qu’ils sont évalués pour les permis de travail.
L’organisme fédéral ajoute que le processus de délivrance de permis de travail a été accéléré pour permettre aux migrants d’entrer plus tôt sur le marché du travail canadien et de subvenir à leurs besoins en attendant une décision au sujet de leur demande d’asile.
Cependant, les services sociaux auxquels ont droit les demandeurs d’asile pendant qu’ils tentent de s’installer incombent en grande partie à la Ville pour un coût d’environ cinq millions de dollars, selon le maire de Niagara Falls, qui réclame un dédommagement de la part du gouvernement fédéral.

Le maire de Niagara Falls, Jim Diodati, se demande où iront les demandeurs d’asile lorsque les touristes occuperont les chambres d’hôtel durant la période estivale. Photo: (CBC NEWS)/Jim Diodati
IRCC affirme que les chambres d’hôtel occupées par les demandeurs d’asile sont des solutions temporaires jusqu’à ce que les demandeurs soient en mesure de faire la transition vers un logement à plus long terme au sein de la communauté
.
Cependant, il n’existe pas de logements plus abordables à Niagara Falls, selon le maire.
La Ville a récemment déclaré l’état d’urgence en raison du sans-abrisme et des opioïdes. Jim Diodati ajoute par ailleurs qu’il y aura une plus forte demande de chambres d’hôtel dès le début de la saison touristique et que les revenus qu’elles génèrent sont indispensables.
M. Diodati se demande donc où iront les demandeurs d’asile durant la période estivale.
Nous devons faire partie de cette discussion. Vous ne pouvez pas simplement les déposer et nous laisser gérer les conséquences
, s’insurge-t-il.
« Nous avons nos propres problèmes communautaires. Cela exacerbe les problèmes qui existaient déjà. »— Une citation de Jim Diodati, maire de Niagara Falls
Offrir de l’aide
La directrice principale pour les personnes et les programmes chez Big Brothers, Big Sisters (BBBS) de Niagara, Sarah Ludberg, travaille à faire de la sensibilisation pour évaluer les besoins des nouveaux arrivants.
Elle veut offrir un mentorat individuel à des centaines de jeunes dans la communauté, mais elle a déjà une liste d’attente de 300 personnes.
« Nous avons déjà du mal à nous rétablir après la pandémie. »— Une citation de Sarah Ludberg, directrice chez Big Brothers, Big Sisters
Les agences comme la nôtre qui collectent des fonds ne sont pas revenues à leurs niveaux d’avant la pandémie. Donc, l’ajout actuel d’un afflux de nouveaux arrivants que nous voulons également soutenir nous inquiète en tant qu’organisation, car nous voulons fournir un mentor à chaque enfant ou jeune qui en cherche un.

La directrice principale pour les personnes et les programmes chez Big Brothers, Big Sisters de Niagara, Sarah Ludberg, aide les demandeurs d’asile à s’intégrer dans leur nouvelle ville. Photo: (CBC NEWS)/Ousama Farag
Au-delà du mentorat, BBBS essaie d’établir des liens avec tous les nouveaux arrivants. S’ils avaient des problèmes de sécurité alimentaire, nous les mettrions en contact avec la banque alimentaire locale. S’ils ont des problèmes de santé mentale, nous pouvons les orienter
, explique Sarah Ludberg.
Elle ajoute que l’Armée du salut locale fournit également aux demandeurs d’asile des bons pour faire leurs achats gratuitement dans une friperie gérée par BBBS.
Toutefois, la communication entre les organismes de soutien et les demandeurs d’asile semble poser problème, car Mohammed affirme n’avoir jamais entendu parler des aides communautaires. Il assure que personne ne lui a dit où se diriger et qu’il est difficile de le découvrir tout seul, explique-t-il, lorsqu’on ne parle pas la langue.
De son côté, Espérantine Désardouin a été transporté par autobus à Cornwall, dans l’Est de l’Ontario, après avoir traversé le chemin Roxham en août dernier. Elle et sa famille de cinq personnes ont dû fuir la violence en Haïti, explique-t-elle. C’était très dur de quitter mon pays pour abandonner toute ma vie, mon travail et les amis de ma famille.
« Mais nous devons rester en vie. Nous devions donc prendre une décision et la meilleure était de quitter le pays et de venir au Canada. »— Une citation de Espérantine Désardouin, demandeuse d’asile
Intégration réussie
Cette famille espérait commencer une nouvelle vie au sein de la grande communauté haïtienne du Québec, mais l’établissement à Cornwall a mieux fonctionné qu’elle ne l’avait imaginé. Espérantine Désardouin a amélioré son anglais et la communauté francophone de Cornwall l’a adoptée, raconte-t-elle.

Espérantine Désardouin a fui Haïti pour s’installer au Canada avec sa famille. Elle vit désormais à Cornwall, où elle a trouvé du travail dans un organisme communautaire francophone. Photo: (CBC NEWS) / Brenda Witmer
Espérantine Désardouin, qui a œuvré comme travailleuse humanitaire en Haïti, a également trouvé du travail au sein de l’Association des communautés francophones de l’Ontario (ACFO). Cet organisme communautaire aide des centaines de familles de nouveaux arrivants à inscrire leurs enfants à l’école, à ouvrir des comptes bancaires et à remplir les formalités administratives pour obtenir un permis de travail.
Mme Désardouin dit être reconnaissante de travailler, en particulier dans un secteur qui consiste à aider des gens comme elle. C’est très important pour moi, car j’ai beaucoup reçu de la communauté. Je dois redonner. Je peux dire que quand je viens ici, ce n’était pas prévu, mais ça me fait du bien. On sent qu’on a une belle vie.
Son mari a également trouvé du travail et ils bâtissent leur vie ici.
Manque de communication
Pour sa part, le maire de Cornwall, Justin Towndale, déplore le manque de préparation et le manque de préavis concernant l’arrivée des migrants. Nous ne savons pas quand les bus arrivent, nous ne savons pas de quel pays viennent ces personnes, quelles langues ils parlent
, regrette-t-il.

Le maire de Cornwall, Justin Towndale, réclame au gouvernement fédéral une meilleure communication concernant l’arrivée des demandeurs d’asile dans sa ville. Photo: (CBC NEWS) / Brenda Witmer
Depuis que le Québec a commencé à refuser une grande majorité des demandeurs d’asile, 1400 d’entre eux sont passés par la ville de Cornwall. Huit cents migrants se trouvent toujours dans deux hôtels réservés par le gouvernement fédéral.
La ville et les groupes communautaires ont récemment rencontré des responsables fédéraux de l’immigration pour exiger une meilleure communication et un meilleur soutien à l’avenir.
Cornwall veut aider. Nous sommes une communauté très généreuse
, souligne le maire de la ville.
« Si nos ressources sont épuisées et que nous ne pouvons tout simplement plus contribuer, ce sont les demandeurs d’asile qui souffrent à la fin. »— Une citation de Justin Towndale, maire de Cornwall
Pour atténuer la pression dans les villes d’accueil, une approche pancanadienne est essentielle
, fait savoir IRCC, qui affirme travailler activement avec d’autres provinces et municipalités
pour trouver des programmes d’hébergement temporaire, de formation et d’établissement.
Radio-Canada avec les informations d’Ioanna Roumeliotis et de Brenda Witmer, CBC