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Les infrastructures, plus que jamais une priorité pour l’Afrique

février 6, 2023

Pour exploiter au mieux son potentiel économique, le continent doit investir 100 milliards de dollars par an dans les infrastructures. Le 2e Sommet sur le financement des infrastructures, qui s’est tenu les 2 et 3 février à Dakar, a sensibilisé acteurs politiques et bailleurs de fonds.

Ouverture du 2e Sommet sur le financement des infrastructures en Afrique, au Centre international de conférences Abdou-Diouf, à Dakar, le 2 février 2023. © Ministère des Finances et du Budget du Sénégal

Un proverbe éthiopien bien connu affirme que « le regret, comme la queue, vient à la fin ». Ce proverbe énonce succinctement ce que je crois être une vérité universelle et un reflet de la manière dont nous, Africains, avons tendance à considérer la sombre situation dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui. Les derniers développements diplomatiques ont forcé les dirigeants de la planète à concentrer leurs efforts sur les affaires intérieures de leurs propre pays, et loin du continent africain. Il ne faut pas le regretter, bien au contraire : c’est une occasion, pour l’Afrique, de se tenir sur ses deux jambes.

Un défi aux multiples facettes

Quiconque suit les discussions du Forum économique mondial, cette année, risque de rencontrer un nouveau mot à la consonance désagréable : « polycrise ». Ce terme, qui a gagné en popularité en 2022, décrit une suite d’événements récents jusque-là traités séparément – la pandémie de Covid-19la guerre russo-ukrainienne, le ralentissement de l’économie mondiale assorti de difficultés financières généralisées, l’éternelle urgence climatique…

Quel que soit le nom qu’on lui donne, la situation dans laquelle se débat l’humanité nous place devant un défi aux multiples facettes, pour lequel il n’existe aucune solution toute faite. Pendant la crise financière mondiale de 2008, de nombreux pays avaient adopté des mesures d’austérité, s’étaient serré la ceinture et avaient attendu que la récession passe. Mais, dans le climat actuel, il est impossible de se risquer à la moindre prévision, car l’effet combiné des crises sanitaire, sécuritaire, financière et climatique est bien trop complexe pour que l’on puisse se référer à un modèle antérieur.

Une approche proactive – plutôt que réactive – est donc nécessaire pour relever ce défi, d’autant que certains aspects de cette crise multiforme risquent de s’aggraver si rien n’est fait. Cela est particulièrement vrai en Afrique, où, au cours des années 2020, des décennies de gains financiers et de progrès en matière de sécurité ont été sérieusement remises en cause. Plutôt que d’attendre une embellie, les dirigeants africains doivent se réunir et façonner l’avenir du continent.

Grands projets régionaux

Le deuxième Sommet sur le financement du développement des infrastructures en Afrique, qui vient de se tenir à Dakar, nous offre cette chance. En 2014, sa première édition avait débouché sur plusieurs avancées majeures dans la mise en œuvre du plan d’action prioritaire du Programme de développement des infrastructures en Afrique (Pida), en finançant 16 méga-projets d’infrastructures régionaux et en hâtant leur réalisation.

Avec un nouveau plan d’action prioritaire, sur lequel se sont accordés, en 2021, l’Union africaine (UA) et des partenaires majeurs tels que la Banque africaine de développement (BAD) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, on attend beaucoup de ce Forum de Dakar. Cet événement vise à rassembler les parties prenantes liées au secteur des infrastructures venues de toute l’Afrique, afin de renforcer le soutien politique des acteurs étatiques et d’obtenir des engagements financiers de la part des institutions de développement.

On ne saurait trop insister sur le rôle crucial que jouent les infrastructures dans le développement futur de l’Afrique. Plutôt que de considérer la « polycrise » comme un obstacle, nous devrions la traiter comme un élément qui nous rappelle l’importance et l’urgence du développement de notre continent. La fragilité des chaînes d’approvisionnement modernes a été mise en évidence, l’année dernière, lorsque la guerre en Ukraine a provoqué des pénuries alimentaires et une flambée des prix dans le monde entier. Le moment n’a jamais été aussi propice pour que l’Afrique accroisse sa production agricole et ses exportations, mais, une fois encore, des infrastructures obsolètes, voire inexistantes, nous freinent.

Programmes rentables

Le transport efficace des biens et des services, des personnes et des idées, est fondamental pour toute économie, et les progrès dans un certain nombre de domaines resteront entravés tant que ces exigences de base ne seront pas satisfaites. Les experts estiment que l’Afrique doit investir environ 100 milliards de dollars par an dans les infrastructures si elle veut tirer parti de son potentiel économique et instaurer l’ambitieuse Zone de libre-échange continental africaine (ZLECAf). Mobilisons nos propres financements, et montrons que ces projets sont bel et bien rentables.

Les relations diplomatiques sont fondées sur le principe de réciprocité. Une dynamique de pouvoir déséquilibrée entraîne forcément des conditions inégales. L’Afrique doit s’élever par elle-même si elle veut être traitée comme un égal. Ces dernières décennies, certaines régions du continent ont connu des transformations étonnantes, tandis que d’autres restaient à la traîne. Un effort en faveur des infrastructures régionales pourrait réduire ces différences en ouvrant le continent au monde et en permettant au développement de se propager de manière plus équitable.

Alors que le monde traverse des temps troublés, il ne faut pas baisser les bras et s’en remettre au destin. Au contraire, les Africains doivent répondre à cette « polycrise » et travailler, ensemble, à la réalisation de leurs objectifs communs, indépendamment de ce que l’Histoire leur réserve. La route qui mènera notre continent vers un meilleur avenir commence par la construction de la route elle-même.

Avec Jeune Afrique par Nardos Bekele-Thomas

CEO de l’AUDA-NEP

Macky Sall et l’UA : une présidence à très haut potentiel

février 6, 2022
Le président sénégalais Macky Sall lors de la 76e Assemblée générale des Nations unies, à New-York, le 24 septembre 2021. © JOHN ANGELILLO/AP/SIPA

Coups d’État militaires à répétition, interrogations autour des dispositifs de lutte contre le terrorisme… La présidence sénégalaise de l’Union africaine qui débute à la mi-février intervient à un moment charnière. Et constitue un défi que le continent se doit de relever.

La présidence sénégalaise de l’Union africaine est très attendue et suscite déjà un immense espoir sur le continent. D’abord parce que le Sénégal est un modèle de stabilité et d’alternance démocratique, ensuite parce que  le président Macky Sall s’illustre comme une voix forte, écoutée tant par les Africains que par leurs partenaires internationaux.

Mise à l’épreuve

Deux atouts donc, qui ne seront pas de trop pour celui qui prend les rênes de l’organisation panafricaine au moment où les turbulences politiques qui agitent le continent constituent une mise à l’épreuve des institutions. Celles-ci jouent leur crédibilité à l’heure où, partout en Afrique, les populations affichent une défiance grandissante à leur égard tant elles se sont jusqu’ici révélées incapables de les protéger de l’insécurité et de l’injustice sociale.

Coïncidence non-négligeable, la présidence sénégalaise démarrera aussi au moment même où se tiendra le sommet UA-UE, prévu les  17 et  18 février prochains à Bruxelles. L’occasion de relayer les préoccupations, nombreuses, de l’Afrique.

En effet, d’immenses défis et enjeux attendent Macky Sall. Si la question migratoire, le changement climatique, la relance des économies africaines après une pandémie de Covid-19 aux conséquences sociales dramatiques, ainsi que la dette, ne sont absolument pas des préoccupations mineures – bien au contraire –, deux dossiers prioritaires semblent émerger.

Premier d’entre eux, le dossier paix et sécurité. Concrètement, il s’agit de déterminer la stratégie à adopter face aux terroristes, notamment ceux du Sahel – à l’heure où l’opération Barkhane et la force Takuba paraissent en sursis – ainsi que  ceux de Boko Haram, dans le bassin du Lac Tchad. Il s’agit également de trouver des solutions à la piraterie, au moment où le lien entre l’insécurité au Sahel et la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée devient de plus en plus évident.

L’occasion sans doute de ressortir  la Charte de Lomé sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique, ratifiée à ce jour par seulement trois des trente-quatre pays signataires. Mais d’autres questions sécuritaires nécessitent également une grande attention : les conflits au Mozambique, en Éthiopie (à la fois politique et sécuritaire), ou encore les tentatives de sécession dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun… 

Bien évidemment, Macky Sall aura à sa disposition de nombreux outils institutionnels, dont l’Architecture de paix et de sécurité africaine (APSA) qui se base sur des piliers comme le Conseil de paix et de sécurité (CPS), lequel a pour mandat de s’impliquer dans la recherche de réponses rapides et efficaces aux situations de conflit et de crise, ou encore la Force africaine en attente, un dispositif prépositionné dans les pays d’origine et prêt à être déployé rapidement.

Le vaste agenda de la gouvernance

Macky Sall devrait ainsi plaider  pour le financement et la montée en puissance de la FC-G5 Sahel et de la force africaine en attente. Comme ses prédécesseurs à la présidence le l’UA, il pourra aussi s’appuyer sur les huit Communautés économiques régionales (CER) reconnues par l’UA. Parmi elles, précisément, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui a beaucoup fait parler d’elle dans l’autre dossier prioritaire qui attend Macky Sall, celui de la gouvernance démocratique dont l’outil le plus important est la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Signée le 30 janvier 2007 et entrée en vigueur en février 2012, elle traduit la volonté de codifier un modèle démocratique d’accession et de préservation du pouvoir politique.

C’est donc peu de le dire, Macky Sall aura du pain sur la planche en raison des récents coups d’État militaires et des transitions en cours au Mali, au Soudan, au Tchad, en Guinée-Conakry et au Burkina Faso. En effet, l’UA reste la seule organisation panafricaine disposant d’un mandat politique pour l’établissement de normes continentales autour du vaste agenda de la gouvernance. Ce sont ces normes continentales qui se déclinent au niveau des Communautés économiques régionales, à l’exemple du Protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, selon le principe de subsidiarité.

LES POPULATIONS SOUHAITENT L’ENGAGEMENT DE L’UA BIEN PLUS QU’ON NE L’IMAGINE

Sur ce dossier, Macky Sall devra prendre des initiatives marquantes et adresser des signaux forts, telle une visite dans les pays en transition militaire. Cela passe évidemment au préalable par un état des lieux, une consultation des partenaires régionaux et internationaux incontournables, l’objectif étant de créer des conditions propices à une médiation. Il ne faut pas perdre cela de vue : les populations souhaitent l’engagement de l’UA bien plus qu’on ne l’imagine.

Sortir l’UA de sa quasi léthargie

Régulièrement invité à des rencontres internationales telles celles du G7 / G8  ou de Bretton Woods, le président de l’UA, pionnier et avocat d’un new deal économique avec nos partenaires, est suffisamment légitime pour porter haut la voix de l’Afrique. Cela vaut pour tous les autres forums, tels les Sommets Chine-Afrique, Turquie-Afrique, etc. Si tant est que le continent adopte des positions communes sur les sujets essentiels comme la question migratoire, en particulier face à l’Europe.

Qu’il s’agisse de la sécurité, de la dette, du changement climatique ou de la stabilité politique, nous sommes convaincus que le président Macky Sall sera un bon avocat pour notre continent. Parce que sur toutes ces grandes causes et questions, la voix du Sénégal est audible et crédible. Les contraintes liées à la pandémie de Covid-19 ont contribué à ralentir le fonctionnement des institutions à Addis Abeba, ce qui a sans doute quelque peu handicapé la présidence sortante. On espère que la  présidence sénégalaise contribuera à sortir l’UA de sa quasi léthargie.

Mahamat Saleh Annadif

Avec Jeune afrique par Mahamat Saleh Annadif

Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest et au Sahel