La Guinée est le premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir rapatrié certains de ses ressortissants désireux de quitter la Tunisie. Les récits de ceux qui commencent à témoigner de ce qu’ils y ont vécu sont cauchemardesques, et font état d’une véritable « sauvagerie » à l’œuvre dans certaines parties du pays.
Ibrahima Barry et Dame Mariama Barry sont visiblement épuisés et racontent leur histoire des sanglots dans la voix. Ils sont rentrés mercredi en Guinée dans le premier vol de rapatriement de Tunisie, après plusieurs jours de « calvaire ». « Un déferlement de haine qui n’a pas de raison », lâche Ibrahima Barry, encore sonné, dans une voiture l’emmenant rejoindre son frère dans la banlieue de Conakry. Le jeune homme de 26 ans s’interrompt, puis reprend: « En Tunisie, si je vous dis qu’ils sont sauvages, le mot n’est pas de trop ».
UN AFRICAIN QUI TRAITE COMME ÇA UN AUTRE AFRICAIN EST TOUT SIMPLEMENT INHUMAIN
Arrivé en Tunisie en 2019 pour aller à l’université grâce à une bourse de l’État guinéen, Ibrahima Barry vivait de petits métiers à Gabès, dans le sud-est du pays, dans l’annexe d’une « belle concession ». « J’étais couché quand un ami m’a appelé pour me dire de ne pas sortir, qu’un nationalisme anti-Noirs s’était déclenché partout dans le pays après un discours du chef de l’État », explique-t-il. Le lendemain, des voisins se sont introduits chez lui en brisant la porte, lui ordonnant de ne plus faire un geste. Il a dû son salut à son logeur, qui a fait partir les intrus en disant qu’Ibrahima Barry était « à sa disposition, à son compte ». Il le conduira ensuite jusqu’au consulat de Tunis, à quelque 400 km. « Dans mon quartier, les Noirs étaient recherchés, pourchassés, violentés, et leurs résidences pillées par des Tunisiens », assistés parfois par des agents de police, assure-t-il.
À coups de pierres ou de bâtons
« Il leur suffisait de voir un Noir, même assis devant sa porte ou en ville, pour qu’ils l’attaquent à coups de pierres ou de bâtons (…) C’est un cauchemar que nous avons vécu en Tunisie », dit-il. « Un Africain qui traite comme ça un autre Africain est tout simplement inhumain, sauvage ». Depuis le discours du président Kais Saïed, des centaines de Subsahariens se sont inscrits dans leurs ambassades sur des listes de rapatriement. La junte guinéenne a été la première à faire rentrer une cinquantaine de ressortissants mercredi soir.
ÉCHAPPER À « UNE MORT PROGRAMMÉE »…
Dame Mariama Barry, 27 ans, était dans l’avion avec Ibrahima Barry, avec qui elle n’a aucun lien de parenté. Brisée, elle a tout perdu. Arrivée en Tunisie en 2022 dans l’espoir de gagner l’Europe, elle travaillait dans un salon de coiffure à Tunis depuis huit mois. « Pur survivre », « j’étais obligée de tout accepter, même l’inacceptable », et de supporter le racisme des Tunisiens, affirme-t-elle.
Après le discours du président Kais Saïed, « c’est d’abord ma patronne qui m’a insultée, me traitant de sale nègre, d’aventurière sans origine, de mal fichue… Là j’ai compris qu’il fallait partir, et très vite ». Son quartier était en ébullition, les Africains subsahariens étaient traqués, raconte-t-elle. « Des jeunes m’ont arrêtée, l’un d’entre eux m’a giflée. J’ai demandé pardon, qu’on me laisse partir. Un autre m’a donné un coup de pied dans les fesses, je suis tombée. On m’a arraché mon sac ».
La jeune femme raconte son errance, en larmes, dans les rues de Tunis, sans argent, sans téléphone, jusqu’à ce qu’un taxi s’arrête pour l’emmener chez une amie compatriote. Là, elles se barricadent dans un studio, jusqu’à leur départ pour Conakry, qui leur permet d’échapper à « une mort programmée », dit-elle.
Dame Mariama Barry et Ibrahima Barry ont fait connaissance dans l’avion. Comme les autres rapatriés, la première nuit, ils ont été logés par les autorités dans un hôtel. Une même voiture les emmenait jeudi soir dans la banlieue de Conakry, où un frère d’Ibrahima devait le récupérer. Dame Mariama devait retrouver une demi-sœur, et leur chemin se séparer là. Aucun d’eux ne sait de quoi demain sera fait. Qu’ils semblent loin maintenant, leurs espoirs d’une vie meilleure.
À des milliers de kilomètres de là, la déferlante raciste continue de submerger la Tunisie, mais Dame Mariama et Ibrahima, eux, sont bien en vie.
L’Union africaine a condamné les propos de président tunisien sur les migrants originaires d’Afrique subsaharienne et appelé ses états membres à « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste ».
Kaïs Saïed avait provoqué la stupeur le 21 février en prônant des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine de ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, affirmant que leur présence en Tunisie était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », des propos dénoncés par des ONG.
Lors d’une réunion, le président tunisien avait aussi tenu des propos très durs sur l’arrivée de « hordes de migrants clandestins » et insisté sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration. Il avait en outre soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».
« Traiter tous les migrants avec dignité »
Dans un communiqué vendredi, le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, « condamne fermement les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre des compatriotes Africains, qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de notre Organisation et de nos principes fondateurs ».
Il « rappelle à tous les pays, en particulier aux États membres de l’Union africaine, qu’ils doivent honorer les obligations qui leur incombent en vertu du droit international (…), à savoir traiter tous les migrants avec dignité, d’où qu’ils viennent, s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes, et accorder la priorité à leur sécurité et à leurs droits fondamentaux ».
Crise économique
Moussa Faki Mahamat réitère « l’engagement de la commission à soutenir les autorités tunisiennes en vue de la résolution des problèmes de migration afin de rendre la migration sûre, digne et régulière ».
Le discours de Kaïs Saïed, qui concentre tous les pouvoirs après avoir suspendu en juillet 2021 le Parlement et limogé le gouvernement, survient alors que le pays traverse une grave crise économique marquée par des pénuries récurrentes de produits de base, sur fond de tensions politiques.
Selon des chiffres officiels cités par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), la Tunisie compte plus de 21 000 ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, en majorité en situation irrégulière.
Un chiffre sans appel. Selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos pour le Conseil représentatif des associations noires (Cran) et relayé ce mardi 14 février par Le Parisien, plus de neuf Français noirs ou métisses sur dix (91 %) disent avoir été, au moins une fois, victimes d’une discrimination à caractère racial. Dans le détail, une personne interrogée sur quatre (25 %) dit en être victime « souvent », quand près d’une personne sondée sur deux (44 %) dit en être victime « de temps en temps ». En 2007, dans une autre étude commandée par le Cran en 2007, 56 % des personnes noires disaient avoir été touchées, au moins une fois au cours de leur vie, par des actes racistes.
Selon ce nouveau sondage, les faits de discrimination ont principalement lieu dans l’espace public (41 %), devant le lieu de travail (31 % des personnes noires ou métisses se disent concernées) et dans les magasins (21 % des sondés concernés). « Il y a aujourd’hui une libération de la parole raciste et une augmentation des idées extrémistes. Nous avons voulu, avec cette étude, essayer de mesurer le phénomène. Résultat : il est massif », estime le président et fondateur du Cran, Patrick Lozès, auprès de nos confrères. Force est de constater que cette « libération de la parole raciste » touche également des lieux censés être des sanctuaires. Ainsi, 14 % des Noirs et métisses expliquent avoir été victimes d’une discrimination à caractère racial à l’école et à l’université. Par ailleurs, 12 % des sondés indiquent en avoir été victimes dans le cadre de leurs loisirs.
Comment se manifestent ces discriminations raciales dans la vie quotidienne ? Pour près de six personnes noires sur dix interrogées (58 %), cela s’illustre par des « attitudes dédaigneuses, méprisantes ou irrespectueuses ». Souvent, ce racisme intervient lors de la recherche d’un emploi, rapporte l’étude : 53 % des sondés ont des « difficultés à décrocher un entretien », 49 % essuient des « refus d’embauche » ou « de promotion ». Indicateur encore plus inquiétant, 33 % des personnes sondées estiment faire face à des « difficultés d’accès aux soins ».
Le représentant des associations noires ne veut, néanmoins, pas céder à la fatalité. « Il y a une bonne nouvelle. Une grande majorité considère la question prioritaire et appelle les pouvoirs publics à agir, ce qui signifie que si on ne se contente pas de ne rien faire, les choses peuvent changer. Rien n’est ancré, en réalité », assure-t-il à nos confrères. En janvier dernier, le gouvernement a mis sur la table un plan antiracisme. S’il salue l’initiative, Patrick Lozès estime qu’il y a eu un manque de concertation avec les acteurs.
Vous avez rédigé avec soin une demande d’emploi pour un poste qui vous convenait à la perfection, mais vous n’avez jamais eu de réponse? Il y a de fortes chances qu’aucun humain n’ait jamais vu votre candidature.
Les algorithmes de recrutement qui orientent leurs choix au fur et à mesure du travail qu’on leur demande de faire développent des comportements discriminatoires à l’égard de certaines candidatures. Photo : Getty Images/IstockPhoto/Gorodenkoff
Avec le développement de l’intelligence artificielle (IA), de plus en plus d’entreprises confient à des robots le soin de trier les candidatures de postes pour gagner du temps et faciliter les décisions d’embauche. Mais étonnamment, les machines développent aussi des biais et des réflexes de discrimination, constatent les experts.
De plus en plus d’employeurs, surtout les grandes entreprises, ont recours aujourd’hui à de puissants outils d’intelligence artificielle pour traiter rapidement le flot de candidatures qu’elles reçoivent.
Payer des êtres humains pour faire le tri de ces demandes d’emploi est une opération coûteuse en temps et en ressources pour les entreprises, surtout en période de pénurie de main-d’œuvre.
C’est ici qu’entrent en scène des firmes qui offrent les services de robots intelligents pour faire un premier tri des candidatures avant qu’un humain n’examine les meilleures correspondances identifiées par le logiciel.
« La première chose que les travailleurs doivent comprendre est la suivante : personne ne regarde votre CV. Vous devez passer par l’IA avant d’être vu [par un humain]. »— Une citation de Joseph Fuller, professeur de pratiques de gestion à la Harvard Business School
Or, ces systèmes de tri qui apprennent au fur et à mesure de leur travail deviennent de plus en plus intelligents.
Certaines entreprises d’IA affirment aujourd’hui que leurs plateformes peuvent non seulement repérer le candidat le plus qualifié dans une masse de CV, mais aussi prédire lequel est le plus susceptible d’exceller dans un rôle donné.
Ce type d’outil est également utilisé à l’interne afin de déterminer qui, parmi le personnel, est le plus apte à être promu à un poste supérieur.
Des candidatures échappées
Lorsqu’ils sont mal paramétrés, les logiciels de recrutement peuvent exclure des candidats hautement qualifiés en ne se concentrant que sur les besoins identifiés par l’employeur. Photo : Istock
Mais, aussi performants soient-ils, ces outils intelligents, en ne se concentrant que sur la recherche d’un type particulier de candidat, échappent des candidatures potentiellement intéressantes de la part de personnes hautement qualifiées pour les postes à pourvoir.
Selon des experts, du moment où l’algorithme a pour mission d’exclure des candidatures sur la base de critères prédéterminés, il forge des préférences pour certains types de postulants au détriment des autres, comme le ferait un être humain.
En s’adaptant constamment à ce qu’on lui demande, le logiciel de recrutement peut non seulement négliger des candidats qualifiés, mais aussi il introduira lui-même de nouveaux préjugés dans son processus d’embauche s’il n’est pas utilisé avec soin, préviennent les experts.
C’est le cas du professeur de pratiques de gestion à la Harvard Business School, Joseph Fuller, qui a cosigné une étude l’année dernière sur les candidats négligés par les entreprises lors de leur processus d’embauche, y compris leur utilisation de logiciels de recrutement.
Les chercheurs ont interrogé plus de 2250 cadres aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne. Ils ont constaté que plus de 90 % des entreprises utilisaient des outils tels que l’ATS pour filtrer et classer initialement les candidats.
Des préjugés dans la machine
Mais souvent, elles ne les utilisaient pas correctement. Parfois, les candidats étaient évalués par rapport à des descriptions de poste gonflées, remplies de critères inutiles et rigides, ce qui faisait que certains candidats qualifiés étaient cachés sous d’autres que le logiciel jugeait plus adaptés.
Selon la configuration de l’IA, celle-ci pouvait rétrograder ou filtrer des candidats en raison de facteurs tels que des lacunes dans leur parcours professionnel ou l’absence de diplôme universitaire, même si le poste n’exigeait pas d’études postsecondaires.
Sans surprises, les candidatures négligées étaient souvent celles de personnes qui sont généralement aussi négligées lors des processus d’embauche classiques, ont montré les travaux de M. Fuller.
« Parmi les candidats négligés, on compte notamment les immigrants, les anciens combattants, les personnes handicapées, les aidants naturels et les personnes neurodiverses. »— Une citation de Joseph Fuller, professeur de pratiques de gestion à la Harvard Business School
C’est pourquoi les chercheurs exhortent les employeurs à rédiger de nouvelles descriptions de poste et à configurer leurs outils d’intelligence artificielle de manière à inclure les candidats dont les compétences et l’expérience répondent aux exigences fondamentales d’un rôle, plutôt que de les exclure en fonction d’autres critères.
L’erreur d’Amazon
Le logiciel d’embauche d’Amazon a développé un préjugé sexiste en raison des banques de CV utilisées pour l’entraîner qui comportaient une majorité de candidatures masculines. Photo: Reuters/Carlos Jasso
L’un des cas de figure de développement de biais par un logiciel d’embauche s’est produit chez le géant du commerce en ligne Amazon, en 2018.
L’outil intelligent qu’utilisait la multinationale pour trier son flot de candidatures discriminait davantage les candidatures féminines. Pourquoi les femmes?
Lors de sa création, le logiciel intelligent avait été entraîné avec des banques de CV d’anciens candidats qui étaient très majoritairement des hommes. Dans sa logique interne, la machine s’est donc mise à rétrograder les candidats dont les CV mentionnaient la participation à des ligues sportives féminines ou l’obtention d’un diplôme dans des universités féminines.
À mesure que l’IA devient plus intelligente et s’adapte aux types de candidats qu’un employeur aime, en fonction des personnes qu’il a embauchées dans le passé, de plus en plus d’entreprises risquent de reproduire l’erreur d’Amazon, selon Susie Lindsay, avocate à la Commission du droit de l’Ontario, qui a fait des recherches sur la réglementation potentielle de l’IA au Canada.
Les pouvoirs publics réagissent
Le problème est à ce point préoccupant que le gouvernement américain a publié des directives à l’intention des employeurs sur la possibilité que les logiciels d’embauche automatisés soient discriminatoires à l’égard des candidats handicapés – même lorsque l’IA prétend être sans préjugés.
À compter d’avril 2023, les employeurs de la ville de New York, notamment, devront informer les candidats et les employés lorsqu’ils utilisent des logiciels de recrutement pour l’embauche et mieux examiner ces technologies pour y débusquer les préjugés d’embauche.
Au Canada, bien qu’il existe une politique sur l’utilisation de l’IA dans la fonction publique fédérale, il n’existe pas de règles ou de directives claires pour les autres employeurs. Toutefois, une loi actuellement devant le Parlement exigerait que les créateurs et les utilisateurs de systèmes d’IA à fort impact adoptent des mesures d’atténuation des préjudices et des préjugés.
Les détails sur ce qui est considéré comme une IA à fort impact n’ont cependant pas encore été précisés.
Pour l’instant, il revient donc aux employeurs canadiens et à leurs équipes de recrutement de comprendre comment fonctionne leur logiciel d’IA et les biais potentiels qu’il peut développer.
Je conseille aux praticiens des RH de se renseigner et d’avoir des conversations ouvertes avec leurs fournisseurs, recommande Pamela Lirio, professeure agrégée en gestion internationale des ressources humaines à l’Université de Montréal. Qu’y a-t-il dans votre système? Comment est l’algorithme? Qu’est-ce qu’il suit? Qu’est-ce qu’il me permet de faire?
Selon Mme Lirio, qui se spécialise dans les nouvelles technologies, il est également important de se demander qui a construit l’outil intelligent de recrutement et sur quelles données il a été entraîné pour éviter des erreurs comme il en est survenu chez Amazon en 2018.
Peut-on battre les robots d’embauche?
Il est de plus en plus difficile de décrocher une entrevue en personne pour faire valoir sa candidature. Photo : Istock
Le phénomène des logiciels de recrutement n’étant pas nouveau en soi, les experts en recherche d’emploi ont développé avec le temps des stratégies pour tenter de franchir le mur robotique. L’un des trucs les plus répandus est de multiplier dans son CV les bons mots-clés qui permettront à l’outil de recrutement de détecter les critères qu’il recherche.
Mais les mots-clés ne sont qu’un des nombreux points de données utilisés par les systèmes d’IA qui sont de plus en plus perfectionnés. Parmi les autres, citons le nom des entreprises pour lesquelles vous avez travaillé dans le passé, le stade de votre carrière et même la distance qui vous sépare de l’organisation dans laquelle vous postulez.
Avec un système d’IA adéquat, capable de comprendre le contexte de la compétence et les relations entre les compétences [le bourrage de mots-clés] n’est tout simplement plus aussi fructueux qu’avant, explique Morgan Llewellyn, spécialiste des données à la société de technologie de recrutement Jobvite.
Au lieu d’essayer de tromper l’algorithme, les experts recommandent de postuler à des emplois qui correspondent aux compétences, aux connaissances et à l’expérience que vous possédez réellement – en gardant à l’esprit qu’un humain prend toujours la décision finale.
Vous devez répondre aux exigences [du rôle]. Si vous ne remplissez aucune de ces conditions, alors bien sûr un humain ou une certaine forme d’automatisation vous filtrera, assure Robert Spilak, vice-président du fournisseur de services de recrutement de personnel TalentNest.
Avec Radio-Canada d’après un texte de Laura McQuillan, de CBC
Une personne appartenant à l’entourage de la monarchie britannique a démissionné après avoir posé des questions insistantes sur ses origines à une militante féministe noire lors d’une réception organisée par la reine consort Camilla à Buckingham, a indiqué mercredi le palais. Ngozi Fulani, directrice de l’association Sistah Space qui soutient les victimes de violences domestiques, a affirmé sur Twitter qu’un membre des services qui entourent les membres de la monarchie lui avait demandé avec insistance « d’où elle venait vraiment » lors d’une réception mardi au palais royal.
Dans un communiqué, le palais de Buckingham a déclaré prendre l’incident « extrêmement au sérieux ». « Des commentaires inacceptables et vraiment regrettables ont été faits », a déclaré le palais. « La personne concernée aimerait exprimer ses profondes excuses pour le mal causé et a quitté son rôle honorifique avec effet immédiat. » La réception organisée à Buckingham par la reine consort Camilla avait pour thème la lutte contre les violences à l’égard des femmes.
Des questions embarrassantes
Dans un tweet, Ngozi Fulani raconte avoir été interpellée dix minutes après son arrivée par une personne qu’elle désigne comme « Lady SH », qui lui a « touché les cheveux pour voir (son) nom sur (son) badge », explique-t-elle. Elle ajoute qu’après avoir expliqué qu’elle était là comme représentante de son association basée à Londres, son interlocutrice lui a demandé : « Non, mais d’où venez-vous en Afrique ? » et a continué d’insister quand Ngozi Fulani lui a répondu être britannique. « Non, mais d’où venez-vous vraiment ? D’où est-ce que les gens comme vous viennent ? » aurait-elle insisté.
Ngozi Fulani explique n’avoir pas su que répondre ni que faire. « Je ne pouvais pas le dire à la reine consort, et c’était un choc pour moi comme pour les deux autres femmes (à mes côtés), nous sommes restées abasourdies et muettes. » « Nous ne souhaitons pas révéler l’identité de la personne concernée, c’est le système qui doit évoluer », a insisté Sistah Space. L’incident intervient après que la famille royale britannique a été accusée de racisme l’année dernière par le prince Harry – fils cadet du roi Charles III – et son épouse Meghan, une Américaine métisse. Le couple, qui vit désormais aux États-Unis, assure notamment qu’un membre de la famille royale s’était interrogé avant sa naissance sur la couleur de peau qu’aurait leur fils Archie. Seulement 8,5 % des employés de la famille royale font partie de minorités ethniques, contre 13 % de la population britannique, avait révélé l’année dernière la famille royale en se fixant un objectif de 10 % pour 2022
Ottawa s’engage à revoir ses procédures pour augmenter le taux d’acceptation des permis pour les étudiants africains francophones.
Selon le gouvernement fédéral, le comportement de certains agents d’immigration pourrait expliquer la forte proportion de refus de demandes de permis d’études visant les étudiants africains francophones. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers
« [Immigration Canada] reconnaît qu’il y a du racisme au Canada ainsi qu’au sein de sa propre organisation. »
Les mots sont forts et expliqueraient, en partie, le taux important de refus de permis d’étudiants visant des ressortissants africains francophones souhaitant venir au Canada, et particulièrement au Québec.
Cette phrase figure au milieu d’une réponse du gouvernement fédéral, donc du ministre de l’Immigration Sean Fraser, à un rapport publié à la fin du printemps réalisé par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM).
Ce document de 22 pages a été discrètement mis en ligne à la fin du mois de septembre et n’a fait l’objet d’aucune conférence de presse ni intervention publique du ministre.
Des refus par inadvertance
Ce constat survient après différents reportages, ces derniers mois, révélant des rejets massifs de demandes en provenance de certains pays d’Afrique. Cela a provoqué l’incompréhension et la colère des établissements d’enseignement et des demandeurs concernés.
Pour justifier ces refus, Immigration Canada leur reproche, la plupart du temps, une intention de rester au Canada à l’issue de leur formation. Pourtant, dans le même temps, Ottawa met en place des programmes fédéraux pour prolonger le séjour des étudiants étrangers.
Jusqu’alors, le ministère s’était défendu en affirmant que toutes les demandes sont traitées de manière identique, peu importe le pays d’origine.
Dans sa réponse au CIMM, le ministre Fraser se montre beaucoup plus critique envers le comportement des agents d’immigration de son ministère.
« Le gouvernement convient qu’il est possible d’en faire plus en ce qui concerne les préjugés raciaux et la discrimination au sein de l’organisation et de ses politiques, programmes et fonctions de traitement opérationnel. »— Une citation de Extrait d’une réponse du ministre de l’Immigration, Sean Fraser
Par inadvertance, il y aurait ainsi des taux de refus plus élevés chez les étudiants africains, souligne Sean Fraser, tout en précisant qu’Immigration Canada lancera une nouvelle étude interne portant sur la « lutte contre le racisme » au « premier semestre de 2023 », avec une « ronde de discussions » menée auprès de ses employés.
Le ministre canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser Photo : La Presse Canadienne/Adrian Wyld
Un comité de travail avec Québec en préparation
Ottawa, dans l’ensemble de ce rapport, se dit très ouvert à revoir ses processus et se montre favorable à une série de recommandations proposées par un comité parlementaire. Mais peu de détails sur la réalisation de celles-ci y sont mentionnés.
Le gouvernement, promet Sean Fraser, accepte de revoir le processus de sélection des étudiants étrangers. Ces derniers doivent être évalués en fonction de critères davantage liés à leur potentiel et à leur valeur, ajoute-t-il.
Immigration Canada, dit-il, doit déployer davantage d’efforts pour comprendre les différences entre le taux d’approbation des demandes de permis d’études qu’obtiennent les demandeurs africains et celui qu’obtiennent les demandeurs d’autres régions.
Les étudiants africains qui souhaitent rester vivre ou travailler au Canada après leurs études ne devraient pas être pénalisés, résume le ministre, en reconnaissant qu’il faut clarifier les directives à l’intention des agents.
« L’intention de demander la résidence permanente ne peut mener au rejet d’une demande de permis d’études. »— Une citation de Extrait d’une réponse du ministre de l’Immigration, Sean Fraser
Le gouvernement Trudeau compte aussi renforcer le dialogue entre le Canada et le Québec.
Un groupe de travail conjoint sur les permis d’études sera formé cet automne avec l’objectif d’aboutir à des mesures concertées.
Là encore, malgré nos relances, Immigration Canada reste flou et n’a fourni aucun plan sur ce sujet. [On est] en train d’élaborer un mandat pour le groupe de travail afin de mieux définir ses objectifs et la fréquence des réunions, indique Isabelle Dubois, porte-parole du ministère.
Cette idée est cependant accueillie favorablement par Québec, qui, tout en garantissant sa pleine collaboration aux travaux, met la pression sur Ottawa.
« Le Québec souhaite observer des résultats rapidement dans ce dossier. »— Une citation de Émilie Vézina, porte-parole du MIFI
Le MIFI demeure préoccupé par les taux d’acceptation des demandes de permis d’études des étudiants africains francophones, soutient Émilie Vézina, porte-parole du ministère québécois de l’Immigration.
Plus de transparence avec Chinook
Le logiciel Chinook est utilisé depuis 2018 par les agents d’immigration pour traiter les demandes de permis d’études. Celui-ci est vivement dénoncé par différents experts en raison de son opacité. Immigration Canada « est d’accord avec la nécessité de la transparence », écrit le ministre Fraser. Des « consultations publiques sur les nouvelles technologies » seront menées et une « évaluation » de Chinook sera faite, ajoute-t-il, tout en spécifiant que cet outil ne prend pas « lui-même de décisions ».
Le taux de refus des demandes de permis d’études provenant de certains pays d’Afrique francophone dépasse les 80 %. Photo : Getty Images/Thomas Lohnes
Ouverture pour un ombudsman
Sans s’y engager pleinement, Ottawa compte également étudier la faisabilité de créer un bureau d’ombudsman. Une telle instance est réclamée depuis des années, à la fois par des organismes et des élus fédéraux, face à l’afflux de demandes et de problématiques liées à l’immigration.
On est content, très satisfait de voir cette ouverture, souligne Claire Launay, la porte-parole de l’organisme Le Québec, c’est nous aussi, qui milite pour la mise en place d’un bureau indépendant, capable de soulever des enjeux.
« On a besoin rapidement d’un projet de loi et d’un ombudsman qui a des pouvoirs, des dents. Il faut des mécanismes de recours pour les immigrants. »— Une citation de Claire Launay, porte-parole de l’organisme Le Québec, c’est nous aussi
Le ministre Fraser promet au préalable un examen approfondi et diverses consultations, avant, éventuellement, de demander les pouvoirs et les ressources appropriés. Aucun échéancier n’est précisé.
C’est dommage de rallonger le processus, déplore néanmoins Claire Launay. Les preuves de l’utilité d’un ombudsman ne sont plus à démontrer.
Les attaques xénophobes et les menaces de mort contre la candidate à la vice-présidence de la Colombie, Francia Márquez, rappelle à quel point les personnalités de couleur sont essentialisées afin de minimiser la profondeur de leur discours et son impact.
La romancière américaine Toni Morrison l’a répété tout au long de son existence : « La fonction principale du racisme est de distraire, de m’empêcher de faire mon travail et de me forcer à me justifier constamment sur ma légitimité à occuper une place de pouvoir. »
En 2022, ses paroles restent tristement d’actualité. En Europe comme aux Amériques, on tente encore de discréditer, par des attaques racistes, les politiques noirs que l’on semble juger davantage sur leur couleur de peau que sur leur travail. Pour preuve, les polémiques et les réactions, notamment sur les réseaux sociaux, après la nomination, en France, de Pap N’Diaye au poste de ministre de l’Éducation nationale et l’élection, dès le premier tour des législatives du 12 juin, de Danièle Obono. Ceux qui voudraient adhérer à la théorie de l’avènement d’une ère « post-race » doivent se rendre à l’évidence que ces stratégies de « distraction » tendent à prouver le contraire : on dénie à ces nouveaux visages de la politique le droit d’exister et de faire leur preuve dans l’espace public.
« La dignité comme habitude »
De l’autre côté de l’Atlantique, les mêmes techniques sont à l’œuvre, alors même que la candidate Francia Márquez pourrait bien devenir la première vice-présidente noire de Colombie à l’issue du second tour de l’élection présidentielle, le 19 juin. Symbole célébré par de nombreuses communautés afro-diasporiques en Amérique latine mais aussi aux États-Unis – l’activiste américaine Angela Davis, notamment, qui reconnaît en elle une grande figure de la justice raciale et sociale, lui a envoyé un message de soutien –, Marquez doit, elle aussi, affronter d’innombrables commentaires racistes, avant même de pouvoir développer sa vision du changement dans un pays aux mains d’une élite politique qui s’est peu renouvelée depuis près d’un demi-siècle.
Dans les derniers mois de campagne, la candidate a dû s’exprimer à plusieurs reprises contre des attaques la comparant à King Kong. Comme l’ex-ministre française de la Justice, Christiane Taubira, comparée en son temps à une guenon. Francia Márquez répond que le racisme et le machisme tuent tous les jours en Colombie et qu’une fois élue, une de ces priorités sera de se dresser contre la normalisation de ces pratiques. Rappelons que l’un de ses cris de ralliement est « pour que la dignité devienne une habitude », dans un pays où les écarts de richesse sont toujours aussi criants et au détriment des populations afro-descendantes, sous-représentées dans les médias et dans les postes politiques à responsabilité.
Une autre technique des médias colombiens est de l’empêcher de développer une vision globale pour le pays en ne l’interrogeant que sur son statut de femme noire, comme si elle ne pouvait pas s’exprimer sur d’autres thèmes. En matière de parcours de vie et d’expertise, la candidate originaire de la côte pacifique a pourtant beaucoup à partager avec le peuple colombien. Ancienne travailleuse de la mine et employée domestique, elle devient mère à 16 ans et connaît une ascension spectaculaire en tant qu’activiste environnementale, une lutte qu’elle mène depuis ses 13 ans. Elle dénonce notamment les activités minières illégales qui polluent au mercure le fleuve Ovejas de sa terre natale. En 2018, elle reçoit le « Nobel de l’environnement », le prestigieux prix international Goldman, et obtient deux ans plus tard son diplôme d’avocate à la faculté de droit de l’université de Santiago de Cali. En ce début d’année, Márquez devient le phénomène électoral – comme la décrivent des médias colombiens et internationaux – en obtenant la troisième place des suffrages aux élections primaires du pays, sans n’avoir jamais obtenu de poste politique au préalable.
Convergence de mouvements
Les nombreuses attaques dont elle est la victime n’empêchent pas Francia Márquez de rappeler son engagement pour la promotion des populations noires. Elle le prouve en choisissant la date symbolique du samedi 21 mai, jour national de l’afro-colombianité, pour clore sa campagne avant le premier tour de l’élection présidentielle. En plein centre de Bogota, les organisateurs élaborent un programme qui célèbre la culture et résistance afro avec des manifestations artistiques et des interventions de leaders sociaux. Sous le mantra « vivir sabroso » (vivre de manière savoureuse), formule bien connue des populations noires de la côte pacifique, qui met en avant l’importance du bien-être, de la dignité et de la qualité de vie malgré les terribles épisodes du conflit armé et des violences répétées dans la région, une foule éclectique scande « On t’aime Francia » à la fin de chacune des interventions de l’après-midi.
Dans le public, on note une convergence entre plusieurs mouvements : les communautés afro mais aussi les populations indigènes, les communautés LGBT et une majorité de jeunes qui se reconnaissent dans le besoin de changement que porte la candidate. Mais gare à ceux qui veulent réduire son impact politique à un simple phénomène générationnel, autre grand classique pour discréditer les figures politiques progressistes. Márquez reçoit également des appuis des populations plus âgées, qui voient en elle le respect des ancêtres et un espoir pour vieillir dans des conditions plus respectables, au sortir de la pandémie.
Menaces de mort
Ce 21 mai donc, à peine vingt minutes après la prise de parole de Francia Márquez, un rayon laser vient perturber son discours. Les gardes du corps de la candidate l’encerclent avec leur bouclier pour la protéger de possibles tirs, et elle trouve la force de terminer son discours malgré une voix altérée par l’émotion avant d’être évacuée de force de la scène. Image choc et pourtant bien représentative des menaces de mort que Márquez et son entourage reçoivent en contrepartie de sa visibilité politique dans un pays qui détient le triste record du plus grand nombre d’assassinats de leaders sociaux depuis plusieurs années. En 2021, selon les chiffres officiels, 145 d’entre eux ont été assassinés et les statistiques sont plus que préoccupantes pour 2022. Interrogée sur sa gestion des menaces, la candidate à la vice-présidence colombienne répond que c’est le risque à courir pour porter le changement politique pour les prochaines générations.
Si nous ne pouvons que nous réjouir de l’ascension de nombreuses personnalités noires avec des profils et des programmes qui se distinguent par leur engagement à l’égalité raciale et sociale, jusqu’à quand allons-nous banaliser les risques encourus par des femmes politiques comme Francia Márquez ? Le spectre de l’assassinat, en 2018, de l’Afro-Brésilienne Marielle Franco, qui avait fait sa transition de l’activisme vers la politique traditionnelle, est souvent cité chez ses sympathisants, lesquels déploient une grande énergie à rendre visible son travail.
Au-delà des programmes, le changement doit se faire aussi par la prise de conscience des sociétés civiles : protéger ceux et celles qui incarnent la modernité en politique relève de la bonne santé de nos démocraties. On ne peut que souhaiter à Francia Márquez de pouvoir continuer son épopée politique dans les mêmes conditions que les nombreux autres candidats épargnés par les constantes menaces et attaques racistes, qui les distraient du véritable enjeu : plus de représentativité politique de profils justifiant à la fois d’une expérience et d’une expertise proche du peuple afin de rendre plus inclusif des projets de vivre ensemble. Tel est le défi d’une démocratie sabrosa !
Avec Jeune Afrique
par Léonard Cortana
Doctorant en cinéma à la New York University et chercheur au Berkman Klein Center de Harvard
Un documentaire de la chaîne BBC Africa Eye révèle les dessous d’un business très particulier : des mises en scène, devenues virales sur les réseaux sociaux chinois, montrent des enfants africains tournés en ridicule.
Leurs parents pensaient qu’ils allaient apprendre le chinois ou que les vidéos tournées dans leur village allaient être envoyées à des ONG. Les enfants, eux, s’amusaient à répéter des chorégraphies et apprenaient de bon cœur des textes qu’ils récitaient sans les comprendre. Ils étaient à mille lieues d’imaginer que les vidéos filmées par un jeune Chinois, qu’ils pensaient être un travailleur humanitaire, étaient en fait destinées à être commercialisées sur les réseaux sociaux, pour des sommes allant de 10 à 70 dollars.
Partagées sur Facebook ou sur le réseau Douyin, la version chinoise de TikTok, ces vidéos vendues à des particuliers ou des personnalités montrent des enfants noirs, qui chantent, dansent et déclament en chœur des messages. Ceux-ci sont parfois innocents – « Joyeux anniversaire », « Félicitations pour ton mariage » – mais pas toujours. Sur certaines vidéos, les enfants entonnent des chansons à la gloire de la Chine, et de toutes jeunes filles adoptent des poses hypersexualisées en se dandinant devant la caméra.
Mais ce n’est pas tout. Dans une vidéo devenue virale en 2020, une vingtaine de petits garçons, tous habillés de la même façon, répètent en chœur des messages racistes. « Je suis un monstre noir [traduction littérale de ce qui correspond au « nègre » chinois] ! J’ai un faible QI ! », s’écrient les bambins gaiement.
« Club des blagues sur les Noirs »
C’est cette vidéo, diffusée par un compte baptisé « Club des blagues sur les Noirs », qui a poussé la journaliste de BBC Africa Eye, Runako Celina, à enquêter sur ce business. Bien au fait de l’ampleur du racisme en Chine pour y avoir elle-même étudié, la journaliste décide de partir à la recherche de la personne à l’origine de cette vidéo du « faible QI ». Une enquête qui durera un an et demi.
« Cela faisait déjà plusieurs années que je voyais passer ces vidéos, qui sont apparues en 2015, raconte-t-elle. Les gens s’indignaient, mais l’industrie continuait à se développer. Au départ, ça a débuté avec des enfants africains, puis ça s’est étendu aux adultes, aux femmes ukrainiennes, thaïlandaises… Mais les seuls mineurs que l’on utilisait, étonnamment, étaient toujours noirs. » Son documentaire de quarante minutes diffusé le 13 juin, « Racisme à vendre », raconte cette quête et cette plongée au cœur d’un système lucratif qui la mènera jusqu’au Malawi.
En étudiant et observant attentivement des vidéos parmi les milliers qui ont pu être publiées, la journaliste parvient à remonter une piste jusqu’aux villages de Njewa, dans la banlieue de Lilongwe, puis de Kamwendo, dans le sud du pays. Ces deux villages, que l’on devine extrêmement pauvres, ont été les lieux de tournage de plusieurs centaines de vidéos au moins. Elle finira par y retrouver l’un des « réalisateurs », Lu ke, mais qui se fait appeler Susu (« oncle ») par les enfants.
Devant une caméra cachée, filmé par un journaliste chinois qui se fait passer pour un acheteur potentiel, ce dernier déverse une litanie de propos racistes et raconte qu’il peut aller jusqu’à filmer 380 vidéos par jour dans le même village. Sur certaines images, on le voit tendre de la nourriture aux enfants, se plaçant dans une posture de généreux donateur. Une sorte de « pornographie de la pauvreté » que dénonce aussi le reportage.
White saviors
Avant Susu, combien de voyageurs occidentaux en quête d’exotisme se sont photographiés ou filmés dans un village africain devant une flopée d’enfants souriants à qui ils tendaient un paquet de bonbons ? « J’ai moi-même grandi en Angleterre, et ces images correspondent au récit que l’on me présentait, enfant, sur ces généreux blancs qui venaient “sauver l’Afrique” et les “petits africains”. L’industrie des vidéos chinoises se nourrit de la manière dont on continue de dépeindre des pays du continent », analyse Runako Celina.
« Nous faisons de notre mieux pour élever nos enfants, et quelqu’un les utilise pour son business. C’est très douloureux. Comme il était blanc, nous avons cru qu’il venait nous aider », dira le père d’un des enfants concernés dans le reportage. Certains de ces enfants, qui reçoivent parfois moins d’un dollar et qui manquent l’école pour assister aux tournages, racontent également comment ils sont battus et humiliés par Lu ke. La ministre du Malawi en charge de l’Enfance, Patricia Kaliata, citée par BBC Afrique, a annoncé l’ouverture d’une enquête.
Si Runako Celina a réussi à retrouver l’un des réalisateurs de ces vidéos, elle est bien consciente que le phénomène dépasse, et de loin, ce seul responsable. « L’ensemble de ce business n’est soumis à aucune régulation et l’industrie continue de se développer. Comme Susu le raconte lui-même, il existe désormais des « agents », des intermédiaires qui aident les réalisateurs locaux à vendre leurs contenus et qui participent à rendre l’industrie profitable. Désormais, on voit même ce genre de vidéos en Japonais. »
Une nouvelle fois, les autorités sénégalaises montent au créneau pour dénoncer le racisme. Elles s’insurgent, cette fois, contre l’interpellation violente d’un de leurs ressortissants à Florence.
Qui en veut aux Sénégalais d’Europe ? Après la saillie de campagne d’Éric Zemmour assimilant les ressortissants du pays de la Teranga à des trafiquants, une récente vidéo montre l’interpellation jugée « raciste » d’un wolophone. Relayée sur les réseaux sociaux puis diffusée, le 10 avril, par la télévision sénégalaise privée TFM, la captation présente un homme noir violemment cloué au sol, en pleine rue, par deux hommes tentant de lui passer des menottes.
Violence des images
Au fil des enquêtes, la scène est décryptée : date de l’altercation ? Le 5 avril. Le lieu ? Un quartier de la ville italienne de Florence. Les protagonistes ? Deux policiers en civil et un commerçant sénégalais – il appelle au secours en wolof – qualifié par la presse locale de « vendeur à la sauvette » et par la mairie, de « vendeur abusif ». Ce qui s’est passé ? Selon le journal Corriere Fiorentino, l’individu contrôlé par la police aurait refusé de donner son identité et de remettre ses marchandises. Selon les autorités locales, il aurait « bousculé un agent et puis frappé (…) un autre avec les poings qui a alors tenté de l’immobiliser » par une clé de bras.
Sans trancher sur l’homologation de l’un ou la légitimité sécuritaire des autres, de nombreux internautes africains s’étonnent de l’extrême violence des images. Dès le 10 avril, les autorités du Sénégal embouchent la trompette antiraciste. Dans un communiqué officiel, le ministère des Affaires étrangères indique avoir « appris, avec consternation, après authentification d’une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux (…) les violences dont a été victime un ressortissant sénégalais en Italie lors d’une interpellation par des forces de l’ordre ». Il précise que cette opération policière relève d’un « traitement raciste, inhumain et dégradant » et que la diplomatie sénégalaise entend saisir le ministère italien des Affaires étrangères.
Traque des discriminations
« Diplomatiquement », l’ambassadeur du Sénégal en Italie exige que « toute la lumière soit faite », avec implications judiciaires, sur des actes « d’une inqualifiable cruauté ». « Diplomatiquement », les autorités municipales de Florence répondent que les deux agents de police se sont vu notifier une incapacité temporaire de travail (ITT) de « trois et cinq jours » tandis que le Sénégalais « ne semble pas » avoir subi de lésions et « a demandé pardon aux personnes présentes pour son comportement violent ».
Mamadi III Fara Camara, arrêté à tort en janvier dernier pour une tentative de meurtre sur un policier montréalais, et ses proches réclament des dommages totalisant 1,2 million de dollars pour les agissements du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans ce dossier. L’homme d’origine guinéenne affirme avoir été victime de profilage racial.
Au printemps, l’arrestation injustifiée de M. Camara avait soulevé l’indignation générale lorsque l’erreur du SPVM avait été révélée au grand jour, et les poursuites abandonnées.
Les avocats de M. Camara sollicitent pour leur client, auprès des deux défendeurs, une indemnisation totalisant 790 000 $ pour les conséquences pécuniaires qu’il a subies, pour atteinte à sa réputation, pour détention illégale de six jours et pour dommages moraux, une somme à laquelle vient se greffer une réclamation de 150 000 $ en dommages punitifs adressée à la Ville de Montréal.
Interception illégale», profilage racial», arrestation illégale», force abusive de la part des policiers», enquête bâclée basée sur de la discrimination raciale», propos insultants de la part de policiers», interrogatoire musclé», deux fouilles à nu», fouille abusive de son appartement», détention illégale du 28 janvier au 3 février» et grave atteinte à sa réputation» : les allégations dans la poursuite intentée contre la Ville de Montréal et le procureur général du Québec sont nombreuses.
M. Camara avait été arrêté le 28 janvier et placé en détention pendant six jours, à la suite de l’agression d’un policier, Sanjay Vig, qui l’avait interpellé dans Parc-Extension parce qu’il aurait utilisé son cellulaire au volant. Une infraction que M. Camara a toujours niée.
Le policier avait été frappé à l’arrière de la tête, puis désarmé alors qu’il regagnait son véhicule, ce qui avait déclenché une importante opération policière. M. Camara, qui avait d’emblée composé le 911, avait indiqué aux policiers avoir vu un homme noir avec des dreads» agresser l’agent, puis prendre la fuite.
Il avait pu quitter les lieux, mais avait ensuite été arrêté près de son domicile.
L’agent Vig l’avait erronément identifié comme étant l’auteur de l’agression.
M. Camara, qui a toujours clamé son innocence, avait été libéré le 3 février après un arrêt des procédures annoncé par le DPCP.
Deux jours plus tard, le directeur du SPVM, Sylvain Caron, avait annoncé que de nouvelles preuves permettaient d’exclure hors de tout doute sa culpabilité. La Couronne avait ensuite retiré les accusations. Geste exceptionnel, le directeur du SPVM avait formellement présenté des excuses à M. Camara.
Les avocats de ce dernier, Me Virginie Dufresne-Lemire, Me Alain Arsenault et Me Justin Wee, reprochent au SPVM de s’être plongé dans une vision tunnel, laissant de côté des éléments de preuve cruciaux», dont le fait que leur client ne portait sur lui aucune trace de bagarre» et le fait qu’aucun élément de preuve [n’ait été] trouvé ni sur M. Camara ni dans son véhicule».
Ils déplorent également que le service de police ait délibérément mis de côté des éléments de preuve corroborant la version de M. Camara».
La partie demanderesse reproche par ailleurs à la procureure du DPCP d’avoir « choisi de déposer des accusations, parmi les plus graves du Code criminel, sans analyser le dossier complet ».
Les avocats mentionnent une vidéo, disponible depuis le 28 janvier», dans laquelle il était clair qu’un troisième individu [était] présent» et qui corroborait la déclaration d’un témoin.
Le manque d’objectivité dans son analyse du présent dossier constitue un cas manifeste d’abus intentionnel qui choque la collectivité et mine la confiance du public envers le système de justice», affirme la poursuite.
Les documents présentés en cour mettent de l’avant une perte de revenu importante», insistant sur le fait que M. Camara, chargé de cours et technicien de laboratoire en communication sans fil à l’École polytechnique, n’a pas été en mesure de reprendre le cours normal de ses activités. Ils affirment aussi qu’il ne pourra pas terminer ses études à temps, ce qui crée un stress supplémentaire et met en péril son statut».
Il y a deux mois, M. Camara avait raconté en entrevue à Radio-Canada que les gestes posés par les policiers lors de son arrestation le hantaient encore.
Précisant que ses avocats étaient en pourparlers avec la Ville de Montréal, le jeune trentenaire, devenu père de famille depuis l’erreur judiciaire dont il a été victime, avait dit espérer que les choses se règlent à l’amiable».
La poursuite inclut aussi comme demandeurs la femme de M. Camara, Saran Diawara, qui était enceinte lors de l’arrestation de son mari, de même que le frère, la sœur, qui à l’époque était elle aussi enceinte, et le beau-frère de Mme Diawara ainsi que deux voisins.
Les avocats réclament des deux défendeurs une indemnisation de 75 000 $ en dommages moraux pour Mme Diawara, qui a dû être hospitalisée et qui a craint de faire une fausse couche, et 25 000 $ chacun pour les trois membres de sa famille, qui disent avoir subi d’importants préjudices».
Ils demandent en outre à la Ville de Montréal une indemnisation de 20 000 $ pour le couple de voisins, Mody Sory Barry et Mariame Diallo, qui a entre autres, avec d’autres résidents du bloc où habitait le couple Diawara incluant des enfants», été placé pendant 4 heures dans un autobus, la porte ouverte en plein mois de janvier», pendant la soirée.
Il n’y avait que des immigrants dans l’autobus», souligne la poursuite : une pensée persiste dans leur esprit; les policiers auraient-ils agi de la même manière de l’autre côté [du boulevard] de l’Acadie, dans un quartier plus riche et blanc?»
Les six demandeurs réclament en outre à la Ville de Montréal 15 000 $ chacun en dommages punitifs.
En février, Québec a annoncé une enquête indépendante, confiant au juge Louis Dionne le mandat de se pencher sur le travail du SPVM et du DPCP.
La Ligue des Noirs du Québec avait pour sa part critiqué l’attitude du SPVM, qui s’était défendu d’avoir fait du profilage racial.
En juin 2020, le corps de police montréalais avait reconnu le caractère systémique du racisme et de la discrimination et s’était engagé à agir pour les combattre, sans cependant aller jusqu’à dire qu’il y en avait dans ses rangs.
À la fin du mois de mars, un homme de 21 ans, Ali Ngarukiye, a été arrêté à Toronto pour l’agression du policier Vig. Il a formellement été accusé de tentative de meurtre, de voies de fait graves contre un policier, de tentative de désarmer un agent de la paix et d’utilisation d’une arme à feu prohibée. Il a également été accusé du vol de deux véhicules.