Congo: « JE RÉCUSE » de Charles Zacharie Bowao

 

« Charles Zacharie Bowao Professeur Titulaire de Philosophie

Professeur des Universités
A
Son Excellence, Monsieur Denis SASSOU N’GUESSO

Président de la République du Congo

 

Objet : « Je récuse ! » Lettre ouverte du mardi 20 janvier 2015

 

la_congolaise.jpg Monsieur le Président !
En ce jour anniversaire de la Constitution du 20 janvier 2002, Le devoir de vérité et de sincérité m’interpelle.
Comme vous le savez certainement, la dernière réunion du Bureau Politique du PCT de décembre 2014, a focalisé son attention sur la problématique du changement de la Constitution du 20 janvier 2002. Une première discussion avait eu lieu au niveau de ladite Instance en novembre dernier, juste après l’insurrection populaire qui a renversé le Président Blaise Compaoré. Les « souverainistes » s’étaient récriés :
« Le Congo n’est pas le Burkina Faso. Mais, n ’agissons pas à chaud. Reculons pour mieux sauter ! »
Au cours des derniers débats, les membres du Bureau Politique du PCT ont, unanimement, fait les constats suivants :
1. Le Changement de la Constitution du 20 janvier 2002 ne peut reposer sur un quelconque fondement juridique. C’est une faute stratégique que d’avoir déclenché une telle initiative politique en la concentrant sur le maintien au pouvoir du Président Denis Sassou N’guesso au delà de 2016 ;
2. Les différentes Institutions républicaines fonctionnent régulièrement. Il n’ y a pas de crise politique ou institutionnelle. La paix est effective partout. Cette paix est un acquis qu’il faut consolider, notamment par l’optimisation durable des fondamentaux de la sécurisation, de l’industrialisation et de la modernisation du pays, et en surmontant les insuffisances clairement identifiées de la gouvernance publique ;

 

3. En dépit des sommes colossales consenties pour les satisfaire, les attentes des populations sont énormes en matière d’approvisionnement en eau potable et en électricité, d’alimentation et de santé publique, d’emploi et d’éducation, d’infrastructures routières et autres. Associée aux antivaleurs ambiantes, cette situation préoccupante peut devenir explosive, si l’on n’y prend garde ;
4. D’un scrutin à l’autre, le taux de participation va decrescendo. Ce qui témoigne du scepticisme et du désenchantement des populations à l’égard de la chose politique. (Et si ce scepticisme et ce désenchantement n’étaient que le calme qui précède la tempête?)

Monsieur le Président !

Les choses ont fini par se préciser. Malgré ce tableau complexe qui incite à la lucidité prospective et la prudence politique, les camarades du Bureau Politique du PCT pensent, mais sans vraiment y croire, qu’il faut aller au changement de Constitution, à travers un dialogue avec les « autres ». Dialogue d’autant plus hypothétique que l’on a du mal à en comprendre les contours conceptuels, méthodologiques et organisationnels. Pour ces camarades, le « Président » doit rester au pouvoir par l’entremise d’un coup de force tempéré par un référendum dont l’issue semble connue d’avance. Tant pis pour l’expérience malheureuse du Président Mamadou Tandja entre 2009 et 2010, parce que, pour les « souverainistes », le Niger n’est pas le Congo, pas davantage le Burkina Faso ne l’est.
Le Bureau Politique du PCT veut engager la mouvance présidentielle dans une impasse historique, à savoir le basculement du pays dans un chemin sans issue, à l’opposé du Chemin d’Avenir que Vous incarnez. Les Camarades du Bureau Politique du PCT excellent dans la caricature, eux qui vont jusqu’à soutenir que la Constitution du 20 janvier 2002 concentre tous les pouvoirs entre les mains d’un seul individu, le Président de la République.

Comble d’ambiguïté, cela est la caractéristique classique d’un régime dictatorial. Or, un tel argument n’honore pas notre « cher Président », et conforte ceux qui pensent que notre « cher Président » est un dictateur. Donc, pour eux, la démarche radicale de changement de la Constitution actuelle, ne ferait que Le faire apparaître comme tel. Ironie tragique !

Je l’ai fait vainement remarquer pendant les débats, les innovations suggérées par les « souverainistes », auraient pu être examinées sans fioritures dans le cadre légitime d’une révision constitutionnelle. À l’exception de deux d’entre elles, à savoir :

1) la remise en cause du principe de la limitation du mandat présidentiel ;

2) l’élection du Président de la République par le Parlement.

Le principe de la limitation du mandat du Président de la République est un acquis historique de la démocratie congolaise, dont l’enjeu est de prévenir la confiscation du pouvoir. D’où la clause de fermeture juridique dont il est frappé. Or, paradoxalement, c’est l’ « éternité au pouvoir » qui se profile à l’horizon proposé d’une élection du Président de la République au suffrage universel indirect. Un recul historique inouï !

Comment un Parti politique dit moderne peut-il ainsi raisonner par l’absurde, estimant avoir politiquement raison à partir d’une démarche juridiquement (donc techniquement) infondée ? A cette question et à mes autres interpellations, la réponse n’a pas varié.

Elle se résume aux propos que voici : « Nous ne sommes pas dans la spéculation académique, mais sur une question éminemment politique, celle du pouvoir à conserver non plus dans le respect de la Constitution actuelle, mais par une d é marche illégale, insolite et inhabituelle. L ’ essentiel est de ne pas perdre le pouvoir. Il ne faut pas se tromper d’arène… » Histoire de prétendre que la politique a sa logique que la logique ne connaît pas. La réalité du pouvoir est dans un machiavélisme qui ne s’accommode de l’éthique que pour la tourner en dérision. Il n’ y a pas d’éthique en politique. La messe est dite ! Derrière un pointage quantitatif, on voit où peut conduire la minorité politicienne d’un parti politique dont la refondation idéologique et organisationnelle, est un rendez-vous raté avec la modernité. Le parti politique s’enferme dans une synthèse portant non pas sur la pertinence des arguments, mais sur une conception singulièrement biaisée de la notion de majorité. Cet archaïsme procédural régule les réunions du Bureau Politique, ainsi que celles du Comité Central du PCT. Dès lors, que peut valoir dans la durée historique, une synthèse faite à partir de 46 intervenants dans une réunion de 400 participants? C’est ce qui s’est passé lors de la dernière réunion du Comité Central du PCT. Sur 46 intervenants, 02 camarades se sont exprimés contre le changement de la Constitution actuelle, 44 ont dit oui. En Conclusion, l’écrasante majorité silencieuse est en faveur d’un coup d’Etat constitutionnel. La minorité politicienne l’emporte ainsi sur la majorité politique selon cette mécanique confuse du plus grand nombre triomphant. Dans les médias, le Secrétaire Général du PCT ne fait que rendre compte d’une diversion quantitative à la mesure de la pauvreté du questionnement.

 

C’est cela, ne pas savoir se projeter dans l’avenir !
Je ne puis accepter le dévoiement des « souverainistes » pour qui le Congo n’a aucune leçon à tirer de sa propre histoire, ni à en recevoir des autres peuples. En fait, je ne cesse de plaider pour une argumentation éthique, en stigmatisant le coup d’État permanent, classique ou non classique. La République du Congo, Nation souveraine, est un membre à part entière de la Communauté internationale. Il n’y a pas d’ingérence extérieure lorsqu’il s’agit de défendre l’universalité des valeurs partagées de paix, de démocratie, de justice, d’État de droit, de compétence universelle, entre autres.

 

Il n’est de souveraineté respectable qui ne fasse signe au progrès humain ou social. Le Congo n’est pas en marge de la Communauté internationale. Aucun pays ne peut vivre en autarcie dans ce monde devenu village planétaire, où désormais la jurisprudence a instauré un droit transculturel et international de juger ou d’agir, au nom de la protection de l’humanité. Ce n’est pas pour rien que le Congo est signataire de nombreuses conventions, déclarations ou autres textes internationaux pertinents qui font partie du bloc de constitutionnalité de sa Loi fondamentale.

Le Congo ne peut, par conséquent, se prévaloir d’être un pays entièrement à part. Que peut-on reprocher à la Communauté internationale qui ne demande au Président de la République qu’une chose, celle que les Congolaises et les Congolais exigent : l’attachement à la souveraineté nationale à travers le respect d’une Constitution d’essence républicaine et démocratique ?

C’est cette même Communauté internationale qui, au regard de la dérive autoritariste du régime du Président Pascal Lissouba, avait fait preuve de compréhension et de solidarité à l’égard du Président Denis Sassou N’guesso à son retour au pouvoir en octobre 1997 !

C’est cette même Communauté internationale qui, en hommage à la diplomatie congolaise, encourage, autant que faire se peut, l’implication du Président de la République dans la prévention ou la gestion des crises en Afrique. Ce n’est pas par hasard que le Président Denis Sassou N’guesso a pu, consensuellement, bénéficier de la confiance de ses homologues africains pour assumer la présidence de l’OUA en 1986/1987, puis celle de l’UA en 2006/2007.

L’Afrique lui doit, entre autres, le Pacte de non-agression et de défense commune de l ’ UA (Abuja, 2004) et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (Addis Abeba, 2007).

Monsieur le Président !

Mes prises de positions me valent d’être qualifié de revanchard, de traître, d’ingrat, d’opposant interne et minoritaire. A tort ! Certains camarades et des journalistes au service de la « bonne cause » se distinguent dans cette affabulation fébrile. Cette injustice n’étonne pas l’homme de principe. Elle n’ébranle pas le philosophe soutenu par l’universalité de la condition humaine, quel que soit l’objet de sa réflexion. Je suis constant, honnête et légaliste.

Je reste, avec bien d’autres compatriotes, à l’école de la République, celle qui, sur le plan éthique, apprend à refuser d’accepter l’inacceptable, de défendre l’indéfendable et de tolérer l’intolérable, d’expliquer l’inexplicable. Une école qui, dans un esprit d’ouverture critique, magnifie la militance politique à la noblesse républicaine, à l’alternance démocratique et à la légitimité constitutionnelle. Cette école là, je la pratique avec honneur, plaisir et responsabilité ! Vous le savez, pour m’avoir fait confiance.

Monsieur le Président !

J’ai dit et redit en Bureau Politique, Vous avez l’expérience de l’hypocrisie ou de l’honnêteté des cadres. Vous avez vécu le mensonge des uns et la franchise des autres. Vous savez comment le PCT se confine, à pure perte de propagande et d’énergie, dans l’incapacité d’anticipation historique. Face à la pérestroïka, la suite se passe de commentaire.

Nul ne peut oublier qu’à l’époque, le Président Pascal LISSOUBA n’avait pas respecté l’article 75 de la Constitution du 15 mars 1992. Le pays avait basculé dans l’instabilité politique avant de sombrer dans le déplaisir tragique du pouvoir en 1997. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, une situation analogue pourrait se produire si jamais Vous ne preniez acte de l’article 57 de la Constitution du 20 janvier 2002; Une Constitution dont Vous avez initiée l’élaboration consensuelle.

Une Constitution qui a été massivement adoptée par référendum voici aujourd’hui 13 ans, puis régulièrement promulguée par Vous. Une Constitution sur laquelle Vous avez prêté serment par deux fois, et dont le Premier Magistrat de la République, que Vous êtes, est le gardien vigilant et sourcilleux, en principe. Devons-nous oublier qu’en 2002, puis en 2009, plusieurs de nos compatriotes ont été écartés de la course présidentielle, en application de cette Constitution ? Ils l’ont accepté dignement. Avaient-ils tort de respecter la règle constitutionnelle ? En vérité, on veut amener le Président de la République à commettre un parjure.

J’ose croire que l’homme d’État avisé ne peut longtemps patauger dans une escroquerie historique. La démarche dite de changement de la Constitution du 20 janvier 2002, est juridiquement infondée, politiquement désastreuse et socialement explosive. Je ne me reconnais pas dans une telle attitude passéiste et hasardeuse.
Le changement de la Constitution du 20 janvier 2002 est un chemin sans avenir, que « Je récuse ! »
L’honnêteté intellectuelle ne peut s’accommoder d’une telle perversion temporelle. Il est inacceptable que le peuple soit abusé par le rapport pathologique au pouvoir dont se réclament les partisans du slogan  » Touche pas à mon Président « , avec en guise de réplique d’une certaine opposition, le slogan  » Touche pas à ma Constitution « .

Psychanalytiquement parlant, les deux slogans ont en partage de détruire la convivialité citoyenne et de saper les fondements de la République, en emprisonnant le sujet historique dans la tragédie du pouvoir. Certains analystes estiment que derrière ces slogans, opère la querelle des « ethnocraties » pour le pouvoir, sous la houlette des « ethnocrates », au grand bonheur de l’autocrate manipulateur que Vous seriez. Ne leur donnez pas raison. Surtout pas, Monsieur le Président !

Les larmes et le sang des « autres » ont trop coulé dans ce pays. Ç a suffit! Vous avez eu raison de le marteler lors de votre Message à la Nation d’août 2014. Votre insistance a ému la Nation et la Communauté internationale.

La bêtise humaine a fait trop de mal à notre pays, pour qu’elle se remette au goût de notre devenir commun. « Plus jamais ç a! », pour reprendre une symbolique forte de la Conférence Nationale Souveraine, désormais ancrée dans la mémoire collective et inscrite en lettres d’or sur le char qui a bombardé Votre résidence privée de Mpila le 05 juin 1997, au petit matin. Historiquement et symboliquement, personne n’a le droit de remettre en cause ce cri de cœur et cet appel de raison. En premier, notre Président de la République : « Plus jamais ça! ».

Monsieur le Président !

Votre Adresse présidentielle du 31 décembre 2014 n’a fait qu’ajouter à la perplexité, devant ce coup d’Etat constitutionnel en préparation. Plutôt que d’enliser le pays dans une nébuleuse constitutionnelle, qu’il plaise au Président de la République, en homme d’honneur, d’engager une dynamique républicaine d’envergure pour l’éclosion d’une alternance pacifique et crédible dans le respect de la Constitution du 20 janvier 2002.

C’est là que le Message des Evêques du Congo révèle sa pertinence. Dans le même élan de ressaisissement national, il y ’ a urgence à tirer les conséquences de la toute récente Déclaration des partis politiques, des mouvements, associations de la société civile et des personnalités indépendantes opposés au changement de la Constitution du 20 janvier 2002.

 

Telle est Votre responsabilité historique, Monsieur le Président.

Vous avez le secret de votre parcours d’homme d’État. Entrez dans l’Histoire par le portique républicain !

Entrez dans l’avenir en éclaireur, protecteur et couvreur de la République !

Prenez place aux côtés des Hommes qui, à l’instar de Mandela, font la fierté de l’Humanité.

J’ai dit !  »

Très Respectueusement Votre,
Charles Zacharie Bowao

Source: Mampouya.com

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