Deux ressortissants russes, très probablement membres du groupe Wagner, se sont tués en déclenchant accidentellement une grenade dans un bar de Ségou. Un incident qui a également coûté la vie à deux militaires et à un civil malien.
Deux Russes, très probablement membres de la société militaire privée Wagner, dont les mercenaires sont présents au Mali depuis fin 2021, ont été tués le 9 mai par l’explosion accidentelle d’une grenade dans un bar de Ségou, dans le centre du pays.
« Il y a eu un accident au bar Tam-Tam de Ségou. Un instructeur russe a mal manipulé une grenade et il y a eu explosion. Deux Russes ont été tués. Il y a eu aussi un civil mort », a raconté un responsable de la police municipale. Une information confirmée par un élu local qui a indiqué que deux soldats maliens étaient également décédés dans cet accident.
« Des militaires sont venus dans le bar. Ils ont commandé à boire de l’alcool. Ils en avaient aussi dans la poche. Nous avons entendu du bruit vers les militaires maliens et russes. Il y a eu au moins trois morts, dont deux Russes. Un civil aussi est mort », a raconté un témoin.
Cette photo distribuée par l’armée française montre trois mercenaires russes dans le nord du Mali. Photo: AP/Armée Française
La guerre au Soudan a braqué les projecteurs sur les activités de mercenaires de la société russe Wagner, qui viendraient en aide à l’un des deux généraux qui s’affrontent pour le contrôle du pays. Depuis plusieurs années, ce groupe, désigné comme une organisation criminelle internationale par Washington, accentue sa présence en Afrique. Explications.
1. Où sont-ils exactement?
Les mercenaires de Wagner se sont d’abord fait connaître pendant l’invasion de la Crimée en 2014, lorsqu’ils épaulaient l’armée russe. Ils sont encore très présents en Ukraine, notamment autour de la ville de Bakhmout, épicentre des combats dans l’est du pays.
On les a vus ensuite en Syrie, aux côtés des forces de Bachar Al-Assad, puis en Libye, où ils ont appuyé le général Khalifa Haftar.
En fait, ils vont partout où on les accueille, souligne Catrina Doxsee, directrice associée du Projet sur les menaces transnationales au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), que nous avons jointe à Washington.
« Ils ratissent très large. Ils sont disposés à travailler avec quiconque voudra conclure un accord avec eux. »— Une citation de Catrina Doxsee, du Centre d’études stratégiques et internationales
Le groupe Wagner est une société militaire privée, mais aussi un réseau opaque d’entreprises et d’organisations d’influence politique qui bénéficient du soutien implicite de l’État russe. Il est dirigé par Evgueni Prigojine, un oligarque proche du président russe, Vladimir Poutine. En janvier 2023, les États-Unis l’ont désigné comme une organisation criminelle internationale. Wagner est actif dans trois secteurs : le mercenariat, la désinformation et l’exploitation de ressources naturelles.
Wagner privilégie cependant les pays avec une gouvernance faible, des défis de sécurité permanents et des ressources abondantes, ajoute Mme Doxsee.
Ils offrent leurs services de renseignements et paramilitaires en échange de concessions minières ou de l’accès à des ressources naturelles, en plus de frais mensuels, explique-t-elle.
C’est en République centrafricaine qu’ils ont établi leur partenariat le plus profitable, estime l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale (GI-TOC) dans un rapport publié en février 2023.
« La RCA est l’exemple le plus avancé du modèle économique de Wagner en Afrique, au point que ses interventions pourraient être décrites comme une capture de l’État. »— Une citation de Extrait du rapport « La zone grise : l’engagement militaire, mercenaire et criminel de la Russie en Afrique »
Arrivé en 2018 pour faciliter les transferts d’armes et fournir de la formation et de la protection, le personnel de Wagner a rapidement pris part aux opérations militaires contre les rebelles armés qui tentaient de s’en prendre au gouvernement du président Faustin-Archange Touadéra.
Mais les Russes ne se limitent pas à la sécurité. Les entreprises liées à Wagner sont également actives dans le secteur des ressources naturelles, avec un accès privilégié aux mines d’or et de diamants ainsi qu’à l’exploitation forestière. L’organisation joue également un rôle politique influent.
Un Russe, Valery Zakharov, occupe désormais le poste de conseiller à la sécurité nationale et d’autres Russes sont conseillers principaux aux ministères des Finances et des Douanes.
Une situation semblable s’est produite au Mali. À la suite de deux coups d’État, les relations entre Bamako et Paris, ancienne puissance coloniale, se sont détériorées. Sur fond de récriminations, et après l’échec de l’opération Barkhane, la force française antiterroriste qui coopérait avec l’armée malienne s’est retirée, laissant le champ libre aux Russes.
Le Mali nie la présence de mercenaires, ne reconnaissant que celle d’instructeurs et de formateurs russes, arrivés en vertu d’un accord de coopération avec la Russie.
Mais le chef du commandement américain pour l’Afrique, le général Stephen Townsend, a soutenu, en juillet dernier, que le Mali versait à Wagner 10 millions de dollars par mois, sous la forme de ressources naturelles telles que l’or et les pierres précieuses.
À Bamako, des Maliens manifestent leur appui à la Russie lors de l’anniversaire de l’indépendance du pays, le 22 septembre 2020. Photo: AP
Au Soudan, Wagner profite de l’instabilité pour pêcher en eaux troubles. Les entreprises du réseau de Prigojine ont, depuis des années, accès à des concessions minières et font le trafic de produits aurifères soudanais. Dans le plus récent conflit, ils appuient les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, à qui ils auraient notamment fourni des missiles sol-air.
Selon les analystes, Wagner viserait également d’autres pays de la région où les États sont défaillants, tels que le Burkina Faso, le Tchad, le Niger, la Guinée, l’Ouganda, le Kenya et le Cameroun.
2. Quels sont leurs objectifs?
Leur objectif est double : premièrement, c’est de contrer l’influence des Occidentaux en Afrique, et deuxièmement, c’est de faire de l’argent, souligne Thierry Vircoulon, membre de l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale et coauteur du rapport La zone grise: l’engagement militaire, mercenaire et criminel de la Russie en Afrique.
Dans la foulée de la guerre en Ukraine, la Russie tente de gagner des alliés, afin qu’ils lui donnent leur appui lors de votes à l’ONU, notamment.
Les pays africains représentent environ le quart des votes à l’Assemblée générale de l’ONU, explique au téléphone Paul Stronski, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, à Washington.
« La Russie entretient ses relations avec ces pays en leur fournissant des armes et, parfois, un allégement de la dette ou un appui aux autocrates. En retour, elle attend et obtient, la plupart du temps, un soutien ou du moins une abstention lors des votes clés. »— Une citation de Paul Stronski, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale
L’Assemblée générale des Nations unies adopte une résolution sur l’Ukraine, le 23 février 2023. Photo: Reuters/Mike Segar
La Russie tâche également d’augmenter ses capacités militaires et de renseignement en Afrique et dans les eaux entourant le continent, note Catrina Doxsee. Ainsi, en contrepartie de l’envoi de Wagner au Soudan, la Russie aurait négocié pour établir une base navale russe à Port Soudan.
Cela lui donnerait une projection de puissance dans la mer Rouge et plus loin dans le sous-continent indien, un objectif que la Russie poursuit depuis longtemps, explique Mme Doxsee.
Ce projet est à l’arrêt pour le moment, étant donné la guerre au Soudan.
Du point de vue économique, la Russie tire amplement parti des activités africaines de Wagner, qu’elle mène par l’intermédiaire de sociétés comme Meroe Gold. Il y a un gain financier direct lié à l’exploitation et la contrebande d’or et de pierres précieuses, ainsi que d’autres ressources naturelles telles que le bois ou le café, précise Catrina Doxsee. Cela permet à Moscou d’amoindrir le coût des sanctions internationales.
Les Russes, pour leur part, soutiennent apporter la stabilité, la paix et la prospérité économique à l’Afrique, par opposition aux Européens qui cherchaient à la coloniser et à mettre la main sur les ressources naturelles, affirment-ils.
La Russie essaie de diffuser ce récit sur la nouvelle souveraineté et sur les raisons pour lesquelles c’est important pour les pays africains de rompre les liens avec les ex-métropoles et l’Occident de manière générale, souligne Tatiana Smirnova, chercheuse au Centre FrancoPaix de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université de Québec à Montréal (UQAM). Elle se présente comme un allié sur qui les Africains peuvent compter dans cette bataille.
« Le récit du Kremlin, qui consiste dans cette idée que la Russie va aider l’Afrique à se libérer des chaînes occidentales, est extrêmement puissant et attractif pour certains gouvernements. »— Une citation de Tatiana Smirnova, chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM
3. Pourquoi leur présence pose-t-elle problème?
Les mercenaires de Wagner seraient responsables de brutalités contre les civils et de violations des droits de la personne en République centrafricaine et au Mali.
Les opérations contre-terroristes existaient avant l’arrivée des Russes au Mali, et il y avait parfois des exactions contre les civils, mais la nature de la violence a changé avec l’arrivée des compagnies militaires privées, note Tatiana Smirnova.
Le problème, c’est que le personnel de Wagner n’a de compte à rendre à personne. La Russie n’a jamais signé le document de Montreux, auquel participent 58 États, qui est le code de conduite des sous-traitants militaires privés. Ils ne sont donc nullement imputables, explique Paul Stronski.
Les États-Unis ont désigné Wagner comme une organisation criminelle internationale, alors que la France pourrait l’inscrire sur la liste des organisations terroristes, au même titre qu’Al-Qaïda et le groupe armé État islamique. Photo: Reuters/Igor Russak
Des experts de l’ONU ont exigé au début de l’année une enquête sur les violations flagrantes des droits de l’homme et les éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par l’armée malienne et le groupe Wagner au Mali. Il y est question d’exécutions horribles, de charniers, d’actes de torture, de viols et de violences sexuelles, de pillages, de détentions arbitraires et de disparitions forcées perpétrés par les forces armées maliennes et leurs alliés.
En République centrafricaine, selon le Projet de données sur la localisation et les événements des conflits armés (ACLED), le groupe Wagner est devenu l’un des principaux agents de la violence politique. Il est impliqué dans près de 40 % des événements de violences politiques enregistrés entre décembre 2020 et juillet 2022.
Selon les Américains, le groupe Wagner veut fomenter l’instabilité en Afrique pour établir une confédération d’États anti-occidentaux.
Je ne pense pas qu’ils soient là pour le bien des Africains, a déclaré, en juillet 2022, le chef du commandement américain pour l’Afrique, le général Stephen Townsend.
« Ce que fait Wagner, c’est soutenir des dictateurs et exploiter les ressources naturelles du continent. »— Une citation de Stephen Townsend, chef du commandement américain pour l’Afrique
4. Qu’en pensent les Africains?
Il est difficile de savoir ce que pensent vraiment les gens, dans la mesure où il faudrait pouvoir faire la part des choses entre ce qui est de la propagande et ce qui est une adhésion sincère, souligne Tatiana Smirnova. Comment évaluer si les forces russes sont les bienvenues? se demande-t-elle. Est-ce qu’on va comptabiliser les likes sur les médias sociaux ou le nombre de personnes qui portent le drapeau russe dans les rues des capitales?
Cela ne serait pas bien utile, puisque les consultants de Wagner sont très actifs pour propager, dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux, des représentations visant à légitimer la coopération russo-malienne et discréditer les Occidentaux.
Des Maliens célèbrent l’annonce du retrait des troupes françaises du Mali. Photo: Getty Images/Florent Vergnes
Il y a eu des opérations de désinformation et des campagnes d’influence russes généralisées sur tout le continent africain, et en particulier dans les États où Wagner est présent, remarque Catrina Doxsee. Il peut s’agir de panneaux d’affichage proclamant les avantages d’un partenariat avec la Russie, de contenus complaisants envers les Russes et d’autres qui tendent à décrédibiliser les Français, de fausses études d’opinion ou de films, détaille-t-elle.
Ce flux constant de propagande et de désinformation inquiète Reporters sans frontières. Si on l’ajoute aux violences commises par les insurgés et à la répression des juntes militaires, il met le Sahel à risque de devenir une zone de non-information, estime l’organisation.
« La désinformation prend une ampleur particulière au Sahel, qui s’avère être un laboratoire d’expérimentation pour les mercenaires de la désinformation, qui officient notamment sur les réseaux sociaux, mais aussi au sein même des juntes au pouvoir qui affichent désormais un soutien sans faille à leurs nouveaux alliés russes. »— Une citation de Extrait du rapport de Reporters sans frontières publié le 3 mai 2023
5. Que peut faire l’Occident?
La présence des Russes répond à une demande des gouvernements locaux pour affronter une situation sécuritaire qui se détériore et face à laquelle les partenaires occidentaux ont été impuissants. Les programmes antiterroristes russes sont présentés comme une solution de rechange rapide et efficace, explique Mme Smirnova.
Des soldats français de la force Barkhane patrouillent dans les rues de Tombouctou, dans le nord du Mali en décembre 2021. Photo: AFP via Getty Images/Thomas Coex
À la différence des armées occidentales, les mercenaires de Wagner n’ont pas peur d’aller sur le terrain et se salir les mains, souligne Thierry Vircoulon, que nous avons joint à Paris.
« Wagner fait ce que les partenaires de sécurité occidentaux ne veulent pas faire, c’est-à-dire qu’ils participent à une guerre civile sur le terrain. »— Une citation de Thierry Vircoulon, membre de l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale
Il y a peu de chances que le Canada, la France ou les États-Unis participent à une guerre civile en Afrique, ajoute-t-il. Or Wagner, étant un groupe paramilitaire et non une armée, peut le faire. Ils fournissent ce qui manque à ces régimes, c’est-à-dire des combattants aguerris.
Le recours aux Russes démontre aussi le besoin de s’affranchir d’un certain paternalisme de l’ancienne puissance coloniale, une attitude jugée méprisante par certains Africains qui trouvent qu’on ne les considère pas comme des partenaires à part entière, remarque M. Stronski.
Il ne faut pas pour autant laisser tomber l’Afrique, mais mettre en place une stratégie coordonnée pour aider les Africains à s’occuper des problèmes qui les préoccupent plutôt que de tenter d’éradiquer Wagner partout où il surgit, ajoute-t-il.
« Nous combattons la Russie au lieu de combattre les problèmes qui comptent vraiment pour les Africains, comme la sécurité alimentaire, l’instabilité et les changements climatiques. »— Une citation de Paul Stronski, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, à Washington
Beaucoup d’États qui se tournent vers Wagner le font en désespoir de cause, conclut Catrina Doxsee. Ils ont besoin de renforcer l’ensemble de leurs institutions et de leurs infrastructures non seulement pour contrer les menaces à la sécurité militaire, mais pour construire une société qui fonctionne mieux.
Il s’agit, selon elle, du genre d’aide que les pays occidentaux pourraient apporter s’ils mettaient en place une stratégie coordonnée dans la région.
Deux jours après une attaque au colis piégé contre un représentant russe, la France est toujours pointée du doigt par le groupe Wagner.
Le groupe paramilitaire Wagner accuse la France d’avoir mené une attaque au colis piégé.
La Centrafrique a « condamné fermement » une attaque au colis piégé contre un représentant russe perpétrée vendredi dans la capitale Bangui, selon Moscou, et annoncé l’ouverture d’une enquête, a déclaré un ministre centrafricain à l’Agence France-Presse dimanche. La Russie a affirmé que l’un de ses représentants en Centrafrique avait été blessé vendredi par l’explosion d’un colis piégé, une attaque que le chef du groupe paramilitaire russe Wagner a imputée à la France avant que Paris ne démente ces accusations.
Le gouvernement centrafricain a « condamné fermement » ce qu’il qualifie « d’attaque terroriste dirigée contre un haut responsable de la Mission russe, et donc contre la présence russe en Centrafrique », et annoncé « l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire », dans un communiqué. Une information confirmée à l’AFP par le ministre chargé du secrétariat général du gouvernement et des relations avec les institutions, Maxime Balalou.
Le gouvernement centrafricain a évoqué une « vaste campagne de déstabilisation du pays », par ceux qu’il désigne comme des « ennemis du peuple centrafricain », sans les nommer, et dont « la dernière manœuvre est celle d’une explosion par colis piégé, survenue le 16 décembre 2022 à Bangui », précise le communiqué.
Des « blessures sérieuses »
La victime présumée, Dmitri Syty, est le « chef de la Maison russe », un centre culturel situé à Bangui. Il avait été hospitalisé avec des « blessures sérieuses », avait assuré le service de presse de l’ambassade russe, cité par l’agence de presse officielle Tass vendredi. Son état était « stable et grave » samedi, avait affirmé l’ambassade de Russie en Centrafrique sur Facebook. Dimanche, il « continue de recevoir des soins médicaux appropriés et rassurants », précise le gouvernement.
La Centrafrique, pays en guerre civile depuis 2013 est au cœur de la stratégie d’influence russe en Afrique. Le rôle grandissant de Wagner a d’ailleurs conduit la France, ancienne puissance coloniale, à retirer ses soldats du pays. Les derniers ont quitté Bangui jeudi. La France avait décidé à l’été 2021 de suspendre sa coopération militaire avec Bangui, jugé « complice » d’une campagne antifrançaise téléguidée par la Russie.
Le Burkina Faso se dit « profondément affecté » par les déclarations du président ghanéen affirmant que Ouagadougou a « conclu un arrangement » avec le groupe paramilitaire russe Wagner.
Le Burkina Faso a qualifié de « très graves », ce vendredi 16 décembre, les propos tenus deux jours plus tôt par le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, à Washington. « Ces 48h ont été marquées par les propos du président Nana Akufo-Addo sur une prétendue passation de marché entre le gouvernement de la transition et une société privée russe. Une note verbale de protestation a été adressée au Ghana », a expliqué le ministre délégué chargé de la Coopération régionale, Karamoko Jean Marie Traoré, affirmant que le Burkina était « profondément affecté » par ces déclarations.
« Nous avons écouté l’ambassadeur du Ghana et lui avons fait savoir la position du gouvernement qui juge très graves les propos venant d’un chef d’État, de surcroît d’un pays ami et voisin », a déclaré Karamoko Jean Marie Traoré. Plus tôt dans la journée, l’ambassadeur du Ghana au Burkina avait été convoqué et s’était entretenu avec le ministre tandis que l’ambassadeur burkinabè à Accra avait été rappelé pour consultation.
« Attirer l’attention des partenaires »
Mercredi, lors d’une entrevue aux États-Unis avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le président ghanéen Akufo-Addo, avait assuré que le Burkina avait « conclu un arrangement pour, comme le Mali, employer des forces de Wagner« . « Je crois qu’une mine dans le sud du Burkina leur a été allouée comme une forme de paiement pour leurs services », avait-il ajouté, précisant que, selon lui, « les mercenaires russes sont à la frontière nord » du Ghana.
Lors de son entretien avec le ministre, l’ambassadeur du Ghana, Boniface Gambila Adagbila, a assuré que les propos de son président « ne visaient pas à condamner le Burkina Faso, ni à semer le doute dans les esprits », selon le compte-rendu de la rencontre, publié par le ministère des Affaires étrangères burkinabè. « L’intention était surtout d’attirer l’attention des partenaires afin de susciter un grand intérêt à l’endroit du Burkina Faso », a-t-il ajouté.
En réponse, le ministre Traoré a estimé que le « Ghana aurait pu entreprendre des échanges avec les autorités burkinabè sur la question sécuritaire afin d’avoir les bonnes informations ».
NOUS ESSAIERONS DE DIVERSIFIER NOS RELATIONS DE PARTENARIAT JUSQU’À TROUVER LA BONNE FORMULE POUR LES INTÉRÊTS DU PAYS
Dans plusieurs pays d’Afrique francophone, Moscou mène une campagne d’influence active, notamment sur les réseaux sociaux, et jouit d’un soutien populaire grandissant, quand la France y est de plus en plus vilipendée. Certains pays accusent la junte au pouvoir au Mali d’avoir recours aux services de Wagner, réputé proche du régime de Moscou, ce que Bamako dément.
Le Premier ministre à Moscou
La question d’un éventuel rapprochement avec la Russie se pose également au Burkina depuis le coup d’État du 30 septembre, le deuxième en huit mois, qui a porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré, alors que le pays peine à faire face à des attaques jihadistes meurtrières récurrentes depuis 2015.
Lundi, le Premier ministre burkinabè, Apollinaire Kyélem de Tambèla, a rencontré à Moscou le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, pour évoquer « les questions prioritaires du renforcement des relations » entre les deux pays, selon un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères. Interrogé sur ce voyage, le porte-parole du gouvernement burkinabè n’a pas souhaité faire de commentaire.
Apollinaire Kyélem de Tambèla avait affirmé fin octobre qu’il n’excluait pas de rééxaminer les « rapports » de son pays avec la Russie. « Nous essaierons, autant que possible, de diversifier nos relations de partenariat jusqu’à trouver la bonne formule pour les intérêts du Burkina Faso. Mais il ne sera pas question de nous laisser dominer par un partenaire, quel qu’il soit », avait-il dit mi-novembre.
Wagner pointe du doigt la France après l’attaque d’un diplomate russe. Les Affaires étrangères russes dénoncent un sabotage de leurs relations avec Bangui.
Le groupe paramilitaire Wagner est très actif en Centrafrique.
L’explosion d’un colis piégé vendredi a blessé un représentant russe en Centrafrique, une attaque que le chef de Wagner, groupe paramilitaire russe très actif dans le pays, a imputée à la France. « Le chef de la Maison russe (le centre culturel) a reçu vendredi un colis anonyme, l’a ouvert et une explosion s’est produite », a indiqué le service de presse de l’ambassade russe, cité par l’agence de presse officielle Tass, précisant que ce responsable, Dmitri Syty, était hospitalisé avec des « blessures sérieuses ».
Peu après, le milliardaire russe proche du Kremlin et fondateur de Wagner, Evguéni Prigojine, a dénoncé l’implication de la France. « Je me suis déjà adressé au ministère russe des Affaires étrangères pour qu’il lance une procédure afin de déclarer la France comme État soutien du terrorisme », a-t-il déclaré, cité par son service de presse. Selon Evguéni Prigojine, Dmitri Syty, avant de perdre connaissance, avait lu une note accompagnant le colis qui disait : « C’est pour toi, de la part de tous les Français, les Russes ficheront le camp d’Afrique. »
Le chef de Wagner, qui a pendant des années nié diriger ce groupe avant de le reconnaître récemment, n’a fourni aucune preuve de cette note et l’Agence France-Presse n’a pas été en mesure de confirmer la teneur de ces déclarations. Il a assuré aussi que Dmitri Syty avait également reçu des menaces en novembre visant son fils qui vit en France. « Nous condamnons fermement cet acte criminel qui a pour objectif […] de nuire au développement des relations amicales entre nos deux pays », a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué, sans désigner toutefois de commanditaire présumé.
«Terrorisme international »
Une source diplomatique russe à Bangui interrogée par l’agence Ria Novosti a indiqué que la victime avait reçu le colis à son domicile, qui n’est pas sur le territoire de l’ambassade. « Il l’a reçu, l’a ramené dans la maison et l’a ouvert », a indiqué ce diplomate non identifié de l’ambassade russe en Centrafrique.
Pour sa part, un vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a affirmé que le centre culturel russe allait rester ouvert, malgré cette attaque. « Nous ne devons pas montrer de la peur face aux terroristes, ils n’attendent que cela », a-t-il affirmé, tout en appelant à renforcer la sécurité de la mission diplomatique russe en Centrafrique. Mikhaïl Bogdanov n’a pas pointé de doigt accusateur en direction de la France, ni évoqué de piste particulière, estimant seulement que le « terrorisme international ne connaît pas les frontières ».
Cette attaque intervient alors que les derniers militaires français déployés en Centrafrique sont partis jeudi, un retrait décidé par Paris face au rôle grandissant du groupe Wagner dans ce pays en guerre civile depuis 2013 et au cœur de la stratégie d’influence de Moscou en Afrique. La Russie s’efforce depuis plusieurs années de renforcer son influence sur le continent africain, notamment en déployant ses paramilitaires.
D’après Bangui, l’aéronef aurait franchi les frontières du pays, au Nord, et aurait bombardé la ville de Bossangoa. L’appareil aurait pris pour cible les bases militaires centrafricaine et russe, ainsi qu’une usine de coton.
Le gouvernement centrafricain a affirmé que, le 28 novembre, un avion reparti dans un pays voisin « a largué des explosifs dans la ville » de Bossangoa (Nord-Ouest) sur des militaires centrafricains et des mercenaires russes du groupe Wagner, menaçant de représailles. L’attaque a été perpétrée en plein milieu de la nuit de dimanche à lundi, peu avant 3 h du matin, selon Bangui.
« L’appareil [a pris] pour cible la base de nos forces de Défense, celle de nos Alliés ainsi que l’usine de coton », assure dans un communiqué le gouvernement. C’est la première fois qu’une attaque présumée par un avion hostile survient au moins depuis le début de la guerre civile, en 2013.
Venu du Nord
Un aéronef « a bombardé la base des Russes à 2h50 du matin, nous avons entendu au moins quatre bombes mais comme il faisait nuit, nous n’avons pas vu l’avion qui était sans phares et faisait peu de bruit », a affirmé par téléphone Étienne Ngueretoum, directeur régional des Eaux et Forêts à Bossangoa. Deux bombes ont explosé selon lui dans son jardin, qui jouxte une usine de coton occupée par les Russes.À LIRERussie-Afrique : les mercenaires de Wagner sont-ils vraiment efficaces ?
Le maire de Bossangoa, Pierre Denamguere, a confirmé aussi l’attaque par téléphone. « C’est un avion sans lumières et que l’on n’a pu identifier, la cible était l’usine de coton que les Russes et les forces armées utilisent comme base, il n’y a pas trop de dégâts », a-t-il commenté.
« Cet aéronef, après avoir commis ces forfaits […] a pris la direction du nord […] avant de traverser nos frontières », assure le gouvernement. Encore il y a peu aux mains des rebelles, Bossangoa est située au nord de Bangui et à environ 150 kilomètres au sud du Tchad. Une enquête a été ouverte pour « situer les responsabilités » de « cet acte ignoble perpétré par les ennemis de la paix [qui] ne saurait rester impuni » et « toutes les dispositions ont déjà été prises pour faire face à toute éventualité », conclut le communiqué.
Les attaques fusent entre Paris et Bamako. Quand le président français fustige l’inaction supposée de la junte dans la lutte contre le terrorisme, celle-ci réplique en l’accusant de vouloir entretenir la haine ethnique.
La pratique du clash hip hop aurait-elle imprégné les usages rhétoriques de politiciens qui étaient encore adolescents quand le Français Joey Starr ou le Malien Mokobé déroulaient leurs premières punchlines ? Ces derniers jours, dans ce qu’il reste de la communication franco-malienne, la convocation de mots au style pour le moins lapidaire est de mise, en mode « battles »…
Le 28 juillet, en visite en Guinée-Bissau, Emmanuel Macron analysait que « les choix faits par la junte malienne aujourd’hui et sa complicité de fait avec la milice Wagner sont particulièrement inefficaces ». Ce dimanche, en direct à la télévision publique, via la lecture du communiqué 035 du gouvernement de la transition, en répétant trois fois la même phrase, le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement malien, dénonçait la posture « néo-coloniale, paternaliste et condescendante » du président français.
Rupture
Et les discours de se faire écho entre eux comme la réponse du berger à la bergère, sur l’air de « c’est celui qui le dit qui l’est » ou « pas vu, pas pris », en ce qui concerne la présumée présence du groupe paramilitaire russe sur le sol malien. Pour le président Macron, « lutter contre le terrorisme, ça n’est plus l’objectif » de la junte, tandis que pour le colonel Maïga, la France a pour « dessein d’entretenir la haine ethnique », comme elle joua un « rôle négatif (…) dans le génocide des Tutsi ».
Pour Macron, le peuple malien est empêché d’exprimer « sa souveraineté populaire », tandis que Maïga rétorque que « nul ne peut aimer le Mali mieux que les Maliens ». Pour Macron, l’implication des États ouest-africains est nécessaire dans le rétablissement de la sécurité au Mali, tandis que pour Maïga, tout se résume à la souveraineté nationale. Pour le premier, c’est la France qui a choisi de « quitter le sol malien », tandis que pour le second, c’est le Mali qui « a mis fin à la coopération en matière de défense avec la France »…
Sur ce point de la rupture des relations sécuritaires, il n’y a pas seulement du hip hop, mais aussi un peu de dystopie à la manière du film américain Minority Report, dans lequel des autorités douées de « précognition » sanctionnent les crimes avant que ceux-ci ne soient commis. Dans son communiqué dominical, le colonel Abdoulaye Maïga affirmait ainsi qu’avant même que Macron ne tacle la politique malienne à Bissau, le Mali avait demandé « de manière prémonitoire à l’ambassadeur de France de quitter le territoire malien », et avait également suspendu « les médias France 24 et Radio France internationale » comparés à la radio Mille collines qui distilla le fiel sur les ondes rwandaises, au milieu des années 90…
La junte militaire qui a pris le pouvoir au Mali il y a près de deux ans a remercié les Français et décidé de se rapprocher plutôt des Russes pour assurer la sécurité du pays. Plusieurs membres de la diaspora malienne appuient ce choix, même s’il n’est pas sans conséquence, notamment en matière de respect des droits de la personne.
Au Mali, le sentiment antifrançais a pris passablement d’ampleur, un phénomène dont profite la Russie. Photo: AFP
« À bas la France! La France, dégage! La France, terroriste! » Ce sont des slogans antifrançais fréquemment entendus lors de manifestations dans les rues de plusieurs pays africains, dont le Mali. La colère gronde contre l’ancien colonisateur qui, après neuf ans de présence militaire, n’a pas réussi à chasser les djihadistes, qui sèment la terreur dans le pays.
Pendant ce temps, d’autres drapeaux ont fait leur apparition dans ces rassemblements. Ils sont blanc, bleu et rouge eux aussi, mais ce sont ceux de la Fédération de Russie, fièrement brandis par les manifestants. Parmi eux, on peut aussi voir des pancartes sur lesquelles il est écrit : Merci Wagner!, une allusion au groupe de mercenaires russes de la société privée Wagner.
Ce groupe est de plus en plus présent en Afrique et travaillerait main dans la main avec le Kremlin pour mener des opérations antiterroristes, bien qu’officiellement Moscou nie tout lien avec ces militaires maintes fois accusés d’avoir massacré des civils.
Les relations entre la France et le Mali se sont détériorées depuis le coup d’État militaire d’août 2020 et le renversement du gouvernement de transition quelques mois plus tard. Paris reproche aux militaires de vouloir s’accrocher au pouvoir et de faire appel aux services du groupe Wagner pour y parvenir. Ce sont d’ailleurs les arguments qu’a utilisés le président français Emmanuel Macron pour justifier le retrait des troupes françaises du Sahel. Les autorités maliennes se défendent d’instaurer une dictature et réfutent la présence de Wagner sur leur territoire. Elles affirment vouloir décider, enfin, de l’avenir de leur pays.
L’espoir de la diaspora et le discours pro-junte
L’ancien président du Haut Conseil des Maliens du Canada, Lassine Traoré Photo : Radio-Canada/Karine Mateu
L’ancien président du Haut Conseil des Maliens du Canada, Lassine Traoré, qui habite à Montréal, s’est établi au Québec il y a 16 ans. Depuis, il n’a jamais cessé de suivre l’évolution politique de son pays d’origine. Selon lui, c’est la jeunesse malienne qui est derrière les bouleversements que connaît le pays en ce moment. Avec Internet, les jeunes naviguent beaucoup. Ils voient d’autres pays. Ils veulent que le Mali soit un pays développé, un pays comme ses voisins. C’est une jalousie constructive. Ils veulent un changement! dit-il.
C’est cette même jeunesse, ajoute-t-il, qui souhaite la présence de la Russie, qui n’est pas nouvelle au Mali. Au contraire, précise Lassine Traoré : lors de son indépendance, le pays s’était aligné sur le bloc de l’Est jusqu’à la chute de l’URSS, en 1991.
« Les Russes nous ont aidés pendant nos tout débuts. Donc, les gens sont descendus dans les rues réclamer les Russes pour venir à notre secours parce que la France, qui avait été acclamée, ne fait plus l’affaire et joue à des jeux troubles. L’armée a juste voulu répondre aux besoins de la population. »— Une citation de Lassine Traoré, ancien président du Haut Conseil des Maliens du Canada
L’échec de la France
Le président du Haut Conseil des Maliens du Canada, Youssouf Tounkara Photo : Youssouf Tounkara
Comme son prédécesseur, l’actuel président de cette organisation, Youssouf Tounkara, n’est pas tendre envers la France qui, selon lui, a échoué dans sa mission d’éliminer la menace djihadiste. Presque une dizaine d’années plus tard, le conflit, au lieu d’être isolé au nord, s’est répandu au centre du pays, avec quelques cas isolés au sud. Par la suite, la population a découvert beaucoup d’histoires choquantes. Lorsqu’on apprend qu’un camp militaire de l’armée malienne se fait attaquer tout près de l’armée française, que celle-ci n’intervient pas et qu’en plus elle interdit à l’armée malienne d’intervenir, on comprend que la population soit agacée et qu’elle demande à ses autorités de chercher de nouveaux partenaires pour l’aider dans cette lutte, déplore-t-il.
Il s’étonne par ailleurs que la présence russe suscite autant de questionnement : Moi, ça me fait rire, parce que je trouve que l’Occident se focalise beaucoup sur la Russie, mais comme nos autorités le disent, nous avons beaucoup d’autres partenaires. La France est un partenaire du Mali, même si nos relations sont tendues. L’Union européenne, la Turquie, la Chine et la Russie : nous avons beaucoup de partenaires.
Censure ou patriotisme?
Par ailleurs, ce n’est pas seulement le rapprochement avec la Russie qui mine les relations entre la junte malienne et les Occidentaux. Ces derniers accusent l’armée malienne et les mercenaires de Wagner de commettre des exactions contre des populations civiles lors de leurs opérations antiterroristes, comme cela aurait été le cas à la fin de mars dans la ville de Moura, au centre du pays, où 300 civils auraient été tués.
Bamako réfute ces accusations : il s’agissait non pas de civils mais plutôt de combattants djihadistes. Selon les autorités, ce serait une victoire militaire. Elles nient encore une fois toute présence du groupe Wagner sur leur territoire. Seuls des instructeurs russes seraient présents au Mali, disent-elles.
Accusés de vouloir rapporter de fausses informations qui nuisent à la junte, les médias RFI et France 24 ont été chassés du pays en avril dernier. Lassine Traoré appuie cette décision des autorités maliennes. C’est comme en Russie quand les médias occidentaux, dont Radio-Canada, ont été interdits, parce que la communication importe beaucoup, affirme-t-il. Aujourd’hui, tous les Maliens de l’intérieur ou de l’extérieur sont fiers du régime en place, de l’armée et de la récupération des territoires aux mains des djihadistes.
« En interdisant la diffusion de ces deux antennes [RFI et France 24], je crois que les autorités sont dans leur droit de mettre fin à la propagande qui était diffusée sur ces ondes pour ne pas affaiblir l’élan de patriotisme que les Maliens commencent à avoir. »— Une citation de Lassine Traoré, ancien président du Haut Conseil des Maliens du Canada
Youssouf Tounkara adhère lui aussi à la version des autorités maliennes en ce qui concerne la présence du groupe Wagner sur le territoire malien.
« On parle beaucoup de Wagner au Mali. Nos autorités ont toujours été claires : il n’y a pas de Wagner au Mali. Et moi, en tant que citoyen malien, je fais confiance à mes autorités. Lorsqu’elles disent qu’il n’y a pas de Wagner au Mali, eh bien, pour moi, il n’y a pas de Wagner au pays! »— Une citation de Youssouf Tounkara, président du Haut Conseil des Maliens du Canada
La démocratie pour qui?
Le président de l’Association de la diaspora africaine du Canada, Soumaila Coulibaly Photo : Radio-Canada/Karine Mateu
Le président de l’Association de la diaspora africaine du Canada, Soumaila Coulibaly, s’est installé à Ottawa à son arrivée en sol canadien. Bien qu’il ne représente pas uniquement le Mali, son pays d’origine, les accusations d’exactions commises par l’armée malienne et par le groupe Wagner le font réagir.
Wagner, vraiment, ce n’est pas un problème du Mali. C’est un peu l’épouvantail de la communication. Comme le ministre Abdoulaye Diop l’a répété à la tribune des Nations unies dernièrement, le problème du Mali aujourd’hui, ce n’est pas Wagner. Le problème du Mali aujourd’hui, c’est la sécurité. Le problème du Mali aujourd’hui, c’est l’accès aux soins. Le problème du Mali aujourd’hui, c’est l’éducation des citoyens maliens, affirme-t-il.
M. Coulibaly soutient par ailleurs la junte au pouvoir, d’autant qu’elle a annoncé le transfert du pouvoir aux civils d’ici deux ans. Et il tient à rappeler que la démocratie par le vote, telle que préférée par l’Occident, est discutable.
« Quand on parle de démocratie, on doit se demander : comment a-t-on instauré cette démocratie? Comment ces élections sont-elles organisées? Parce qu’il y a des gens qui organisent ces élections et qui [font élire] des gens pour leurs intérêts et pour ceux de leurs compagnies. Chaque fois que la population est laissée pour compte, les forces armées sont obligées d’intervenir pour rétablir l’équilibre. »— Une citation de Soumaila Coulibaly, président de l’Association de la diaspora africaine du Canada
La Russie, un partenaire dangereux
Spécialiste en prévention des conflits en Afrique, Frédéric Samy Passilet a aussi travaillé pour les missions de maintien de la paix des Nations unies au Congo, en Côte d’Ivoire et au Mali. Photo : Frédéric Saly Passilet
Lui aussi installé à Ottawa depuis six ans, Frédéric Samy Passilet, un spécialiste en prévention des conflits en Afrique, comprend le rejet de la France par les populations africaines mais s’inquiète de cet engouement pour la Russie. Ce Tchadien qui a dû fuir son pays d’origine a aussi travaillé pour des missions de maintien de la paix des Nations unies au Congo, en Côte d’Ivoire et au Mali.
« Voilà l’erreur que l’Afrique est en train de commettre : allez chasser les Français et allez pactiser avec des criminels de tout bord, comme les gens de Wagner. Parce que ce sont des criminels, ce sont des terroristes. Le terroriste est celui qui utilise la violence pour atteindre ses objectifs. »— Une citation de Frédéric Samy Passilet, spécialiste en prévention des conflits en Afrique
Wagner utilise la violence la plus sadique. Il tue les populations civiles. Je crois que c’est une erreur. Un jour, nous allons écrire l’histoire du Mali et ils vont regretter, même si aujourd’hui, ils croient qu’il y a la sécurité, craint-il.
Frédéric Samy Passilet met aussi en garde contre les régimes qui ne tolèrent aucune critique : Pour le moment, nous assistons à une situation de populisme politique au Mali, ce qui fait qu’il y a un aveuglement pour cerner la vérité. Et tous les chefs d’État, toutes les autorités africaines qui ne veulent pas la vérité désignent Radio France Internationale et les organisations des droits de l’homme comme des cibles. En vérité, il n’y a pas de fumée sans feu. Pourquoi n’ont-elles pas permis à la mission de l’ONU qui est présentement au Mali, la MINUSMA, d’enquêter sur les crimes? Pourquoi? Que cachent les autorités maliennes?
Une tromperie?
Tatiana Smirnova est chercheuse au postdoctorat au Centre franco-paix de l’Université du Québec à Montréal. Photo : Radio-Canada/Karine Mateu
Chercheuse postdoctorale au Centre franco-paix de l’Université du Québec à Montréal, Tatiana Smirnova, qui est d’origine russe et française, est une spécialiste de la situation au Sahel. Selon elle, la Russie, qui est de plus en plus isolée sur la scène internationale en raison de la guerre en Ukraine, va s’engager davantage en Afrique, mais l’investissement n’y sera pas comme au temps de l’URSS.
L’URSS avait mis beaucoup d’argent dans le volet développement : la construction d’hôpitaux, de stades, etc. Sa présence n’était pas que militaire, elle était aussi axée sur le développement. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La Russie n’en a pas les moyens. Elle s’investit donc à travers la vente d’armes et le développement militaire ainsi que par des contrats économiques avec de grandes entreprises. Malheureusement, je pense que c’est là en quelque sorte la tromperie de l’offre que la Russie fait aux populations, parce que celles-ci acceptent l’offre en espérant que la Russie va revenir comme au temps de l’URSS avec toute cette offre, y compris avec une coopération en matière de santé et plus encore, prévient-elle.
Tatiana Smirnova précise que la Russie a changé, tout comme ses méthodes.
« La Russie s’appuie aujourd’hui sur les élites politiques du business parce que ça nourrit, le business. Et Wagner, c’est une des compagnies privées, mais il y en a d’autres. Le problème des groupes privés est qu’ils sont moins redevables à l’État. Ils sont plus redevables à eux-mêmes et aux intérêts privés qui les payent. C’est ça, le danger. »— Une citation de Tatiana Smirnova, chercheuse postdoctorale au Centre franco-paix de l’Université du Québec à Montréal
La spécialiste dit comprendre les Maliens qui cherchent d’autres partenaires pour leur venir en aide, mais à long terme, les conséquences pourraient être graves.
La stratégie contre le terrorisme russe qui a été vendue aux pays sahéliens est efficace à court terme, mais elle va engendrer des effets extrêmement graves pour les populations à long terme. Elle va produire des tensions intercommunautaires, parce qu’il y aura des exactions, des missions de punition et ainsi de suite, dit-elle. Ce que je trouve aussi malheureux, c’est que les partenaires occidentaux peuvent maintenant mettre tous les malheurs du Sahel sur le dos de la Russie ou sur celui de Wagner, alors qu’il y a eu des exactions bien avant l’arrivée de Wagner au Mali. On ne peut pas regarder la situation d’une façon dichotomique. Il faut aller au-delà de l’affrontement avec la Russie.
Toutefois, aux yeux du spécialiste des conflits en Afrique Frédéric Samy Passilet, le Mali et d’autres pays africains jouent un jeu bien dangereux en se tournant vers la Russie.
« Les Russes ne viennent pas sans intérêt. Les Russes ne regardent pas la démocratie. Un jour, le peuple va commencer à exiger la démocratie et le régime en place va dire : »Non! vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre! » »— Une citation de Frédéric Samy Passilet, spécialiste des conflits en Afrique.
Après la diffusion de reportages mettant en cause les Fama et des mercenaires de Wagner dans des tueries de civils, Bamako a décidé d’interdire les deux médias français. Une décision qui intervient dans un contexte de pression croissante sur les journalistes au Mali.
La junte malienne a ordonné dans la nuit de mercredi à jeudi la suspension de la diffusion de RFI et France 24 au Mali en raison, selon elle, de « fausses allégations » d’exactions commises par l’armée et rapportées par les deux médias publics français, ont indiqué les autorités dans un communiqué.
Le Mali « rejette catégoriquement ces fausses allégations contre les vaillantes Fama [Forces armées maliennes] » et « engage une procédure […] pour suspendre jusqu’à nouvel ordre la diffusion de RFI […] et France 24 ». Les émissions de ces derniers se poursuivaient néanmoins ce jeudi 17 mars, a constaté l’AFP.
Une telle suspension de deux grands médias étrangers n’a pas de précédent récent au Mali. Elle intervient dans un contexte de pression croissante sur les journalistes dans le pays et un peu plus d’un mois après l’expulsion de l’envoyé spécial de Jeune Afrique de Bamako.
Les Famas et Wagner impliqués dans des massacres
Le gouvernement estime que « ces fausses allégations » ont notamment été rapportées dans un reportage des 14 et 15 mars, dans lequel RFI a donné la parole à des victimes présumées d’exactions qui auraient été commises par l’armée malienne et le groupe privé russe Wagner. Ces sujets ont été diffusés alors que de nombreuses informations, dont un rapport de la Minusma dont le contenu a été révélé par Jeune Afrique, font état depuis plusieurs jours de la responsabilité des Fama, ainsi que de celle des mercenaires de Wagner, dans le massacre d’une trentaine de personnes dans le cercle de Niono.
Le communiqué du colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement, « interdit à toutes les radios et télévisions nationales, ainsi qu’aux sites d’information et journaux maliens, la rediffusion et/ou la publication des émissions et articles de presse de RFI et de France 24 ».
Après la découverte d’au moins 35 corps calcinés près de Dogofry, au sud-ouest de Nampala, plusieurs sources locales accusent l’armée, qui mène des opérations avec les mercenaires russes de Wagner dans la région. Mais les Fama démentent.
Les images sont insoutenables. Au milieu de de la brousse, des corps calcinés, enchevêtrés, les mains parfois liées dans le dos. Plus loin, un autre corps, seul, lui aussi brûlé. L’homme qui filme avec son téléphone s’exprime en fulfulde puis en bambara. « Dieu est grand. C’est le travail de soldats. Ce sont des soldats qui sont responsables de ça. Dieu nous voit tous », souffle-t-il, horrifié.
Cette vidéo aurait été tournée le 2 mars dans la commune de Dogofry, à environ 80 km au sud-ouest de Nampala. En tout, 35 corps, brûlés la nuit précédente. La quasi-totalité de ceux qui ont été identifiés étaient des Peuls des environs. Un nouveau massacre contre cette communauté souvent assimilée par les Forces armées maliennes (Fama) aux groupes jihadistes qui écument le centre du pays.
« Montée de toutes pièces »
Dans un communiqué diffusé le 5 mars, l’état-major général des armées a évoqué une « vidéo montée de toutes pièces » circulant sur les réseaux sociaux et « faisant état d’une exécution sommaire collective des Fama sur des populations civiles dans le secteur de Diabaly dans la nuit du 1er mars au 2 mars ». « L’état-major général des armées se porte totalement en faux contre ces allégations qui sont de nature à jeter le discrédit sur les Fama, respectueuses des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les Fama ne sauraient être responsables d’une telle abjection et ces informations constituent de la désinformation », poursuit le texte.
C’ÉTAIT DIFFICILE DE LES IDENTIFIER. MAIS CERTAINS ONT PU RECONNAÎTRE LEURS PARENTS
Selon plusieurs sources locales jointes par JA, plusieurs individus qui revenaient d’une foire avaient été arrêtées le 20 février par les militaires maliens dans les environs de Niono. D’autres interpellations avaient aussi eu lieu dans des villages aux alentours de Nampala. Est-ce ces personnes qui ont été tuées dans la nuit du 1er au 2 mars ? « Plusieurs corps étaient ligotés. C’était difficile de les identifier, confie un habitant. Mais certains ont pu reconnaître leurs parents. Il y avait parmi eux des personnes qui avaient été arrêtées plus tôt à Niono. »
Ces derniers jours, plusieurs autres civils peuls ont été arrêtés dans deux autres villages proches de Nampala. Selon un habitant de la zone, au moins sept personnes y auraient été tuées.
Accompagnés par des Russes ?
Plusieurs associations locales tentent désormais d’identifier les victimes et ont établi des listes de personnes disparues ou arrêtées ces dernières semaines. Les habitants des environs, eux, voudraient les enterrer dès que possible. Mais les associations leur demandent d’attendre l’arrivée d’enquêteurs. L’armée malienne a annoncé qu’elle allait investiguer. La Minusma aussi. La mission de l’ONU au Mali s’est déjà emparée de l’affaire et devrait communiquer ses conclusions dans les semaines à venir.
Si les Fama sont clairement pointées du doigt, certains suspectent aussi leurs nouveaux alliés de Wagner d’être liés à ces exactions. Selon nos informations, des mercenaires de la nébuleuse russe mènent des opérations conjointes avec les militaires maliens dans le cercle de Niono depuis fin janvier. « Les Fama sont accompagnées par des Russes dans la zone. Nous les voyons patrouiller ensemble », confirme une source locale.