Un boa constrictor qui avait perdu ses pattes au cours de son évolution reptilienne rencontra une Tortue de belle carapace luisante, au cou charnu qui sortait des marais.
Le Serpent en quête de proie proposa à la Tortue de l’accompagner dans sa promenade, aux abords des mangroves marécageuses. Durant leur longue randonnée, il vit passer à toute vitesse un rat des champs qu’il voulut poursuivre mais la Tortue le dissuada de ne pas commettre un acte pouvant déshonorer son opulence et son élégance.
– Mon cher Boa, ta prestance et le prestige de ta renommée revêtent plus de dignité qu’un crime de satisfaction alimentaire pour un maigre rat si petit soit-il ne pouvant pas bien remplir ton long tube digestif de trois mètres. Combien de rats te faudra-t-il pour que tu n’aies plus faim ?
– Au moins une centaine répondit le Serpent.
Voyons donc ! lui dit la Tortue. C’est une peine perdue. C’est un mal indigeste que tu vas causer à ton estomac. Car si tu ne trouves plus d’autres rats au cours de ta chasse, tu auras toujours un grand creux dans le ventre. Le Serpent écouta et comprit les conseils de la Tortue puis continuèrent de marcher ensemble.
Par contre à chaque fois que la Tortue voyait des vers de terre, elle ne les laissait pas passer, elle s’en régalait constamment et copieusement. Le Serpent qui marchait plus vite était obligé de l’attendre et ne disait mot. Il vit encore un crapaud qu’il voulut attraper dans sa course, la Tortue l’empêcha de le laisser vivre même s’il constitue une nourriture très friande pour son appétit.
Les deux amis poursuivirent leur route, le Serpent roulait son ventre contre terre et avalait la poussière des sentiers et des vacanciers. Il était devenu tout sale.
A l’approche d’une lagune, la Tortue dit au Serpent de rentrer dans l’eau et arrivés au pied d’un palétuvier, aux racines aériennes, dans la mangrove, il demanda à son ami de monter à l’arbre. Le Serpent se roula entre les racines et le tronc puis réussit à grimper sans difficultés sur chacune des branches. Quant à la Tortue ses tentatives furent sans résultat, elle tombait toujours à l’eau, faisant flotter sa tête. Le Serpent du haut du palétuvier vit des mangles mûres qu’il caressait avec sa belle langue. Ne pouvant le joindre, il lui demanda de l’attendre au bord de l’eau sur le rivage.
Le soleil tropical étalait et déployait l’élégance et la puissance de ses rayons. Le Serpent s’étendait le long d’une branche bien robuste comme s’il se bronzait. Le jour suivant, sous le fouet de la chaleur brûlante, il commençait sa mue. Ses écailles cornées brillaient d’un éclat de jais et un peu dorées par endroits.
Sur le banc de sable, la Tortue fouinait de son instinct les vers de terre qu’elle découvrait et mangeait ainsi que des sardines abandonnées par les pêcheurs.
Le Serpent du haut de sa métamorphose voyait son amie remuait son bec corné. Quand il eût fini toutes les phases du changement de sa peau, il rejoignait la Tortue sur le rivage. La Tortue lorsqu’il vit son ami dans son nouveau manteau avec sa belle peau luisante, il tomba d’admiration et lui fit un éloge remarquable et distingué.
– Mon cher ami, ton manteau vaut le même prix que celui d’un empereur.
– Merci pour ton compliment qui me va droit au cœur. Permets-moi que je puisse t’embrasser.
– Volontiers lui répondit la Tortue
Le Serpent embrassa la Tortue au cou, sentit la fraîcheur de son corps et le beau parfum de sa chair appétissante et enivrante. Dans la chaleur des embrassades, le Serpent voulut le pincer et la Tortue prit peur. Une onde de frayeur traversa toutes les fibres sensibles de son être. Elle se logea dans sa carapace. Le Serpent confus et honteux, le suppléa de sortir mais la Tortue grogna de l’intérieur puis se blottit et refusa d’obéir aux supplications du Boa constrictor.
– Je suis désolée de cette manière inconvenante qui cache une telle douceur dosée de méchanceté.
– Tu oses m’offenser et m’offusquer alors que depuis notre rencontre et notre promenade, tu m’empêches toujours de chasser et de manger alors que toi, je te vois toujours manger à ta faim. Chaque fois je t’attendais croyant marcher lentement. Finalement, c’était une intelligence pour toi de profiter à bien remplir ton ventre. Même quand je suis allé faire ma mue, je te voyais remuer ton bec, à la grande satisfaction de tes tripes. Comme, il en est ainsi, nous ne sommes plus amis et je vais te manger. Je verrais qui viendra nous séparer ici, au bord de l’eau dans la solitude de cet environnement.
Gérant sa menace, loin de toute présence d’assistance avec un brin de délicatesse, elle invoqua tous les dieux des eaux et des forêts pour sa délivrance. Le Serpent revint vers sa proie dans une réelle assurance. La Tortue avait pris, entre temps, la poudre d’escampette. Furieuse, le Serpent redressa sa tête pour voir, au loin, si par hasard il pouvait l’apercevoir. En vain ! Il fouina au sol et retrouva les traces de ses pattes qu’il suivit dans leur direction. Il redoubla de vitesse et la rattrapa. Il lui envoya sa salive dans l’élan de sa colère. Elle rentra dans sa carapace. Il l’encercla. Ne pouvant l’étouffer comme ses autres proies. Il courut prendre l’eau et revint au lieu de sa victime. II commença le rituel de son festin. Il arrosa d’une bonne quantité d’eau sur toute sa carapace. La Tortue devint lisse. Le Boa constrictor sortit sa langue fine et bifide ainsi que ses dents pointues et incurvées vers l’arrière. Il réussit sans effort à l’avaler, glissant tranquillement dans son intestin. Il fit volter sa langue. Et sur les parois de son corps annelé, la Tortue avançait comme une boule plate et arrondie dans la cavité digestive du Serpent.
Après cet exercice, il s’étendit au soleil pour bénéficier de la température tropicale afin d’activer son métabolisme qui fonctionne parfaitement grâce à cette énergie. Il se faufila dans les herbes sèches qui avaient le même coloris que ses écailles dans la confusion totale de tout regard étranger. Mais une hirondelle qui faisait sa course au bord de l’eau, longeant le littoral émit un cri : « Serpent, je t’ai vu avaler ton amie la Tortue ». Le Serpent tourna son œil gauche vers le ciel, fit la sourde oreille et feignit de ne pas entendre.
Quelques instants après son acte sauvage, il ressentit des douleurs atroces. C’était la Tortue, qui dans son séjour stomacal, venait de sortir sa tête et ses pattes griffues, lesquelles, au contact de ses membranes intérieures, lui provoquaient des picotements étranges. Il n’avait jamais connu depuis son existence, pareille souffrance. Il commençait à se tordre. Il roulait par terre. Parfois, il se redressait, parfois, il fouettait sa queue contre les parois des arbres qui se cassaient. Les animaux de la nature environnante étaient en alerte qu’une situation, peu ordinaire, était arrivée au Serpent. D’aucuns fuyaient, au loin. D’autres se terraient dans leur trou et caverne. Les nids des oiseaux, aux alentours, tombaient au sol. C’était la débandade et la panique.
Quand l’information parvint au village, sa femme prit le courage d’aller le chercher. La nouvelle fit le tour du village comme un éclair selon laquelle, le Serpent s’était affolé. Courant et pleurant mais aussi se cognant. A la sortie du village, elle rencontra deux gorilles qui revenaient de leur promenade. Elle leur demanda un service d’assistance de pouvoir l’aider à transporter son mari qui était très souffrant, ne pouvant plus se déplacer.
Arrivés sur le lieu de ses gémissements, à l’endroit où des hirondelles faisaient la ronde et émettaient leurs gazouillements, en des termes moqueurs : « ça t’apprendra de manger n’importe quoi même une nourriture que tu n’as pas l’habitude ».
Les gorilles coupèrent une branche solide d’un arbre, l’étendit, l’attacha modérément avec des écorces pour qu’il ne tombasse pas et ils le soulevèrent. Ils le transportèrent sur leurs épaules jusqu’au village, sa femme les suivant derrière en sanglots.
Ils le placèrent sur le lit conjugal pendant que sa femme rendait compte au chef du village. Quand celui-ci s’approcha de lui, il lui posa la question de ce qui lui était arrivé, il ne répondit pas. Non plus à sa femme.
La nuit pendant qu’ils dormaient, sa femme entendait un bruit insolite qui résonnait dans le ventre de son mari. Celui-ci se tordait en criant, secouant les pieds du lit, remuant les murs de la chambre qui cédèrent aux gémissements quand soudain, il suffoqua et rendit l’âme. Une Tortue venait de perforer ses intestins et son ventre, sortit sa tête engluée et ensanglantée puis se jeta hors de son corps. Elle passa dehors par un petit trou de la case, renifla, puis découvrit la direction de l’eau pour aller se laver et se sauva dans la nature. Sa femme lui ferma les yeux. Elle pleurait courageusement avec le cadavre de son mari en attendant l’aube avant de pousser ses pleurs pour alarmer la population de la mort du Serpent.
Elle partit rendre compte au chef du village de ce qui s’était passé pendant la nuit. Elle avait vu une Tortue sortir du ventre du Serpent. Ce qui veut dire qu’il en avait mangé et avait honte de dire la vérité aux autres membres de la communauté, préférant mourir avec son secret. Un batteur de tam-tam joua l’instrument selon le rythme singulier qui annonce un décès.
Le lendemain matin, des émissaires partirent dans les autres villages pour informer les dignitaires sur l’heure de l’enterrement. On exposa le cadavre du Serpent au soleil au centre de la cour. Pour éviter la décomposition du corps, l’on prit un œuf frelaté, badigeonné d’un peu de cendre que l’on plaça à son nombril pour retirer les odeurs et le conserver sans qu’il pourrisse.
Voilà qu’au moment où le protocole était dans l’attente de l’arrivée des dignitaires, un grand vautour noir planait au ciel; les coqs du village émirent tous un cri du danger et se cachèrent. L’oiseau descendit, vit le cadavre du Serpent et d’une chute rasée, il sortit ses griffes, attrapa le cadavre et partit avec lui pour aller le manger. L’œuf frelaté qui était sur le nombril tomba, se cassa et dégagea une forte odeur de puanteur qui poussa la communauté à se boucher le nez pour sa propagation virulente.
Au même instant les dignitaires arrivaient dans leur belle tenue de deuil. Ils étaient accueillis par cette odeur pestilentielle et répugnante, difficile à supporter. Reçus par le protocole : le lion, la panthère, la girafe, l’hippopotame, le rhinocéros, le lièvre, l’aigle, tous prirent place autour du chef du village qui s’excusa de les avoir finalement déplacés car le cadavre, objet des funérailles, a été emporté par un vautour affamé. Chacun éprouva son regret et rentra chez-lui.
On ne mange pas un ami, on lui prodigue des conseils quelque soit sa faute et son tort; les conseils sont le ferment et le froment de l’amitié, car la méchanceté a souvent des conséquences mortelles.
© Bernard NKOUNKOU
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