Toutes les images de vidéosurveillance n’ont pas été détruites. La préfecture de police a conservé les siennes et elles pourraient « parler ».

Le sénateur François-Noël Buffet, président de la commission d’information sur les incidents survenus au Stade de France, le 28 mai, a dénoncé, jeudi lors d’une conférence de presse tenue dans les locaux du Stade de France, une « faute grave » : « l’effacement des images de vidéosurveillance sur le parvis du Stade de France ». Or, la préfecture de police (PP) qui a installé ses caméras autour du Stade et sur la voie publique dispose toujours de ses images, filmées le soir de la finale de la Ligue des champions. C’est la Fédération française de football, comme ses représentants auditionnés au Sénat l’ont révélé, qui a écrasé les siennes : les caméras captaient les faits et gestes des supporteurs à l’intérieur de l’enceinte du stade, où il s’est finalement déroulé peu d’incidents.
L’effacement des images de l’intérieur du stade alimente depuis sa révélation toutes les théories du complot. Notamment sur les réseaux sociaux où un policier en disponibilité a raconté – à tort – que la PP était en train d’effacer les caméras-piétons que certains de ses collègues portaient ce soir-là. Une telle accusation trouve un auditoire. Ce jeudi, en faisant croire que la PP était responsable de la disparition des images, les sénateurs ont surfé sur cette vague.
Les images de la préfecture de police toujours disponibles
« Il y a deux sujets : la conservation et l’extraction d’images, d’une part ; les images utiles, d’autre part. Celles qui racontent ce qui s’est passé réellement sont celles de la préfecture de police. Cette dernière nous a confirmé qu’elles étaient parfaitement exploitables à ce jour. Celles du stade auraient pu permettre d’identifier les gars qui sont entrés par escalade dans le stade, mais ce n’est pas vraiment l’aspect le plus important de cette soirée », commente une source judiciaire. En outre, François-Noël Buffet ignorait qu’un magistrat du parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) était présent le soir du match. Le parquetier a d’ailleurs été saisi dès la première interpellation réalisée par les forces de police.
Lors de la même conférence de presse tenue aux côtés du sénateur Laurent Lafon, président de la commission culture, les parlementaires de la chambre haute ont affirmé que « de 400 à 500 actes de délinquance ont été rapportés par la préfecture de police, dès midi. Or, l’aspect de la gestion de la délinquance a été mis sous le tapis ». Une façon d’accuser à mot couvert la préfecture de police d’inaction, face à l’insécurité, ce soir-là. « D’où sort ce chiffre ? Il est totalement inexact, indique une source à la préfecture de police. Le nombre d’interpellations est très largement inférieur à ces chiffres : près d’une centaine au total, dont un peu plus de 70 en Seine-Saint-Denis. Quant aux plaintes, nous ne les connaissons pas en temps réel. »
La FFF aux petits soins pour ses VIP
« Près de 300 à 400 jeunes locaux – des non-supporteurs – étaient bien présents, tempère un fonctionnaire de la préfecture de Seine-Saint-Denis. Ils sont d’abord restés positionnés en dehors de la zone du stade. À ce moment précis, et à cet endroit situé au nord du Stade de France, il n’y a pas d’impression de chaos si l’on en croit les images de la PP. Ensuite, ces jeunes se sont rendus sur le parvis lorsque le premier barrage de la PP a été levé [vers 19 h 30, NDLR] et se sont avancés au fur et à mesure que les forces de l’ordre se repliaient dans l’enceinte du stade. » On est loin des 400 à 500 actes de délinquance signalés à midi.
Les sénateurs ont également chargé Didier Lallement, le préfet de police, à la suite d’une décision qu’il aurait prise en contradiction avec celle de la FFF, qui tentait de faciliter la signalisation du trajet à la sortie du RER D, vers le stade. La signalétique avait, semble-t-il, été imaginée sans tenir compte de la grève de la RATP ce jour-là. Alors que la FFF tentait d’y remédier, le PP s’y serait opposé. Selon nos informations, c’est le 23 mai, lors d’une réunion à la préfecture de Seine-Saint-Denis, que la FFF a demandé de pouvoir dévier les flux de piétons aux sorties des RER. Pour une raison en réalité sans lien avec la sécurité : la FFF souhaitait être aux petits soins pour ses VIP. En déviant le flux de piétons, elle pouvait faire accéder les bus de ses invités privilégiés au plus près des marches du parvis, le long de l’avenue du Président-Wilson. « Le football, c’est d’abord un business, pas un service public », commente un haut fonctionnaire.
Le représentant de la DOPC (l’unité chargée du maintien de l’ordre pour la PP) a refusé la déviation. Une information confirmée au Point par une majorité de participants à cette réunion. D’autant que 48 heures avant le match, jour de déclaration du préavis de grève de la RATP, la régie assurait que 4 trains sur 5 circuleraient sur la ligne B du RER. Détourner les flux de supporteurs n’avait plus grand intérêt.
Haro sur Didier Lallement
Néanmoins, le jour du match, des usagers du RER B ont été déviés sur le RER D à l’initiative de la RATP. Les forces de l’ordre n’ont pas été prévenues : « En fait, cela n’aurait rien changé, affirme une source policière. Ce qui a rendu problématique cette déviation, c’est surtout l’afflux massif d’Anglais sans billet ou avec des billets non valides – au regard des scans de la FFF, pas forcément parce qu’ils ont triché ; cet afflux a paralysé le dispositif de contrôle de la FFF. Cela a conduit un peu avant 20 heures à avoir un trop grand nombre d’Anglais sur le barrage, qui a fini par être levé », indique la même source.
Cette mise en cause directe du préfet de police par les sénateurs est inspirée par le rapport de Michel Cadot, patron de la Dijop (la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques) remis à Élisabeth Borne, la Première ministre. C’est son rédacteur, le commissaire Christophe Delaye, qui a orienté les sénateurs vers la responsabilité du préfet de police. Le commissaire Delaye est un ancien collaborateur du préfet Lallement. Il était en fonction à son cabinet. Le PP a fini par le remercier pour des raisons « personnelles », ce que le commissaire n’aurait pas digéré. Recasé auprès de la préfète de la zone de défense, Marie-Emmanuelle Assidon, il a dû la quitter quelques mois après pour rejoindre Michel Cadot à la Dijop. Contacté, le commissaire Delaye n’a pas répondu à nos sollicitations.
Si les sénateurs ont pointé du doigt les responsabilités du préfet de police, bien réelles – l’intéressé lui-même lors de son audition au Palais du Luxembourg a largement pris sa part –, personne ne semble encore avoir désigné le ou les vrais coupables de ce fiasco, même si aucun mort ni aucun blessé grave n’a été déploré.
Avec Le Point par Aziz Zemouri