« Même avec le recul -j’ai 38 ans aujourd’hui-, je n’arrive pas trop à analyser ce qui a pu se coincer en moi pour que je me verrouille ainsi de l’intérieur. Je n’ai pas été traumatisée dans mon enfance, mes parents sont des gens normaux, équilibrés. Il n’empêche. Avant d’entamer une psychothérapie à 25 ans, ce que je désirais le plus ardemment était aussi ce que je me refusais: une relation avec un homme. » Emma, charmante jeune femme apparemment sûre d’elle, a finalement perdu sa virginité, selon le terme consacré, à 26 ans. Karine, 25 ans, n’a quant à elle toujours pas franchi le pas: « j’ai eu quelques occasions, plus jeune, mais je me trouvais trop grosse, me dénuder devant un homme me faisait horreur. Petit à petit, j’ai du envoyer un message subliminal et les propositions se sont faites de plus en plus rares. Aujourd’hui, je suis plus en phase avec mon image, mais je suis bloquée. J’ai l’impression que c’est marqué sur mon front et j’ai peur que personne ne veuille jamais de moi », confie-t-elle.
Qu’elle soit choisie ou subie, tue ou assumée, la virginité tardive est parfois vécue comme un poids, voire un handicap et passer à l’acte relève pour certaines femmes d’une mission impossible. Pourquoi? Et comment sortir de ce qui s’apparente, pour reprendre les mots de Karine, « à une prison invisible »?
Il n’y a pas d’âge pour perdre sa virginité
Nathalie Bénet-Weiler, psychanalyste et sexologue reçoit en moyenne « deux patients par semaine concernés par cette problématique, dont une légère majorité de femmes ». Elle précise d’emblée qu’il n’y a pas d’âge précis à partir duquel on parle de virginité tardive: « C’est un problème à partir du moment où cela devient une souffrance« . Et d’ajouter: « La sexualité est une option, elle n’est en rien obligatoire. »
« Mais, lorsque cette abstinence est subie et mal vécue, ajoute la psychanalyste, il y a le risque de voir cette énergie contenue se déplacer vers des considérations, des compensations plus destructrices telles que la drogue ou la boulimie« . « La pulsion de vie passe par la sexualité« , ajoute Laura Gélin, psychanalyste. « Ne pas parvenir à créer de lien charnel avec un ou une partenaire peut avoir pour conséquence de se couper de son corps. » « En plus de la honte, ce qui pèse, c’est la solitude. La misère affective. Au delà du sexe, j’ai tellement souffert du manque de câlins que par moments j’avais envie d’aller voir ma mère juste pour qu’elle me prenne dans ses bras », confie Emma.
« Parfois, une parole malheureuse suffit à bloquer »
Les raisons de cette difficulté à embrasser une vie sexuelle sont nombreuses et complexes, poursuit Nathalie Bénet-Weiler. Un avis partagé par Laura Gélin: « Chaque histoire en la matière est singulière. La sexualité touche a l’intime, elle relève de mécanismes complexes et propres à chacun. » Cela dit, on peut identifier quelques causes récurrentes: « Parfois, constate Nathalie Bénet-Weiler, une parole malheureuse de la mère concernant la première pénétration qui fait mal, suffit à bloquer durablement. » « Il peut s’agir d’une injonction familiale, que l’on respecte consciemment ou non », abonde Laura Gélin: « Il y a bien sûr l’influence de préceptes religieux, qui interdisent les relations sexuelles hors mariage, mais aussi parfois, et c’est plus difficile à identifier, une sorte de loyauté avec un traumatisme reçu en héritage. »
Laetitia, 42 ans et ayant attendu ses 30 ans avant de connaître « de vrais ébats », confie avoir « longuement travaillé avec un psy » avant de comprendre son blocage: « Ma mère n’a jamais réussi à me parler de sexualitésans dégoût. J’avais vraiment intériorisé que c’était sale. Je ne connais pas la raison de ce rejet des hommes qu’elle semble avoir toujours eu, mais je devine que sa propre vie sexuelle n’a pas commencé sous les meilleurs auspices. Clairement, son histoire s’est imprimée dans ma chair, au point que dès qu’un garçon essayait d’aller plus loin avec moi, je me fermais, au sens propre comme au figuré. »
Mauvaise image du corps, abus durant l’enfance
Autre explication, « les abus durant l’enfance », note Laura Gélin. Pour des raisons assez évidentes, il est difficile de s’abandonner adulte lorsqu’on a été agressée petite. Sachant que parfois il ne s’agit pas forcément d’un viol: « Sans avoir été clairement abusée, j’ai grandi dans un climat malsain, sous le regard très intrusif de mon grand frère, raconte Jeanne, 27 ans. Je pense que je me suis protégée en me rendant la moins désirable possible. » Toujours vierge, Jeanne souffre de cet « état », mais n’envisage pour l’instant pas de consulter: « Je crois que cela me fait tout simplement peur, je préfère espérer qu’un jour la bonne occasion se présente. »
Egalement responsable d’une difficulté de certaines femmes à se lier physiquement avec autrui, constate Nathalie Bénet-Weiler, « l’image de leur corps qu’elles jugent avec une grande sévérité« . « Elles se persuadent que ce corps ne peut pas faire jouir un homme, qu’il n’est pas montrable ».
Le fantasme du prince charmant, autre obstacle à la rencontre
« Certaines se sont construites en rêvant du prince charmant, dans la quête d’un homme idéal, qui n’existe pas », suggère aussi Laura Gélin. « Petit à petit, ce fantasme coupe de la réalité, empêchant la rencontre. Attendre le « bon » peut devenir le meilleur moyen de ne pas passer à l’acte. » Si Emma ne parvient toujours pas à connaître la raison de cette « abstinence forcée vécue dans la honte », elle suppose, après des années de thérapie, qu’inconsciemment, elle préférait « être seule que mal accompagnée ». Parfois, enfin, il n’y a pas vraiment de « parce-que » mais simplement une succession de circonstances et d’occasions manquées.
Réveiller son corps pour lui donner le droit de s’exprimer
S’il n’y a pas de solutions clés en main pour forcer les portes de ce qu’Emma décrit comme « une forteresse« , Nathalie Bénet-Weiler assure que « rien n’est perdu tant que le corps s’exprime à travers des activités multiples ». « L’absence de vie sexuelle tend vers un silence du corps. Il faut le réveiller à travers des massages, la danse, etc », conseille-t-elle. Elle suggère aussi d’amener la personne « à ne plus penser ce corps mais à le ressentir, travailler sur les sens« . « Car n’oublions pas que faire l’amour c’est utiliser ses cinq sens et le sixième pour les plus doués! » Quant à parler de sa virginité au partenaire, « cela reste un choix très personnel ».
« La psychothérapie comportementale reste à mon sens la plus appropriée, car elle nécessite la participation du patient. Le thérapeute va lui suggérer des exercices, qui vont lui permettre d’entrer en relation avec son corps », ajoute encore la psychanalyste et sexologue. A ce sujet, Laura Gélin émet une réserve: « La méthode comportementale ne me semble pas adaptée aux personnes dont la virginité tardive trouve sa source dans un traumatisme lourd. » Dans ce cas, une analyse serait plus appropriée selon elle, de manière à trouver la cause de ce qui n’est finalement qu’un symptôme.
Aller vers l’autre mais ne pas se forcer
« Il faut accepter d’aller à la rencontre de l’autre, sans l’idéaliser. En revanche, se forcer par désespoir peut être pire encore », prévient pour sa part Laura Gélin, qui voit elle aussi dans la thérapie « un moyen de travailler sur son rapport à l’intime et au corps ». « La masturbation permet aussi de rester connectée à soi-même et de s’autoriser le plaisir« , témoigne Karine: « Ce n’est pas parce qu’on est vierge qu’on n’a pas le droit à l‘orgasme! »
Pour Emma, la « délivrance » est venue après de nombreuses séances face à son psy. « Au bout d’un an de thérapie, je me suis inscrite sur un site de rencontres et j’ai rapidement trouvé quelqu’un avec qui je me suis sentie suffisamment en confiance pour lui expliquer mon cas. Bizarrement, il n’a pas paru étonné. Apparemment, c’est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit, les filles encore vierges à 25 ans. On a fait l’amour sans amour, mais ça n’était pas grave, l’essentiel était qu’on le fasse, que je me débarrasse de ce que je vivais comme une tare! J’ai joui dès le second rapport. » Quelques mois plus tard, elle est tombée amoureuse de celui qu’elle a épousé. « L’entente sexuelle a été immédiate et si forte que j’ai alors vraiment su ce que c’était que de monter au septième ciel. Imaginez, j’avais dix ans de frustration sexuelle à combler! »