Les propos d’Alphonse Souchlaty Poaty, contenus dans cette interview, sont à faire couper le souffle. D’une précision chirurgicale, il donne les noms, les lieux, le moment, des faits pour lesquels il incrimine Denis Sassou Nguesso. Ancien premier ministre de 1989 à 1990, il accuse Sassou d’être un criminel hors pair, qui a fait du Congo, une république bananière. Sans passer par quatre chemins, il demande, sans hésiter, la démission de Denis Sassou Nguesso tout en s’insurgeant contre le changement de la constitution.
AFRIQUEDUCATION : Vous êtes un ancien premier ministre du Congo, installé entre la France, l’Afrique du Sud et le Congo. Vous n’êtes plus très actif dans la politique et vous ne militez dans aucun parti politique. Vous avez quitté les affaires publiques, exactement, le 3 décembre 1990, c’est-à-dire, il y a 25 ans. Pourquoi faites-vous l’objet d’un harcèlement, sans cesse, ni vu ni connu, du président, Denis Sassou Nguesso ? En 1993, alors que le Congo était présidé par le professeur, Pascal Lissouba, et que vous n’étiez qu’un simple citoyen, Sassou vous a fait kidnapper, à l’aéroport de Johannesburg, en Afrique du Sud, sous la présidence de Thabo Mbeki. Que s’est-il, réellement, passé et comment vous en êtes-vous sorti ? D’autre part, vous avez, déjà, été empoisonné une vingtaine de fois, ce qui peut paraître excessif. Pourtant, c’est vrai. Comment cela s’est-il passé et comment vous en êtes-vous sorti indemne ?
Alphonse Souchlaty Poaty : Je dois tout d’abord vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer par votre grand média. Il y a bien longtemps que je suis sorti de la politique par la grande porte, en démissionnant des fonctions de premier ministre que j’assurais jusqu’au 3 Décembre 1990 dans mon cher Congo ! En rompant le silence, je voudrais vous dire pourquoi j’ai refusé de cautionner la comédie du pouvoir tel que le concevait et le conçoit toujours le Président Denis Sassou Nguesso dans sa quête de puissance absolue.
Je suis parti de la primature de mon propre chef, ce que Sassou déteste. Il l’avait pris pour un affront, estimant sans doute qu’il lui appartient seul de nommer et de destituer les membres du Gouvernement. C’est pourquoi, il m’en veut terriblement jusqu’à présent.
Pour lui, j’aurais commis un crime de lèse-majesté en lui remettant une lettre caustique en pleine réunion du bureau politique du PCT sans l’avoir préalablement averti au moment où la classe politique et le peuple congolais réclamaient des changements démocratiques, que ni le PCT ni lui-même ne voulaient mettre en œuvre. Or, moi je ne suis pas un homme de parti ou d’appareil. Je suis un homme d’Etat et j’ai toujours agi comme tel.
Vous me parlez de commando armé qui s’était introduit chez moi. C’est vrai, l’histoire se passe dans la nuit du 12 au 13 juillet 1993 à 3 heures du matin dans l’enceinte de ma maison sise devant le Palais de justice de Brazzaville. Je fus l’objet d’une attaque à la kalachnikov par 5 personnes qui tirèrent plusieurs coups de feu. Je sursautai de mon lit en plein sommeil et me jetai sans arme dans la mêlée au milieu de mes 4 gardiens ragaillardis.
Mais après une dizaine de minutes, les assaillants prirent la fuite emportant un blessé grave dans leur rang et laissant pour mort mon frère cadet Nestor qui s’était hasardé dehors. Il ne put se remettre de ce malheur qu’après une dure opération chirurgicale réalisée en urgence par le médecin Colonel Zamba de l’hôpital militaire et un long séjour médical à Johannesburg. Il est actuellement privé de l’usage de ses jambes. Je ne cesserai jamais de remercier cet excellent praticien et avec lui tout le corps médical en service durant cette nuit d’enfer.
Quant aux empoisonnements, multiples et variés que j’ai subis, ils m’ont été administrés exactement à vingt reprises à l’extérieur, dans ma maison, à l’occasion des banquets officiels, parfois, par ceux et celles que je tenais en affection mais qui ont été retournés par le pouvoir politique en place qui tient à m’éliminer et dont la pratique quasi-quotidienne de l’empoisonnement a pris ces derniers temps un tournant institutionnel effrayant.
Vous voulez savoir comment je m’en sors ? Que puis-je vous dire sinon que je suis un chrétien fervent, toujours plongé dans la prière au moins sept fois par jour, où que je puisse me trouver. Il faut donc prier, prier sans cesse.
Et puis, sachez que le bon Dieu a fait tous les êtres vivants chacun avec ses anticorps, ses protections naturelles, son ange gardien, bref, vous avez peut être été un jour tenté par le démon et réussi à vous en sortir sans même que vous le sachiez. Mais rien ne remplace la prudence que la sagesse cosmique confère à l’homme. Simple mortel, quand j’irai rendre compte à mon Seigneur de ce que j’aurai subi dans ma courte vie sur terre, je souhaiterais qu’IL me dise : mon fils, tu as bien appliqué mes préceptes, siège à la droite de mes oints.
Toujours voué aux attaques de tous genres, j’ai été victime de deux incendies dont on peut penser qu’ils étaient criminels, en 1987 et 2004. Leur mode opératoire, leur brutalité et leur caractère inattendu le laissaient penser, mais je n’en tirai aucune conclusion qui pût hypothéquer les bonnes relations que j’avais avec mon entourage et à l’extérieur alors que j’étais ministre. L’incendie de 1987 me laissa pantois en considération des ravages causés en archives, ouvrages et matériels divers. Je courus en voiture comme un bolide lorsque je fus alerté du voisinage, trouvant sur place les pompiers qui ne purent m’arrêter de pénétrer les yeux fermés, dans l’immeuble en feu assombri par la fumée, pour rechercher à tâtons ce qui valait la peine d’être sauvé. Lorsque je refis surface, l’air ahuri, les habits et les cheveux brûlés de tous côté par le feu, tout le monde se mit à pleurer, mon épouse s’évanouit pour reprendre vie à l’hôpital général et ma mère faillit se suicider. Cependant, plus de peur que de mal, hormis les dégâts matériels, il n’y eut aucun mort ni blessé. On pouvait craindre des explosions à cause de quelques armes et munitions stockées dans une dépendance, mais celles-ci furent purement et simplement dissoutes, ratatinées comme un amas de cire, sans aucune conflagration. Je remerciai le Seigneur pour cette marque de présence en moi et dans ma vie.
En 2004, l’incendie fut d’une toute autre gravité, détruisant l’ensemble de la maison de la toiture aux murs, sans épargner le moindre objet, les pompiers étant arrivés avec 30 minutes de retard. Je fis le pari de dormir pendant deux semaines dans ce qui restait de ma maison, surnageant dans un lac d’eau grossi par les pluies diluviennes qui s’abattaient sur Pointe-Noire. Ici encore comme à Brazzaville, aucun décès ne fut déploré et la dotation en armes et munitions que j’avais reçue du gouverneur civil et militaire se transforma en objets informes, telle la pâte du forgeron sortie du four incandescent, au grand étonnement des pompiers. J’étais dans mon bureau de travail lorsque l’incendie se déclara à l’autre bout du bâtiment. Dieu voulut que personne des miens n’en mourût, n’en déplaise à Sassou et autres méchants qui me poursuivent par tous les moyens, tous les temps et toutes les latitudes.
En ce qui concerne l’affaire de mon rapt à Johannesburg, elle fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, car bien avant et bien plus tard, ont été commis une série d’actes attentatoires à ma liberté et à ma vie. Le cas que vous évoquez est en effet caractéristique de la volonté de nuire, non seulement, de me nuire à moi mais de nuire à tous ceux qui expriment librement et paisiblement leurs droits à la différence d’une manière ou d’une autre. Et moi, je ne suis pas de nature à me faire taper sur les doigts, d’autant plus que je n’avais pas sollicité le poste que d’aucuns eussent peut être mérité plus que moi qui n’étais pas membre du PCT, Parti-Etat, exclusif et tout-puissant.
Voici donc que le matin du 4 août 2006, je me trouvai à l’aéroport de Pointe-Noire en partance pour Johannesburg pour assister au procès de la mort accidentelle de mon petit fils Joé Typaul. J’y rencontrai Alexandre Honoré Paka, préfet de Pointe-Noire qui se rendait à Brazzaville. Il me fit savoir que le Président a interdit les sorties du pays pour les responsables en prévision de la fête nationale du 15 août. Alors je lui rétorquai que je n’étais responsable de rien, étant retraité depuis 10 ans et installé dans mon village. Que ne m’a-t-il averti depuis Mboukou pour me dire que j’étais assigné à résidence ! Puis, prenant congé de lui, je montai dans l’avion de la TAAG pour Johannesburg via Luanda.
Arrivé au comptoir de la police des frontières, je fus séparé de la ligne de contrôle des passeports et amené devant un capitaine qui me notifia purement et simplement mon incarcération pour faux visa. Comme je lui disais qu’il m’est impossible de frauder un visa alors que je dispose d’une maison en ville avec une famille et que je suis un ancien premier ministre, il me demanda de le justifier. Ce que je fis en lui présentant mon passeport diplomatique et copie de mon titre de propriété, en plus de mon passeport ordinaire qu’il détenait déjà en mains. Qu’importe, dit-il en maugréant tout en confisquant mes papiers. J’eus recours à l’Ambassade du Congo par téléphone afin qu’elle m’apportât aide et assistance conformément aux conventions internationales. Mais les agents consulaires appelés à la rescousse à 14h ne se présentèrent qu’à 19h au bureau du capitaine.
Et, après 15 minutes d’entretien, ils quittèrent les lieux, sans me dire quoi que ce soit ni à l’arrivée ni au retour. De sorte que j’étais livré entre les mains d’un policier abusif et brutal, sans autre justification que l’accusation fallacieuse et tout à fait infondée de « faux visa ». Lorsque je lui demandai de me ramener dans l’avion pour que je reparte dans mon pays, il s’énerva et me conduisit de force dans une geôle attenante anciennement utilisée par les racistes blancs du régime d’apartheid. Il me fouilla, confisqua ma mallette et mon téléphone, me déshabilla jusqu’à me laisser à demi-nu avant de me précipiter dans la geôle où je devais séjourner pendant 5 jours dans des conditions inhumaines d’insalubrité. Privé de mes produits pharmaceutiques, d’eau potable et de nourriture saine, je me croyais déjà en enfer, sentant ma mort imminente malgré la sympathie ambiante de sept codétenus philippins en rupture de ban. Mais je survécus par miracle si j’ose ainsi m’exprimer, et le 8 août 2006, je fus libéré et conduit au pas de charge dans l’avion de la TAAG pour Pointe-Noire avec ordre au personnel de bord de ne me laisser parler avec personne, de crainte, sans doute qu’une personne des Droits de l’homme pût par hasard capter mes complaintes de supplicié.
Là, je fus accueilli à la descente de l’avion par 4 agents de la police politique (commandant Jean Claude Moungoto, commandant Maurice Obambi, lieutenant Pierre Mouy et adjudant Bounda Aymet Sérina) qui voulurent m’interroger quelque part en secret, ce que je refusai catégoriquement devant des passagers interloqués. Finalement, on fit les 100 pas du piéton jusqu’à ma résidence située à 100 m de l’aéroport. Devant ma famille en pleurs, je répondis aux questions des inspecteurs entrecoupés de nombreux coups de fils de Mpila et de la Sécurité d’Etat qui voulaient savoir ce que j’avais pu dire, craignant probablement que je misse en cause le président Sassou et les autorités sud-africaines. Mais sur le coup je ne me découvris point jusqu’à mon départ à Brazzaville le 5 septembre 2006 en vue d’en savoir plus sur mon infortune.
Dans ma chambre d’hôtel, je reçus dès mon arrivée Monsieur Antoine Evoundou, directeur général de la Sécurité d’Etat qui me remit mes deux passeports confisqués en Afrique du Sud. Il me présenta ses « excuses pour tout ce qui m’était arrivé », sans préciser si c’était en son propre nom ou en celui du chef de l’Etat. Il promit de lui en parler, mais je ne le revis guère jusqu’à mon retour à Pointe-Noire le 10 septembre. Aux Affaires Etrangères où j’étais parti m’entretenir avec le Ministre Rodolphe Adada, je lis à son attention le procès-verbal de mon audition par les agents de police à Pointe-Noire ; il voulut le conserver par devers lui, mais je le priai d’en prendre copie à la présidence. Je lui exprimai mon étonnement devant la carence pour le moins coupable de ses services de Prétoria. Il me rétorqua textuellement que « le Congo n’allait tout de même pas envoyer son artillerie pour vous libérer ». Je pris cette admonestation pour gratuite et inconsidérée.
A moins qu’il ne sache pas bien manier la langue de Molière, ce que je ne crois pas, l’expression « tout de même pas », supposait que le Congo eût fait en vain ce qu’il convenait pour aller à ma rescousse. Or, ainsi que je l’ai dit plus haut, personne, absolument personne n’a bougé le petit doigt. De guerre lasse, je lui demandai de me faire faire un nouveau passeport diplomatique à la place de celui qui a été confisqué. Il me rétorqua comme s’il parlait à un Congolais lambda : « le passeport diplomatique n’est pas un droit, Monsieur ». Son directeur de Cabinet qui assistait à l’entrevue, montra de la tête un signe de gêne et de tristesse. Et moi, « vieil homme recru d’épreuves» dixit Charles de Gaulle, je repris le chemin de Pointe- Noire dès le lendemain, non sans avoir laissé mon passeport ordinaire à l’Ambassade de l’Afrique du Sud pour qu’on me confirmât ou non la validité du visa contesté, objet de ma longue et malencontreuse garde à vue.
Que dire de ce ministre, apprenti serviteur de l’Etat, infatué d’arrogance, creux de réalisation et dont les services offerts aux administrés laissaient à désirer. Comment peut-il oser à ce point, me faire la leçon du service public dont il est évident qu’il maîtrise mal les tenants et les aboutissants. S’agit-il d’une erreur d’appréciation, d’une provocation ou des miasmes du rapt ? En effet, quelles autres qualités eussent été nécessaires pour décrocher le fameux sésame ? 40 ans de bons et loyaux services au niveau de l’Etat ; 4 fois DG de structures administratives, techniques et financières ; 4 fois ministre, 1 fois premier ministre, respectueux de l’autorité établie et des lois de la République, amoureux du travail bien fait, titulaire de la médaille de Grand Officier de l’Ordre du Mérite Congolais depuis 1975, je mérite autant que quiconque d’avoir un passeport diplomatique. Quelques jours plus tard, je fis encore le voyage de Brazzaville où j’étais conforté dans la certitude que mon visa était parfaitement régulier. Bien plus les autorités consulaires sud-africaines, après vérifications et contact auprès de « Home Affairs », me donnèrent un nouveau visa alors que le capitaine m’avait interdit désormais de mettre pieds dans ce pays. C’était, on le voit bien, la volonté du potentat militaire de Mpila, ce que je perçus depuis mon incarcération d’autant plus que le fameux capitaine téléphonait à une autorité qui devait être aux Affaires Etrangères ou à la présidence. Ma mort, soigneusement préparée était inéluctable, sinon, par crise cardiaque, du moins, par défaut de traitement sur bêtabloquant et inhibiteur composant mon traitement d’hypertension. On pouvait alors jeter mon corps de métèque, ni vu ni connu dans un trou quelconque et le criminel-né n’eût que ses condoléances « les plus attristées » à présenter et son cirque funéraire du palais des Congrès à organiser aux yeux de l’opinion nationale et internationale.
Un journal proche de Sassou a prétendu à l’époque que celui-ci était intervenu auprès du président sud-africain Thabo Mbeki pour me libérer et d’ajouter, je cite de mémoire : Souchlaty Poaty devrait faire comme son frère Kolelas, à savoir rejoindre le camp de la paix. Rien de plus faux et de plus mensonger, le président Mbeki n’était nullement au courant de l’affaire. Pourquoi devais-je pactiser avec un soi-disant camp de la paix alors que je suis moi-même un homme de paix, cette paix que Sassou n’a cessé de troubler depuis des lustres et tout récemment encore en fomentant la guerre du 5 juin 1997 au Congo. Il parle de paix, de sa paix feinte, alors que le peuple congolais aspire à une vraie paix inconditionnelle.
La Situation du Congo, aujourd’hui, est explosive. Peut-on la comparer à celle qui avait prévalu, en 1990, quand, premier ministre du Congo, vous aviez marqué votre accord, contre l’avis de Sassou, à la tenue de la Conférence nationale souveraine de 1991 ?
Explosive dites-vous, la situation politique au Congo l’est effectivement à cause des manigances de Sassou Nguesso qui veut absolument changer de Constitution pour se perpétuer au pouvoir en dépit du bon sens. Et pour ce faire, il procède par la manipulation, l’intimidation, l’achat des consciences, l’agitation tribale et l’intrigue politicienne, allant jusqu’à faire croire que c’est le peuple congolais souverain qui le veut ainsi. Il agite l’épouvante des troubles à l’ordre public et de la guerre civile, met en garde les partisans du respect et de la stabilité des Institutions. Comme si le meilleur moyen d’éviter les troubles et la guerre ne consistait pas précisément à garder le statu quo ante, à respecter l’ordre constitutionnel et les lois de la République.
Hormis une frange des membres du PCT, la presque totalité des partis politiques et associations civiles, épris de paix et de démocratie, soutiennent l’application rigoureuse de la Constitution du 20 janvier 2002. Cette Constitution, même ses détracteurs de dernière heure le reconnaissent, a permis d’apporter la paix dans le pays. Que le PCT se gausse aujourd’hui de ce que certains leaders de l’opposition aient pu se déclarer contre ladite constitution, à l’occasion des campagnes présidentielles précédentes, démontre son caractère non démocratique. Car dès lors qu’une loi est adoptée et rendue exécutoire, que reste-t-il à un démocrate, n’est-ce pas de l’appliquer, même après l’avoir combattue ? Qu’on se souvienne de la Constitution française du 4 octobre 1958 et des réserves que le candidat Mitterrand émettait. Ne l’a-t-il pas respectée après son élection à la présidence le 10 mai 1981 ? Il s’en était conformé, certainement, plus scrupuleusement que ne l’eût fait le fondateur de la cinquième République lui- même ?
La détermination morbide de Sassou Nguesso de vouloir se maintenir à la tête du Congo, sous des lois nouvelles, taillées à sa mesure, à quelques mois de la fin de son mandat et de l’élection d’un autre président, est un acte d’incivisme, de rupture de serment et de forfaiture qui correspond à troubler l’ordre public et la paix. C’est donc bien lui Sassou, en chair et en os, dont on connaît le machiavélisme destructeur, qui veut troubler l’ordre public et personne d’autre. Qu’on se le dise et qu’on ne se fasse pas leurrer !
Actuellement, le débat sur le changement, ou non, de la constitution, au Congo, bat son plein. De quel côté vous situez-vous et pourquoi ?
De quel côté voulez vous que je me situe, cher Monsieur ? Evidemment, je suis du côté du peuple et des forces démocratiques qui luttent pour bouter Sassou Nguesso hors du pouvoir par la seule voie qui vaille, celle de l’application intégrale des lois de la République et, d’abord, de la loi fondamentale qui est la Constitution du 20 janvier 2002. Si toutefois cette constitution devait être amendée ce n’est point maintenant qu’il faut le faire, par le diktat de Sassou, mais, sous l’égide des nouvelles autorités politiques issues des élections libres et transparentes qui seront organisées après son départ du pouvoir. Sassou est en train de jouer à cache-cache sur la Constitution comme un petit garçon jouerait à la marelle dans la cour de récréation. Il se cache derrière le peuple qui lui aurait demandé de changer la Constitution, alors que c’est lui- même qui est l’initiateur du changement, pour faire évoluer les institutions, dit-il sans gêne. Une imposture digne de l’homme des actions concrètes, mais, si elle peut passer vis-à-vis des incultes, elle est risible face à des observateurs étrangers, comme lors de sa récente conférence de presse à Bruxelles. A en pleurer, car le Congo mérite mieux. Il est en effet proprement scandaleux qu’un dictateur à ce point notoire puisse se prévaloir d’un prétendu appel du peuple congolais asservi. Pour quoi faire alors ? Continuer de l’asservir ?
Sur le changement de la Constitution, et, en raison de l’importance du sujet, laissez-moi d’abord, cher Monsieur, vous faire un rappel historique de la chevauchée fantastique et méphistophélique de Sassou vers le pouvoir absolu, en éliminant sur son chemin tous ceux qui étaient capables de le gêner ou de lui barrer la voie, avant de vous présenter l’homme qu’est Sassou Nguesso.
Je veux m’employer à esquisser ce que selon moi doit être le bon gouvernement de la République et le travail qui l’attend après le départ de celui qui a accaparé les reines du pays voici aujourd’hui un demi-siècle, car son influence maléfique ne date pas seulement de 1979. Elle trouve son origine lointaine dans les tâtonnements de Marien Ngouabi pour asseoir son autorité et son pouvoir attaqué de toutes parts.
C’est en effet Sassou qui était aux commandes sous Marien avec des pouvoirs de police et de sécurité exorbitants du droit commun, lui permettant de manipuler le président Marien Ngouabi, de l’épier, de le filer, de capter ses communications, ses confidences et finalement de le rendre vulnérable.
Il est évident que celui qui détient la Sécurité nationale et l’Armée, détient le pouvoir d’Etat. Et c’est lui qui est à la barre depuis l’assassinat de Marien après avoir été aux commandes.
Le changement de la Constitution du 20 janvier 2002, voulu et initié par Denis Sassou Nguesso, est en réalité un faux problème, un faux débat jeté dans la rue par un habitué des actes dits fondamentaux destinés à réguler des coups d’Etat constitutionnels ou de Palais.
La Constitution dans son article 185 prévoit les mécanismes de sa révision et le président de la République qui a juré solennellement de la respecter doit l’appliquer scrupuleusement telle quelle, sous peine de forfaiture, dès le jour qu’il osera déclarer que par référendum ou d’autres artifices, la constitution est devenue mauvaise et doit être changée. Si tel est le cas, il doit demander sa révision et non son changement. Or, un changement suppose un événement majeur qui, du fait de son imprévisibilité n’entre pas dans le champ du constituant primaire. Par conséquent, comme tout texte normatif, la Constitution du 20 janvier 2002 ne prévoit guère la possibilité de son changement, encore moins, dans ses dispositions touchant au nombre limite de mandats du Chef de l’Etat, même si le second verrou portant sur la question de l’âge peut faire l’objet de révision.
Aujourd’hui encore comme hier, Sassou Nguesso dans sa soif effrénée de pouvoir ne s’y prend pas autrement. Il veut opérer un passage en force. Qu’on se souvienne de ces antécédents qui restent ancrés dans les mémoires des Congolais. A la mort du président Marien Ngouabi, c’est Sassou qui, ayant l’initiative des opérations militaires, sécuritaires et politiques, créa le Comité Militaire, affublé par la suite de l’accolade « du Parti » qui le fit s’appeler CMP.
Thystère Tchicaya, paix à son âme, auteur de l’accolade voulait ainsi faire atténuer le caractère putschiste du comité militaire. Mais l’acte fondamental du 5 Avril 1977 créant cet organe dirigeant ne laissa aucune place ni à Alphonse Mouissou-Poaty, président de l’Assemblée Nationale, qui aurait dû constitutionnellement succéder au Chef de l’Etat assassiné, ni au n° 2 du Parti-Etat, Jean Pierre Thystère Tchicaya, Membre de l’Etat-major Spécial Révolutionnaire (EMSR), chargé de la permanence et de l’idéologie.
A son accession définitive au pouvoir le 5 février 1979, après une fausse passe à Yhombi à la fin des obsèques, Sassou fit adopter par référendum le 8 juillet 1979 une constitution qui normalise son pouvoir dans le cadre du PCT en rangeant le CMP dans les tiroirs de l’histoire. Homme d’apparence qui ne montre jamais ce qu’il est, en cachant ses véritables intentions, Sassou Nguesso s’érigea alors en « homme des masses ».
Par-là, il s’était posé en « digne continuateur de l’immortel Marien Ngouabi » en s’opposant à « l’impérialisme et au courant droitier » incarné selon lui par Joachim Yhombi Opango.
Le 15 octobre 1997, après l’intermède démocratique de la Conférence Nationale Souveraine et des institutions qui s’en sont suivies, Sassou fomente la guerre civile du 5 juin 1997 dont il sort gagnant en grande partie grâce aux troupes étrangères coalisées, angolaises, centrafricaines, tchadiennes, zaïroises de Mobutu en déshérence, venues en renfort des milices cobras.
Il fait adopter le 24 octobre 1997 par référendum et dans un pays encore en guerre du moins dans le Pool et la Lékoumou un acte fondamental et s’arroge une transition flexible de 5 ans.
Le 20 janvier 2002, Sassou fait adopter par référendum une constitution qui exclut tous ses adversaires potentiels par deux verrous dirimants : le nombre de mandats et l’âge des candidats ainsi que leurs casiers judiciaires. Sachant qu’il avait déjà passé 5 ans au pouvoir après la guerre, que ses concurrents étaient atteints par la limite d’âge, les condamnations par faits de guerre et de crimes économiques qu’il ne tenait qu’à lui de déterminer en tant que procureur et juge à la fois, on peut se rendre compte de sa duplicité consubstantielle. Et c’est bien cette Constitution que Sassou veut changer aujourd’hui pour se perpétuer au pouvoir en l’élaguant de toutes dispositions qui lui ont permis, en combattant sans péril de vaincre sans gloire.
Tel est pris qui croyait prendre, dit le dicton populaire. Il veut changer une Constitution qui lui a tout permis : un pouvoir sans partage et sans contrepoids parlementaire, judiciaire, administratif, politique et sociétal ; un usage abusif des forces armées et de la police ; une utilisation personnelle et discrétionnaire des finances publiques ; une propension au mensonge et à la fraude électorale ; des actes prémédités de torture, d’empoisonnement et d’assassinat ciblés ; bref, une gestion crapuleuse, calamiteuse et clanique de l’Etat.
Comme à la Conférence nationale souveraine de juin 1991, il semble se préparer à son jeu favori d’autocritique pour pouvoir reprendre incontinent les mêmes errements qui l’ont perpétué au pouvoir 32 ans durant ou un demi-siècle si l’on considère que derrière Marien Ngouabi, c’est lui qui était aux commandes du navire, tanguant pour obscurcir l’horizon, en eau trouble à travers vents et marées.
En effet, pour remonter 46 ans en arrière avec la prise de pouvoir par Marien Ngouabi, il faut dire que Sassou Nguesso joua, à la tête des jeunes officiers du Nord, le rôle d’aiguillon inspirateur de la direction sensiblement régionaliste que prit le CNR. Marien n’avait pas a priori de penchant sur le pouvoir politique. Tout intrépide qu’il fût sur le plan militaire, il ne maîtrisait pas les rouages et les subtilités de l’Etat et se serait volontiers cantonné à la tête de l’Armée. Mais Sassou Nguesso l’en persuada dans l’optique du pouvoir Nord, au point de suggérer l’acte fondamental octroyé du 1er janvier 1969, qui fut le premier du genre en Afrique, rappelant à s’y méprendre l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire d’inspiration monarchiste de Napoléon Bonaparte de retour de l’Ile d’Elbe.
Cette digression historique est faite pour souligner que Sassou est un homme de pouvoir, qu’il est depuis longtemps à la quête du pouvoir. Même sous Marien c’est lui qui menait le jeu. A preuve, lorsque Massamba Débat tombe et que le pouvoir échoit logiquement entre les mains de Marien, celui- ci semblait ondoyant, s’en remettant pour l’essentiel à Raoul Alfred dans la gestion quotidienne de l’Etat. Mieux, il va jusqu’à convoquer les anciens hommes politiques, à savoir Jacques Opangault, Simon Pierre Kikounga Ngot, Stéphane Tchitchellé, et Dominique N Zalakanda pour leur proposer d’assumer les fonctions de premier ministre, chef du gouvernement. En perspective, il souhaitait même remettre le pouvoir aux civils en remplacement de Massamba Débat contraint à la démission. Alors Sassou Nguesso s’inscrivit à l’encontre, entraînant dans son sillage Joachim Yhombi- Opango, Jean Michel Ebaka et François Xavier Katali. Mais les 4 sages consultés refusèrent l’offre, guidés par Opangault, fin limier de la politique nationale, toujours au-dessus des intérêts sous quelque forme qu’ils fussent et dédaigneux de la violence symbolisée par les hommes en armes.
Opangault refusa même la proposition de rejoindre la Justice, son administration d’origine pour présider la Cour Suprême tandis que Tchitchellé repartit au CFCO pour terminer, dit-il, sa carrière de cheminot. De leur côté, Kikounga Ngot et Nzalakanda, après hésitation, finirent par décliner la mission d’Ambassadeur respectivement à Paris et à Bruxelles.
Mon frère et ami Théousse Bernard, paix à son âme, qui fut le directeur de Cabinet de Jacques Opangault, ne tarissait pas d’éloge à son égard. Lui qui se constitua prisonnier de son propre chef en signe de solidarité avec les autres anciens responsables politiques déchus par la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 ; qui refusa qu’on augmentât sa rémunération de vice-président du Conseil. On est vraiment loin, très loin de la boulimie ambiante et gargantuesque dont Sassou Nguesso et son clan sont passés maîtres dans l’utilisation privative et la confiscation des richesses du pays.
Et moi-même, j’eus plusieurs occasions de m’enquérir du souvenir de ce grand homme politique de caractère et de conviction auquel j’aurais souhaité ressembler.
Lors de la longue et mémorable mission de travail que j’avais effectuée dans la plupart des districts de la Cuvette en 1975 (Oyo, Mossaka, Owando, Makoua Boundji, Etoumbi, Kellé, Okoyo, Ewo) l’occasion me fut donnée de le vérifier en discutant avec les Notables et Sages de Boundji. Je m’étais émerveillé du récit qui m’a été fait sur lui.
Dans l’ensemble, je garde de cette tournée l’impression d’un pays en friche qui méritait des moyens en hommes et en matériel, compte tenu du nombre épuisant d’heures passées dans les bourbiers, de la pénurie totale des produits pharmaceutiques et manufacturés, l’Ofnacom ne vendant que du papier hygiénique et des couvertures. Je fus spectateur résigné d’une césarienne réalisée à froid par le Dr Bouity à Kellé, sur une table en bois nue, à l’aide d’une lampe tempête, toutes choses qui me permirent de faire un rapport circonstancié pour attirer l’attention du gouvernement sur la souffrance des populations. Ainsi, en 1990, c’est non sans soulagement que j’inaugurai l’hôpital de base d’Okoyo en tant que premier ministre.
Revenons sur le sillage de Jacques Opangault. En avril 1984, nommé Ministre des PME, je choisis d’installer mon cabinet dans son ancienne et modeste demeure de fonctions, en face de la piscine caïman où je retrouvai intact son mobilier qui me donna la sensation d’être son héritier, que dis-je, son « fidèle continuateur », si la formule n’avait pas été galvaudée par maint usurpateur en d’autres circonstances.
Sassou Nguesso qui en 1969 vit d’un mauvais œil les velléités de Marien de laisser le pouvoir aux civils n’était pas moins réservé de l’allant que commençait à prendre le commandant Raoul Alfred à la primature puis au Conseil d’Etat. Aussi, fut-il le principal protagoniste de la Constitution du 31 décembre 1969 proclamant la République populaire du Congo à la suite de laquelle Marien fut nommé chef de l’Etat.
Afriqueeducation.com propos recueillis par Jean-Paul Tédga