Après trois jours d’affrontements entre Pygmées et Bantou, le sud-est de la République démocratique du Congo compte ses morts. Selon Kalunga Mawazo, élu de Kabalo, une localité de la région, on dénombre pas moins de vingt personnes tuées dans ces combats.
Tout est parti d’une querelle en apparence anodine, pour se conclure en un bain de sang. Selon un prêtre catholique de ce diocèse de la province du Tanganyika, dans le nord du Katanga, Pygmées et Bantous qui habitent la région sont entrés en conflit au sujet d’une récolte de chenilles. En enflant, la polémique a semé la discorde entre les deux groupes, qui ont fini par s’affronter violemment trois jours durant, puisque le bilan des combats fait état de 20 morts selon Kalunga Mawazo.
Parmi les victimes, on compte seize Pygmées et quatre Bantous de l’ethnie luba. Les deux groupes s’affrontaient car les Pygmées doivent traditionnellement verser une redevance coutumière sur leurs récoltes aux Bantous. Mais les Pygmées, estimant désormais jouir des mêmes droits comme citoyens, ne veulent plus s’acquitter de cette taxe illégale. C’est dans ce contexte que deux Luba qui exigeaient paiement ont été tués par flèche.
Tensions répétées entre les deux ethnies
C’est lors des vagues de rétorsion que deux autres Luba ont été tués et 16 cadavres de Pygmées ont été découverts, a ajouté le prêtre catholique. « La tension est vive à Kabalo, nous y avons dépêché une équipe et des renforts pour rétablir l’ordre public », a pour sa part déclaré le gouverneur du Tanganyika, Ngoy Kitangala, sans confirmer le bilan. Début septembre, les autorités locales avaient fait état de la reprise des hostilités entre les deux ethnies.
Depuis 2013, la région du nord du Katanga – une région grande comme l’Espagne et morcelée en 2015 en quatre provinces dont le Tanganyika – est le théâtre de nombreux affrontements entre Bantous de l’ethnie luba et Pygmées de l’ethnie twa.
Des manifestants mobilisés pour la défense des Pygmées, à Kinshasa, en 2014. Crédits : AZIZ TUTONDELE / AFPAprès des mois d’accalmie, la situation se crispe à nouveau entre les Bantous et les Pygmées. « C’était une période très critique dont on venait de sortir. On a beaucoup travaillé pour le calme et ça recommence encore… Il faut prendre des mesures sinon la population risque d’être sacrifiée. C’est une situation d’urgence », explique, très préoccupé, François Luhunga, président de la société civile du territoire de Nyunzu, dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC).
Depuis fin 2013, des combats chroniques entre Bantous, majoritaires, et Pygmées, marginalisés et revendiquant plus d’égalité, ont fait plusieurs centaines de morts. Alors qu’une trentaine de suspects des deux camps sont jugés depuis août 2015 pour crimes de génocide présumés par la cour d’appel de Lubumbashi, bien plus au sud, des projets de réconciliation menés par les autorités, l’ONU et des ONG humanitaires ou religieuses ont permis d’apaiser les tensions.
Des violences qui ont déplacé 6 000 personnes
Mais autour du 10 juillet, des incidents ont éclaté. L’élément déclencheur reste flou. Parmi les thèses récurrentes : prenant au sérieux des allégations d’arrestation imminente de leur leader, des partisans de Nyumbaisha – principal chef milicien pygmée, considéré comme le plus réfractaire aux efforts de réconciliation – ont affronté des militaires. Une autre version indique que des soldats ont été dépêchés pour ôter des barrières illégales posées par des Pygmées, qui ont alors riposté.
Les heurts ont fait entre deux et quatre morts, selon les sources. Un cadre de la société civile présent avec son équipe dans la région lors des troubles raconte que des Pygmées « énervés », armés « avec des flèches » et portant des gris-gris les ont dépouillés avant de leur intimer d’aller voir le cadavre de victimes, selon eux toutes pygmées. « J’ai vu trois personnes mortes par balles, elles ont été fusillées. » Du côté de l’armée, un militaire aurait été blessé au cou.
Les violences ont fait au moins 6 000 déplacés, indique un rapport du Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) publié fin juillet. L’organisation précise que « l’extension des attaques des Pygmées sur d’autres villages du territoire de Nyunzu » s’est accompagnée de graves exactions : au moins deux centres de santé « pillés » et « des centaines de ménages ont vu leurs champs détruits, leurs maisons incendiées, leurs articles ménagers emportés… »
Renforcement militaire
Les déplacés n’ont jusqu’à présent reçu que peu ou aucune assistance, notamment à cause de l’instabilité. Et alors que des travailleurs humanitaires signalent une circulation inquiétante de milices pygmées, les autorités tentent de sensibiliser les villageois à retourner chez eux. Mais malgré le renforcement de la présence militaire et policière, la peur reste encore forte. Résultat, si de nombreux ménages sont rentrés, bien d’autres préfèrent retarder l’échéance.
Pour Rogatien Kitenge, militant bantou des droits des Pygmées, le conflit perdure suite à une négligence des problèmes de fond. Un avis que partage une autorité locale. « Aussi longtemps qu’on n’arrivera pas à répondre à certaines questions d’ordre anthropologique et socio-économique pour comprendre les motivations des uns et des autres, y compris des tireurs de ficelles, il n’y aura pas de solution vraiment durable », souligne-t-elle. Et de regretter que les analyses déjà disponibles ne soient « pas véritablement prises en compte ».
Habibou Bangrécontributrice Le Monde Afrique, Kinshasa
Lemonde.fr par Habibou Bangré (contributrice Le Monde Afrique, Kinshasa)
Les populations autochtones du Congo, communément appelées les pygmées, sont en « danger d’extinction » a affirmé vendredi le représentant du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), David Lawson.
« Comme d’autres communautés dans le monde, la communauté autochtone congolaise est aujourd’hui en danger d’extinction », a déclaré M. Lawson lors d’une conférence-débat sur la mise en oeuvre d’une loi sur la protection de ces peuples promulguée en février.
« Selon le dernier recensement général de la population congolaise de 2007, la population autochtone compte quelque 43.500 âmes et représente 2% des 3.6 millions d’habitants au Congo, alors qu’elle était estimée, en l’absence de chiffres plus précis avant cette date, à 10% », a-t-il expliqué.
Peuples de forêts, résidant parfois à la périphérie des villages, les autochtones sont souvent marginalisés et discriminés par leurs voisins bantous.
Lors d’une visite effectuée au Congo entre octobre et novembre 2010, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, James Anaya, avait relevé « que les peuples autochtones au Congo vivent dans des conditions de marginalisation extrême ».
« Beaucoup d’entre eux vivent dans des campements situés à la périphérie des villages et ne disposent pas de logement adéquat ou d’accès aux services sociaux de base comme la santé et l’éducation », avait-il déploré.
Adoptée par les deux chambres du parlement (assemblée et sénat) fin 2010, la loi portant promotion et protection des droits des peuples autochtones en République du Congo a été promulguée par le président de la république en février.
« Cette loi vise à réparer les injustices et les inégalités dont sont victimes les autochtones qui sont un peuple à part entière du Congo. Avec cette loi, on doit arrêter de les désigner par des pygmées parce que c’est à la fois péjoratif et discriminatoire », a indiqué à l’AFP Valentin Mavoungou, directeur des droits humains et des libertés fondamentales au ministère de la justice.