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Juan Gabriel Vasquez, lauréat du Prix du meilleur livre étranger

décembre 2, 2022

Consécration tellement méritée pour « Une rétrospective », le roman fleuve de la révolution qui retrace l’existence hors du commun de Sergio Cabrera. 


        Odyssee. Le roman relate, entre autres, l'incroyable aventure maoiste du cineaste colombien Sergio Cabrera et de sa famille.
Odyssée. Le roman relate, entre autres, l’incroyable aventure maoïste du cinéaste colombien Sergio Cabrera et de sa famille.

Républicain, le grand-père de Sergio quitte l’Espagne en guerre pour la République dominicaine. De là, Fausto, son père, fou de théâtre, se fixe en Colombie, fonde une famille, embrasse la cause maoïste, embarque tout le monde à Pékin où Sergio, personnage central de cette incroyable fresque, et sa sœur vivront endoctrinés chez Mao, avant de survivre miraculeusement à la guérilla où leur père les envoie au fond de la jungle colombienne. On peine à le croire, et pourtant, Une rétrospective ne contient que la vérité des faits, contée par un des romanciers les plus doués de son temps. Juan Gabriel Vasquez s’en explique : pour ce roman, récompensé du Premio Bienal de Novela Mario Vargas Llosa, l’écrivain a « modelé » (sic), le « formidable magma » des expériences familiales que lui a racontées son compatriote et réalisateur colombien Sergio Cabrera.

Foi révolutionnaire. Le livre s’ouvre en 2016, sur un dilemme. Invité à une rétrospective de son œuvre cinématographique à Barcelone, Sergio apprend la mort à 92 ans de son père à Bogota. Faut-il, une fois encore, céder à l’emprise de la figure paternelle, même post mortem, et se rendre à ses funérailles ? Il choisit Barcelone. Mais pendant ce séjour, son père occupe tout l’esprit de Sergio. Rétrospective dans la rétrospective, les souvenirs s’enchaînent, les chapitres alternant l’histoire, ou plutôt l’aventure inouïe de cette famille Cabrera et la programmation des films – où Fausto, encore lui, est souvent acteur. Ajoutant un maillon sensible à cette chaîne de transmission, le fils de Sergio, Raul, 18 ans, est venu à Barcelone pour l’occasion.

  • Maoïste. Sergio Cabrera et un ami chinois sur la Grande Muraille. Le jeune homme et sa sœur, qui suivent leur père Fausto en Chine en 1962, seront nourris de propagande.
  • Famille. Sergio et sa sœur au côté de leur père sur la place Tian’anmen, à Pékin.
  • Camarade. Carte d’élève de la jeune sœur de Sergio, alors âgée de 12 ans.
Guérilla. Juan Gabriel Vasquez mêle la petite et la grande Histoire, sur fond de lutte communiste internationale.

Voilà pour la belle structure d’un roman en trois parties et vingt et un chapitres, les protagonistes arrivant jusqu’à notre siècle au bout d’un voyage dans les arcanes de la lutte communiste internationale. Car si Fausto a la vocation de la culture et s’installe en Colombie – « les poètes sont à Medellin » -, sa foi révolutionnaire ne recule devant rien. Mis à rude épreuve par le régime, il accepte pour sa femme et ses deux enfants la proposition de l’attaché culturel de l’ambassade de la République populaire de Chine, qui cherche des professeurs d’espagnol pour l’Institut des langues étrangères de Pékin. Voici les Cabrera en route pour la Chine. Logés à l’hôtel de l’Amitié (ah, cette seconde partie sur « la révolution dans les hôtels » !), Sergio et sa sœur sont nourris de propagande, travaillent à l’usine, le jeune homme, étranger « privilégié », devenant même garde rouge… Livrés à eux-mêmes après que leurs parents sont retournés en Colombie, les jeunes gens finissent par les rejoindre. Ils n’ont pas 20 ans et rentrent dans la lutte armée, mettant leurs vies en danger au service de cette « belle folie » familiale, dixit Fausto. « À se préparer à un événement qui jamais n’avait eu lieu », dixit Sergio. Tout cela, donc, est véridique. Les bouleversantes photos fournies par Cabrera en témoignent. Et narré avec quel art ! En décrivant comment culture et politique s’entremêlent, comment l’affect, les amours, le sens de la famille et la révolution font bon ou mauvais ménage, ce roman déploie une richesse humaine inépuisable… C’est aussi une rétrospective de la vie politique colombienne, à l’heure où le pays connaît son premier président de gauche. Une somme à dévorer le cœur battant.

Avec Le Point par Valérie Marin La Meslée

« Une rétrospective », de Juan Gabriel Vasquez, traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon (Le Seuil, 464 p., 23 €).