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Ukraine: A Kharkiv, des barricades de sable pour sauver le poète Chevtchenko des obus

mars 27, 2022

Comment protéger son patrimoine de la mitraille: deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv, soumise quotidiennement aux bombardements russes, a commencé ce week-end à monter des barricades de sable devant ses statues les plus emblématiques.

La plus importante d’entre elles trône au cœur du centre-ville, dans un vaste parc aux arbres centenaires: menton en avant et l’allure conquérante, le poète Taras Chevtchenko est la principale figure du patriotisme ukrainien du XIXème siècle.

Depuis l’indépendance du pays en 1991 avec l’effondrement de l’Union soviétique, pas une ville ukrainienne qui n’ait son avenue ou sa place Chevtchenko, également nom de la plus grande université ukrainienne à Kiev.

Ouvriers et engins élévateurs s’affairent autour de l’imposante statue de fonte noire, haute de 16 mètres selon la mairie, et plus haute sculpture de Kharkiv depuis qu’a été mise à bas celle de Lénine en 1994, sur une grande esplanade voisine.

« Il faut protéger la ville pour que les générations futures la connaissent comme nous l’avons connue », plaide Petro, retraité de 72 ans à la casquette de cuir et aux dents en or, venu participer à l’opération comme « volontaire ».

Erigée en 1935, la statue de Chevtchenko est un mixte de réalisme socialiste et de stalinisme baroque, où le personnage central est comme cerné par les soldats révolutionnaires à ses pieds, image du patriotisme ukrainien longtemps bridé par la Russie « frère » sous le régime communiste.

Le socle en grès et les combattants staliniens disparaissent maintenant sous les sacs de sable, qui arrivent déjà à la taille du poète, masquant sa démarche conquérante, mais pas encore son regard farouche et sa moustache tombante.

« Il paraît que pendant la Seconde guerre mondiale, une balle avait ricoché sur sa tête », raconte, sourire en coin, l’une des employés de la municipalité mobilisée pour les travaux.

« A l’époque, la ville avait été ravagée, mais le centre-ville relativement préservé, il n’avait pas été bombardé comme maintenant », s’offusque Volodymyr, un colosse cinquantenaire.

Depuis le début de l’invasion russe le 24 février, Kharkiv est, avec Marioupol (sud), la métropole la plus bombardée. Stationnée à quelques kilomètres, l’artillerie russe bombarde quotidiennement le nord et l’est de la ville, ainsi que son centre historique.

« Encore mille ans ! »

Plus d’un millier de bâtiments ont été détruits ou endommagés, dans une ville vidée d’environ un tiers de ses 1,5 million d’habitants, selon les autorités locales.

Les édifices publics du centre, abritant administrations et services de sécurité, ont été particulièrement visés.

Ville de culture et d’histoire, Kharkiv compte « une cinquantaine de monuments dressés en l’honneur de ceux qui ont fait la gloire de la ville », et qui seront donc protégés par des sacs de sable, a annoncé la mairie. Et d’ajouter: « nous espérons que ces monuments dureront encore mille ans ! »

Il y a les monuments dans le plus pur style soviétique, comme celui qui commémore la « Grande guerre patriotique » ou le « Soldat libérateur ». Mais aussi divers mémoriaux, dont celui de Drobytsky Yar, en hommage aux milliers de juifs assassinés pendant la Seconde guerre mondiale. Situé à la limite est de la ville, il a été endommagé dans les combats samedi, a constaté l’AFP.

La muraille protectrice de la statue Chevtchenko quasi-terminée, des dizaines d’employés de la mairie et des volontaires s’activent désormais à disposer des sacs de sable autour du monument de l’Indépendance, une déesse brandissant les lauriers de la victoire, installée en l’honneur de la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine le 24 août 1991.

Pour l’instant, on peut toujours lire, gravé en alphabet cyrillique, le slogan que l’on entend désormais partout dans le pays en guerre: « Gloire à l’Ukraine ».

« Nous sommes des fonctionnaires et des employés municipaux inoccupés actuellement, la mairie nous a mobilisés », explique une membre du groupe, Ilona Kalachnikova, habituellement affectée aux espaces verts.

« En ce moment, on ramasse surtout les branches et les arbres décapités par les roquettes. Cette année nous ne planterons rien, il n’y aura pas de fleurs », regrette-t-elle. « Ces sacs de sable sont un symbole de notre attachement à notre ville. On peut reconstruire des maisons détruites, mais pas des monuments historiques ».

Par Le Point avec AFP

Édouard Maunick, cette mort qu’il détestait

avril 23, 2021
Édouard Maunick, le 6 mai 2010 à Paris.

L’un de ses derniers recueils de poésie s’appelait « 50 quatrains pour narguer la mort ». Le 10 avril dernier, elle a fini par gagner la partie. Reste l’œuvre de ce grand auteur mauricien.

Il était comme sa poésie : flamboyant et baroque. L’écrivain mauricien Édouard Maunick, mort à Paris le 10 avril, laisse à la fois une œuvre considérable et le souvenir d’une personnalité haute en couleur et ô combien attachante.

Il naît à La Source, district de Flacq, dans l’est de Maurice, le 23 septembre 1931, jour d’équinoxe austral, donc de métissage du jour et de la nuit, se plaisait à souligner cet homme qui voyait en toute chose un signe du destin.

Si son père, Daniel Maximin, ramasseur de cannes à sucre, porte un nom venu du sanskrit, les origines du petit Joseph Marc Davy, les prénoms officiels du futur poète, sont multiples, comme c’est souvent le cas à Maurice. Dans ses veines coule du sang indien, pakistanais, mozambicain, français, britannique…

« Nègre de préférence »

Dans Les Manèges de la mer (Éditions Présence africaine, 1964), il écrit : « Je suis nègre de préférence ». Il expliquera qu’il ne rejette aucune de ses racines, mais qu’il a choisi ses origines africaines après avoir vu ses copains d’école méprisés et maltraités à cause de la couleur de leur peau. Ce n’est pas pour autant qu’il se considère comme un poète noir. « Mon expression est métisse », indiquera-t-il, avant de préciser : « Je prophétise le sang mêlé comme une langue de feu. »

Après ses études au Teacher’s Training College de Beau-Bassin, Maunick entre tout naturellement dans l’enseignement avant de devenir bibliothécaire de la ville de Port-Louis en 1958.

Mais l’insularité appelle au départ. En 1960, il s’envole pour Paris. Après quelques mois de bohème, il est embauché par la radio française de l’époque tournée vers l’outre-mer. Il fera de la production et l’animation d’émissions radiophoniques son métier pendant une quinzaine d’années. La décennie 1980 le voit entrer dans les organismes internationaux, à l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT, future Organisation internationale de la francophonie) d’abord, puis à l’Unesco, où il sera notamment directeur des échanges culturels et directeur de la « collection Unesco d’œuvres représentatives ».

Rédacteur en chef à Jeune Afrique

Maunick avait déjà tâté de la presse écrite, à la fin des années 1970, à la tête du bimensuel Demain l’Afrique. En 1993, il revient au journalisme d’information en occupant un poste de rédacteur en chef à Jeune Afrique. Changement de cap l’année suivante, quand le gouvernement mauricien le nomme ambassadeur à Pretoria. Ce sera un immense bonheur pour l’auteur de Mandela mort ou vif (Éditions Silex, 1987) d’assister au démantèlement du système de ségrégation raciale.

Depuis ses jeunes années à Maurice, où il fait paraître son premier recueil à compte d’auteur, Ces oiseaux du sang, en 1954, il n’a jamais cessé de publier. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il a réuni la quintessence de son œuvre dans une remarquable Anthologie personnelle (Éditions Actes Sud, 1989). Les connaisseurs en conviennent : avec un auteur tel que le Congolais Tchicaya U Tam’si, il fait partie des plus grands poètes africains post-négritude.

J’AI UNE GRANDE GUEULE PARCE QUE JE SUIS D’UNE RACE QU’ON A VOULU FAIRE TAIRE

Avait-il lui-même un poète de prédilection ? Son père, qui, pourtant n’a jamais écrit une ligne. Mais ce raconteur de paraboles lui a donné à « à entendre, à voir et à sentir ce que la vie a de plus vivant, ce que la mort a de plus vulnérable ».

Chez lui, la poésie est inséparable de la parole. C’est pour cela qu’il aimait tant la radio. Il fallait le voir, marchant dans les couloirs de Jeune Afrique, déclamer de sa voix de stentor les vers qu’il venait de coucher sur le papier. Il s’emportait facilement. À l’auteur de ces lignes, il s’en expliquait : « C’est vrai que je suis violent. J’ai une grande gueule parce que je suis d’une race qu’on a voulu faire taire. Je suis violent, parce qu’il y a en moi, à chaque seconde, des sangs qui cognent. »

Fragilité

Il semblait tout sauf modeste, mais son apparente assurance cachait mal une grande fragilité intérieure. La poésie n’était-elle pas pour lui le moyen de conjurer son angoisse devant l’existence ? Ce n’est pas par hasard qu’il aimait répéter : « Je sais les réponses, je cherche les questions. »

Un peu comme chez Senghor, son maître, la facture poétique de Maunick tient pour beaucoup aux ruptures syntaxiques, aux formulations elliptiques et à un vocabulaire parfois apparemment incongru qu’il puise dans l’environnement de son milieu natal. Soutenue par le rythme du créole, cette poésie est traversée par quelques figures essentielles : le père ; Neige, la femme aimée ; la mer ; l’île

Cette dernière, c’est bien sûr Maurice, qu’il n’a en vérité jamais quittée et dont il disait qu’elle le « fertilise ». « Il n’est guère de poème où elle ne soit convoquée, interpellée, magnifiée », écrit Jean-Louis Joubert, qui a consacré une belle biographie au poète mauricien.

Contre la mort qu’il avait en détestation Édouard Maunick a mené un combat – poétique – acharné. L’un de ses derniers recueils n’avait-il pas pour titre 50 quatrains pour narguer la mort ? (Éditions Seghers, 2006) La Faucheuse a fini par gagner la partie

Avec Jeune Afrique

Congo-Littérature : le Pr Dominique Ngoïe-Ngalla explore le rôle de la poésie dans la formation du citoyen

mars 4, 2020

 

La “Gourmandise poétique” a été de nouveau au rendez-vous à la librairie Les Manguiers des Dépêches de Brazzaville. Le conférencier du jour, le Pr Dominique Ngoie-Ngalla, a exploré le rôle de la poésie dans la formation du citoyen.

 

De prime à bord, le conférencier du jour a expliqué la position de la rhétorique par rapport à la poésie. Il a repris la pensée de Derline, qui stipule, la poésie c’est la rencontre avec les clairs divins. Et il n’est pas donné à tout le monde d’aller à la rencontre du divin. Pour le Pr Dominique Ngoie-Ngalla, on peut fabriquer les orateurs, mais pas les poètes. Car, ils sont nés poètes. Ils sont des élus.

Parlant de l’origine poétique du langage articulé qui serait terminé parce que les sophistes ont évolué, le conférencier du jour, a peint la belle place qui est faite à la poésie dans des civilisations les plus avancées aujourd’hui. Les poètes, dit-il, sont honorés, ainsi que le système éducatif. Autant que les sciences, la poésie est l’objet d’études assidues. Si on lui accorde une telle place, c’est que sa fréquentation est importante dans le processus du développement de l’esprit et de l’épanouissement des sociétés humaines. En Grèce et à Rome, on organisait des concours de poésie, à l’issue desquels, les vainqueurs se voyaient rehaussés par une couronne de laurier.

Dans ces sociétés, poursuit-t-il, la poésie n’est pas de l’enfantillage, elle est très sérieuse. « Dans ces sociétés-là, où l’on pense que le développement des sociétés humaines passe par le respect de la culture, donc de la poésie ; le poète est objet de l’admiration de tous. Il est respecté et salué partout où il passe. Il est l’homme qui a commerce avec les dieux et ça se respecte », a-t-il fait savoir.

La poésie est d’une si grande importance, comme la philosophie, elle a reçu mille et une définitions toutes valables, toutes bonnes. La plus célèbre est celle d’Orace, poète romain du 1er siècle avant l’ère actuelle. Pour lui, la poésie c’est de la peinture, ou quelque chose de semblable.

Le Pr Dominique Ngoie-Ngalla, a rappelé tout de même que cette définition est contestée, parce que la poésie n’est pas de la peinture, ou uniquement de la peinture. Le mot qui conviendrait le mieux pour rendre compte de la poésie comme activité intellectuelle, c’est “conception”, c’est-à-dire la façon dont chacun voit une chose ou la comprend. « Sans chercher à définir la poésie, ce que j’ai pu dire d’elle, c’est qu’elle est une invitation mystérieuse venue de nulle part ; une invitation aux poètes à explorer l’envers de ce que la réalité ordinaire nous donne à voir. Le poète est cet homme qui voit des choses que beaucoup de gens ne voient pas. Le poète est celui-là qui va et revient vainqueur, il est le forgeron qui affronte le feu, ce n’est pas un être ordinaire, c’est véritablement un poète », a-t-il déclaré.

La poésie n’a rien à voir dans la formation du citoyen

S’agissant du rôle de la poésie dans la formation du citoyen, le conférencier du jour, pense que la poésie ne peut être utile à la formation de l’homme dans la cité. Même les partisans d’une certaine conception de la poésie en doutent. A l’origine, la différence de posture existentielle entre le poète et le citoyen, dresse entre eux le rapport antinomique qui fait que la poésie n’a rien à avoir dans la formation du citoyen. En effet, il y a d’un côté, le citoyen en plein exercice, dont l’existence est entièrement vouée à la vie de la République, aux choses de la cité. Et de l’autre, il y a le poète avec ses créations menant en marge de la société, une existence solitaire abandonnée sur ses rêveries… Il est à ce point l’homme des illusions et des chimères. Les soucis de l’honnête citoyen, ne sont pas les soucis du poète rêveur.

A propos, Victor Hugo pense que le poète, c’est un homme qui a les pieds ici et la tête ailleurs… Le poète est cet homme qui rêve de l’imaginaire. Et Baudelaire d’ajouter, mettre la poésie au service de l’action, ce serait une véritable hérésie… Le poète n’est pas un homme comme les autres, son génie l’isole, comme le pouvoir l’isole. Pour les partisans de la conception d’une poésie de la contemplation qui, forcément, mettent le poète à l’écart des autres, la poésie n’a pas de rôle à jouer dans la formation du citoyen. Sa place n’est pas là-bas, mais ailleurs. La place du poète est dans le recueillement… Le poète à d’autres soucis que civiques et l’éducation du citoyen n’est pas de son ressort.

Une autre conception éminemment positive

Dominique Ngoie Ngalla fait remarqur, en revanche, qu’il existe une autre conception de la poésie qui, loin d’être contemplative, reconnait que ces orfèvres du verbe, les poètes, contribuent grandement à l’éducation des hommes. Victor Hugo, écrivain du XIXe siècle, se reconnait, par son oeuvre, plus proche du citoyen, lorsqu’il s’exclame : « Ah! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! »

Notons que deux poèmes du conférencier ont été déclamés.

 

Avec Adiac-Congo par Bruno Okokana

L’instant d’adieu

octobre 1, 2010

Du fond de sa tombe sans voix
Dans les bas-fonds sans toits
Le poète dort avec sa muse
Qui s’enferme dans la cornemuse

Loin de la cité bruyante au bord de la mer
Son âme dans le village de sa terre
Repose à l’ombre de ses ancêtres
Dans le souffle du feuillage terrestre

Descendant dans le caveau de sa demeure
Dans le ventre béant de la terre
Sous le poids du crépuscule vespéral
Psalmodiant l’air de la brise temporelle

Le souvenir de sa voix académique
Aux dernières portes de l’enfer endémique
Résonne comme une audience sollicitée
Martelant ses pas vers les Champs-Élysées

Bernard NKOUNKOU