Le Président Youlou n’était pas un chef ethnique ni un dirigeant sectaire
Le Président Fulbert YOULOU a été le mal aimé de notre sanglante histoire. De 1964 à 1991 plusieurs générations ont été éduquées dans ce que je puis nommer l’anti-youlisme.
Et pourtant l’ascension du petit Abbé vers le pouvoir suprême ne l’autorisait point à devenir un dirigeant sectaire et ethnique..
En effet, lorsque l’Abbe rentre du Cameroun en 1946 il est en butte à l’hostilité d’une partie de ses « parents ethniques » Laris-Kongos, notamment la branche radicale des matsouanistes, qui y voient dans sa soutane une collusion avec les colons français. Étant donné qu’en 1946 des émeutes éclatent a Bacongo au cours desquelles l’Abbé RAMEAUX est molesté à l’église St Pierre Claver. Youlou est donc victime d’un ostracisme à Bacongo. Il échappe par ailleurs à un lynchage public en 1947 en l’église de Mabaya-Koubola pour avoir prononcé une homélie dans laquelle il s’en prend avec une rare violence verbale à la fraction radicale des matsouanistes qui refuse la scolarisation des enfants. Youlou est exfiltré par des fidèles venus a sa rescousse.
Cela dit, Youlou avait d’abord conquis ce que l’on appela autrefois le Niari Forestier (actuelle région de la Lekoumou et la partie forestière du Niari constituée de Divenié, Mbinda et Mayoko), avant de capter ce qui devait être son électorat naturel de la région du Pool dont il est originaire.
Contrairement à la littérature d’une certaine science politique congolaise à prétention scientifique, Youlou ne s’était pas appuyé sur son ethnie et encore moins sur le matsouanisme pour conquérir le pouvoir suprême. Au contraire, en redoutable stratège et très ambitieux, Youlou s’était rapproché des élites du Niari Forestier et du Kouilou continental (Bilala, Mvouti etc) issues des lignages et des clans « dominés ». Dans le Kouilou, ces élites du Kouilou Forestier étaient en butte à l’hégémonie symbolique des élites Vilis issues des descendants de la lignée royale (Diosso et Loango), ces derniers revendiquant une descendance et une filiation directe avec le Roi MA LOANGO, légitimant par ailleurs la structure vassalisée de la société vili.
Dans le Niari les élites conquises par Youlou se préparaient à une revanche symbolique contre les élites Bakunis de Dolisie et Loudima qui les considéraient comme des « landala lail », donc des populations venues des forêts et longeant le rail (CFCO) pour rejoindre Dolisie et Loudima.
Cette configuration ethno-géographique issue des rapports marchands coloniaux sera d’un grand secours pour Fulbert Youlou à partir de 1959, puisque son allié Stéphane THYTIELLE, un Vili de Bilala, remporte les municipales de Pointe-Noire tandis que Pierre GOURA, un autre allié, bayaka originaire de Sibiti, accède à la mairie de dolisie en battant KIKOUNGA NGOT.
C’est après avoir conquis le Kouilou continental et le Niari Forestier que l’Abbé Youlou avait capté l’électorat du Pool et de Bacongo à la faveur d’un grand travail de terrain mené par des associations de jeunes coordonnées par Dominique NZALAKANDA, Jean BIYOUDI, Roch MALANDA et le Doyen LASCONY.
En outre, Youlou relève opportunément que la langue urbaine qu’est le lari est porteuse des liens sociaux dynamisant un réseau de solidarité transethnique entre les ressortissants de Bacongo au-delà de leurs ethnies d’origine. C’est donc par le biais du lari en tant que langue que Youlou conforte son ascension fulgurante vers le pouvoir en se rapprochant des fonctionnaires originaires du Niari et du Kouilou installés a Bacongo, lesquels habitaient majoritairement les quartiers SIC de Bacongo et Makélékélé, et parlaient un lari sans accent. Parmi ceux-ci, il y a le tres respecté Martial KONGO, unvYombé de Mvouti, père de l’historien Marcel KONGO; François NGOY, originaire de Zanaga, devenu plus tard le président de l’équipe de football les « Diables-Noires »; MADOUNGOU Boniface dit « Vieux Castar », un bayaka originaire de Sibiti dont la fille TSONA Claire épousera le Ministre Prosper GANDZION, tandis que sa troisième fille, Henriette BOUANGA, affectueusement appelée BIBI, deviendra la propriétaire du bar dancing « CHEZ BIBI » à Bacongo ; MENGO Édouard, originaire de Sibiti dont le fils ainé, Jean Marie MENGO, Chef des Motards et Maréchal des Logis, sera assassiné le 26 mars 1970 après avoir été enlevé de sa cellule à la maison d’arrêt trois jours après l’échec du coup d’état du Lieutenant Siroko KIGANGA dont il était très proche; Basile MAPINGOU, député UDDIA, originaire de Zanaga, nommé Sous-préfet de la nouvelle sous-préfecture de la Létili, laquelle a été créée par Youlou pour remercier les élites de l’actuelle région de la Lekoumou ; MOUKENGUE dit « Shérif » et Barthelemy NZABA, tous Bembés de Mouyoundzi.
On le voit, l’Abbé Youlou a été inspiré par une rationalité politique tirée d’une lecture sociologique intelligente de la société coloniale. Il avait par ailleurs compris et saisi le rapport du lari à l’urbanité comme processus valorisant de son ascension politique. Et, contrairement à Bernard KOLELAS, plus tard, Fulbert Youlou avait compris depuis 1947 qu’il était dangereux pour tout ressortissant du Pool de se revendiquer de MATSOUA GRENARD, puisque suivant Youlou cette figure de notre histoire qu’est Matsoua incarne « l’interdit » pour avoir perturbé l’ordre colonial et sa structuration de domination. D’autant que, par simplifications idéologiques, les colons français avaient assimilé le Matsouanisme au « Larisme », autre expression conçue par les mêmes colons pour légitimer « l’intégrisme dit du Pool », lequel a été repris dans le champ politique postcolonial à la faveur des raccourcis politiciens et des simplifications idéologiques. D’où la forte tendance vers l’essentialisation et la particularisation des Laris-Kongos. L’état postcolonial ne pouvant se reproduire qu’avec les logiques et les postures de l’Etat colonial dont il est le dérivé. Et, l’épuration ethnique en cours dans la région du Pool depuis avril 2016 est instructive en ce sens.
C’est la raison pour laquelle Youlou avait compris que la figure de Matsoua, faussement assimilé à ce supposé « intégrisme » des Laris-Kongos, sera utilisée pour justifier et « légitimer » les violences meurtrières contre ses parents ethniques Laris-Kongos. C’est sous cet angle qu’il convient de comprendre la répression qu’il organise contre les matsouanistes radicaux et leur déportation au nord du pays. Et parallèlement, Youlou se rapproche des matsouanistes modérés. Cette répression-déportation répondait a deux préoccupations. D’abord, rassurer les factions politiques non Karis-Kongos de ce qu’un ressortissant du Pool, donc Youlou, peut organiser une expédition punitive contre les siens. Ensuite, il s’est agi pour Youlou d’éloigner les motivations de la répression contre les originaires du Pool tant que les matsouanistes habiteront cette région.
Ceci étant, les éléments parcellaires, ci-dessus décrits, sur l’ascension fulgurante de l’Abbé Youlou vers le pouvoir suprême, apportent un éclairage sur la posture transethnique et nationalitaire de l’Abbé Youlou.
Certes, il lui était fait le grief, à raison par ailleurs, d’avoir prononcé un discours en lari le 15 août 1963 en s’adressant uniquement à ses « parents ethniques » Laris-Kongos et non à l’ensemble du peuple congolais. Cependant, ce discours sur fond de recentrage ethnique a été tenu par un chef dépité et désespéré, lâché de toutes parts, et voyant le pouvoir lui échapper. Il a donc tenté de rallier à sa cause les originaires du Pool, majoritaires à Brazzaville. D’autant qu’il se dit surpris de constater que le 14 août 1963 le premier rassemblement du peuple déferlant vers le palais, au-delà de celui des syndicats, a lieu au Marché total de Bacongo. Dans un dernier sursaut, Fulbert Youlou s’adresse donc à ceux qu’il considère comme ses parents dans l’espoir d’obtenir leur ultime soutien, en vain. Dans l’après-midi de cette journée du 15 août 1963, après sa démission, Youlou est en larmes, exposant sur le peuple congolais manipulé mais aussi sur ses « parents » du Pool. Mon défunt père, Pascal MVOULA, Chauffeur du Président de l’Assemblée Nationale, Marcel IBALIKO, vécut cette scène au palais lorsque le Président Fulbert Youlou, en larmes, est soutenu par Marcel IBALIKO, Dominique NZALAKANDA et Prosper GANDZION.
Cette séquence ne peut pour autant invalider la posture de dirigeant transethnique et national du Président Fulbert YOULOU.
Il s’agit d’une ahurissante contre-vérité historique que d’affirmer que l’Abbé YOULOU, cette figure emblématique de notre histoire, aurait été un dirigeant ethnique ou un Chef sectaire. Cette thèse a été soutenue par une certaine science politique congolaise engluée dans des analyses contredites par la pugnacité des faits.
Roger MVOULA MAYAMBA
Juriste