Natif de Mindouli, en République du Congo, Alvie Mouzita est un écrivain et professeur d’anglais. Déjà lauréat du prix CipaI et du prix Pabloemma, il vient d’être plébiscité à la sixième édition du concours Africa poésie. Une joie qu’il souhaite partager avec nos lecteurs. Interview.
Alvie Mouzita/DR
Les Dépêches du Bassin du Congo (L.D.B.C.) : Vous êtes quatrième lauréat du concours Africa poésie, quelles sont vos impressions ?
Alvie Mouzita (A.M.) : Remporter un prix littéraire ou être sacré lauréat a toujours été pour moi l’un des moments les plus admirables. Mais, au-delà de cette jovialité, une certaine fierté m’habite d’avoir honoré mon pays, par-delà l’Afrique. J’ai fait entendre le cri nègre à travers mon texte intitulé « Chants des initiés » : « Il y aura l’histoire à feuilleter pour récolter une mémoire ».
L.D.B.C. : Pouvez–vous nous parler des autres récipiendaires et du déroulement de l’édition de cette année ?
A.M. : Il faut noter que la sixième édition du concours Africa Poésie 2022 était assez spéciale parce qu’elle a récompensé cinq lauréats et a attribué « les félicitations du jury » à six candidats parmi les quarante-deux participants venant des pays que voici : Belgique, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, France, Madagascar, Maroc, Niger, Roumanie, Sénégal, Tchad, Togo. Le jury, présidé par Daouda Mbouobouo, était international avec les membres exceptionnels comme Thierry Sajat, poète, directeur-fondateur des Editions Thierry Sajat, président de l’Académie de la poésie française; Dr Paul Yadji, poète et enseignant-chercheur de spécialité littérature africaine et anthropologie culturelle; Imene Latachi et Dr Abdias Mabard. Ce dernier a récompensé en premier « Voyage » de Jules Marcel Chientemou (Cameroun), suivi de « Gakóm Djo Si Pá » (Chant fraternel) de Harman Kamwa Kenmogne (Cameroun), « Massacre dans un village » d’Aliou Boubacar Modi (Niger), « Chants des initiés » d’Alvie Mouzita (Congo Brazza) et enfin « Élégie pour la paix » de Sara Augustine Laurence Timb (Cameroun).
L.D.B.C. : Quel est le but de ce concours et comment y participe-t-on ?
A.M. : Le but de ce concours est de promouvoir les talents ayant un souffle poétique remarquable et de faire entendre leurs cris par-delà les frontières. La participation à ce concours n’exige aucun effort sinon le respect du règlement mis à la disposition.
L.D.B.C. : Alvie Mouzita, que peut apporter la poésie dans le monde d’aujourd’hui ?
A.M. : La poésie est d’abord un commerce d’émotions. Il faut souligner que rien ne peut se faire dans ce monde sans l’appui immédiat de la poésie, au sens large du terme, bien sûr. Car, loin de n’être que cet art qui consiste à faire des ouvrages en vers, la poésie est une motte de vie, une motte de connaissances, un chemin d’élévation de l’âme, un vent qui s’insurge, un chant qui adoucit, une toile où on se mire, une fleur d’espoir, une pluie d’amour. En fin de compte, la poésie c’est le beau.
Avec Adiac-Congo propos recueillis par Aubin Banzouzi
Le romancier, poète et professeur, Alain Mabanckou, figure parmi les cinq juges nommés cette année au prestigieux prix britannique.
1- Alain Mabanckou/ DR
L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou intègre le jury du Booker Prize 2022 aux côtés de l’historien de la culture, écrivain et diffuseur de l’art écossais, Neil MacGregor; de l’universitaire et animatrice Shahidha Bari; de l’historienne Helen Castor et du romancier et critique, John Harrison. Il aura pour mission de désigner le meilleur roman de langue anglaise paru entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022.
Auteur de nombreux romans, essais et recueils de poésie, Alain Mabanckou, double finaliste du Man Booker Prize International en 2015 et 2017, fait la fierté de l’Afrique et de son pays natal, le Congo. Il a remporté le prix Renaudot en 2006 pour son roman Mémoires de porc-épic (Seuil). Son roman Verre cassé a été classé par le Guardian parmi les dix meilleurs livres du XXIe siècle.
Enseignant aux Etats-Unis et chroniqueur à L’Obs, le Franco-Congolais dirige depuis 2021 la collection « Points Poésie » de la Maison poche. Il est l’un des romanciers les plus connus de France, ses travaux sont publiés principalement en français.
Outre la littérature, Alain Mabanckou fait aussi du cinéma. Une exclusivité à suivre le 18 janvier à 21h10 sur France 2 (et plus tard sur TV5), le documentaire « Noirs en France » qu’Aurélia Perreau et Alain Mabanckou ont écrit et dont il est également le narrateur. « Il s’agit de ma première expérience d’écriture de documentaire long métrage. Et aussi de la narration », a-t-il dit sur sa page Facebook.
Des félicitations viennent de partout. « Bravo, vous faites la fierté de l’Afrique. C’est un honneur pour le pays. En contrepartie, nous vous témoignons notre soutien indéfectible. C’est l’Afrique et le Congo qui gagnent. Félicitation à notre pèlerin », écrit-on sur différentes pages Facebook
Alain Mabanckou, surnommé « le Beckett africain », a grandi à Pointe-Noire, en République du Congo, et a étudié le droit à Brazzaville et à Paris.
2-Les cinq juges nommés pour le Booker prize /DR
Le Booker Prize récompense chaque année le meilleur roman original écrit en anglais et verse au vainqueur un chèque de 50 000 livres (environ 55 000 euros). En 2021, le prix a récompensé le Sud-Africain Damon Galgut pour son roman « The promise ».
Le prix Booker a été créé en 1968, l’un des plus importants prix littéraires remis annuellement. Seuls les romans de fiction rédigés en anglais sont susceptibles d’être primés et doivent avoir été écrits par un auteur vivant.
Ce jeune espoir originaire de Pointe-Noire a remporté le prix littéraire Voix d’Afriques pour « Cave 72 ». Un premier roman corrosif et enlevé pour un slameur engagé.
« J’ai voulu écrire une longue blague ». Tels ont été les premiers mots de Fann Attiki pour présenter son roman Cave 72 lors de la réception donnée en son honneur par les organisateurs du prix Voix d’Afriques. L’écrivain et slammeur congolais né en 1992 à Pointe-Noire est le deuxième lauréat du prix lancé par les éditions Jean-Claude Lattès et RFI, en partenariat avec la Cité internationale des arts. Son manuscrit s’est distingué parmi 350 écrits par des auteurs de moins de trente ans jamais publiés et résidant en Afrique. Le jury était présidé par l’écrivain franco-djiboutien Abdourahman Waberi.
Mécanique de l’absurde
On rit en effet beaucoup en lisant Cave 72. Le sens de la formule, le comique de situation et la mécanique de l’absurde dynamitent la narration. Portés par l’enthousiasme de leur jeunesse et des verres d’alcool généreusement offerts par leur mentor Black Mic-Mac, Didi, Ferdinand et Verdass ont pour habitude de refaire le monde dans la Cave 72. Ce débit de boisson qui occupe le trottoir est tenu par Maman Nationale.
La self-made-woman n’en est pas moins attendrie par l’intelligence et la créativité des trois bons vivants, qui ont arrêté leurs études pour fuir le conditionnement scolaire et le conformisme professionnel. Mais Black Mic-Mac meurt et voilà les trois jouisseurs accusés d’être membres d’un complot international visant à renverser le régime du Guide providentiel.
JE ME SUIS SERVI DE CE QUE JE CONNAIS, L’HISTOIRE DE MON PRÉSIDENT, CEPENDANT IL NE S’AGIT PAS QUE DE LUI
Si la ville et l’histoire du pays désignent le Congo, Fann Attiki précise : « Le Guide providentiel est l’ensemble de plusieurs dictateurs. Il est vrai que ce roman se construit dans une zone géographique qui est l’Afrique centrale et plus précisément le Congo, mais c’est un roman qui s’ouvre à l’universel. Je me suis servi de ce que je connais, l’histoire de mon président, cependant il ne s’agit pas que de lui. Denis Sassou Nguesso ne présente pas les traits psychologiques de mon personnage, il est plus calme. »
L’humour est au service d’une satire grinçante. Des grains de sable viennent s’immiscer dans l’engrenage mis en branle par les faiseurs de complots. Plutôt que de se salir les mains, ils passent par des exécuteurs des basses œuvres qui jouent de malchance, de maladresse et de bêtise. Consacrant plus de temps à cacher la poussière sous le tapis de leurs erreurs plutôt que de s’attaquer aux racines des maux du peuple, les apprentis-sorciers échafaudent des plans menant invariablement à l’échec.
Dimension politique
Au-delà de l’efficacité du dispositif, la fable présente une dimension politique : « J’en avais besoin comme décor, pour implanter mes personnages et pour donner un sens à toute ma trame. Si ce roman en avait été exempté, je ne pense pas qu’il aurait la même force. »
CEUX QUI SUBISSENT UNE RÉPRESSION MAIS PARVIENNENT À TROUVER LA JOIE DE VIVRE VONT SE RECONNAÎTRE
Le Pouvoir au Peuple, c’est le nom du mouvement auquel sont accusés d’appartenir Verdass, Ferdinand et Didi et qui fait écho avec le parti pris du roman : « On ne doit pas se tromper, mon roman se fonde surtout sur la force des peuples d’Afrique symbolisés par le peuple congolais. Ceux qui subissent une répression mais qui parviennent malgré tout à trouver la joie de vivre vont se reconnaître. »
Et Fann Attiki de préciser : « Des pauvres sont arrêtés alors qu’ils s’expriment au nom du peuple en pointant ce qui ne va pas. Ils ne veulent que le bien de leur pays et cherchent à faire comprendre au dictateur que cela ne marche pas. Ils lui donnent la possibilité de se corriger, de s’améliorer. Mais quand on a un ego démesuré, on ne parvient pas à entendre. En considérant la réalité comme un affront, on s’arrange pour faire taire ceux qui ont la capacité de dire les choses. C’est présent dans à peu près tous les pays d’Afrique. »
Slameur engagé
La force de la jeunesse, on la retrouve dans l’action de Fann Attiki, lui-même engagé dans un mouvement citoyen : « Je travaille avec un groupe qui s’appelle Ras-le-bol. Pas pour des raisons politiques mais pour des raisons éducatives. J’anime des ateliers de slam pour les enfants. On revisite le droit des enfants, le droit humain. Il y a aussi un autre aspect qui me tient à cœur, l’engagement communautaire. Faire comprendre à ces enfants que l’arbre que nous plantons doit servir à la communauté, à l’entourage, au pays, et pourquoi pas au monde. Mon engagement consiste à m’assurer que la jeunesse pourra connaître des beaux jours, qu’elle pourra vivre dans un Congo débarrassé des corruptions, des tribalismes, des replis identitaires, de tout ce qu’on peut considérer comme négatif. Qu’il n’y aura plus de détournements de fonds, qu’il y aura une réelle démocratie. »
Fann Attiki enseigne le slam qu’il pratique. Son parcours ressemble à celui de ses personnages, qui poursuivent leurs rêves plutôt qu’un schéma professionnel tout tracé : « J’ai eu mon bac électrotechnique à l’âge de 16 ans, puis mon BTS en électronique et maintenance informatique, à l’issue duquel j’ai été obligé de travailler car la réalité – gagner de l’argent – s’est imposée à moi. J’ai travaillé dans une pharmacie en tant qu’électronicien et informaticien. Au bout de deux ans et demi, je me suis lassé et j’ai tout balancé. J’ai décidé de vivre de ce que j’aimais, de l’art, et précisément du slam. »
LA BOULIMIE DE LECTURE S’EST POURSUIVIE AVEC DES AUTEURS COMME TCHICAYA U TAM’SI, EMMANUEL DONGALA OU ALAIN MABANCKOU
De l’envie à la réalisation, il a fallu s’accrocher : « Au début, ça n’a pas été facile, mais à force de faire des petites prestations à gauche et à droite, j’ai fini par me faire remarquer. J’ai conquis un marché à Pointe-Noire, où on m’invitait régulièrement et où je gagnais ma vie grâce au slam. J’ai décidé de conquérir Brazzaville en 2016. Là aussi, les débuts ont été timides mais maintenant, je vis à part entière du slam et du théâtre. »
Flaubert, un choc littéraire
Avant ce cheminement, il y a eu un choc littéraire : « Tout est parti de Flaubert. À 17 ans, je suis tombé sur Trois contes, son œuvre posthume. J’ai lu le premier conte, “Un Cœur simple”, ça m’a vraiment plu, puis j’ai lu Légende de Saint Julien l’Hospitalier et Hérodias. J’étais vraiment bluffé par son écriture, la façon dont il décrivait les situations, son environnement, les émotions… Il réussissait à créer en moi une empathie pour les personnages. Je ressentais vraiment ses textes et je me suis dit “C’est ça, écrire”. J’ai cherché un autre de ses livres, Madame Bovary, et un tel chef-d’œuvre m’a totalement achevé. »
La boulimie de lecture s’est poursuivie avec des auteurs comme Prosper Mérimée, Tchicaya U Tam’si, Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou… Et elle a suscité son désir de se frotter à la fiction : « J’avais déjà le slam, un premier médium pour m’exprimer, mais au fil du temps, j’ai fini par sentir que le slam ne suffisait plus, il fallait passer à autre chose. J’ai écrit beaucoup de nouvelles puis des monologues. J’ai réussi à initier la lecture de l’un d’eux, “Les derniers mots d’un affamé”. Ensuite, j’ai reçu pas mal de demandes, des gens m’ont demandé de le mettre en scène. Après les nouvelles et les monologues, je me suis dit qu’il était temps de m’essayer au roman. »
Ce qui a conduit Fann Attiki à écrire puis à présenter Cave 72 au prix Voix d’Afriques, avec le succès que l’on sait. Un prix qui porte bien son nom tant il fait découvrir un auteur dont le style imagé et incisif se met au service d’une satire politique corrosive. Un talent époustouflant s’est révélé et ce n’est pas une blague.
Le 2 novembre, l’Académie Goncourt remettra son prestigieux prix. Sur la dernière liste, cinq écrivains, dont l’Haïtien Lyonel Trouillot pour son roman La belle amour humaine.
Ils ne sont plus que quatre à espérer recevoir le plus prestigieux des prix littéraires français. Sur sa dernière liste, l’Académie Goncourt a retenu l’Haïtien Lyonel Trouillot, auteur de La Belle amour humaine (Actes Sud) ; Sorj Chalandon, avec Retour à Killybegs (Grasset) ; Alexis Jenni, qui a écrit L’Art français de la guerre (Gallimard) et Carole Martinez pour Du domaine des murmures (Gallimard). Les pronostiqueurs misent sur Alexis Jenni, dont l’avantage est d’être publié par un grand éditeur. Mais cela suffit-il pour mettre une croix sur les trois autres prétendants au choix final, le 2 novembre ?
Humanisme et poésie
En tout cas, Lyonel Trouillot a toutes les chances de voir sa carrière, riche de plusieurs romans et de recueils de poèmes, reconnue à sa juste valeur. Ce qui frappe dans son livre en compétition c’est cet engagement permanent à dénoncer les inégalités entretenues dans la société par les nantis. Et cet humanisme, cette humanité qui, tout en le poussant à s’interroger sur le rôle de l’humain sur notre planète, décrète que chaque vie, même la plus misérable, mérite d’être respectée. Chaque page de ce texte rempli de poésie et où se déroule, infaillible, l’art du conteur, est un plaisir.
Trouillot nous donne une leçon de tolérance par rapport à l’Autre, à cette altérité sans laquelle tout serait laid. Il nous invite à désapprendre à juger en fonction, seulement, de notre regard nombriliste qui nous empêche voir la pluralité des mondes. En cette année des Outre-mers, l’écrivain haïtien mérite de monter sur la première marche du piédestal. Croisons les doigts !