C’est l’heure de vérité pour l’ex-premier secrétaire du PS. En tête des sondages, il doit faire face aux interrogations sur sa capacité à diriger. S’il convainc, tous les espoirs lui seront permis. Sinon…
Il n’a jamais été ministre. Ni n’a occupé le moindre secrétariat d’Etat. Pour ses détracteurs, c’est clair: François Hollande n’a pas le CV d’un candidat à l’Elysée. « Franchement, vous l’imaginez président ? On rêve! » taclait Laurent Fabius en avril, avec un brin d’arrogance. « Je suis un homme neuf », riposte l’intéressé, en évoquant David Cameron et Barack Obama, qui ont sauté avec succès les étapes intermédiaires.
Pour convaincre son camp qu’il ferait un bon « homme d’Etat », comme l’a affirmé Jacques Chirac, François Hollande accumule les kilomètres. Un jour en Bourgogne, le soir dans le Limousin, dans un avion qui vole vers la Normandie au petit matin. Il a la bougeotte.
Avec la chute de Dominique Strauss-Kahn, l’outsider est devenu le favori de la primaire. « Jusqu’à présent, il se construisait en contre, en exploitant les faiblesses de DSK », rappelle un député strauss-kahnien. Désormais, il doit faire la course en tête, en endurant, à son tour, le flot convergent des critiques. Pas simple.
« Il s’use », constate Nicolas Sarkozy. Au pied du mur, Hollande confie à ses proches : « Il faut que je me pose pour réfléchir, que je ralentisse, histoire d’avoir du jus pour repartir quand Martine Aubry sera candidate. » Le socialiste cherche un nouveau souffle, avant l’explication finale.
Petit tour d’horizon des forces et des faiblesses présidentielles de François Hollande.
Est-il compétent?
Sa maîtrise de l’économie et du social ne fait aucun doute. Un sujet essentiel dans un pays dominé par les inquiétudes sur l’emploi et le pouvoir d’achat. Ancien élève de HEC, énarque, Hollande a donné des cours d’économie à Sciences po, de 1988 à 1991.
Membre actif de la commission des Finances de l’Assemblée nationale (1988-1993), il s’est fait une réputation de fin connaisseur de la fiscalité et de l’épargne. « Comme Michel Rocard et Dominique Strauss-Kahn, il ingurgite l’économie sans efforts, affirme son ami Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers. Allié à Michel Sapin [ancien ministre de l’Economie, 1992-1993], c’est lui qui aligne la plus forte compétence. »
Peu prolixe sur les sujets qui fâchent
Pour les patrons, il est un homme de gauche fréquentable. Il compte des amis dans cet univers, anciens camarades de promotion comme Henri de Castries (président d’Axa), André Martinez (Accor), Jean-Marc Jannaillac (RATP). Il parle souvent immobilier avec Alain Dinin (PDG de Nexity) et suscite de nombreuses demandes de rendez-vous: Claude Bébéar (ancien patron d’Axa) ou Laurence Parisot (présidente du Medef), parmi les dernières en date.
Sur le nucléaire, Hollande fait preuve du même esprit de réalisme qu’en économie: quand une grande partie du PS, y compris Martine Aubry, a basculé dans l’objectif de sortie du nucléaire, il prône, plus modéré, une réduction de la part de l’atome dans la production d’électricité: de 75 % à 50 % d’ici à 2025. Et souligne que cela correspond à un effort du même ordre que celui de l’Allemagne qui a annoncé son intention de passer de 22 % à 0 %.
En revanche, Hollande est moins prolixe sur les sujets qui fâchent (sécurité, immigration). Probablement parce qu’il partage le même embarras que le parti qu’il a dirigé. Ce silence rend sa compétence plus difficile à apprécier.
Sait-il trancher?
Il n’aime pas dire non. D’ailleurs, il le dit rarement, voire il ne le dit pas: « Quand il dit « oui, oui » en regardant ailleurs, ça veut dire non », décrypte l’un de ses amis, qui en a pris son parti.
Cette difficulté à trancher, sur laquelle s’accordent ses proches, chacun l’explique pourtant différemment: l’avocat Dominique Villemot, l’un des coordonnateurs de la campagne, y voit « le signe que François mûrit ses réflexions, qu’il veut en dominer toutes les conséquences »; le député Michel Sapin, ami de longue date, explique, lui, que « François a horreur de blesser les gens, du coup il est attentif à ne pas les heurter ». Au point de laisser deux personnes sortir de son bureau, lorsqu’il était à la tête du parti, persuadées chacune qu’elles avaient obtenu l’investiture demandée…
« Lorsqu’il était premier secrétaire, le défend Sapin, son rôle était de maintenir l’unité, pas de diviser. »
L’amitié avec Jacques Chirac
« Le 10 février 2004, la loi [sur le voile à l’école] est votée à l’Assemblée […]. Ce consensus n’aurait pu être obtenu sans l’attitude responsable du Parti socialiste et celle, exemplaire, de son premier secrétaire, François Hollande, qui s’est comporté ce jour-là en véritable homme d’Etat » (tome II des Mémoires. Le Temps présidentiel).Le 11 juin, à Sarran, l’ancien président lance qu’il « votera pour Hollande », avant d’expliquer, le lendemain, qu’il s’agissait d' »humour corrézien »
Ce souci de la « synthèse », les fabiusiens n’ont eu de cesse de le mettre en cause: « La synthèse, ce n’est pas l’addition des prises de position – ça, c’est la foutaise », dit déjà l’un d’eux en 2003, à l’époque du congrès de Dijon. « La synthèse, relève un autre, c’est ce que pratiquait Lionel Jospin, une vraie dialectique, pas une simple tactique. »
En juillet 2009, au cours d’un séminaire à Marcoussis, le fabiusien Guillaume Bachelay appelle la direction du parti à sortir du « ni-ni » cher à Hollande, « ni souverainiste ni fédéraliste sur l’Europe, ni sécuritaire ni libertaire sur la sécurité, ni nationalisation ni privatisation sur l’économie » – il est temps de prendre position, revendique alors celui à qui Martine Aubry confiera l’élaboration du projet, un an plus tard.
Aujourd’hui, Hollande a fait « sa mue », assurent ceux qui l’entourent, et la composition de son équipe serait la preuve qu’il est, désormais, capable de trancher. Donc, Stéphane Le Foll, directeur de cabinet du temps du premier secrétaire, est directeur de campagne, ainsi présenté sur RTL au matin du 13 juin.
« Non, Stéphane est le directeur de ce moment de la campagne, mais une autre campagne va s’ouvrir en juin, au moment des déclarations officielles, et là, ça devrait changer », indique un membre de l’équipe, un peu embarrassé. La mue du chef ne doit pas être totalement achevée.
A-t-il des convictions?
En petit comité, Nicolas Sarkozy se montre catégorique: « C’est une habitude avec lui, il n’avance aucune idée. » Quelle gauche incarne aujourd’hui François Hollande? « Il est réformiste et européen », affirme le politologue Gérard Grunberg, même s’il nuance: « Son tempérament et le rapport de forces au sein du PS l’ont souvent contraint à faire des synthèses. »
L’avis d’André Vallini
« A gauche, beaucoup tergiversent : « J’y vais ou je n’y vais pas ? » Lui est déterminé. En 2008, il nous a confié lors d’un dîner : « Je me lance sur un créneau réaliste, sans démagogie. Si on gagne, je ne veux pas décevoir. » Pour lui, c’est l’Elysée, sinon rien. Il est très imprégné de la nécessité de rassembler les Français. Son brio intellectuel est impressionnant.Il est bon surla fiscalité, l’économie, il aune vraie culture historique, ce qui compte pour devenir président. On le dit inexpérimenté. Quelle erreur !Il était premier secrétaire du PS sous la cohabitation. Il avait alors une vision panoramique des dossiers. » Principal référent du candidat: Jacques Delors, le père de Martine Aubry. Il partage la même vision de l’Europe, il a présidé (1993-1997) les clubs Témoin, galaxie intellectuelle autour de l’ancien président de la Commission européenne. Hollande en est l’héritier intellectuel davantage que Martine Aubry, lui qui croit que l’Etat ne doit pas tout légiférer en matière de relations du travail.
Il formule une proposition audacieuse dans Le Monde: réformer la Constitution pour permettre aux partenaires sociaux de conclure des accords que la loi ne pourrait pas modifier. Une inspiration très CFDT, qui vient notamment de son équipe sociale codirigée par Jacky Bontems, ancien n°2 de la centrale de François Chérèque. Cette démarche lui permet aussi de draguer les voix syndicales pour la primaire, un gisement de 1,5 million d’adhérents.
Il défend les PME créatrices d’emplois
Comme Delors, il adhère au principe de réalité. Il sait que la rigueur n’est pas une parenthèse. Que pour redistribuer, il faut d’abord produire. Que l’entreprise est le lieu qui sécrète les richesses. Industrialiste, il défend les PME créatrices d’emplois en France, à la différence des grands groupes.
Il réfléchit toutefois à une sorte de contrat de progrès que l’Etat passerait avec eux pour les inciter à ne pas (ou à moins) délocaliser. La cohérence s’arrête là où la politique commence.
Le logiciel Hollande comporte aussi sa part de socialisme étatique: insistance sur le rôle redistributeur de l’impôt, création d’une banque nationale d’investissement, blocage temporaire des prix en cas de spéculation. Ce qui n’empêche pas le candidat de retrouver Michel Rocard – les deux hommes se sont vus récemment – sur l’idée d’un développement économique mondial équilibré, soucieux de l’écologie.
Sait-il s’entourer?
Ils sont une poignée à avoir cru en François Hollande, quand plus personne ne misait sur lui. Depuis trois ans, Stéphane Le Foll, Bruno Le Roux, Michel Sapin, Kader Arif, Faouzi Lamdaoui ou encore André Vallini forment une équipe commando, qui a oeuvré efficacement au décollage de leur champion.
Tous les lundis, ils échangent par conférence téléphonique dans le cadre d’un « comité politique ». Mais, à l’orée de la primaire, le dispositif commence à pâtir de son côté gentiment artisanal et du manque d’organigramme précis.
« Vous devrez faire de la place après la primaire à ceux qui nous auront rejoints », leur a demandé François Hollande. « On a maintenant besoin d’une machine électorale, d’une équipe capable d’alimenter un candidat sollicité par les médias et non de s’appuyer sur des spécialistes de l’appareil et des congrès socialistes », commente un camarade tenu éloigné du premier cercle.
De nombreuses offres de service
« C’est famélique sur le plan des idées », raille un proche de Benoît Hamon. Dans les faits, Hollande s’appuie aussi sur un cercle d’élus toujours plus nombreux qui se rassemblent, chaque mardi, dans une salle du Sénat, et peut compter sur l’aide d’une multitude d’experts.Un maelström de matière grise de haut niveau, à défaut d’être clairement coordonné.
« L’équipe doit se professionnaliser, là, on ne sait pas à qui adresser les hauts fonctionnaires qui font des offres de service, et ils sont nombreux », confie un intime.
Est-il audible?
Le candidat socialiste en est conscient: ces temps-ci, il a beaucoup (trop) parlé. « Je veux être moins présent dans les médias », assure-t-il. Pas évident qu’il y parvienne, tant l’ancien premier secrétaire adore les micros.
Un scooter de Président ?
Face à la Porsche de l’ami de DSK, François Hollande pouvait traverser Paris sur son scooter à trois roues. L’effet d’image ne fonctionne plus. « C’est même l’inverse, il fait livreur de pizzas », raille un secrétaire national du PS. L’entourage de Hollande presse le candidat de se présidentialiser davantage. Après avoir affiné sa silhouette, il s’agirait désormais de soigner ses sorties: apparaître moins solitaire dans ses déplacements et ne plus s’éparpiller dans des réunions sans enjeu véritable.
Depuis mai, il a accordé plus de 15 interviews – dont deux passages dans les journaux télévisés de 20 heures. Et n’oublie pas de remplir son blog. Une exposition médiatique à faire pâlir d’envie ses rivaux, qui témoigne de sa détermination. Il y a un mais. « Il a l’impression de se répéter et d’user sa parole », reconnaît un proche.
D’un meeting à l’autre, le même discours est resservi. Et si ses dadas sont connus (jeunesse, réforme fiscale, présidence « normale »), ses propositions peinent à être reprises. Hollande n’est toujours pas identifié à des mesures phares, comme Martine Aubry l’a été avec les 35 heures ou Nicolas Sarkozy avec son fameux « Travailler plus pour gagner plus ».
D’un naturel prudent, lui préfère se positionner plutôt que cliver. Il est l’anti-Ségolène Royal. « Il lui manque ce petit supplément d’âme, cette audace qui fait la victoire dans les guerres de mouvement », résume l’un de ses opposants socialistes.
Ses amis lui conseillent désormais de changer de registre, en s’exprimant sur des sujets régaliens: justice, sécurité, international, démocratie sociale. Et de privilégier les tribunes aux interviews.
Est-il moderne ou archaïque?
S’il est élu président, il promet un changement d’ère. Le 6 juin, à la Bellevilloise, une salle parisienne à la mode, Hollande prône un large « renouvellement ».
« Faut-il avoir été ministre en 1981 pour être président en 2012 ? » lance-t-il, devant un parterre de responsables associatifs. Applaudissements nourris. La jeunesse, il en a fait le coeur de son programme.
Sur les questions sociétales, il a « cheminé » et s’est déclaré favorable au mariage homosexuel. Mais s’il regarde vers l’avenir, Hollande reste dans la pratique politique d’un classicisme un tantinet archaïque. A la tête du PS, il s’est appuyé durant onze ans sur les grands féodaux et les fédérations les plus opaques. Le système de la primaire n’était pas, au début, sa tasse de thé.
Le président du conseil général de la Corrèze, par ailleurs député, s’oppose à la limitation renforcée du cumul des mandats portée par Martine Aubry. Un refus qui lui a valu le soutien de nombreux potentats locaux, comme le PS en regorge.
Entouré de grands élus, la cinquantaine, masculins
« François est avant tout un réaliste, décrypte le président du groupe socialiste au Sénat, Jean-Pierre Bel. Il sait que pour réaliser des avancées sociales, il faut avoir un rapport de force politique dans le pays et il refuse que la gauche soit en position d’infériorité par rapport à la droite. » Son carré de fidèles est composé de grands élus, la cinquantaine, exclusivement masculins ! Consciente de l’effet désastreux en termes d’image, l’équipe Hollande a récemment passé une consigne : « Lors des meetings, donnez la parole à des femmes, il n’y en a pas assez. » Pendant la campagne de 2007, à la suite d’une photo publiée dans L’Express, Nicolas Sarkozy avait aussi dû féminiser son équipe. En toute hâte.
L’Express.fr Elise Karlin, Corinne Lheik et Marcelo Wesfreid