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Photographie : « Messi fait les poubelles, Ronaldo fait la guerre »

novembre 17, 2022

Sous les maillots siglés Messi, Ronaldinho, Drogba, Eto’o ou Torres, des hommes et des femmes qui se rêvent d’autres vies. Le photographe franco-suisse Michaël Zumstein les a photographiés.

Des anti-Balaka posent avec des fusils dans la rue principale de Njoh, en Centrafrique, le 24 septembre 2013. © Michael Zumstein/Agence VU

À l’heure où démarre une Coupe du monde de football à haut degré de polémique, le photographe franco-suisse Michaël Zumstein propose un contrechamp radical avec Aka Zidane (pour l’anglais « Also Known As Zidane »). Son projet, décliné en un livre édité par Images plurielles et en une exposition à la galerie Guigon (Paris 12ème, du 16 au 20 novembre), consiste en une série de 60 photographies d’Africain(e)s portant des maillots de footballeurs célèbres.

Devenir son idole

À l’origine de cette démarche, il y a d’abord la passion du reporter pour le football. « J’ai adoré jouer au football, écrit-il ainsi dans l’introduction de l’album. De sept à quinze ans, j’ai occupé tous les terrains détrempés de banlieue. J’ai joué à tous les postes de l’équipe. Je vivais foot et les murs de ma chambre étaient recouverts des photos de mes héros : Platini, Mario Kempes, Gérard Janvion. Le jour de mes dix ans, on m’a enfin offert mon premier maillot de foot. J’ai reçu l’improbable maillot de l’équipe d’Écosse. »

Problème : personne, à l’époque, ne connaît le nom du moindre joueur écossais… « Moi, fils d’une juive oranaise et d’un Suisse allemand, je devais devenir Écossais, poursuit Zumstein. J’ai finalement trouvé la photo d’un joueur dans un album : Gordon Strachan. » Sur le terrain et à l’école, l’enfant s’est métamorphosé en sa nouvelle idole : « Je pouvais enfin devenir Gordon Strachan, et vivre une autre vie que la mienne. »

Anti-balaka

Michaël Zumstein n’est pas devenu une star du ballon rond. Diplômé de l’École supérieure de photographie de Vevey, il est devenu photoreporter, d’abord pour L’œil public, puis pour l’Agence VU. Ses missions l’ont, très souvent, conduit en Afrique, dans des zones de conflits comme en RDC ou en Côte d’Ivoire. Mais c’est dans un autre pays, au cours d’un autre conflit, que la série des maillots de foot s’est imposée à lui.

« À l’origine d’Aka Zidane, il y a un reportage en Centrafrique en 2014-2014, raconte-t-il. J’ai pris une photo d’un groupe d’anti-balaka qui a fait la Une du journal Le Monde. Sur cette image, l’un des soldats portait le maillot rouge de l’Espagne. Je me suis dit que c’était étrange de faire la guerre avec un maillot de football. Et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à chercher dans mes archives… J’ai retrouvé de nombreuses images d’hommes et de femmes avec des t-shirts portant le nom de célébrités du foot. »

Par la suite, une bourse du CNAP (Centre national des arts plastique) lui permet de poursuivre sa recherche en Afrique, où il traque plus systématiquement les Drogba, Ronaldinho, Juninho, etc. « J’ai vu Lionel Messi, écrit Zumstein. Il avait huit ans, et accompagné de son âne, il ramassait des ordures sur un marché au Niger. Sur une charrette, j’ai aussi croisé Zinedine Zidane qui revenait de son champ de sorgho, trop petit et trop sec pour nourrir sa famille. »

Ronaldinho, Beckham, Shevchenko

Il faut le dire, les images de Michaël Zumstein sont à mille lieues des vestiaires aseptisés des grands stades de football. Ici, on ne roule pas en voiture de luxe et les maillots, plus que de sueur, sont parfois mouillés de sang. « Messi fait les poubelles, Ronaldo fait la guerre, Zidane ne parvient plus à nourrir sa famille », résume Zumstein dans l’un des courts textes qui accompagnent ses images. Aka Zidane n’est certes pas un livre très joyeux, mais c’est un livre qui raconte l’Afrique en offrant des pistes de réflexion sur la guerre, l’identité, l’économie, l’avenir…

En Centrafrique, Zumstein photographie « Ronaldinho, le buteur brésilien, qui vient d’amener à l’hôpital son ami mort dans ses bras » et « cet homme mort au milieu de la route portant les couleurs du maillot argentin ».

« David Beckham, l’attaquant anglais, et Andriy Chevtchenko [attaquant ukrainien] ne se connaissent pas, écrit encore le photographe. Ils sont pourtant traversés par une même question : qui est Ivoirien ? Cette question hante la Côte d’Ivoire depuis que le miracle économique a pris fin et que l’on regarde d’un mauvais œil ces familles venues des pays voisins et dont dépendent maintenant des pans entiers de l’économie. » Au Mali, « Lionel Messi et ses collègues ont installé leurs pupitres, leurs ordinateurs et leurs enceintes rue Fankalé Diarra. Contre 1 000 francs CFA, les habitants de Bamako viennent copier sur leurs téléphones portables des dizaines de titres et de vidéos que proposent les « téléchargeurs ». Un iTunes de la rue. »

Contraste

Au-delà du contraste évident entre le monde du football de haut niveau et la réalité quotidienne de l’Afrique, Aka Zidane invite – sans donner de leçon – à réfléchir sur la mondialisation, la célébrité, l’argent, la guerre, mais surtout sur les aspirations et les rêves de chacun.

Que signifie, au fond, le fait de revêtir un maillot portant le nom d’une personne qu’on ne rencontrera probablement jamais ? Que représentent ces « héros contemporains » payés des millions d’euros pour envoyer un ballon dans un filet ? Pourquoi avons-nous besoin de ces demi-dieux, ou à tout le moins de leurs costumes de scène, pour tenter d’exister ? Michaël Zumstein n’offre pas de réponses, mais « donne à voir la place et l’ampleur de vies d’hommes et de femmes cachées sous les maillots de foot ».

Aujourd’hui, le photographe, réalisateur de plusieurs documentaires (Il faut ramener Albert, Ils peuvent prendre notre soleil, Côte d’Ivoire : le tribunal militaire contre la police) a cessé de photographier les hommes en maillot de foot. Il est fort probable qu’il ne regardera pas la Coupe du monde 2022 : « Je me suis dit que je n’allais pas la regarder, mais bon, j’aurais pu me dire la même chose en 2018, quand elle se déroulait en Russie… »

Aka Zidane, de Michaël Zumstein, Images Plurielles Editions, 96 pages, 25 euros.

Avec Jeune Afrique par Nicolas Michel

Art : Baudoin Mouanda invente « la ligne 242 » du métro parisien !

juin 23, 2022

Ce serait dommage que le ministère de la Culture et des Arts rate le dernier métro car il faudra bien un jour qu’on élève Baudouin Mouanda au rang d’ambassadeur du 242, tant le photographe répand l’image de son pays natal aux quatre coins du globe. 

Baudoin Mouanda

Le Congo ainsi que la Société des ambianceurs et  des personnes élégantes (Sape) s’affichent en grand dans les couloirs du métropolitain parisien ! Dans les stations de métro  Hôtel de ville, La Chapelle, Saint Denis, Gare de Lyon, Pyramides, Madeleine  ou encore dans celles du RER A, à Nation et Nogent sur Marne,  Baudoin Mouanda « Rêve aller et retour », sur plusieurs dizaines de mètres,  en réponse d’un appel lancé en 2017 par les Ateliers Médicis,  le ministère français de la Culture  et le Centre national des arts plastiques, dans le cadre du projet « Regard du Grand Paris » et c’est grandiose !  Vraiment ! Fruit d’un travail, « Le sapeur de Bacongo », déjà amorcé à Brazzaville,  « Rêve aller et retour » met en lumière souterraine  la Sape du 242 hissant le drapeau vert, jaune, rouge au plus haut.  Ici c’est Paris, Ici c’est Brazza, ici c’est Mouanda !

«  Signe du destin, c’est justement à Paris, en 2007, en croisant quatre jeunes sapeurs qui faisaient le show dans le métro sous les applaudissements de toute la rame, que j’ai mesuré le fort impact de la sapologie à Paris. De là  est venu  mon concept  « Rêve aller retour « , parce que lorsque tu rentres au pays, il y a toujours cette même idée de paraître.   Je me suis imprégné bien plus tard de leur univers en y ajoutant une touche décalée dans la mise en scène de mes clichés »,  nous dit Baudoin qui aura donc sillonné l’Ile de France avec son objectif pour y saisir de somptueux clichés.

Coup gagnant, comme à son habitude, pourrait-on  dire!  Le photographe brazzavillois figure, en effet, parmi les trente-huit artistes retenus pour l’exposition « Regards du Grand Paris », du 24 juin au 23 octobre 2022, aux Magasins généraux. Une exposition unique en son genre qui se prolongera au Musée du Carnavalet – Histoire de Paris. Les photographies apparaîtront également  dans de très nombreux endroits franciliens – la liste est longue – allant du Centre Pompidou  au Centre national de la danse  en passant par les aéroports Charles-de-Gaulle-Paris et Orly.  Et, comme si cela ne suffisait pas, on notera que Baudouin Mouanda recevra, par ailleurs, le prix Roger-Pic, créé en 1993 par le grand reporter et militant du droit d’auteur Roger Pic, du concours national de photographie organisé par la Société civile des auteurs multimédia.  

Avec Adiac-Congo par Philippe Edouard

Photographie : Nona Faustine, l’artiste qui pose nue pour dénoncer le racisme de la société américaine

août 12, 2015
 
Nona Faustine, « From Her Body Sprang Their Greatest Wealth » (« De son corps jaillit leur plus grande richesse »). Autoportrait à Wall Street, où se trouvait un marché aux esclaves. © Nona Faustine

La photographe africaine-américaine Nona Faustine pose nue sur des lieux emblématiques de l’esclavage aux États-Unis. Une démarche artistique audacieuse et provocatrice qui questionne la société américaine sur les causes de son racisme structurel.

Dans la série d’autoportraits intitulée « White Shoes » réalisée entre 2012 et 2014, Nona Faustine se met en scène à New-York dans des lieux emblématiques de l’histoire de l’esclavage. Trônant sur un caisson en carton au beau milieu de Wall Street, elle fait fi du flux des passants et nous rappelle qu’autrefois s’y trouvait un grand marchés aux esclaves. Lorsqu’elle grimpe les marches de l’Hôtel de Ville de New-York les points serrés, elle se trouve cette fois sur un site où l’on enterrait les esclaves. L’artiste pose aussi sur les marches de l’ancien palais de justice, sur la côte atlantique, ou encore dans le cimetière hollandais de Brooklyn, ville où elle a grandi, révélant à chaque fois des pans oubliés ou refoulés de l’histoire qui entrent en résonance avec le racisme structurel de la société américaine.Nona Faustine

Nona Faustine, « Over My Dead Body », sur les marches de l’ancien palais de justice Tweed Courthouse, à côté de la mairie de la ville. © Nona Faustine

Autant de lieux dont elle prend possession par son corps imposant et dénudé. Ou presque dénudé, puisqu’elle arbore parfois aux chevilles et aux poignets les chaînes que portaient autrefois les esclaves. Quant à ses chaussures blanches qui donnent leur nom à la série (« White shoes »), « elles symbolisent le patriarcat blanc auquel on ne peut pas échapper  », confie-t-elle dans une interview à Dodge and Burn, un blog américain tenu par la photographe Qiana Mestrich. De même que la nudité représente la fragilité rémanente du statut des Africains-Américains aux États-Unis.

Passionnée d’histoire, la photographe est passée par la prestigieuse School of Visual Arts (École des Arts Visuels) et s’est spécialisée dans l’étude de l’histoire des Africains-Américains et des questions de genre et d’identité. Ses photos sont lourdes de sens et de symboles, rendant hommage aux esclaves et aux souffrances vécues par leurs descendants même après l’abolition de la traite qui, à New-York par exemple, date de 1827.Nona Faustine

Nona Faustine, « Of My Body I Will Make Monuments In Your Honor » © Nona Faustine

Comment représenter artistiquement aujourd’hui la souffrance des Africains-Américains ? Le faire avec un corps de femme, qui semble faire écho par ses dimensions à celui de Sawtche (la Venus noire hottentote), voilà une démarche difficile qui peut choquer à plus d’un titre. L’artiste évoque cette difficulté dans la suite de l’interview à Dodge and Burn : « L’esclavage est un sujet qui se prête à la controverse. C’est un sujet dont nous évitons soigneusement de parler aux États-Unis. Cela gêne les gens. Il n’y a qu’à voir le changement sur leur visage quand vous le mentionnez […].  Il y a des blessures qui ne sont pas encore complètement cicatrisées […]. L’autre controverse est celle liée à mon corps de femme, obèse, noir, nu et exposé aux regards. Bien souvent les gens n’aiment pas voir ça parce que cela suscite beaucoup d’émotions. »

Dénonciation des « zoos humains »

Le travail de Nona Faustine et la double polémique qui l’entoure en évoque une autre, bien différente mais concernant un thème similaire : celle qu’avait suscitée l’exposition « Exhibit B » de l’artiste sud-africain blanc Brett Bailey. Celui-ci affirmait vouloir dénoncer les atrocités du colonialisme et l’injustice des politiques européennes en matière d’immigration par la mise en scène de douze tableaux vivants de « zoos humains » tirés de l’époque coloniale.

L’exposition avait été taxée de raciste par un certain nombre de visiteurs et d’internautes, qui avaient provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et lancé des manifestations à Paris. Certains considéraient que l’artiste, à travers ses œuvres, ne faisait que reproduire des « zoos humains » sans les dénoncer véritablement comme il le prétendait. De son côté, Nona Faustine a expliqué s’être plutôt inspirée de la « Vénus hottentote », qui fut elle aussi exposée en Europe comme un animal de foire au début du XIXe siècle. La démarche de la photographe est-elle plus légitime, plus originale, plus aboutie ou plus puissante que celle de Brett Bailey ? Chacun se fera son opinion. Mais une chose est sûre : en tant qu’artiste noire, Nona Faustine peut difficilement être accusée de racisme.Nona Faustine

Nona Faustine, « She Gave All She Could Give And Still They Ask For More » © Nona Faustine

Nona Faustine

Nona Faustine, « Like A Pregnant Corspe The Shipe Expelled Her Into The Patriarchy » © Nona Faustine

Jeuneafrique.com par Margaux Lombard