Au Congo-Brazzaville, sept mois après l’élection présidentielle, les évêques catholiques appellent le président Sassou-Nguesso à « libérer les prisonniers politiques ». Dans leur message épiscopal du 16 octobre, les évêques demandent aussi au pouvoir congolais d’engager un « dialogue politique sans exclusive ». A Brazzaville, l’abbé Jonas Koudissa est le curé de la paroisse Saint-François d’Assise et l’aumônier des hommes et des femmes politiques du Congo, c’est-à-dire notamment de Denis Sassou-Nguesso. De passage à Paris, le directeur de l’Académie catholique de Brazzaville pour l’éthique (Accabe) répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Selon l’opposition il y a quelques 93 prisonniers politiques dans votre pays, qu’est-ce que vous en pensez ?
Jonas Koudissa : Je ne peux pas me prononcer sur le nombre mais je sais qu’il y en a, il y en quelques-uns, oui.
Dans une déclaration du 16 octobre, les évêques congolais demandent au président de libérer tous les prisonniers politiques non régulièrement jugés. Ils disent « prisonniers politiques », c’est bien ça ?
Oui.
Ce qui veut dire qu’il y a des gens qui aujourd’hui sont en prison pour leur opinion ?
Prisonniers politiques ou hommes politiques en prison, je ne sais pas quelle expression est la meilleure. Mais, ce que je sais et que tout le monde sait, c’est que les évêques demandant au président de les libérer, je pense qu’ils mettent ça dans le contexte de l’année de la miséricorde, donc ils demandent un geste de largesse.
Le ministre de la Justice reconnaît, en effet, qu’il y a des hommes politiques en prison mais il dit que c’est parce qu’ils n’ont pas observé la loi et que donc ce ne sont pas des prisonniers politiques.
Comment définir un prisonnier politique ? Dans tous les cas, lorsque quelqu’un est en prison, il faudrait établir sa culpabilité. Ensuite le juger pour établir qu’il est effectivement coupable ou non coupable. Pour l’instant, en dehors d’un seul prisonnier, je pense, qui a été jugé, – Paulin Makaya -, je ne connais pas d’autres condamnations.
Et concrètement, le candidat Jean-Marie Michel Mokoko, en prison depuis quatre mois, qu’est-ce que vous en pensez ?
Comme tous les Congolais, nous attendons que nous sachions ce qu’on lui reproche et qu’il y ait un procès.
Autre candidat à la dernière présidentielle, André Okombi Salissa, il est en fuite, et son bras droit Augustin Kala Kala vient de réapparaître, il est très affaibli, le corps couvert de blessures. Selon ses proches il a été torturé, qu’est-ce que ça vous inspire ?
Dans le récit que j’ai écouté, de sa femme, je pense, il est dit, que ce monsieur, que je ne connais pas personnellement, était cagoulé et donc il ne sait pas qui l’a enlevé, qui l’a torturé. Donc moi je ne peux pas en savoir plus mais l’évidence est là, il a été torturé. Qui l’a torturé ? Je ne peux qu’en appeler à l’Etat qui a le devoir d’assurer la sécurité de tout citoyen et donc de veiller à ce que ce genre de choses ne se produisent pas dans notre pays qui est un pays de droit.
Depuis avril dernier, depuis l’annonce officielle de la victoire de Denis Sassou-Nguesso à la dernière présidentielle, la région du Pool, au sud-ouest de Brazzaville, est secouée par de nombreuses violences. A qui la faute ?
Haha ! Malin qui le saurait. J’ai vu des prêtres du diocèse de Kinkala qui se sont réfugiés à Brazzaville, là, récemment mais je ne suis pas sûr qu’ils savent mieux que moi ce qu’il se passe.
D’un côté le pouvoir accuse les rebelles Ninja du pasteur Ntumi d’attaquer l’armée et les populations civiles. De l’autre côté, le pasteur Ntumi accuse l’armée de terroriser les populations par des bombardements aériens et de multiples arrestations. Alors, qui croire ?
Les prêtres que j’ai vu, que je croyais à Kinkala, quand je leur ai demandé : « Qu’est-ce que vous faites ici ? », ils m’ont dit : « Ah, nous sommes réfugiés ici [à Brazzaville, ndlr] ». Parce que le climat d’insécurité est tel qu’ils craignent pour leurs vies. C’est pourquoi ils sont venus à Brazzaville. Maintenant, de qui vient l’insécurité concrètement, c’est le flou total.
Alors quelle est la solution ?
Le dialogue, c’est ce que disent les évêques, parce que même la victoire militaire ne garantit pas la paix. La paix des armes, ce n’est pas la paix. La paix vient de l’accord des cœurs, de la réconciliation. Donc il faut dialoguer, il faut dialoguer avec tout le monde, dialoguer sans exclusive, c’est-à-dire que toutes les composantes de la nation doivent se parler, s’asseoir. C’est dans notre tradition africaine bantoue : la palabre.
Alors, vous prônez le dialogue mais le pouvoir accuse le pasteur Ntumi d’être un chef terroriste.
Mais le Congo, ce n’est pas Ntumi. Ntumi ne peut pas nous confisquer toute la vie nationale. On a quand même connu d’autres crises, peut-être plus difficiles, que l’on a résolues. Donc je pense que cette crise-là aussi, on peut la résoudre. La preuve, on a eu la première guerre du Pool puis il y a eu la réconciliation. On a brûlé les armes, on l’a fait comment ? Ce n’est pas en dialoguant ? Même avec les pires ennemis, on parle. Vous avez suivi en Colombie, non ?
Donc ce que vous dites c’est que le pouvoir ne doit pas prendre prétexte de la guerre dans le Pool pour refuser le dialogue avec les autres opposants ?
Il y a le dialogue avec les autres opposants mais il y a le dialogue avec toute la société. Moi, je pense qu’aujourd’hui nous avons passé les élections donc c’est le moment d’apaiser tout le monde et de s’asseoir pour voir comment faire pour que les démons du passé ne reviennent pas. Le président est quand même un médiateur reconnu en Afrique centrale, donc, qui dit médiateur, dit dialogue, capacité à se parler, capacité à tenir compte des autres, de tous les autres.
Vous qui êtes aumônier des hommes politiques, vous parlez notamment avec le président Sassou-Nguesso. Est-ce qu’aujourd’hui vous croyez qu’il entend ces paroles d’apaisement que vous prônez, est-ce qu’il n’est pas plutôt dans une logique de confrontation avec ses adversaires politiques ?
Par définition, un chef d’Etat, il est au-dessus de la mêlée, donc il n’a pas d’adversaire politique. Quand vous êtes le chef de l’Etat, vous sortez du carcan du candidat politique pour devenir le père de la nation.
Donc c’est ce que vous lui dites ?
Je n’ai pas eu l’occasion souvent de parler avec lui. J’ai parlé avec lui peut-être une ou deux fois. Une fois quand il est venu dans ma paroisse pour des obsèques, là j’ai parlé avec lui et puis une fois quand je suis passé en janvier dernier pour les vœux à la nation. On n’a pas eu le temps de parler, juste les souhaits. Je lui ai rappelé qu’il était mon paroissien et que je ne le voyais pas souvent. Voilà. Mais moi, je ne pense pas que l’on puisse durer au pouvoir comme le président Sassou-Nguesso si on n’est pas un homme de consensus, de dialogue, de compromis. Si vous êtes un homme politique et vous êtes un rancunier, je pense que vous finirez par vous en prendre à tout le monde. Donc je pense que le président, il est capable aussi d’entendre cette voix de la raison que donnent les évêques ici dans cette lettre très consensuelle qui appelle à préserver ce que nous avons déjà de mieux. C’est le devoir de l’Eglise de rappeler aux principes fondamentaux, les seuls d’ailleurs qui permettent de consolider le vivre ensemble. Maintenant à chacun de faire son devoir. Si chacun fait son devoir, je pense que les vaches seront bien gardées.
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