Le sénateur indépendant Bernie Sanders a présenté jeudi une résolution visant à bloquer la vente à Israël d’armes guidées de précision d’une valeur totale de 735 millions de dollars américains. Si l’échec de la démarche est prévisible, le geste illustre bien la pression qu’exerce sur le président Joe Biden l’aile gauche du clan démocrate sur la question israélo-palestinienne.

© Jonathan Ernst/Reuters Bernie Sanders.
Je crois que les États-Unis doivent aider à ouvrir la voie à un avenir pacifique et prospère pour les Israéliens et les Palestiniens. Nous devons examiner attentivement si la vente de ces armes contribue réellement à cet objectif ou si elle ne fait qu’alimenter le conflit», a déclaré le sénateur Sanders, lui-même de religion juive.
Des représentants de l’aile progressiste démocrate, dont Rashida Tlaib, d’origine palestinienne, et Alexandria Ocasio-Cortez, ont présenté la veille à la Chambre une résolution similaire.
L’initiative du sénateur du Vermont a précédé de peu l’annonce d’un accord de cessez-le-feu, faite tant par Israël que par le Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza. En coulisses, les tractations diplomatiques s’étaient intensifiées.
La violence qui secoue la région a fait plus de 240 morts, dont la très vaste majorité – 232 – sont Palestiniens, une réalité soulignée par l’ancien candidat à l’investiture démocrate.
Interrogée sur la résolution à la mi-journée, la porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, en a référé au département d’État, tout en réaffirmant la relation sécuritaire et stratégique de longue date» entre les États-Unis et Israël.
Vantant une diplomatie discrète intensive», elle a en outre insisté sur les signes encourageants» d’une évolution vers un cessez-le-feu potentiel.» Mercredi, dénonçant une dévastation inadmissible» dans la bande de Gaza, Bernie Sanders avait par ailleurs présenté une autre résolution appelant à un cessez-le feu immédiat».
La semaine dernière, il avait signé dans le New York Times une lettre ouverte condamnant dans des termes sans équivoque l’usage de la force par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. S’il condamnait du même souffle les roquettes lancées par le Hamas, il soulignait qu’elles n’avaient pas initié un conflit qui dure depuis des décennies.
Accusant le premier ministre israélien de cultiver une forme de nationalisme raciste de plus en plus intolérant et autoritaire», Bernie Sanders concluait que la vie des Palestiniens compte», allusion au mouvement la vie des Noirs compte» aux États-Unis.
Sa critique fait écho à celles des organisations de défense des droits de la personne. Avant l’escalade de la violence des derniers jours, Human Rights Watch avait par exemple dénoncé les crimes d’apartheid et de persécution» des autorités israéliennes.
Une initiative au succès improbable
Dans les faits, la démarche de Bernie Sanders et de ses alliés de la Chambre a peu de chances de succès.
Pour être adoptée, la résolution ne requerrait qu’une majorité simple, une hypothèse déjà improbable. D’autant plus qu’elle aurait besoin de l’aval de la vice-présidente Kamala Harris, la voix prépondérante en cas d’égalité au Sénat, alors que Joe Biden s’est fait l’apôtre d’une diplomatie discrète au cours de ce cycle de violence entre Israël et la bande de Gaza..
Le président du Comité des relations extérieures du Sénat, le démocrate Bob Menendez a déjà déclaré qu’il s’opposerait à la résolution. Perçu comme un soutien d’Israël, il s’est toutefois dit profondément préoccupé» par les frappes israéliennes.
Dans l’éventualité, improbable, où la motion aurait l’aval d’une majorité d’élus, Joe Biden pourrait y opposer son veto. Une majorité des deux tiers dans chaque Chambre serait alors nécessaire pour passer outre à l’objection présidentielle.
En 2019, une initiative similaire visant à bloquer l’envoi d’armes à l’Arabie saoudite, en représailles au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, n’avait pas obtenu les voix nécessaires pour faire fi du veto de Donald Trump.
Des républicains ont par ailleurs de leur côté écrit au président Biden pour l’exhorter à autoriser la vente d’armes à Israël. La fiabilité et la crédibilité des États-Unis en tant qu’alliés et défenseurs des valeurs démocratiques» sont en jeu, ont argué jeudi les républicains les plus haut placés des comités des relations étrangères du Sénat et de la Chambre, Jim Risch et Michael McCaul.
La veille, M. McCaul avait fait le même plaidoyer avec une centaine de ses collègues de la Chambre, pressant Joe Biden d’effectuer tous les examens nécessaires pour savoir si les terroristes du Hamas ont utilisé des civils comme boucliers humains dans les combats actuels».
Changement de ton du côté démocrate

© Adel Hana/Associated Press Des Palestiniens inspectent les décombres d’un immeuble résidentiel détruit qui a été touché par les frappes aériennes israéliennes, à Beit Lahiya, dans la bande de Gaza, jeudi.
Historiquement, les administrations républicaines et démocrates ont maintenu le soutien indéfectible des États-Unis à leur allié israélien et à son droit à se défendre», comme le soulignait d’ailleurs Bernie Sanders dans son plaidoyer publié dans le New York Times.
Les États-Unis ont toujours préféré œuvrer en coulisses pour mettre un terme à la violence sans cesse renouvelée, évitant soigneusement de critiquer publiquement Israël.
Joe Biden se retrouve cependant coincé entre la position traditionnelle américaine et les pressions d’une partie de son propre camp.
Car si les républicains appuient sans réserve Israël, le camp démocrate se montre toutefois moins catégorique. Plusieurs démocrates continuent de se tenir aux côtés de l’État hébreu, mais un nombre croissant d’élus ont demandé la fin des hostilités depuis la semaine dernière ou ont jugé la riposte israélienne disproportionnée.
Pendant des décennies, les États-Unis ont vendu pour des milliards de dollars en armement à Israël sans jamais exiger qu’ils respectent les droits fondamentaux des Palestiniens», a déploré la progressiste Alexandria Ocasio-Cortez dans un communiqué.
Cette question provoque la première dissension majeure entre le président et le clan progressiste du Parti démocrate. Mais la pression ne vient pas uniquement de l’aile gauche de la formation. Sans émettre des critiques aussi virulentes à l’endroit d’Israël, des modérés réclament eux aussi un cessez-le-feu.
Au début de la semaine, plus de la moitié des sénateurs démocrates – 28 sur 50 – ont publiquement appelé les deux parties à déposer les armes. L’initiative, pilotée par le sénateur Jon Ossoff, de religion juive, exhortait même le président Biden à l’exiger.
Il a fallu à ce dernier plusieurs jours pour adopter un ton plus ferme envers Israël. Mercredi, au 10e jour des hostilités et à la fin de leur troisième conversation depuis le début des violences, Joe Biden a appelé M. Nétanyahou à une désescalade significative aujourd’hui sur la voie d’un cessez-le-feu».
Washington a cependant continué d’empêcher le Conseil de sécurité des Nations unies d’adopter une déclaration commune appelant à la fin des violences et à la protection des civils, avançant qu’une déclaration publique n’aiderait pas à apaiser les tensions.
Le soutien du président Biden à l’État hébreu est toutefois moins affirmé que celui de son prédécesseur, qui réservait un appui sans bornes à son allié Benyamin Nétanyahou.
La population américaine, notamment les chrétiens évangéliques en raison de motivations bibliques, continue pour sa part de soutenir massivement Israël, mais elle semble voir l’Autorité palestinienne sous un jour plus favorable qu’avant.
Selon un sondage Gallup annuel publié en mars dernier, 75 % des Américains ont une opinion positive d’Israël – un chiffre stable – contre 30 % pour l’Autorité palestinienne, comparativement à 21 % il y a trois ans.
Avec Sophie-Hélène Lebeuf