Posts Tagged ‘Préposé aux bénéficiaires’

Canada-CHSLD : plus de 1000 préposés qui ont suivi la formation accélérée ont quitté le réseau

juillet 28, 2022
Gros plan sur les mains d'une préposée aux bénéficiaires qui tient celles d'une personne âgée.

Environ un préposé aux bénéficiaires sur dix qui avait été embauché après l’appel du premier ministre François Legault de juin 2020 ne travaille plus dans le réseau public, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux. Photo : Istock

La formation accélérée de préposés aux bénéficiaires (PAB) lancée en 2020 a permis d’embaucher 9885 préposés. Mais deux ans plus tard, après une vague de départs, il n’y a plus que 8077 préposés issus de ce programme qui travaillent toujours dans le réseau public.

Ce sont donc près de 1382 personnes, soit environ un préposé sur dix, qui ont mis fin à leur engagement dans les CHSLD, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

En juin 2020, le premier ministre François Legault avait lancé un appel à la mobilisation des Québécois pour recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires dans le réseau des CHSLD.

Mais l’épuisement lié à la surcharge de travail et la détérioration des conditions salariales, notamment avec la fin des primes COVID, ont poussé de nombreux PAB hors du réseau de soins. La réalité difficile dans les CHSLD les a rattrapés.

Jonathan et Julie, deux PAB dans Lanaudière qui ont répondu à l’appel de François Legault, expliquent la situation intenable dans laquelle ils se trouvent. Ils se sont rencontrés durant leur formation.

Je crois malheureusement que tant que tu n’as pas mis les pieds dans cette réalité-là, tu ne peux pas voir l’ampleur [où] c’est rendu. Moi, je n’aurais jamais imaginé ça, lance Julie.

« Moi, ça m’ébranle énormément […], c’est un réseau qui est grandement malade. »— Une citation de  Julie, préposée aux bénéficiaires dans Lanaudière

Jonathan renchérit : Je me sens comme une poule pas de tête. On court sans arrêt. Il n’y a pas de temps de pause. Il peste aussi contre les délais trop courts dont il dispose pour s’occuper des aînés dans les CHSLD. Les soins sont rapides et c’est pas complet comme on voudrait, affirme-t-il.

Je l’ai connue, la période où on a été plus, quand on est arrivés les 8000 sur le terrain, se souvient Jonathan. Sa collègue Julie poursuit en déclarant que d’un coup, on a été beaucoup […], capables de parler, de jouer aux cartes, de mettre du vernis. Parce que quand le « rush » du déjeuner était fini on avait du temps. Mais là, il n’y a plus de temps, là, ça va tout le temps vite, dit-elle.

Selon Julie, la solution pour endiguer la crise de personnel passe par l’ajout de nouvelles ressources. Plus de monde, on a plus de temps, soutient-elle, déplorant du même souffle les piètres conditions de travail.

« Donne de meilleures conditions, les gens vont être portés à aller étudier [dans le domaine], puis ça va renflouer les troupes. »— Une citation de  Julie, préposée aux bénéficiaires dans Lanaudière

Une question salariale?

Pour sa part, Jonathan croit que les primes actuelles pour les heures supplémentaires ne sont pas un incitatif, car il faut que les gens aient l’énergie pour faire ça et qu’ils puissent aussi le faire, parce que les gens ont des vies à côté.

D’après Julie, le retrait des primes représente des centaines de dollars en moins par paie. Mon fils qui est au cégep travaille à abattre des arbres et il fait mon salaire, ce n’est même pas son emploi. C’est aberrant, s’insurge-t-elle.

Jonathan, lui, souhaite avoir une stabilité financière […]. Tu ne le fais pas pour l’argent, mais à quel prix?, se demande-t-il. Et de faire un 8 heures de travail de plus que notre [quart], c’est parfois beaucoup trop, souligne-t-il.

Il ne voit pas poindre le moment où les choses vont s’améliorer dans les CHSLD. D’après lui, les conditions des préposés aux bénéficiaires vont continuer de se dégrader, ce qui ne contribuera pas à recruter davantage de personnes comme lui. Ça va s’en aller de pire en pire [sic], ça n’attirera pas les gens.

S’il se décrit comme une personne gaie, enjouée, heureuse qui aime ce qu’elle fait, il ajoute que la réalité est là : en deux ans, j’ai [été] médicamenté parce qu’épuisé et à bout de ressources.

« Je n’avais pas de porte de sortie. Je ne savais plus quoi faire, j’ai dû moi-même mettre un frein parce que là, c’était trop, vraiment trop. »— Une citation de  Jonathan, préposé aux bénéficiaires dans Lanaudière

Julie a écrit une lettre au premier ministre Legault pour lui décrire la situation dans laquelle les PAB se trouvent. Elle implorait M. Legault, s’il vous plaît, aidez-nous, ça n’a pas de sens.

Le Québec aura besoin de 55 000 préposés aux bénéficiaires d’ici cinq ans pour assurer la continuité des soins dans le réseau public. Or, selon Julie et Jonathan, l’entente conclue en 2021 entre leur syndicat et le gouvernement ne leur confère qu’une augmentation salariale de 2 %, et ce, sans autre prime liée à la COVID-19.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux souligne que, grâce à la formation accélérée et la formation de préposés additionnels, la proportion des travailleurs qui œuvrent à temps plein dans les CHSLD est passée de 37 à 50 %. Mais il manque toujours près de 3900 préposés aux bénéficiaires et d’auxiliaires à temps complet. Et à cela s’ajoute l’absence de nombreux employés.

Julie et Jonathan songent donc à quitter leur emploi de préposés en CHSLD, eux aussi.

Par Radio-Canada avec les informations de Rose St-Pierre

Un « ange gardien » bientôt expulsé du Canada

mars 23, 2022

Puisqu’il n’a pas travaillé durant la première vague de la pandémie, un préposé aux bénéficiaires d’origine algérienne n’a pas pu bénéficier du programme spécial de régularisation des demandeurs d’asile après avoir pourtant « tout donné ».

Malgré un emploi comme préposé aux bénéficiaires, Chemseddine Khafrabbi devra prochainement quitter sa femme et sa fille. Photo : Gracieuseté

Son rêve canadien s’apprête à prendre fin. De la plus triste et la plus brutale des manières.

Jeune père de famille et préposé aux bénéficiaires, Chemseddine Khafrabbi, 33 ans, n’a plus qu’une seule option devant lui : prendre son billet d’avion vers l’Algérie, pour éviter de repartir menottes aux poignets dans son pays d’origine. Un aller simple, sans retour.

Je suis si triste. Je ne peux pas laisser ma famille ici, lâche-t-il, la voix tremblante et les larmes aux yeux, après une nouvelle nuit passée au boulot dans une résidence pour aînés de Boucherville, ponctuée d’un passage dans les locaux de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), où on l’a informé de son renvoi prochain.

« Je n’ai jamais imaginé quitter un jour le Canada. J’ai une petite famille maintenant. Je suis venu au Canada pour changer de vie. Au Canada, on se sent protégé. »— Une citation de  Chemseddine Khafrabbi

D’ici le 16 avril, ce travailleur de la santé, arrivé au Québec en 2017, doit quitter le Canada. Malgré des dangers qui l’attendraient en Algérie et des menaces qu’il dit y avoir subies, Chemseddine Khafrabbi a vu sa demande d’asile être rejetée. Et même si une demande humanitaire est toujours en cours, les agents frontaliers lui ont donc demandé de quitter expressément le territoire.

Chemseddine Khafrabbi est préposé aux bénéficiaires depuis l’été 2020. Il travaille désormais dans une résidence pour aînés. Photo : Gracieuseté

Un programme de régularisation non accessible

Pourtant, son avenir aurait pu s’inscrire au Québec. À quelques détails près.

Père d’une petite fille de 3 mois, il a commencé, après la première vague de la pandémie, une formation pour devenir préposé aux bénéficiaires. Les besoins, à l’époque, étaient immenses et le gouvernement du Québec recherchait des milliers de travailleurs pour prendre soin des aînés.

Je voulais aider les gens, les personnes âgées. J’aime ça. Il y avait beaucoup de travail et de besoins, confie-t-il, en serrant dans ses bras sa petite Taline, dans un parc montréalais.

Rapidement, il trouve du boulot. Après un passage, dès août 2020, dans une agence de placement, il rejoint une résidence sur la rive sud de la métropole. Et assiste, avec espoir, au lancement d’un programme de régularisation visant ceux qui ont communément été appelés, par les élus politiques, les anges gardiens.

Problème, les critères d’accès sont stricts. Malgré le souhait explicite d’Ottawa et la pression de multiples organismes et élus d’opposition, le gouvernement Legault a refusé d’élargir ce programme à tous ceux qui ont travaillé au-delà du printemps 2020 dans le système de santé.

« Pour le moment, le MIFI ne prévoit pas une prolongation au Programme spécial des demandeurs d’asile en période de COVID-19. »— Une citation de  Émilie Vézina, porte-parole du ministère québécois de l’Immigration

Seuls ceux ayant cumulé plusieurs mois de travail à cette période, uniquement, ont donc pu postuler à cette initiative réservée aux demandeurs d’asile qui permet d’obtenir une résidence permanente.

Selon l’avocat Guillaume Cliche-Rivard, le renvoi de Chemseddine Khafrabbi est une décision qui n’a « aucun sens ». Photo : Radio-Canada

Un manque d’ouverture de Québec décrié

Poussette à la main, l’épouse de Chemseddine Khafrabbi peine à trouver ses mots.

C’est si injuste. Il a travaillé dans une période très difficile. Beaucoup de monde restait à la maison, refusait de travailler. Lui, il était présent durant la 2e, la 3e, la 4e et la 5e vague. Il a fait des heures supplémentaires, il a tout donné, confie Lynda Abdelli, elle aussi demandeuse d’asile et préposée aux bénéficiaires.

Leur avocat, Guillaume Cliche-Rivard, déplore le manque d’ouverture de Québec. Ce programme, c’est une belle chose. Mais il y a eu des efforts surhumains faits par des travailleurs durant toutes les autres vagues. Et ces gens-là, on les a oubliés. Chemseddine remplit tous les critères, il a l’expérience, il a cumulé des centaines d’heures, mais seulement après la première vague.

« S’il y avait eu une deuxième phase de ce programme, on n’en serait pas là. Malgré tout ce qu’il a fait, malgré nos besoins et les manques criants dans le réseau de la santé, on dit à un préposé de quitter le Canada. C’est un non-sens. »— Une citation de  Guillaume Cliche-Rivard, avocat en immigration

À ses yeux, des centaines, voire des milliers de travailleurs essentiels, dans tous les pays, pourraient prochainement subir le même sort. Il n’est pas le dernier, croit-il.

Si du jour au lendemain on retire du système de la santé au complet ou de l’économie canadienne l’ensemble des travailleurs essentiels sans statut, on va réaliser qu’ils sont beaucoup plus essentiels qu’on ne le pense. Il va y avoir des conséquences, des pénuries, des bris de service, estime Guillaume Cliche-Rivard.

Des milliers de renvois

Malgré la pandémie, de nombreuses expulsions ont été décrétées par le gouvernement fédéral au cours des derniers mois.

Entre mars 2020 et février 2022, « l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a exécuté 18 418 renvois, dont environ 11 299 étaient des renvois administratifs », indique Dominique McNeely, porte-parole de l’ASFC. Un renvoi administratif a lieu lorsque l’ASFC a été en mesure de confirmer par d’autres sources que l’étranger a déjà quitté le pays, précise-t-il.

En 2020, plusieurs manifestations ont été organisées pour demander la régularisation de ces demandeurs d’asile qui ont travaillé durant la pandémie. Photo : La Presse Canadienne/Graham Hughes

Un nombre de bénéficiaires en deçà des attentes

Au total, sur l’ensemble du pays, près de 6000 dossiers ont été déposés pour ce programme spécial, ouvert entre le 14 décembre 2020 et le 31 août 2021. Une grande majorité de ces demandes proviennent de l’Ontario.

Au Québec, un peu plus de 2000 demandes de sélection ont été reçues par le gouvernement provincial. Celles-ci représentent 4113 personnes.

En date du 4 mars, les dernières données disponibles, les trois quarts de ces dossiers ont été finalisés. Ainsi, 3326 personnes ont obtenu un certificat de sélection du Québec, une étape indispensable avant d’avoir la résidence permanente.

Ce chiffre est nettement en deçà, pour l’instant, des projections. Lors du lancement de cette initiative, la Maison d’Haïti évoquait l’idée de régulariser près de 10 000 travailleurs.

En juin 2021, il était estimé que le nombre global de personnes qui pourraient être concernées par une demande dans le cadre du Programme spécial des demandeurs d’asile en période de COVID-19 serait d’environ 4000 à 6000 personnes, incluant les requérants principaux et les personnes à charge accompagnatrices, souligne de son côté le gouvernement Legault.

C’est décevant, juge l’avocat Stéphane Handfield, qui, à l’instar d’autres experts, critique depuis des mois la bureaucratie à l’absurde.

Postuler à travers le Québec, c’est beaucoup plus complexe. On exigeait des documents originaux que les travailleurs n’avaient pas ou ne pouvaient pas avoir, car on est en pandémie, rappelle-t-il.

« On avait projeté l’image d’un programme beau et grand. On voulait remercier et reconnaître le travail de ces gens sur la ligne de front. Mais maintenant, on voit que ce n’était pas si grandiose. »— Une citation de  Stéphane Handfield, avocat en immigration

Ce dernier cite l’exemple d’un couple qui se bat avec l’administration québécoise. La conjointe remplit tous les critères, elle est préposée aux bénéficiaires depuis le début de la pandémie, mais l’agent d’immigration ne veut pas prendre en compte son expérience, car son mari est le demandeur principal de leur demande d’asile. On marche sur la tête, raconte-t-il.

Ce qu’on fait vivre à certaines personnes, ça n’a ni queue ni tête, regrette celui qui se présentera cet automne aux élections provinciales sous la bannière du Parti québécois. Beaucoup vivent dans l’incertitude, et c’est dommage.

Selon le ministère de l’Immigration du Québec, le délai moyen de traitement est d’environ 35 jours.

« Par contre, plusieurs demandes font actuellement l’objet d’un délai d’examen plus long, indique Émilie Vézina. En effet, plusieurs dossiers ont nécessité un examen plus approfondi et ont requis un complément d’information de la part du candidat pour permettre de rendre une décision, allongeant ainsi les délais. »

Avec Radio-Canada par Romain Schué