
Environ un préposé aux bénéficiaires sur dix qui avait été embauché après l’appel du premier ministre François Legault de juin 2020 ne travaille plus dans le réseau public, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux. Photo : Istock
La formation accélérée de préposés aux bénéficiaires (PAB) lancée en 2020 a permis d’embaucher 9885 préposés. Mais deux ans plus tard, après une vague de départs, il n’y a plus que 8077 préposés issus de ce programme qui travaillent toujours dans le réseau public.
Ce sont donc près de 1382 personnes, soit environ un préposé sur dix, qui ont mis fin à leur engagement dans les CHSLD, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
En juin 2020, le premier ministre François Legault avait lancé un appel à la mobilisation des Québécois pour recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires dans le réseau des CHSLD.
Mais l’épuisement lié à la surcharge de travail et la détérioration des conditions salariales, notamment avec la fin des primes COVID
, ont poussé de nombreux PAB hors du réseau de soins. La réalité difficile dans les CHSLD les a rattrapés.
Jonathan et Julie, deux PAB dans Lanaudière qui ont répondu à l’appel de François Legault, expliquent la situation intenable dans laquelle ils se trouvent. Ils se sont rencontrés durant leur formation.
Je crois malheureusement que tant que tu n’as pas mis les pieds dans cette réalité-là, tu ne peux pas voir l’ampleur [où] c’est rendu. Moi, je n’aurais jamais imaginé ça
, lance Julie.
« Moi, ça m’ébranle énormément […], c’est un réseau qui est grandement malade. »— Une citation de Julie, préposée aux bénéficiaires dans Lanaudière
Jonathan renchérit : Je me sens comme une poule pas de tête. On court sans arrêt. Il n’y a pas de temps de pause
. Il peste aussi contre les délais trop courts dont il dispose pour s’occuper des aînés dans les CHSLD. Les soins sont rapides et c’est pas complet comme on voudrait
, affirme-t-il.
Je l’ai connue, la période où on a été plus, quand on est arrivés les 8000 sur le terrain
, se souvient Jonathan. Sa collègue Julie poursuit en déclarant que d’un coup, on a été beaucoup […], capables de parler, de jouer aux cartes, de mettre du vernis. Parce que quand le « rush » du déjeuner était fini on avait du temps. Mais là, il n’y a plus de temps, là, ça va tout le temps vite
, dit-elle.
Selon Julie, la solution pour endiguer la crise de personnel passe par l’ajout de nouvelles ressources. Plus de monde, on a plus de temps
, soutient-elle, déplorant du même souffle les piètres conditions de travail.
« Donne de meilleures conditions, les gens vont être portés à aller étudier [dans le domaine], puis ça va renflouer les troupes. »— Une citation de Julie, préposée aux bénéficiaires dans Lanaudière
Une question salariale?
Pour sa part, Jonathan croit que les primes actuelles pour les heures supplémentaires ne sont pas un incitatif, car il faut que les gens aient l’énergie pour faire ça et qu’ils puissent aussi le faire, parce que les gens ont des vies à côté
.
D’après Julie, le retrait des primes représente des centaines de dollars en moins par paie. Mon fils qui est au cégep travaille à abattre des arbres et il fait mon salaire, ce n’est même pas son emploi. C’est aberrant
, s’insurge-t-elle.
Jonathan, lui, souhaite avoir une stabilité financière […]. Tu ne le fais pas pour l’argent, mais à quel prix?
, se demande-t-il. Et de faire un 8 heures de travail de plus que notre [quart]
, c’est parfois beaucoup trop, souligne-t-il.
Il ne voit pas poindre le moment où les choses vont s’améliorer dans les CHSLD. D’après lui, les conditions des préposés aux bénéficiaires vont continuer de se dégrader, ce qui ne contribuera pas à recruter davantage de personnes comme lui. Ça va s’en aller de pire en pire [sic], ça n’attirera pas les gens.
S’il se décrit comme une personne gaie, enjouée, heureuse
qui aime ce qu’elle fait, il ajoute que la réalité est là : en deux ans, j’ai [été] médicamenté
parce qu’épuisé et à bout de ressources.
« Je n’avais pas de porte de sortie. Je ne savais plus quoi faire, j’ai dû moi-même mettre un frein parce que là, c’était trop, vraiment trop. »— Une citation de Jonathan, préposé aux bénéficiaires dans Lanaudière
Julie a écrit une lettre au premier ministre Legault pour lui décrire la situation dans laquelle les PAB se trouvent. Elle implorait M. Legault, s’il vous plaît, aidez-nous, ça n’a pas de sens
.
Le Québec aura besoin de 55 000 préposés aux bénéficiaires d’ici cinq ans pour assurer la continuité des soins dans le réseau public. Or, selon Julie et Jonathan, l’entente conclue en 2021 entre leur syndicat et le gouvernement ne leur confère qu’une augmentation salariale de 2 %, et ce, sans autre prime liée à la COVID-19.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux souligne que, grâce à la formation accélérée et la formation de préposés additionnels, la proportion des travailleurs qui œuvrent à temps plein dans les CHSLD est passée de 37 à 50 %. Mais il manque toujours près de 3900 préposés aux bénéficiaires et d’auxiliaires à temps complet. Et à cela s’ajoute l’absence de nombreux employés.
Julie et Jonathan songent donc à quitter leur emploi de préposés en CHSLD, eux aussi.
Par Radio-Canada avec les informations de Rose St-Pierre